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Date : 20120907

Dossier : IMM-1144-12

Référence : 2012 CF 1056

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 septembre 2012

En présence de monsieur le juge Shore

 

ENTRE :

 

ZOLTAN CSONKA,

ZOLTANNE CSONKA,

SZABINA CSONKA,

ZOLTAN CSONKA,

ALEXANDRA KATALIN CSONKA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Aperçu

[1]               Lorsqu’il faut déterminer si un demandeur d’asile peut obtenir la protection de l’État, le soussigné a déjà souligné que « la preuve de l’amélioration et des progrès réalisés par l’État ne constitue pas une preuve que les mesures actuelles équivalent à une protection efficace » (Kovacs c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1003, au paragraphe 64). De plus, lorsqu’elle doit déterminer si la protection de l’État est offerte, la Commission doit « procéder à une analyse individualisée qui tienne compte de la situation personnelle du demandeur » (Horvath c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1350, au paragraphe 57).

 

[2]               Bien que la preuve documentaire générale donne à penser que les Roms font face à une possibilité de persécution en Hongrie, ce n’est pas le cas des demandeurs en l’espèce. Étant donné les circonstances particulières des demandeurs, la possibilité de persécution ne satisfait pas au critère établi dans Ponniah c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 359 (QL/Lexis) (CAF).

 

[3]               Une demande d’asile valide comporte à la fois un élément de crainte subjective et un élément de crainte objective. La crainte objective ne doit pas être évaluée dans l’abstrait. Pour exister, « la preuve objective doit être reliée à la situation spécifique des demandeurs » (Sahiti c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 364, au paragraphe 20). Le fait que la preuve montre la violation systématique ou généralisée des droits de la personne ne suffit pas à établir « la crainte de persécution spécifique et individualisée chez [un] défendeur en particulier » (Ahmad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 808, au paragraphe 22).

 

II. Introduction

[4]               Les demandeurs veulent obtenir l’asile parce qu’ils craignent d’être persécutés dans leur pays d’origine en raison de leur origine ethnique rom. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission] a rejeté leur demande, ayant conclu i) que les demandeurs ne craignaient pas avec raison d’être persécutés; ii) qu’ils n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État; et iii) qu’ils manquaient de crédibilité.

 

III. Procédure judiciaire

[5]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], de la décision datée du 14 décembre 2011 par laquelle la Commission a rejeté la demande d’asile des demandeurs.

 

IV. Faits et procédures

[6]               Le demandeur principal, M. Zoltan Csonka, né en 1967, sa femme, Mme Zoltanne Csonka, née en 1972, leur fille, Szabina, née en 1997, leur autre fille, Alexandra Katalin, née en 1991, et leur fils, Zoltan, né en 1989, sont citoyens de la Hongrie.

 

[7]               Le demandeur principal affirme avoir été victime de discrimination dirigée contre les Roms depuis sa naissance.

 

[8]               Il pouvait fréquenter uniquement des écoles que fréquentaient d’autres Roms, où des camarades de classe le rudoyaient et crachaient sur lui. Il a été forcé d’abandonner ses études avant d’avoir obtenu son diplôme après s’être bagarré avec un autre élève à la suite d’insultes à caractère discriminatoire.

 

[9]               Le demandeur principal affirme qu’il a donc dû subvenir à ses besoins en occupant des emplois occasionnels. Il a étudié le travail des métaux et travaillé 40 heures par semaine pour des employeurs Roms, jusqu’à ce qu’ils fassent faillite. Il a également travaillé dans la construction.

 

[10]           Le demandeur principal a servi dans l’armée hongroise de 1987 à 1989 et de 2002 à 2004. Sa première période de service a été difficile parce que son commandant nourrissait des préjugés contre les Roms et n’a pas autorisé le demandeur principal à prendre congé pendant six mois. Bien que le demandeur principal ne se soit pas plaint lui‑même, le commandant a par la suite autorisé les demandes de congé présentées par d’autres soldats roms, qui avaient menacé de signaler la situation à des supérieurs. Durant sa deuxième période de service, le demandeur principal n’a pas pu aller chez lui pendant un an.

 

[11]           Ses enfants ont été victimes de discrimination à l’école et harcelés dans les rues. Quand il se plaignait à la police, il n’obtenait pas d’aide. Sa femme était incapable de trouver un emploi, des gens crachaient sur elle et elle ne réussissait pas à se faire servir quand elle faisait ses courses. Les médecins refusaient de soigner les membres de la famille qui tombaient malades.

