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Date : 20120925

Dossier : IMM-761-12

Référence : 2012 CF 1116

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 septembre 2012

En présence de madame la juge Gagné

 

 

ENTRE :

 

MARCO ANTONIO ROMERO DAVILA

WILDER ROMERO DAVILA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision en date du 22 décembre 2011 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal) a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

 

[2]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, j’estime que les principales conclusions formulées par le tribunal sont raisonnables dans les circonstances. Les demandeurs n’ont pas établi que la décision en cause peut être qualifiée de déraisonnable et aucun des arguments qu’ils invoquent ne peut selon moi fonder l’intervention de la Cour.

 

Contexte

[3]               Les demandeurs (le demandeur principal, Marco Antonio, et son frère Wilder) sont citoyens péruviens et viennent de la ville de Huancayo. Ils disent craindre de retourner au Pérou parce que des membres du Sentier lumineux, un groupe de guérilla, les ont menacés et ont tenté de leur extorquer de l’argent parce qu’ils sont des athlètes connus.

 

[4]               Les demandeurs allèguent qu’au mois de novembre 1991, leur frère Edgar, un champion national de boxe alors âgé de 24 ans, a fait l’objet de tentatives d’extorsion et a été enlevé et tué par des membres du Sentier lumineux. Son corps et celui d’un autre athlète ont été retrouvés dans les montagnes, à l’extérieur de Huancayo. Selon le rapport médico-légal, les deux hommes étaient morts par suite de coups à la tête, et ils avaient aussi reçu des coups de feu. Dans la réponse qu’il a donnée à la question 31 du formulaire de renseignements personnels (FRP), le demandeur principal affirme que son père avait signalé la disparition de son fils, car le président Toledo, nouvellement élu, avait encouragé la population à signaler leurs expériences avec les terroristes du pays, mais qu’en raison des nombreuses attaques dont les autorités étaient l’objet à l’époque, il n’était pas possible à présent de se procurer de copie de la dénonciation.

 

[5]               Les demandeurs allèguent aussi que le 20 octobre 2005, Wilder a été enlevé par des membres du Sentier lumineux qui ont menacé de le tuer s’il ne leur versait pas 6 000 $ (US). Cela se serait produit après que Wilder eut touché une bourse lors d’une compétition internationale. Wilder n’a pas signalé l’incident à la police mais, le 24 octobre 2005, il a temporairement déménagé à Lima pour se mettre à l’abri du Sentier lumineux. Ce même mois, il a été sélectionné pour participer au marathon international de New York, qui devait avoir lieu le 6 novembre. Wilder allègue qu’à cause de ces menaces, il n’est pas retourné au Pérou après la compétition. Il a vécu au New Jersey pendant cinq ans, sans statut, avant de demander asile au Canada le 14 janvier 2011.
 

[6]               Les demandeurs affirment en outre que Marco Antonio a lui aussi été enlevé par le Sentier lumineux le 10 janvier 2010. Les ravisseurs auraient pointé une arme sur lui et lui auraient dit qu’il avait dix jours pour leur verser 7 000 $ (US); il aurait ainsi payé ce que son frère Wilder devait au parti. Marco Antonio déclare dans son FRP que les ravisseurs ont également menacé de le tuer s’il les dénonçait à la police.

 

[7]               Marco Antonio indique dans son FRP qu’il a malgré tout signalé l’incident à la police cinq jours plus tard, mais que la police s’est bornée à lui dire que [traduction] « si d’autres incidents se produisaient, de ne pas retourner les voir, puisqu’ils ne pouvaient rien faire. [Il a] dit à la police que s’ils revenaient, [il pourrait] être tué. Mais ils n’ont pas proposé de l’aider; ils ont juste dit qu’ils ne pouvaient rien faire ».

