Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20120919

Dossier: T-520-11

Référence : 2012 CF 1095

Ottawa (Ontario), le 19 septembre 2012

En présence de monsieur le juge Scott 

 

ENTRE :

 

GENEVIÈVE BIRON

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

RBC BANQUE ROYALE

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               Mme Geneviève Biron (Mme Biron) demande à la Cour de condamner la Banque Royale du Canada [BRC] au paiement de dommages-intérêts aux termes des articles 14 et 16 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, LC 2000, c 5 [Loi], suite à la communication d’informations relatives à ses relevés de carte de crédit.

 

[2]               Pour les raisons qui suivent, la demande de Mme Biron est accueillie.

 

II.        Faits

 

[3]               Mme Biron est détentrice d’une carte de crédit Visa émise par la BRC. Mme Biron est codétentrice de cette carte de crédit avec son conjoint, M. Sylvain Poirier (M. Poirier).

 

[4]               Dans l’instance de divorce entre M. Poirier et son ex-épouse, devant la Cour supérieure du Québec, district de Montréal, l’avocat de cette dernière, Me Miriam Grassby, assigne la BRC au moyen de quatre subpoenas duces tecum. Elle exige qu’un de ses représentants comparaisse et fournisse des documents relatifs aux comptes de M. Poirier. Parmi ces documents se trouvent les relevés de la carte de crédit détenue conjointement par Mme Biron et M. Poirier.

 

[5]               Le premier subpoena du 29 octobre 2007 exige que la BRC fournisse les relevés mensuels de toutes les cartes de crédit au nom de M. Poirier, et ce, depuis le 1er avril 2007. Une représentante de la BRC, Mme Joanne Iarusso, comparaît devant la Cour supérieure du Québec, le 4 décembre 2007, et produit les relevés mensuels de la carte de crédit conjointe.

 

[6]               Le 11 février 2008, Mme Biron porte plainte à la BRC suite à la divulgation de ses renseignements personnels concernant le compte de carte de crédit. Dans sa lettre du 11 février 2008, Mme Biron écrit ce qui suit :

Le 4 décembre 2007, la RBC Banque Royale a transmis mes renseignements personnels reliés à mon compte sans mon consentement et sans que la loi ne le permette ou ne l’exige. Mes informations personnelles ont été transmises à Me Myriam Grassby, procureur de l’ex-conjointe de mon conjoint, suite à une demande qui ne me concernant pas.

 

Il m’apparaît extrêmement important d’avoir confiance à ce que vous traitiez de mes informations personnelles avec diligence et sécurité et que, jamais ceux-ci, ne soient transmis à un tiers sans mon consentement ou sans que vous y soyez contraint par jugement d’un tribunal.

 

Considérant que le litige qui oppose mon conjoint à son ex-conjointe n’est toutefois pas résolu, je vous prierais de prendre immédiatement toutes les mesures visant à protéger mes informations personnelles dans l’éventualité où la situation décrite ci-dessus devrait se répéter.

 

[7]               Un deuxième subpoena, du 18 février 2008, exige à nouveau de la BRC qu’elle fournisse les relevés mensuels de toutes les cartes de crédits appartenant à M. Poirier, et ce, à partir du 1er novembre 2007. Une autre représentante de la BRC, Mme Carmen Bouchard, se présente au Palais de Justice de Montréal, le 11 mars 2008. M. Poirier s’objecte à la communication des informations concernant Mme Biron. Toutefois, après discussion, Me Grassby et M. Poirier indiquent à Mme Bouchard, qu’elle peut remette les documents faisant l’objet du subpoena à Me Grassby. Mme Bouchard remet les documents à Me Grassby et M. Poirier. Elle demande à ce dernier de signer un formulaire de consentement relativement à la communication des renseignements et des documents faisant l’objet du subpoena par la BRC. M. Poirier signe le formulaire en y ajoutant la mention « Je m’oppose à ceux concernant Mme Biron » (voir le dossier de la défenderesse à la page 19, pièce CB-2).