 

[12]           À l’été 2005, alors qu’il roulait à moto, le demandeur principal a été arrêté par un policier. Le policier l’a traité de « Tsigane », l’a battu et lui a fracturé la main.

 

[13]           Le demandeur principal n’a pas pu se servir de sa main pendant deux mois. Incapable de travailler, il a reçu des prestations d’invalidité du gouvernement. Il a payé un spécialiste pour l’opérer, après avoir consulté un médecin de famille qui n’avait pas réussi à guérir sa main. Sa main reste toutefois marquée à jamais.

 

[14]           Le demandeur principal n’a pas signalé l’agression, mais il a parlé à une association locale de Roms. Il n’a pas demandé à l’association d’intervenir, parce qu’il ne croyait pas qu’elle l’aurait aidé.

 

[15]           En mai 2007, quatre membres d’un groupe raciste, la Garde hongroise, auraient poignardé le demandeur principal, qui a été hospitalisé. À l’audience, il a montré à la Commission la cicatrice qu’il porte au centre de la poitrine.

 

[16]           Des incohérences ont été relevées entre le témoignage du demandeur principal et l’information donnée dans son Formulaire de renseignements personnels [FRP] en ce qui concerne l’agression. Le demandeur principal a témoigné que la police ne lui avait pas rendu visite à l’hôpital et qu’il n’avait pas signalé l’agression à la police après avoir reçu son congé de l’hôpital. Dans son FRP, toutefois, il a indiqué que la police avait rédigé un rapport inexact et qu’elle avait entamé une enquête sur des agresseurs inconnus.

 

[17]           Accompagné de sa femme et de sa benjamine, le demandeur principal est arrivé au Canada en septembre 2009, et ses autres enfants sont arrivés en novembre 2009. Après l’attaque qu’il aurait subie, le demandeur principal a attendu deux ans pour quitter le pays afin d’épargner de l’argent et de permettre à son fils de terminer l’école.

 

[18]           La Commission a instruit la demande en novembre 2011 et rendu sa décision le 14 décembre 2011. Le demandeur principal a fait une demande de contrôle judiciaire, signifiant son avis de demande au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [le défendeur] le 6 février 2012, 11 jours après l’expiration du délai prescrit à l’alinéa 72(2)b) de la LIPR.

 

V. Décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire

[19]           La Commission a rejeté la demande d’asile présentée par les demandeurs aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR. Elle a conclu i) que les demandeurs ne craignaient pas avec raison d’être persécutés; ii) qu’ils n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État; et iii) qu’ils manquaient de crédibilité.

 

[20]           Selon la Commission, le décalage de deux ans entre l’agression dont le demandeur principal avait été victime en mai 2007 et son départ en 2009 était incompatible avec une crainte subjective de persécution.

 

[21]           De l’avis de la Commission, la discrimination pratiquée contre le demandeur principal ne constituait pas de la persécution. Les incidents de discrimination dont il a été victime, qu’ils soient considérés séparément ou cumulativement, ne démontrent pas que le demandeur principal ou sa famille ont été « privés de tout espoir ou de tout recours » (au paragraphe 33).

 

[22]           Citant Sagharichi c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 796, 182 NR 398 (CA) (QL/Lexis) et le Guide du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, la Commission a expliqué que la discrimination doit être grave pour constituer de la persécution. Pour évaluer si ce critère est rempli, il faut examiner quel droit pourrait être violé et dans quelle mesure il pourrait être compromis. Il y a atteinte grave à un droit si la négation majeure d’un droit fondamental de la personne est évidente. La Commission a déduit que la discrimination constituant de la persécution doit avoir « des conséquences gravement préjudiciables » et que « le fait de restreindre de façon soutenue ou systématique le droit d’une personne d’exercer un métier constitue une forme de persécution » (au paragraphe 32).

 

[23]           La preuve démontre, a fait remarquer la Commission, que les Roms de la Hongrie font face à des obstacles en matière d’éducation, d’emploi, de logement, d’économie et de santé. La Commission a toutefois souligné plusieurs initiatives mises en œuvre par l’État, y compris le plan stratégique du programme de la Décennie pour l’intégration des Roms, des programmes de formation professionnelle et d’emploi ainsi que des mesures d’éducation. À la lumière de ces initiatives, la Commission a conclu que « la Hongrie offre des solutions concrètes » aux Roms (au paragraphe 24).