 

[8]               Le 15 janvier 2011, Marco Antonio est allé à Lima où il s’est caché pendant un mois. Pendant cette période, il a été invité à prendre part à un marathon à Puerto Rico, État associé aux États‑Unis. Il allègue qu’il a vu là l’occasion de fuir. Il s’est rendu aux États‑Unis le 25 février 2010 et est allé à Vive la Casa le 10 mars 2010, dans l’espoir de demander asile au Canada. Il s’est fait dire qu’il ne remplissait pas les conditions parce qu’il n’avait pas de famille au Canada, mais il a couru trois heures durant et est entré au Canada par le Québec. Il s’est ensuite rendu de Montréal à Toronto où il a présenté une demande d’asile le 24 mars 2010.

 

Décision faisant l’objet du contrôle

[9]               Le tribunal a estimé que plusieurs éléments de l’exposé circonstancié des demandeurs manquaient de crédibilité, à savoir ceux qui se rapportaient à leur omission de demander asile aux États‑Unis ou à l’existence d’une possibilité de refuge intérieur à Lima. Il a aussi jugé que les demandeurs n’ayant jamais demandé la protection de la police péruvienne, ils n’avaient pas réfuté la présomption que cette dernière était en mesure de les protéger.


Omission de demander asile dans un autre pays

[10]           Le tribunal a d’abord indiqué que l’omission de demander asile dans un pays signataire de la Convention relative au statut des réfugiés lorsqu’on y réside ou même lorsqu’on y séjourne ou voyage avant de venir au Canada peut avoir pour effet de nier l’existence d’une crainte subjective de persécution. Il a également signalé que l’absence d’élément de preuve relatif à l’élément subjectif de la demande d’asile suffit en soi à la faire rejeter, même en présence d’éléments établissant que la crainte peut être objectivement fondée.

 

[11]           Le tribunal a jugé que, dans les circonstances, les deux demandeurs avaient eu la possibilité de demander asile aux États‑Unis ou, au moins, de se renseigner auprès de sources officielles au sujet du processus de demande d’asile dans ce pays, mais qu’ils ne l’avaient pas fait. Wilder avait vécu aux États‑Unis sans statut pendant près de quatre ans et demi sans jamais prendre de renseignements ou faire d’effort pour régulariser sa situation. Selon le tribunal, l’explication de Wilder voulant qu’il ignorait qu’il pouvait demander asile aux États‑Unis parce qu’il ne parlait pas anglais était insatisfaisante et déraisonnable compte tenu du fait qu’il avait quitté New York pour le New Jersey immédiatement après le marathon de 2005. Wilder avait indiqué dans son témoignage que des hispanophones rencontrés à New York lui avaient expliqué comment aller au New Jersey, mais qu’il ne leur faisait pas assez confiance pour leur raconter son histoire.

 

[12]           Le tribunal a aussi estimé douteuse l’affirmation de Marco Antonio voulant que, pendant son séjour à Buffalo du 25 février au 10 mars 2010, on ne lui aurait parlé que du processus de demande d’asile au Canada et pas du tout de celui des États‑Unis, d’autant plus qu’il était parti du Pérou dans l’espoir de demander protection aux États‑Unis.

 

Existence d’une possibilité de refuge intérieur

[13]           Marco Antonio et Wilder ont tous deux témoigné qu’ils s’étaient réfugiés à Lima après avoir reçu des menaces du Sentier lumineux, l’un le 10 janvier 2010, et l’autre, le 20 octobre 2005. Ils ont déclaré qu’ils y étaient en sécurité dans la mesure où ils vivaient cachés, mais le tribunal a jugé qu’ils n’étaient pas crédibles sur ce point.

 

[14]           Les demandeurs ont affirmé que le refuge intérieur n’était pas possible à Lima parce que les membres du Sentier lumineux pouvaient les retrouver partout dans le pays. Le tribunal a toutefois signalé que, selon l’exposé circonstancié du FRP et le témoignage de Marco Antonio, celui‑ci s’était entraîné tous les jours dans un stade de Lima, du 16 janvier au 25 février 2010, ce qui indiquait selon la prépondérance des probabilités que, si le Sentier lumineux était à sa recherche, il l’aurait retrouvé à Lima.