 

[8]               Le 19 février 2008, Mme Iarusso écrit une lettre à Mme Biron lui expliquant que la BRC doit se conformer au subpoena duces tecum du 29 octobre 2007 et doit se présenter en Cour avec les documents demandés. Elle ajoute qu’elle a remis les documents aux procureurs des parties, le tout conformément à l’article 7 de la Loi.

 

[9]               Le 26 février 2008, Mme Biron écrit une seconde fois à la BRC, réitérant qu’elle s’objecte à la divulgation de ses renseignements personnels dans le cadre d’une instance de divorce opposant M. Poirier à son ex-épouse et affirmant que seul un tribunal est en mesure d’ordonner la communication de ses renseignements personnels.

 

[10]           Le 14 mars 2008, madame Julie Dupont de la BRC lui répond. Elle précise que la remise des documents les 4 décembre 2007 et 11 mars 2008 à la Cour supérieure était conforme à la Loi, en l’absence d’une contestation de sa part des subpoenas duces tecum.

 

[11]           Le 30 avril 2008, Mme Biron dépose une plainte à l’encontre de la BRC, auprès du Commissariat à la protection de la vie privée, alléguant que par ses actions, la banque viole son droit à la vie privée et à la protection de ses renseignements.

 

[12]           Un troisième subpoena est signifié le 20 novembre 2008, exigeant de la BRC qu’elle fournisse les relevés mensuels des comptes de M. Poirier détenus en son nom personnel et conjointement avec d’autres. Mme Bouchard se présente à nouveau au palais de justice, le 15 décembre 2008, avec les documents faisant l’objet du subpoena. Devant le juge de la Cour supérieure, M. Poirier s’objecte à la production des relevés de la carte de crédit conjointe. Me Grassby demande au juge de lui accorder quelques minutes afin qu’elle puisse biffer les informations relatives à Mme Biron. Le juge accepte la demande de Me Grassby.

 

[13]           Le 8 avril 2009, la BRC reçoit une lettre de monsieur Hughes Simard, enquêteur au Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, l’informant de la plainte déposée par Mme Biron aux termes de la Loi et demandant une réponse de la BRC.

 

[14]           Le 15 mai 2009, madame Kerry Lund, directrice de Privacy and Information Risk à la BRC, répond à Hughes Simard. Elle précise notamment que les documents contenant les informations de Mme Biron font l’objet de subpoenas duces tecum et que la BRC devait communiquer ces informations conformément aux alinéas 7(3) c) et 7(3) i) de la Loi et aux articles 280 et 284 du Code de procédure civile, LRQ, c C-25.

 

[15]           Le 30 mars 2010, la BRC reçoit le rapport d’enquête et les recommandations du Commissariat à la protection de la vie privée et des renseignements personnels. La banque est invitée à transmettre ses commentaires sur ce rapport préliminaire. Le 10 mai 2010, Jeff C. Green, chef de la protection des renseignements personnels à la BRC, transmet sa réponse au Commissariat.

 

[16]           Finalement, un quatrième subpoena est signifié le 30 novembre 2010, exigeant à nouveau de la BRC qu’elle fournisse les relevés mensuels de toutes les cartes de crédit de M. Poirier, en son nom personnel et détenues conjointement, et ce, depuis le 1er novembre 2008. Mme Bouchard se présente au Palais de Justice de Montréal, le 21 décembre 2010, avec les documents pertinents. Devant le juge de la Cour supérieure, M. Poirier s’objecte à nouveau à la remise des relevés de compte de carte de crédit conjointe. Le juge ordonne à Mme Bouchard de remettre tous les documents à Me Grassby et de caviarder les extraits touchant Mme Biron.

 

[17]           Le 14 février 2011, la BRC reçoit le rapport final du Commissariat, lequel conclut au bien-fondé de la plainte de Mme Biron, quant à la communication du 11 mars 2008, de ses informations confidentielles à Me Miriam Grassby, en réponse au second subpoena duces tecum.

 

[18]           Le 28 mars 2011, Mme Biron et M. Poirier mettent la BRC en demeure de leur verser un montant de 50 000 $ pour les dommages subis en raison de la communication des relevés de leur carte de crédit conjointe.

