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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20120928


Dossier : IMM-1190-12

Référence : 2012 CF 1148

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 septembre 2012

En présence de monsieur le juge Boivin

 

 

ENTRE :

 

QUEEN VIVIAN IDEHEN

ENIYE RUTH OGBEVOEN IDEHEN

ET SARAH OGBEVOEN

 

 

 

demanderesses

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse principale sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], le contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’immigration (l’agent), datée du 21 septembre 2011, par laquelle il a rejeté sa demande, présentée en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi, que sa demande de résidence permanente soit traitée depuis le Canada pour des motifs d'ordre humanitaire (CH).

 

 

Les faits

[2]               Madame Queen Vivian Idehen (la demanderesse principale) est une citoyenne du Nigeria. Ses filles, à savoir Eniye Ruth Ogbevoen Idehen (Ruth), âgée de 12 ans, et Sarah Ogbevoen (Sarah), âgée de 10 ans, sont également parties à la présente demande. Les deux filles sont nées en Espagne, mais seule Ruth a la citoyenneté espagnole, Sarah étant née lorsque l’Espagne ne reconnaissait pas la citoyenneté par naissance. La demanderesse principale a également un fils né au Canada, Joshua Iyosayi Osekpo Ogbevoen (Joshua), âgé de 6 ans. Celui-ci est un citoyen canadien et n’est pas partie à la présente demande. Joshua souffre d’asthme. La demanderesse principale et ses filles se trouvent actuellement sans statut au Canada.

 

[3]               En 1996, la famille de la demanderesse principale a arrangé le mariage de celle-ci avec Greg Osarieman Ogbevoen. La demanderesse principale a rencontré ce dernier pour la première fois lorsqu’elle l’a rejoint en Espagne en 1997. Elle a demandé l’asile en Espagne, mais on le lui a refusé. Elle est demeurée dans ce pays grâce à un permis de séjour temporaire.

 

[4]               La demanderesse principale a donné naissance à deux filles en Espagne, où elle a vécu avec son époux entre 1997 et 2004. En 2004, son permis temporaire n’ayant pas été renouvelé, elle serait retournée au Nigeria avec ses deux filles alors qu’elle était enceinte de son fils.

 

[5]               Pendant qu’elle se trouvait au Nigeria, la famille de l’époux de la demanderesse principale aurait menacé d’exciser les filles de cette dernière. La demanderesse principale s’y est opposée avec l’appui de son époux, mais la famille aurait continué d’exercer des pressions. Dans le but de se soustraire aux dites pressions, le mari de la demanderesse a quitté le Nigeria avec Ruth le 1er juin 2005, et est retourné en Espagne. La demanderesse principale est allée le rejoindre avec Sarah le 26 juin 2005, mais prétend que son époux ne voulait pas qu’elle et les enfants se trouvent là-bas avec lui. Elle a donc décidé de prendre des dispositions pour venir au Canada. En raison de ressources financières limitées, la demanderesse principale s’est d’abord rendue au Canada, accompagnée de sa fille Sarah, en septembre 2005. Son époux a pris des dispositions pour que Ruth soit envoyée au Canada en décembre 2005, et ce, sans prévenir la demanderesse principale.

 

[6]               La demanderesse est arrivée au Canada et a demandé l’asile le 9 septembre 2005. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé la demande le 3 août 2006 parce qu’elle a estimé que la demanderesse n’était pas crédible. La Commission a conclu qu’il était peu probable que Sarah et Ruth, si elles retournaient au Nigeria, subissent une mutilation génitale féminine (MGF) contre le gré de la demanderesse principale. L’autorisation de demander le contrôle judiciaire de la décision de la Commission a été refusée par la Cour le 16 novembre 2006. Une demande d’examen des risques avant renvoi a été reçue le 1er septembre 2010 et a été refusée le 20 septembre 2011. Le 29 janvier 2007, les demanderesses ont présenté au Canada une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (demande CH). Le présent contrôle porte sur la décision défavorable rendue sur la demande CH.

 

[7]               Le dossier indique que, depuis son arrivée au Canada, la demanderesse principale a participé aux activités de son église, qu’elle a travaillé de façon sporadique, qu’elle reçoit l’aide des Centres de la jeunesse et de la famille Batshaw afin d’améliorer sa capacité de gérer ses finances personnelles et sa façon d’élever ses enfants, et que ses deux filles sont inscrites à l’école.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

[8]               Dans une décision signée le 21 septembre 2011, l’agent a refusé la demande CH présentée par les demanderesses.