 

[15]           La question des déménagements à Lima des demandeurs a également suscité des doutes en matière de crédibilité dans l’esprit du tribunal, qui s’est demandé s’il était plausible que les demandeurs aient tous deux été invités, à cinq ans d’intervalle, à participer à un marathon peu avant leur voyage aux États‑Unis et qu’ils soient allés à Lima et y soient restés moins d’un mois, juste après avoir reçu des menaces. Questionné au sujet du moment où ils avaient appris qu’ils participeraient à une compétition internationale, Marco Antonio est devenu très évasif, puis a fini par répondre qu’il avait su qu’il irait aux États‑Unis une semaine après son arrivée à Lima. Wilder, par contre, a indiqué qu’il avait appris qu’il avait été sélectionné deux mois et demi avant de partir pour les États‑Unis, alors qu’il n’est demeuré que dix jours à Lima.

 

[16]           Le tribunal a jugé que, selon la prépondérance des probabilités, les deux demandeurs auraient été informés de leur sélection au moins quelques mois d’avance, et il a conclu que Marco Antonio était allé à Lima à des fins d’entraînement et de supervision et non parce qu’il aurait reçu des menaces. Le tribunal a donc estimé que les demandeurs essayaient d’embellir leur demande d’asile en prétendant avoir fui Huancayo pour éviter d’être extorqués et pour sauver leur vie.

 

[17]           Appliquant le critère à deux volets établi par la Cour d’appel fédérale dans Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 (CAF), et Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CAF), le tribunal a indiqué qu’on ne lui avait présenté aucun élément de preuve convaincant établissant que l’un ou l’autre des demandeurs était poursuivi par le Sentier Lumineux ou que ce groupe les recherchait toujours. Plus particulièrement, aucun élément de preuve n’indiquait que le Sentier lumineux harcelait les membres de la famille des demandeurs, notamment la femme et la fille du demandeur principal.

 

[18]           Compte tenu de la preuve documentaire objective, le tribunal a également conclu que les membres du Sentier lumineux n’exerçaient aucune influence sur la police et le gouvernement du Pérou ni n’avaient de contact avec eux et que les activités de l’organisation se limitaient plutôt, actuellement, au trafic de stupéfiants au moyen de sociétés. Selon le tribunal, la prépondérance des probabilités indiquait que les agents de persécution ne pourraient localiser les demandeurs s’ils retournaient à Lima.

 

[19]           Enfin, le tribunal a estimé qu’étant donné l’âge des demandeurs et le fait qu’il s’agissait d’athlètes connus d’envergure nationale participant à des événements internationaux, il n’était pas trop sévère de s’attendre à ce qu’ils aillent ailleurs au Pérou, notamment à Lima, avant de demander asile au Canada.

 

Autres problèmes de crédibilité

[20]           Le tribunal a fait état d’autres problèmes ébranlant la crédibilité des demandeurs :

  Les demandeurs ont produit en preuve un certificat de décès et un rapport de police relativement à la mort de leur frère aîné. Le tribunal a cependant jugé que rien dans ces pièces n’établissait que leur frère avait été enlevé et tué par le Sentier lumineux, et il a écarté leur témoignage selon lequel ils ne pouvaient obtenir de copie de la dénonciation faite par leur père à la police au sujet de la violation de domicile et de l’enlèvement parce que le poste de police avait été détruit au cours d’une attaque terroriste. Soulignant que les demandeurs avaient pu obtenir la preuve du décès de leur frère mais non celle de la dénonciation, le tribunal a conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y avait pas eu de dénonciation parce qu’aucun de ces incidents n’avait eu lieu.

  Le tribunal a relevé une contradiction entre le témoignage de Marco Antonio et ses déclarations écrites au sujet de la dénonciation faite à la police en janvier 2010; celui‑ci a témoigné s’être fait dire par la police de revenir si un autre incident se produisait, alors que le FRP indique que la police lui aurait dit de ne pas revenir parce qu’elle ne pouvait pas l’aider.