 

[19]           Le 28 mars 2011, Mme Biron et M. Poirier déposent une demande par voie d’action devant la Cour fédérale, visant notamment à obtenir une ordonnance afin que la BRC soit tenue d’indemniser Mme Biron et M. Poirier pour les dommages et inconvénients qu’ils allèguent avoir subis aux termes de l’alinéa 16 c) de la Loi.

 

[20]           Suite à une requête en contestation d’irrégularité et en radiation en date du 30 mai 2011, la Cour ordonne que l’action déposée le 29 mars 2011 soit continuée en tant que demande aux termes de la partie 5 des Règles des Cours fédérales (DORS/98-106). La Cour accueille la demande en radiation du nom de M. Sylvain Poirier comme partie à la cause, à titre de demandeur. Le protonotaire R. Morneau ordonne également que Mme Biron signifie et dépose, le ou avant le 9 juin 2011, un avis de demande amendé.

 

[21]           Dans sa demande amendée, Mme Biron réclame la somme de 25 000 $ à titre de dommages et intérêts comme suit :

a.                   5 000 $ à titre de dommages pour les troubles, les inconvénients et le temps qu’il lui a fallu pour assister son conjoint à se défendre face aux allégations de son ex-épouse, entourant les dépenses effectuées avec la carte de crédit;

b.                   10 000 $ à titre de dommages moraux; et

c.                   10 000 $ à titre de dommages exemplaires.

 

III.       Législation

 

[22]           Les articles 14, 16 et le principe 4.3 de l’annexe 1 de la Loi précisent que :

Demande

 

Application

 

 (1) Après avoir reçu le rapport du commissaire ou l’avis l’informant de la fin de l’examen de la plainte au titre du paragraphe 12.2(3), le plaignant peut demander que la Cour entende toute question qui a fait l’objet de la plainte — ou qui est mentionnée dans le rapport — et qui est visée aux articles 4.1.3, 4.2, 4.3.3, 4.4, 4.6, 4.7 ou 4.8 de l’annexe 1, aux articles 4.3, 4.5 ou 4.9 de cette annexe tels qu’ils sont modifiés ou clarifiés par la section 1, aux paragraphes 5(3) ou 8(6) ou (7) ou à l’article 10.

 

 (1) A complainant may, after receiving the Commissioner’s report or being notified under subsection 12.2(3) that the investigation of the complaint has been discontinued, apply to the Court for a hearing in respect of any matter in respect of which the complaint was made, or that is referred to in the Commissioner’s report, and that is referred to in clause 4.1.3, 4.2, 4.3.3, 4.4, 4.6, 4.7 or 4.8 of Schedule 1, in clause 4.3, 4.5 or 4.9 of that Schedule as modified or clarified by Division 1, in subsection 5(3) or 8(6) or (7) or in section 10.

 

 

 

Délai

 

Time of application

 

(2) La demande est faite dans les quarante-cinq jours suivant la transmission du rapport ou de l’avis ou dans le délai supérieur que la Cour autorise avant ou après l’expiration des quarante-cinq jours.

 

(2) A complainant must make an application within 45 days after the report or notification is sent or within any further time that the Court may, either before or after the expiry of those 45 days, allow.

 

Précision

 

For greater certainty

 

(3) Il est entendu que les paragraphes (1) et (2) s’appliquent de la même façon aux plaintes visées au paragraphe 11(2) qu’à celles visées au paragraphe 11(1).

 

(3) For greater certainty, subsections (1) and (2) apply in the same manner to complaints referred to in subsection 11(2) as to complaints referred to in subsection 11(1).

 

Réparations

 

Remedies

 

 La Cour peut, en sus de toute autre réparation qu’elle accorde :

 

 The Court may, in addition to any other remedies it may give,

 

a) ordonner à l’organisation de revoir ses pratiques de façon à se conformer aux articles 5 à 10;

 

(a) order an organization to correct its practices in order to comply with sections 5 to 10;

b) lui ordonner de publier un avis énonçant les mesures prises ou envisagées pour corriger ses pratiques, que ces dernières aient ou non fait l’objet d’une ordonnance visée à l’alinéa a);

 

(b) order an organization to publish a notice of any action taken or proposed to be taken to correct its practices, whether or not ordered to correct them under paragraph (a); and

 

c) accorder au plaignant des dommages-intérêts, notamment en réparation de l’humiliation subie.