 

[9]               L’agent a d’abord examiné le degré d’établissement de la demanderesse principale au Canada. Il a pris note des lettres d’appui soumises pour attester des bons antécédents civils de la demanderesse, du fait qu’elle parle anglais, et qu’elle a un enfant né au Canada et deux enfants nés à l’extérieur du Canada, mais qui vivent au Canada. Bien que favorables, ces facteurs ont été jugés insuffisants pour démontrer que les demanderesses seraient exposées à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives si elles étaient obligées de demander la résidence permanente depuis l’étranger. L’agent a conclu que la demanderesse principale n’avait pas occupé d’emplois stables et qu’elle n’était pas indépendante sur le plan financier; la demanderesse n’avait travaillé que sporadiquement depuis son arrivée au Canada. L’agent a accordé peu de poids aux lettres confirmant que la demanderesse avait fait du travail bénévole parce qu’elles ne mentionnaient pas le nombre d’heures par semaine qu’elle avait consacrées au bénévolat. L’agent a pris acte des difficultés en matière d’établissement auxquelles est confrontée une mère monoparentale ne disposant d’aucun soutien familial au Canada, mais a conclu que ces difficultés ne seraient guère différentes au Nigeria et qu’elles pourraient être atténuées par le soutien dont la demanderesse bénéficierait dans ce pays. L’agent a souligné que c’était toujours au Nigeria que la demanderesse avait des liens familiaux et qu’elle pourrait s’adapter dans ce pays parce qu’elle le connaît bien et qu’elle avait acquis des compétences transférables pendant qu’elle vivait au Canada. L’agent a conclu que les efforts déployés par la demanderesse afin de s’établir ne permettaient pas d’inférer qu’elle serait exposée à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives si elle était obligée de demander la résidence permanente depuis l’étranger.

 

[10]           L’agent s’est ensuite penché sur la question de l’intérêt supérieur des enfants. Il a conclu que Joshua, qui a la citoyenneté canadienne, jouirait des droits et des privilèges qui en découlent, peu importe qu’il se trouve en sol canadien ou non. Les enfants pourraient tous également bénéficier de la citoyenneté nigérienne, car elle découle de celle de leurs parents et ils pourraient donc avoir accès aux écoles et aux hôpitaux du Nigeria. L’agent n’était pas convaincu que l’asthme du fils du demandeur serait particulièrement difficile à traiter au Nigeria. Il s’est fié à des éléments de preuve objectifs démontrant l’existence initiatives de protection de l’enfance, d’organismes travaillant à démocratiser l’accès aux soins médicaux au Nigeria, et d’un système d’assurance-maladie national pour conclure que, bien que le système de soins de santé ne soit pas parfait, il est capable de traiter la plupart des maladies, y compris l’asthme. L’agent a de plus souligné que, bien que les enfants aient très peu d’attaches avec le Nigeria, c’est avec leur mère qu’ils entretiennent leur relation la plus importante. Ce serait toujours le cas au Nigeria avec l’aide supplémentaire de la famille élargie de la demanderesse (les parents, les frères et les sœurs). L’agent a estimé que le bas âge des enfants était un avantage en ce qui a trait à l’adaptation à de nouveaux environnements.

 

[11]           L’agent s’est ensuite penché sur la question du risque couru au retour, particulièrement en ce qui a trait au risque de MGF couru par les filles de la demanderesse principale et au risque de châtiment mortel couru par la demanderesse principale pour ne pas avoir fait exciser ses filles. L’agent a accordé peu de poids à une lettre d’Amnistie internationale (AI), soumise par la demanderesse, décrivant les risques auxquels les femmes sont exposées au Nigeria en ce qui a trait à la MGF parce qu’elle ne contenait aucun nouvel élément de preuve concernant ce qui avait déjà été examiné par la Commission dans le cadre de sa demande d’asile. Il a souligné que les risques mentionnés dans la lettre d’AI ainsi que les allégations de la demanderesse selon lesquelles elle subirait un châtiment mortel avaient déjà été évalués par la Commission, qui avait conclu que ces allégations n’étaient pas crédibles. L’agent n’a pas estimé que le fait que la demanderesse principale ait elle-même subi une excision était un indice que les filles subiraient le même sort, et ce, en raison du manque de preuve quant aux circonstances entourant sa propre excision. De plus, l’agent a souligné que lorsque la belle-famille de la demanderesse avait exercé des pressions sur cette dernière afin qu’elle fasse subir cette mutilation à ses filles, elle a pu obtenir de la protection de la part de sa propre famille (décision du Tribunal, DCT, à la p 11).