  Les demandeurs ont été incapables de fournir une explication raisonnable à la mention suivante figurant dans le rapport de police de janvier 2010 : [traduction] « [l]e présent certificat est délivré à la demande de la personne intéressée, à des fins juridiques ». Le tribunal, faisant état du témoignage contradictoire de Marco Antonio, de sa conclusion que ce dernier partait sciemment de la ville où il résidait pour aller aux États‑Unis et du fait que le dossier indiquait que le demandeur principal avait tenté sans succès à deux reprises de venir au Canada, il s’est estimé fondé à conclure selon la prépondérance des probabilités que la plainte était sans fondement et que c’est dans le but d’étayer sa demande d’asile au Canada qu’il a demandé le rapport de police.

  Tout en considérant qu’il se pouvait que la mort d’Edgar ait résulté d’un acte terroriste, le tribunal a conclu qu’il n’était pas plausible qu’après le départ de Wilder du pays (14 ans après la mort d’Edgar), les membres du Sentier lumineux aient mis cinq ans à trouver Marco Antonio pour lui demander de régler la dette de Wilder alors que Marco Antonio continuait à résider au même endroit.

 

[21]           Le tribunal a ajouté qu’en supposant même que les demandeurs aient été aux prises avec un groupe terroriste, ils disposaient d’une PRI et de la protection de l’État.

            Omission de solliciter la protection de l’État

[22]           Le tribunal a répété que Wilder n’avait fait aucun effort pour obtenir la protection de la police après la présumée tentative d’extorsion de la part du Sentier lumineux et que Marco Antonio avait déposé une dénonciation mais n’avait pas laissé à la police le temps de faire enquête puisqu’il était parti immédiatement, sans faire de suivi. Non seulement n’y avait‑il aucun élément de preuve indiquant que la police ne déployait pas d’effort sérieux et véritable pour faire enquête au sujet des allégations du demandeur principal et pour procéder à des arrestations, mais la décision de ce dernier de quitter le pays quelques semaines plus tard a pu retarder l’enquête ou y faire obstacle puisqu’il était le témoin principal.  

 

[23]           Vu ces circonstances et la preuve documentaire objective établissant que le gouvernement péruvien sévit activement contre le Sentier lumineux, le tribunal a jugé que les demandeurs n’avaient pas présenté de preuve claire et convaincante établissant l’incapacité de l’État de les protéger, alors qu’il leur incombait de faire cette preuve.

 

[24]           Enfin, le tribunal a conclu à l’absence de possibilité sérieuse que les demandeurs soient persécutés à leur retour au Pérou et estimé que, selon la prépondérance des probabilités, ils ne seraient pas exposés personnellement à une menace à leur vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumis à la torture. En conséquence, leur demande a été rejetée.

Questions en litige et norme de contrôle applicable

[25]           Voici les questions soulevées par la demande de contrôle judiciaire :

1)      Le tribunal a-t-il commis une erreur dans l’appréciation de l’omission du demandeur principal de présenter une demande d’asile aux États‑Unis?

2)      Les conclusions du tribunal en matière de crédibilité concernant la PRI résultent‑elles d’une mauvaise compréhension ou reposent‑elles sur des conjectures?

3)      Le tribunal a-t-il commis une erreur dans l’appréciation de la protection de l’État?



[26]           Les parties conviennent que toutes les questions énoncées ci‑dessus appellent l’application de la norme de la raisonnabilité car il s’agit de questions mixtes de fait et de droit. En conséquence, si la décision fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit », elle ne sera pas annulée : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au para 47, [2008] 1 RCS 190; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au para 59, [2009] 1 RCS 339.