 

(c) award damages to the complainant, including damages for any humiliation that the complainant has suffered.

 

4.3 Troisième principe — Consentement

 

4.3 Principle 3 — Consent

 

Toute personne doit être informée de toute collecte, utilisation ou communication de renseignements personnels qui la concernent et y consentir, à moins qu’il ne soit pas approprié de le faire.

 

Note : Dans certaines circonstances, il est possible de recueillir, d’utiliser et de communiquer des renseignements à l’insu de la personne concernée et sans son consentement. Par exemple, pour des raisons d’ordre juridique ou médical ou pour des raisons de sécurité, il peut être impossible ou peu réaliste d’obtenir le consentement de la personne concernée. Lorsqu’on recueille des renseignements aux fins du contrôle d’application de la loi, de la détection d’une fraude ou de sa prévention, on peut aller à l’encontre du but visé si l’on cherche à obtenir le consentement de la personne concernée. Il peut être impossible ou inopportun de chercher à obtenir le consentement d’un mineur, d’une personne gravement malade ou souffrant d’incapacité mentale. De plus, les organisations qui ne sont pas en relation directe avec la personne concernée ne sont pas toujours en mesure d’obtenir le consentement prévu. Par exemple, il peut être peu réaliste pour une œuvre de bienfaisance ou une entreprise de marketing direct souhaitant acquérir une liste d’envoi d’une autre organisation de chercher à obtenir le consentement des personnes concernées. On s’attendrait, dans de tels cas, à ce que l’organisation qui fournit la liste obtienne le consentement des personnes concernées avant de communiquer des renseignements personnels.

 

The knowledge and consent of the individual are required for the collection, use, or disclosure of personal information, except where inappropriate.

 

 

Note: In certain circumstances personal information can be collected, used, or disclosed without the knowledge and consent of the individual. For example, legal, medical, or security reasons may make it impossible or impractical to seek consent. When information is being collected for the detection and prevention of fraud or for law enforcement, seeking the consent of the individual might defeat the purpose of collecting the information. Seeking consent may be impossible or inappropriate when the individual is a minor, seriously ill, or mentally incapacitated. In addition, organizations that do not have a direct relationship with the individual may not always be able to seek consent. For example, seeking consent may be impractical for a charity or a direct-marketing firm that wishes to acquire a mailing list from another organization. In such cases, the organization providing the list would be expected to obtain consent before disclosing personal information.

 

 

IV.       Questions en litige

 

1.         Le rapport de la commissaire adjointe à la protection de la vie privée lie-t-il la Cour?

2.         La BRC a-t-elle contrevenu à la Loi en communiquant les relevés du compte de carte de crédit détenue conjointement par Mme Biron et M. Poirier?

3.         Mme Biron a-t-elle droit à des dommages-intérêts aux termes de l’alinéa 16 c) de la Loi?

 

V.        Position des parties

 

A.        Position de Mme Biron

 

[23]           Mme Biron soutient que la BRC viole les paragraphes 5(1) et 5(3) de même que les principes 4.3 et 4.5 de l’annexe 1 de la Loi (Principes énoncés dans la norme nationale du Canada intitulés code type sur la protection des renseignements personnels). Elle allègue également qu’en transmettant à un tiers des renseignements personnels, sans son consentement et sans qu’un tribunal ou la Loi ne l’autorise, la BRC viole son droit à la vie privée aux termes de l’article 5 de la Charte des droits et libertés de la personne, LRQ c C-12 [la Charte québécoise] et des articles 3, 35 et 37 du Code civil du Québec, LQ 1991 c 64).

 

[24]           Elle soutient que le commissaire à la protection de la vie privée du Canada reconnaît dans son rapport le bien-fondé de sa plainte à l’encontre de la BRC. Puisque ce rapport ne fait pas l’objet d’une demande de contrôle judiciaire devant la Cour, il acquiert l’autorité de la chose jugée. Il revient donc à la Cour d’en tenir compte dans son jugement.