 

[12]           Enfin, l’agent a examiné la question de la situation dans le pays en ce qui a trait aux deux mêmes sources d’inquiétude, à savoir la MGF et le risque de mortalité auquel la demanderesse principale pourrait être exposée. L’agent a conclu qu’il existait certains risques, mais que la demanderesse provenait d’une région urbaine et que la tribu à laquelle elle appartient n’est pas reconnue comme étant une adepte de la MGF. Il a également souligné que la MGF a le plus souvent lieu dans les sept jours qui suivent la naissance. Il a conclu qu’il n’existait aucun élément de preuve objectif démontrant l’existence de conséquences négatives ou de châtiments pour les parents qui ne font pas exciser leurs filles. Enfin, l’agent a souligné que, bien qu’il n’existe aucune loi nationale interdisant la MGF, l’État d’Edo d’où provient la demanderesse a adopté une loi interdisant la MGF.

 

[13]           L’agent a refusé la demande parce que, selon lui, la demanderesse principale n’avait pas établi qu’elle et ses enfants seraient exposés à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives si elle était obligée de demander la résidence permanente depuis le Nigeria.

 

Les questions en litige

[14]           La Cour est d’avis que les questions pertinentes en l’espèce sont les suivantes :

1.            L’agent a-t-il commis une erreur dans son analyse de la question de l’intérêt supérieur des enfants?

 

2.            L’agent a-t-il commis une erreur dans son évaluation des risques auxquelles seraient exposées les demanderesses au Nigeria?

 

Les dispositions législatives

[15]           Le paragraphe 11(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés exige que les personnes qui désirent immigrer au Canada présentent une demande de résidence permanente depuis l’étranger :

Partie 1

 

Immigration au Canada

 

Section 1

 

Formalités préalables à l’entrée et sélection

 

Formalités préalables à l’entrée

 

Visa et documents

 

 

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visas et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

Part 1

 

Immigration to Canada

 

Division 1

 

Requirements Before Entering Canada and Selection

 

Requirements before entering Canada

 

Application before entering Canada

 

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

[16]           Toutefois, le paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés autorise le ministre, pour des considérations d’ordre humanitaire, à lever tout ou partie des critères et obligations applicables. Il prévoit ce qui suit :

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

 

25. (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

Humanitarian and compassionate considerations – request of foreign national

 

25. (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible or does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

 

La norme de contrôle

[17]           La demanderesse principale prétend que l’analyse erronée de l’intérêt supérieur des enfants est contrôlable selon la norme de la raisonnabilité, alors que les autres questions en litige sont contrôlables selon la norme de la décision correcte, car ce sont des questions de droit. Le défendeur, par contre, prétend que toutes les questions sont contrôlables selon la norme de la raisonnabilité parce que ce sont toutes des questions mixtes de fait et de droit et que la demanderesse tente à tort de redéfinir ces questions comme étant des questions de droit.

 

[18]           Lorsqu’il est question d’évaluation de l’intérêt supérieur des enfants, la jurisprudence antérieure a établi que la norme de contrôle est celle de la raisonnabilité car elle comporte l’appréciation de différents facteurs de fait, de droit et de considérations d’ordre public (Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, [2003] 2 CF 555 [Hawthorne]; Williams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 166, [2012] ACF no 184 (QL) [Williams]; Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, [2002] 4 CF 358; Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]). Dans le même ordre d’idées, l’évaluation des éléments de preuve et l’évaluation de la protection de l’État (la deuxième question en litige) impliquent toutes les deux des questions de fait et de droit. Par conséquent, ces questions sont contrôlables selon la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir, précité). En l’espèce, la seule question en litige qui est contrôlable selon la norme de la décision correcte est celle de la détermination du critère juridique applicable. Comme elle consiste strictement en une question de droit, elle est contrôlable selon la norme de la décision correcte (Williams, précitée; Sahota c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 739, au paragraphe 7, [2011] ACF no 927 (QL)).

 

Analyse

1.         L’agent a-t-il commis une erreur dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants?

[19]           Il est bien établi en droit que l’intérêt supérieur des enfants touchés par une demande CH est un facteur important à prendre à compte, mais il n’est pas déterminant (Legault, précité). Lorsqu’il examine une demande CH, l’agent doit apprécier avec soin et compassion l’intérêt supérieur des enfants (Hawthorne, précité).