 

[27]           Le défendeur souligne qu’« [i]l est de jurisprudence constante que cette norme de contrôle stricte s’applique aux décision de la Section de la protection des réfugiés dans le cas des conclusions de fait ou de crédibilité que l’on tire dans le contexte des demandes présentées en vertu des articles 96 et 97 de la Loi » (Ren c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 973, au para 13, [2009] ACF no 1181); « l’essence même de la déférence veut que la Cour ne substitue pas son opinion quant à la preuve ou à la valeur probante des témoignages lorsque la conclusion de la Commission repose sur un fondement raisonnable » (Huseynova c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 408, au para 11, [2011] ACF no 527). Il est également établi « qu’une conclusion négative quant à la crainte subjective peut rendre superflu l’examen de l’aspect objectif de la plainte et peut à elle seule justifier le rejet de la demande d’asile » (Ahoua c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1239, au para 16, [2007] ACF no 1620).

 

 

Examen de la décision soumise au contrôle

 

[28]           Les demandeurs contestent des passages des conclusions du tribunal et non la totalité du raisonnement qu’il a tenu. Comme je l’ai déjà indiqué, je suis d’avis qu’aucun de leurs arguments ne justifie l’intervention de la Cour.

L’appréciation de l’omission de présenter une demande d’asile aux États‑Unis n’est entachée d’aucune erreur susceptible de contrôle

[29]           Le demandeur principal affirme qu’il n’est resté que deux semaines aux États‑Unis et que ce séjour s’apparente à une escale à destination du Canada. Il soutient aussi qu’il a fourni une explication solide à cet égard : il a demandé conseil peu après son arrivée et s’est fait dire de s’adresser à Vive la Casa à Buffalo, ce qu’il a fait. Selon le demandeur, il s’agit d’une explication raisonnable, étant donné qu’il ne parlait pas anglais et devait obtenir rapidement de l’information.

 

[30]           Les demandeurs ont cité de la jurisprudence (notamment Raveendran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 49; [2003] ACF no 116 [Raveendran]) à l’appui de leur argument que le tribunal aurait dû examiner la situation personnelle du demandeur principal pour déterminer s’il avait effectivement disposé d’une possibilité raisonnable de présenter une demande d’asile ailleurs. Dans Raveendran, la Cour s’est exprimée ainsi aux paragraphes 58-59 :

Dans son analyse de la décision des demandeurs de ne pas réclamer la protection offerte aux réfugiés aux États-Unis et de l’avis sur lequel cette décision a été prise, la formation a simplement mentionné que la demanderesse avait parlé à son avocat. La formation déclare qu’elle [traduction] « avait reçu ce conseil ou peut-être qu’elle ne l’avait pas reçu ». La formation poursuit en déclarant qu’elle s’attend à ce qu’un réfugié prenne [traduction] « toutes les occasions raisonnables » de demander la protection internationale.

 

À mon avis, une décision subjective de ce qui constitue une possibilité raisonnable est appropriée en l’espèce. La demanderesse principale a compris, d’après les conseils qu’elle dit avoir reçus d’autres réfugiés et de bénévoles, qu’il y avait un lien de causalité entre le fait de demander l’asile aux États-Unis et le fait d’être renvoyée au Sri Lanka, où pourraient se concrétiser ses craintes d’être torturée et maltraitée. Cette explication, jumelée à d’autres éléments déjà mentionnés par la demanderesse, me convainc qu’elle avait une crainte fondée d’être persécutée si elle retournait au Sri Lanka.

 

[31]           La jurisprudence établit clairement l’existence d’un lien entre le retard dans la présentation de la demande d’asile et la crainte subjective de persécution, élément essentiel d’une demande d’asile (Espinosa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1324, au para 21, [2003] ACF no 1680). Il ne faut pas voir dans la décision Raveendran l’affirmation que le fait de suivre un conseil donné dans un pays étranger justifie tout report de la présentation d’une demande d’asile, et cette décision « n’étaye pas la thèse générale voulant que la crainte d’être expulsé là où l’on sera persécuté constitue toujours une raison valable de ne pas demander l’asile aux États-Unis. Un tel argument sera tranché eu égard aux circonstances de chaque cas » (Shah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1711, au para 36, [2005] ACF no 2131). De plus, le demandeur principal n’a pas démontré que la Commission n’a pas tenu compte des explications qu’il a données et qu’il a répétées dans la demande de contrôle judiciaire, et la Cour n’est pas disposée à procéder à une nouvelle appréciation de son témoignage.