 

[25]           Considérant les dommages et inconvénients subis en raison de cette violation, Mme Biron demande à la Cour de lui octroyer les sommes demandées aux termes de l’alinéa 16 c) de la Loi et de l’article 49 de la Charte québécoise.

 

B.        Position de la BRC

 

[26]           La BRC allègue tout d’abord que le rapport du commissaire à la protection de la vie privée du Canada ne lie pas la Cour et que seule une décision définitive rendue par un tribunal compétent en matière contentieuse peut acquérir l’autorité de la chose jugée en s’appuyant sur la décision de  Roberge c Bolduc, [1991] 1 RCS 374 aux pages 404 et 405). Or, selon la BRC, le commissariat n’est pas un tribunal puisque la Loi ne lui confère aucun pouvoir décisionnel et il ne rend pas de décision mais formule plutôt une opinion sur le bien-fondé d’une plainte. La BRC cite également l’arrêt Englander c Telus Communications Inc, 2004 CAF 387 (QL) au para 71 [Englander] en soutien de sa position. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale mentionne que « […] le commissaire, de toute façon, n’est pas un tribunal et la LPRPDE ne lui confère pas de pouvoir décisionnel. Le plus qu’il peut faire est de se former une opinion sur la question et l’exprimer dans son rapport. Comme le rapport n’est pas une "décision", il ne peut entrer en conflit avec la décision d’un tribunal judiciaire ou administratif qui serait déclaré avoir compétence - exclusive, concurrente ou par chevauchement - pour trancher la question ».

 

[27]           Dans une demande aux termes de l’article 14 de la Loi, la Cour doit procéder à un examen de novo des faits de l’affaire et tirer ses propres conclusions relativement à la plainte portée devant le commissariat (voir Englander précitée aux paras 47 et 48; et Girao c Zarek Taylor Grossman, Hanrahan LLP, 2011 CF 1070 (QL) au para 23 [Girao]), selon la BRC.

 

[28]           La BRC allègue également qu’un subpoena duces tecum signifié conformément au Code de Procédure civile du Québec emporte l’obligation légale pour une personne de comparaître devant le tribunal afin de communiquer les documents requis (voir 9083-2957 Québec inc c Caisse populaire de Rivière-des-Prairies, [2004] JQ no 10136 au para 18). La BRC précise de plus qu’il appartient au juge de déterminer la pertinence des documents (voir McCue c Younes, [2002] JQ no 9269). À défaut d’une contestation de la part de Mme Biron, la BRC avait l’obligation  de produire en Cour supérieure les documents identifiés au subpoena.

 

[29]           La BRC souligne de plus que M. Poirier est habilité à représenter Mme Biron et à consentir à la communication des renseignements personnels de cette dernière apparaissant dans les relevés de leur carte de crédit conjointe. Selon la BRC, à titre d’avocat et de codétenteur de la carte de crédit, M. Poirier peut représenter Mme Biron et demeure solidairement responsable avec elle des obligations contractées. La BRC ne contrevient donc pas à la Loi en remettant les relevés de la carte de crédit conjointe, et ce, conformément au principe 4.3 de l’annexe 1 de la Loi.

 

[30]           La BRC soutient en outre que Mme Biron n’a pas droit à des dommages-intérêts pour les motifs suivants : l’octroi de dommages compensatoires est discrétionnaire et cette discrétion ne doit être exercée que dans les cas les plus flagrants et lorsque la violation est très grave et attentatoire (voir Girao précitée au para 42; Nammo c TransUnion of Canada Inc, 2010 CF 1284 (QL) au para 54 [Nammo]; et Randall c Nubodys Fitness Centres, 2010 CF 681 (QL) aux paras 55-56 [Randall]).