 

[20]           La demanderesse prétend que l’agent a mal évalué l’intérêt supérieur des enfants parce qu’il a tout simplement pris note des éléments invoqués par les demanderesses, à savoir le fait que les enfants n’ont aucun lien avec le Nigeria, qu’elles sont bien intégrées au Canada et qu’elles ont besoin de stabilité, plutôt que de les examiner attentivement. Elle prétend également que l’analyse de l’agent comporte des lacunes parce qu’il s’est concentré exclusivement sur leur capacité d’adaptation sans d’abord déterminer ce qui servirait leur intérêt supérieur. Par contre, le défendeur prétend que l’agent a correctement évalué l’intérêt supérieur des enfants et a expliqué en détail ses conclusions.

 

[21]           La Cour conclut que l’agent a procédé à une analyse adéquate de l’intérêt supérieur des enfants. L’agent a expliqué pourquoi le facteur de l’intérêt supérieur des enfants n’était pas un facteur déterminant en l’espèce. Bien que, comme les demanderesses l’ont soutenu avec vigueur, l’agent n’eût peut-être pas explicitement déclaré qu’il serait dans le meilleur intérêt des enfants de demeurer au Canada avec leur mère, la Cour renvoie à Hawthorne, précité, aux paragraphes 4-6, où la Cour d’appel fédérale a affirmé que « c'est un fait qu'on arrivera à une telle conclusion, sauf dans de rares cas inhabituels ».

 

[22]           Compte tenu de cette affirmation, la Cour souligne que l’évaluation de l’agent en ce qui concerne la question de savoir en quoi l’intérêt supérieur des enfants pourrait être compromis par le refus possible de la demande CH est examinée par l’agent dans deux des pages de sa décision. Il est manifeste que l’agent, au regard de la preuve qui lui a été soumise, a pris en compte l’intérêt supérieur des enfants et qu’il s’est montré réceptif. Plus particulièrement, l’agent (i) a discuté du statut des enfants, à savoir de leur citoyenneté; (ii) a examiné en longueur la question des soins de santé, des services publics et des écoles au Nigeria, (iii) a mentionné que, étant donné leur bas âge, les enfants auraient de la facilité à s’adapter, (iv) a mentionné que les filles de la demanderesse avaient vécu en Espagne avant de retourner au Nigeria et avant de venir au Canada; (v) a déclaré que les enfants ont de la famille au Nigeria; et, fait plus important (vi) a insisté sur la relation de première importance que les enfants entretiennent avec leur mère.

 

[23]           Selon la Cour, l’évaluation faite par l’agent de l’intérêt supérieur des enfants est raisonnable et, pour cette raison, la Cour ne voit aucune raison d’intervenir.

 

2)         L’agent a-t-il commis une erreur dans son appréciation des risques auxquelles les demanderesses seraient exposées?

La preuve

[24]           Les demanderesses prétendent que l’agent a examiné la preuve élément par élément, puis a rejeté la demande CH, alors que le défendeur prétend que l’agent est arrivé à la même conclusion, justement en examinant la preuve dans son ensemble, y compris des conclusions défavorables tirées par la Commission quant à la crédibilité.

 

[25]           La Cour rappelle qu’une demande CH n’est pas un appel ou une manière indirecte de corriger les lacunes d’une décision défavorable portant sur une demande d’asile en invoquant, sur le plan des motifs d’ordre humanitaire, les mêmes éléments de preuve portant sur les mêmes risques (Padda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 738, 179 ACWS (3d) 895 [Padda], Kouka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1236, [2006] ACF no 1561 (QL); Hussain c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 751 (QL), 97 ACWS (3d) 726).

 

[26]           En l’espèce, l’agent a eu raison de tenir compte des conclusions défavorables tirées par la Commission quant à la crédibilité des allégations de la demanderesse principale. L’appréciation de la preuve faite par l’agent était raisonnable, car il a pris en compte la lettre d’Amnistie Internationale produite par les demanderesses. Il était loisible à la Commission de lui accorder peu de poids parce qu’elle faisait mention de risques qui avaient déjà été appréciés (Padda et Hussain, précitées).

 

Le critère appliqué par l’agent

[27]           Les demanderesses prétendent également que l’agent a appliqué le mauvais critère juridique, car il a confondu critère juridique et norme de preuve. En appréciant la demande CH, l’agent doit déterminer s’il y a suffisamment d’éléments de preuve pour établir que le demandeur serait confronté à des difficultés inhabituelles, injustifiées et excessives s’il tentait d’obtenir un visa de résident permanent à l’extérieur du Canada. La demanderesse, parlant de la norme de preuve, prétend que lorsqu’un demandeur invoque l’élément du risque dans le contexte d’une demande CH, il doit satisfaire à la norme moins exigeante de la « possibilité raisonnable » (Masanganise c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 993, au paragraphe 23, 256 FTR 166).