 

[32]           Je donne raison au défendeur lorsqu’il affirme que le tribunal, même s’il ne pouvait rejeter la demande d’asile pour ce seul motif, pouvait raisonnablement tenir compte de ce facteur, le demandeur ne s’étant pas informé au sujet du processus existant aux États‑Unis alors qu’il disait se rendre dans ce pays dans l’espoir d’y chercher refuge. Comme d’autres problèmes de crédibilité ébranlant l’argument de crainte subjective étayaient cette conclusion, on ne saurait affirmer que le tribunal a commis une erreur susceptible de contrôle sur ce point.

 

            Les conclusions en matière de crédibilité relatives à la PRI ne sont pas déraisonnables

[33]           Les demandeurs affirment que les conclusions du tribunal relatives à la PRI reposent uniquement sur des hypothèses et des conjectures et non sur des éléments de preuve pertinents. Plus précisément, ils font valoir que le tribunal a tiré sa conclusion au sujet de l’absence de rapport de police relatif à l’enlèvement et au meurtre d’Edgar en 1991 en faisant abstraction de la situation existant au Pérou et du fait que la région rurale de Huancayo était alors la cible d’attaques du Sentier lumineux, ce qui l’a amené à écarter l’argument qu’il ne restait pas de document concernant cet incident.

 

[34]           Placée dans son contexte, toutefois, il appert que, bien que cette conclusion du tribunal n’ait pas été la seule qu’il pouvait raisonnablement tirer, elle faisait néanmoins partie des issues raisonnables possibles. Le tribunal s’est interrogé à propos du fait que les demandeurs avaient pu fournir un rapport de police concernant le décès de leur frère et un certificat de décès émanant du poste de police qui, selon leurs dires, avait été détruit lors d’attaques terroristes. Les demandeurs n’ont pu indiquer à l’audience pourquoi la dénonciation faite par leur père (qui était incidemment le seul document décrivant l’incident) était également le seul document manquant. Dans ce contexte, la Cour est d’avis que la conclusion du tribunal appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[35]           Les demandeurs invoquent également l’arrêt Sabaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 901 (CAF), dans lequel la Cour d’appel fédérale statue essentiellement que le fait de vivre caché pour éviter des problèmes et d’y parvenir ne fait pas preuve de l’existence d’une PRI pas plus que de l’absence de crainte subjective, et ils font valoir que le tribunal a formulé des conclusions erronées et abusives à propos de la possibilité que le Sentier lumineux les retrouve ailleurs au Pérou.

 

[36]           Les demandeurs semblent affirmer que le tribunal a erré en concluant que le Sentier lumineux ne pourrait les retrouver au Pérou simplement parce qu’ils avaient réussi à se cacher pendant un certain temps à Lima. Le raisonnement du tribunal, pris dans son intégralité, prive clairement cet argument de fondement. Premièrement, comme le signale le défendeur, le tribunal a raisonnablement conclu que les demandeurs ne se cachaient pas à Lima, mais qu’ils s’y trouvaient pour se préparer à un marathon qu’ils s’apprêtaient à courir aux États‑Unis. Deuxièmement, la conclusion du tribunal au sujet de la crainte objective des demandeurs ne reposait pas uniquement sur le fait qu’ils vivaient en sécurité à Lima mais, plus fondamentalement, sur l’absence de preuve étayant l’allégation que le Sentier lumineux était toujours à leur recherche ou continuait à s’intéresser à eux. La preuve tend au contraire à établir que l’organisation ne les cherchait pas assidûment. L’incident fondant la demande d’asile de Wilder se serait produit quatorze ans après la mort d’Edgard, tandis que celui qui fonde celle du demandeur principal serait survenu près de vingt ans après le décès de son frère et cinq ans après le départ de Wilder du Pérou, alors que le demandeur principal a continué à résider au même endroit. Sur la question de fardeau de preuve, je fais miens les commentaires suivants formulés par le juge Gibson dans Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1183, au para 18, [2006] ACF no 1481 :