 

[31]           La conduite de la BRC en l’instance ne justifie aucunement l’octroi de dommages-intérêts puisque toute contravention à la Loi découlerait d’une erreur de bonne foi. Selon la BRC, ses représentantes agissaient de bonne foi en communiquant les renseignements personnels devant un juge de la Cour supérieure, et ce, en l’absence de toute contestation du subpoena. De plus, la BRC est d’avis que M. Poirier était habilité à représenter Mme Biron et à consentir en son nom à la divulgation des renseignements personnels contenus aux relevés de leur carte de crédit conjointe. La BRC prétend que Mme Bouchard a été induite en erreur lorsque M. Poirier lui avait indiqué verbalement qu’elle pouvait communiquer à Me Grassby les renseignements confidentiels sans l’obtention d’une ordonnance de la Cour et sans restrictions quant au contenu des relevés de compte concernant Mme Biron.

 

[32]           De plus, aux dires de la BRC, sa conduite n’est pas suffisamment attentatoire pour que la Cour accepte d’accorder à Mme Biron des dommages punitifs. La BRC soutient que les dommages punitifs ne peuvent être octroyés que dans les cas expressément prévus par la Loi. En l’espèce, Mme Biron affirme qu’il y a eu atteinte à son droit à la vie privée.la BRC s’appuie sur la décision de Montigny c Brossard (Succession), [2010] 3 RCS 64 aux paras 68 et 69 [de Montigny]; et Québec (Curateur public) c Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 RCS 211 au para 121) pour soutenir que le recours en dommages punitifs requiert la démonstration d’une atteinte intentionnelle aux droits garantis par la Charte. En l’instance, selon la BRC, il n’y a aucun élément de preuve au dossier qui permet à la Cour de conclure à l’octroi de dommages punitifs.

 

VI.       Analyse

 

1.         Le rapport de la commissaire adjointe à la protection de la vie privée lie-t-il la Cour?

 

[33]           Le rapport de la commissaire adjointe à la protection de la vie privée ne lie pas la Cour. La Cour d’appel fédérale précise, au paragraphe 71 de l’arrêt Englander précité que « Le commissaire […] n'est pas un tribunal, et la [Loi] ne lui confère pas de pouvoir décisionnel. Le plus qu'il peut faire est de se former une opinion sur la question et de l'exprimer dans son rapport. Comme le rapport n'est pas une "décision", il ne peut entrer en conflit avec la décision d'un tribunal judiciaire ou administratif qui serait déclaré avoir compétence - exclusive, concurrente ou par chevauchement - pour trancher la question ». La Cour doit examiner la conduite de la BRC contre qui la plainte a été déposée (voir Girao précitée au para 23). Ainsi, puisqu’il s’agit d’un examen de novo des conclusions de la commissaire, la Cour n’est pas liée par le rapport du commissariat à la protection de la vie privée (voir également Randall au para 32 et Nammo au para 28 précitées).

 

2.         La BRC a-t-elle contrevenu à la Loi en communiquant les relevés du compte de carte de crédit détenue conjointement par Mme Biron et M. Poirier?

 

[34]           La BRC enfreint le principe 4.3 de l’annexe 1 de la Loi, le 11 mars 2008, lorsqu’elle communique les relevés du compte de la carte de crédit conjointe de Mme Biron. Le principe énoncé à la section 4.3 de l’Annexe 1 de la Loi précise que «[t]oute personne doit être informée de toute collecte, utilisation ou communication de renseignements personnels qui la concernent et y consentir, à moins qu’il ne soit pas approprié de le faire ». La Cour tient à souligner que «[d]ans certaines circonstances, il est possible de recueillir, d’utiliser et de communiquer des renseignements à l’insu de la personne concernée et sans son consentement. Par exemple, pour des raisons d’ordre juridique […] » (voir le principe 4.3 de la Loi). Toutefois, il faut également rappeler que :

« Pour l’application de l’article 4.3 de l’annexe 1 et malgré la note afférente, l’organisation ne peut communiquer de renseignement personnel à l’insu de l’intéressé et sans son consentement que dans les cas suivants :

 

[…]

 

c) elle est exigée par assignation, mandat ou ordonnance d’un tribunal, d’une personne ou d’un organisme ayant le pouvoir de contraindre à la production de renseignements ou exigée par des règles de procédure se rapportant à la production de documents […] » (voir le paragraphe 7(3) de la Loi).