 

[28]           La demanderesse principale prétend en outre que l’agent l’a soumise à une norme plus exigeante que celle de la « possibilité raisonnable » en raison de la formulation utilisée partout dans la décision, par exemple : [traduction] « […] la demanderesse n’a pas établi avec cette note que ses filles risqueraient de subir une mutilation génitale » (décision traduite, DCT, à la page 23); [traduction] « bien que la preuve objective consultée révèle l’existence de certains risques, la demanderesse n’a pas établi qu’elle serait exposée à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives à son retour au Nigeria » (décision traduite, DCT, à la page 24)).

 

[29]           Par contre, le défendeur prétend que les demanderesses reformulent la présente question comme une question de mauvais critère juridique, donc une question de droit, alors qu’il s’agit en réalité d’une question d’appréciation de la preuve et donc, d’une question de fait. 

 

[30]           Un examen de la décision de l’agent n’indique pas qu’il a utilisé un critère plus exigeant lorsqu’il a examiné le risque dans le contexte de la présente demande CH. Le fait qu’il ait conclu que « la preuve objective consultée révèle l’existence de certains risques » (non souligné dans l’original) ne permet pas de conclure qu’il existe un risque raisonnable de préjudice dans le cas des demanderesses parce que, comme nous le verrons plus loin, les demanderesses n’ont pas réussi à établir un lien entre la preuve documentaire objective et leur situation personnelle.

 

[31]           En effet, si on se fie à la preuve documentaire objective, les demanderesses ne répondent pas au profil de personnes qui seraient en danger ou n’appartiennent pas à un groupe ethnique qui seraient en danger. Par exemple, en examinant la preuve documentaire objective, l’agent a souligné que les demanderesses appartiennent à la tribu des Bénis du sud-ouest et la MGF est plus répandue dans les tribus des Yoroubas et des Ibos. La MGF est plus répandue dans les régions rurales que dans les régions urbaines. Les enfants exposés aux risques de MGF (dans les sept jours de la naissance) sont beaucoup plus jeunes que les enfants de la demanderesse principale et la preuve démontre que la famille de la demanderesse principale est contre la pratique de la MGF. Enfin, l’état d’Edo, au Nigeria, d’où la demanderesse principale est originaire, a adopté des lois qui interdisent la MGF (décision du tribunal, DCT, page 12). 

 

[32]           En ce qui concerne la note médicale fournie par la demanderesse principale qui témoigne du mauvais traitement qu’elle a subi dans le passé, elle ne corrobore pas l’allégation selon laquelle ses filles seront soumises éventuellement elles aussi à la MGF. De plus, aucun élément de preuve n’explique les circonstances ou le contexte qui ont mené au mauvais traitement subi par la demanderesse principale. 

 

[33]           Il est bien établi en droit qu’il incombe à l’auteur d’une demande CH de déposer des éléments de preuve à l’appui de sa demande (Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 94, [2003] 3 CF 172; Zhou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 638, [2012] ACF no 644 (QL)). La Cour est d’avis que les demanderesses ne se sont pas acquittées du fardeau de la preuve qui leur incombait, car rien ne lie particulièrement la demanderesse ou ses filles au prétendu risque (Momudu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 793, [2012] ACF no 817; Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1225, [2009] ACF no 1512). Enfin, en ce qui concerne la protection de l’État, la Cour souligne que la demanderesse principale n’a fait aucun effort pour l’obtenir au Nigeria et, en outre, le fait qu’elle ne soit pas personnellement exposée à un risque a, en l’espèce, un effet déterminant sur la demande (Sayed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 796, [2010] ACF no 978). 

 

[34]           Compte tenu de la preuve au dossier, la conclusion de l’agent est raisonnable et ses conclusions appartiennent aux issues possibles et acceptables (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor) 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708). 

 

[35]           Pour tous ces motifs, et malgré les judicieux arguments invoqués par l’avocate des demanderesses, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée. 

 

[36]           Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et aucune ne sera certifiée.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.         Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1190-12

 

INTITULÉ :                                      Queen Vivian Idehen et autres

                                                            c MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             le 5 septembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     le 28 septembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kathleen Hadekel

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Andréa Shahin

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cabinet de Kathleen Hadekel

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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