Avec égards pour le demandeur, il ne fait selon moi aucun doute qu’en dépit de ce qui peut se passer au début d’une audience lorsque les questions dont est saisie la SPR sont examinées, le demandeur conserve l’obligation juridique ou le fardeau d’établir le bien‑fondé de ses allégations de façon claire et non équivoque. La transcription de l’audience démontre clairement que la question de savoir qui sont à l’heure actuelle les agents de persécution a été soulevée devant la SPR au regard du volet objectif des demandes d’asile. Les questions dont était saisie la SPR n’ont pas été circonscrites. Plus particulièrement, la question de savoir qui sont à l’heure actuelle les agents de persécution n’a pas été retirée. Comme il est énoncé au paragraphe 11 des motifs de l’arrêt Ranganathan :

[...] Le défaut d’un revendicateur de satisfaire à ses obligations quant au fardeau de la preuve ne peut être imputé à la Commission et se transformer en faute de la Commission.


L’appréciation de la protection de l’État n’est pas entachée d’erreur susceptible de contrôle

 

[37]           Les demandeurs soutiennent que le tribunal n’a pas tenu compte de la réponse verbale donnée à Marco Antonio au poste de police, à savoir que la police ne pouvait l’aider et qu’il était inutile qu’il revienne s’il avait d’autres problèmes. Ils font valoir qu’il était déraisonnable de conclure, en dépit de cette preuve, qu’ils pouvaient recevoir une protection adéquate.

 

[38]           Cependant, il appert de plusieurs passages des motifs du tribunal qu’il a tenu compte du témoignage du demandeur principal. Outre les contradictions relevées dans le témoignage au sujet de ce que la police lui avait dit ce jour‑là et le fait qu’il n’avait pas attendu que l’enquête soit faite sur sa plainte, le tribunal a indiqué que le demandeur disposait d’autres recours et pouvait notamment s’adresser au ministère public ou à l’ombudsman. J’estime, encore une fois, que les demandeurs attaquent des parties des motifs du tribunal sans les placer dans leur contexte.

 

[39]           S’agissant de la preuve documentaire objective examinée par le tribunal, les demandeurs affirment que la jurisprudence établit que la simple volonté de l’État de régler un problème particulier (Balogh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 809, au para 37, [2002] ACF no 1080) ou le seul fait qu’il y ait enquête policière et poursuite (Alli c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 479, au para 20, [2002] ACF no 621) ne peuvent être considérés comme une protection adéquate de la part de l’État. Selon moi, cet argument n’est pas non plus fondé en l’espèce, où, contrairement à la situation en cause dans les décisions invoquées, le demandeur principal a immédiatement quitté le pays sans donner à l’État suffisamment de temps pour faire enquête sur sa plainte.

[40]           Les demandeurs soutiennent en outre que le tribunal a mal examiné la question de la protection de l’État en ne prenant pas en compte la totalité de la preuve et en préférant un extrait de la preuve documentaire plutôt que d’autres. Toutefois, ils n’ont rien fait valoir de plus à l’appui de leur argument que le tribunal avait effectué un examen sélectif de la preuve documentaire; ils ne précisent pas quels documents ont été écartés ou mal interprétés. Il ne suffit pas de simplement affirmer que le tribunal n’a pas tenu compte de toute la preuve, car cela ne permet pas à la Cour d’effectuer un examen plus approfondi.

 

 

[41]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’a été soumise pour certification, et la présente espèce n’en soulève aucune.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

a.       La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

b.      Il n’y a aucune question à certifier.

 

« Jocelyne Gagné »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-761-12

 

INTITULÉ :                                      MARCO ANTONIO ROMERO DAVILA

                                                WILDER ROMERO DAVILA c MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 11 septembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LA JUGE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 25 septembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Meera Budovitch

 

Pour les demandeurs

Bradley Bechard

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Meera Budovitch

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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