 

[35]           Bien que l’article 311 du Code de procédure civile du Québec précise que « le témoin qui a en sa possession quelque document se rapportant au litige est tenu de le produire sur demande; à moins qu'il ne s'agisse d'un écrit authentique, il doit en laisser prendre copies, extraits ou reproductions qui, certifiés par le greffier, auront la même force probante que l'original », Mme Biron n’était ni un témoin ni un intéressé à l’instance de divorce entre M. Poirier et son ex-épouse. De plus, la Cour constate que Mme Biron s’est opposée aux divulgations dans ses lettres du 11 février 2008 et du 26 février 2008 adressées à la BRC, tout en précisant dans sa deuxième lettre que la carte de crédit conjointe « comporte un numéro unique permettant de distinguer les dépenses me concernant [et qu’]il est inadmissible que les dépenses de mon conjoint ne puissent pas être séparées des miennes » (voir la lettre du 26 février 2008 à la page 81 du dossier de la demanderesse).

 

[36]           En outre, même si on accepte la théorie de la BRC voulant que  M. Poirier détenait un mandat à tout le moins tacite pour représenter Mme Biron et consentir à la divulgation de ses renseignements personnels, il s’est objecté à leur divulgation tel qu’il appert du formulaire du 20 février 2008 (voir la page 19 du dossier de la défenderesse) et des notes sténographiques prises lors de son interrogatoire hors Cour sur affidavit . (voir les pages 106, ligne 9 à 109, ligne 5). Ainsi, la Cour rejette l’argument de la BRC qui prétend que les alinéas 7(3) c)et i) de la Loi s’appliquent dans le cas de la divulgation du 11 mars 2008, puisqu’elle devait obtenir le consentement de Mme Biron aux termes des principes 4.3 et 4.5 de l’annexe 1 de la Loi. La Cour ne peut accepter la prétention de la BRC voulant que M. Poirier ait consenti verbalement à la divulgation des renseignements personnels de Mme Biron pour ensuite retirer ce même consentement le 11 mars 2008 parce que les éléments de preuve au dossier, les témoignages de Mme Biron et de M. Poirier sont contraires (voir le dossier de la défenderesse, transcription G. Biron, page 96, lignes 10 à 15 et page 97, lignes 5 à 15; et transcription S. Poirier, page 106, lignes 4 à 19). De plus, cette version des faits présentée par la représentante de la banque, Mme Carmen Bouchard, n’est soutenue par aucun autre élément de preuve. Il nous apparaît tout à fait improbable que M. Poirier, un avocat, consente à une divulgation sachant que sa conjointe s’y oppose et qu’elle avait déjà entrepris des démarches pour souligner son opposition à la BRC à cet égard.

 

3.         Mme Biron a-t-elle droit à des dommages-intérêts aux termes de l’alinéa 16 c) de la Loi?

 

[37]           Dans Randall précitée, la Cour écrit ce qui suit au sujet des dommages accordés aux termes de l’article 16 de la Loi :

[55] Les dommages-intérêts prévus à l'article 16 de la LPRPDE ne peuvent pas être accordés à la légère. Ils ne doivent l'être que dans les cas les plus flagrants. Or, j'estime que la présente affaire ne constitue pas un cas flagrant.

 

[56] Les tribunaux accordent des dommages-intérêts lorsque la violation est très grave et attentatoire comme dans le cas d'enregistrements vidéos ou d'espionnage téléphonique, qui ne se comparent en rien à la violation qui s'est produite en l'espèce (Malcolm c Fleming (CS C-B), greffe de Nanaimo no S17603, [2000] BCJ No 2400; Srivastava c Hindu Mission of Canada (Québec) Inc. (QCA), [2001] RJQ 1111, [2001] JQ no 1913).

 

[38]           Il faut également que le dommage allégué découle directement de la faute commise (voir Stevens c SNF Maritime Metal Inc, 2010 CF 1137 aux paras 28 et 29). La Cour précise de plus que l’octroi de dommages aux termes de l’article 16 de la Loi est discrétionnaire (voir Nammo précitée).

 

[39]           Quant aux dommages punitifs, la Cour suprême du Canada nous enseigne qu’ils peuvent être accordés uniquement  lorsque « l'acte fautif délibéré est si malveillant et inacceptable qu'il justifie une sanction indépendante » (voir Honda Canada Inc c Keays, 2008 CSC 39 au para 62). Dans l’arrêt de Montigny, la Cour suprême énonce que :

[47] Contrairement aux dommages compensatoires, dont la raison d'être est la réparation du préjudice résultant d'une faute, les dommages exemplaires existent, quant à eux, pour une autre fin. L'octroi de ces dommages a pour but de marquer la désapprobation particulière dont la conduite visée fait l'objet. Il est rattaché à l'appréciation judiciaire d'une conduite, non à la mesure des indemnités destinées à réparer un préjudice réel, pécuniaire ou non. Comme l'exprime le juge Cory :

 

On peut accorder des dommages-intérêts punitifs lorsque la mauvaise conduite du défendeur est si malveillante, opprimante et abusive qu'elle choque le sens de dignité de la cour. Les dommages-intérêts punitifs [page88] n'ont aucun lien avec ce que le demandeur est fondé à recevoir au titre d'une compensation. Ils visent non pas à compenser le demandeur, mais à punir le défendeur. C'est le moyen par lequel le jury ou le juge exprime son outrage à l'égard du comportement inacceptable du défendeur.

 

(Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 RCS 1130, par. 196)

 

[40]           En l’instance, la Cour est d’avis, à la lumière des faits de l’affaire, que les dommages allégués  par Mme Biron peuvent être liés à l’erreur de la BRC. La Cour estime de plus qu’elle doit tenir compte du fait que Mme Biron a demandé à la BRC de cesser de divulguer ses informations personnelles à deux reprises. La BRC contrevient à ses obligations aux termes du paragraphe 7(3) de la Loi en ne protégeant pas de façon adéquate les renseignements personnels d’une de ses clientes, une tierce partie non intéressée à l’instance de divorce entre M. Poirier et son ex-épouse.

 

[41]           D’autre part, Mme Biron demande des dommages punitifs au montant de 10 000 $. Toutefois, il n’y a aucun élément de preuve au dossier démontrant que la BRC a commis des actes si malveillants et inacceptables à l’endroit de Mme Biron, qu’il serait justifié d’octroyer des dommages punitifs.

 

[42]           Les seuls éléments de preuve présentés par Mme Biron, pour soutenir sa réclamation totale de 15 000 $ pour dommages, soit 5 000 $ pour troubles et inconvénients et 10 000 $ pour dommages moraux, se limitent aux démarches qu’elle a du entreprendre auprès du Commissaire à la protection de la vie privée, aux lettres adressées à la BRC, ainsi qu’au temps consacré à assister son conjoint pour assurer sa défense face aux allégations de son ex-épouse découlant de l’examen des dépenses effectuées par le truchement de la carte de crédit conjointe.

 

[43]           La Cour en arrive à la conclusion qu’étant donné que Mme Biron s’est objectée par deux fois à la divulgation de ses informations personnelles comme tierce partie à une instance de divorce, qu’elle a subi une humiliation aux termes de l’alinéa 16 c) de la Loi et que les dommages demandés par Mme Biron sont directement liés la faute de la BRC, la Cour fixe un montant de 2 500 $ avec intérêts et dépens, à être payé à Mme Biron par la BRC.

 

VII.     Conclusion

 

[44]           La Cour rejette la demande de Mme Biron de rendre une ordonnance pour forcer la BRC à modifier ses procédures, puisque la BRC a déjà informé ses employés de la mise à jour de ses procédures suite à ces évènements, tel qu’il appert du paragraphe 28 du rapport final du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada.


JUGEMENT

Pour les motifs susmentionnés, LA COUR CONDAMNE la BRC à payer un montant de 2 500 $ à Mme Biron, avec intérêts et dépens.

 

 

« André F.J. Scott »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-520-11

 

INTITULÉ :                                      GENEVIÈVE BIRON

                                                            c

                                                            RBC BANQUE ROYALE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             4 juillet 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                     19 septembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Geneviève Biron

 

POUR LA DEMANDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Me Christine Carron

Me Brian John Capogrosso

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Geneviève Biron

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

NORTON ROSE

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.