 

[24]           La Commission a estimé que les circonstances particulières du demandeur principal, considérées séparément ou cumulativement, ne concordaient pas avec une crainte fondée de persécution. Le demandeur principal a exercé un métier et occupé un emploi qui correspondait à ses études et à sa formation. Bien qu’il ne croyait pas que des employeurs autres que des Roms voudraient l’embaucher, ses années de service militaire bien rémunéré laissent penser le contraire. Sa main a été traitée par un spécialiste, et il a séjourné dans un hôpital financé par le gouvernement après l’agression de mai 2007, ce qui montre qu’il avait accès à des soins de santé.

 

[25]           La Commission n’a pas estimé que les enfants du demandeur principal avaient subi des désavantages sur le plan de l’éducation qui équivalaient à de la persécution. Bien que le fils ait indiqué dans son FRP avoir terminé seulement sa huitième année, il a par la suite affirmé dans son témoignage avoir terminé quatre autres années d’études dans une école aux normes très élevées, où il était le seul élève rom. Il n’a donc pas été victime de la ségrégation des étudiants roms dont fait état la documentation. La Commission a tiré cette conclusion même si le fils a témoigné que ses professeurs l’avaient négligé. La Commission n’a pas estimé non plus que la fille aînée s’était vu refuser l’autorisation de participer à une excursion en Pologne avec ses camarades de classe en raison de son origine ethnique; la Commission a plutôt conclu que la fille avait peut‑être été exclue du voyage parce qu’elle s’y était inscrite trop tard.

 

[26]           La Commission a considéré comme étant déterminant le fait que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État. Citant Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Carrillo, 2008 CAF 94, [2008] 4 RCF 636, la Commission a déclaré que les demandeurs devaient présenter des éléments de preuve clairs et convaincants établissant que, selon la prépondérance des probabilités, la protection de l’État était inadéquate ou inexistante.

 

[27]           La Commission a souligné que le demandeur principal n’avait pas cherché à obtenir la protection de l’État. Le demandeur principal n’avait pas signalé l’agression de 2005 lui‑même, ni par l’intermédiaire d’une organisation rom. Quant à l’agression de 2007, la Commission a estimé que, lorsque les agresseurs ne sont pas connus, « il était difficile de faire enquête dans [ces] cas [...] et même les forces policières les plus efficaces, les mieux équipées et les plus motivées de n’importe quel pays auront de la difficulté à fournir une protection » (au paragraphe 34). Citant Smirnov c Canada (Secrétaire d’État), [1995] 1 CF 780 (1re inst.), la Commission a fait observer que la Cour ne devrait pas imposer une norme de protection que la police du Canada ne pourrait pas atteindre elle‑même.

 

[28]           La Commission a souligné que la Hongrie déployait des efforts sérieux pour fournir à ses citoyens roms « une protection adéquate, bien qu’elle ne soit pas toujours parfaite » (au paragraphe 48). Elle a reconnu que les Roms étaient désavantagés, mais a estimé que les mesures concrètes prises par la Hongrie suffisaient à démontrer l’existence d’une protection de l’État. Les éléments de preuve montrant la violence faite aux Roms ont été contrebalancés par les éléments de preuve indiquant que des initiatives avaient été mises en œuvre pour protéger les Roms (établissement d’un groupe spécial de policiers et présence policière accrue dans les collectivités où vivent des Roms), et par le compte rendu d’une enquête menée sur une attaque, au terme de laquelle quatre suspects avaient été inculpés.

 

[29]           Les autres mesures d’ordre juridique et institutionnel comprennent des programmes d’intégration, le Comité interministériel des affaires roms, des programmes d’aide aux victimes de discrimination qui favorisent l’application uniforme des dispositions antidiscrimination et des bureaux traitant spécialement des affaires roms. La Commission a aussi souligné que l’Autorité pour l’égalité de traitement, une organisation gouvernementale indépendante qui fait enquête sur des plaintes de discrimination et qui prend des mesures en conséquence, « aurait pu venir en aide au demandeur d’asile » (au paragraphe 40). Parmi les autres recours possibles, la Commission a désigné le commissaire parlementaire aux droits civils, la Commission indépendante de traitement des plaintes contre la police, le Bureau central de la justice et le réseau de lutte contre la discrimination envers les Roms (réseau qui fournit de l’aide juridique gratuite aux Roms et qui est passé d’un effectif de 23 avocats en 2001 à une effectif de 30 à 44 avocats en 2009).

 

[30]           La Commission a considéré que ces initiatives étaient efficaces. Elle a fait observer que, lorsqu’une loi est enfreinte, « des accusations et des poursuites s’ensuivent, et il semble que les policiers sont tenus responsables de leurs actes s’ils ne prennent pas au sérieux les plaintes formulées par les Roms ou s’ils deviennent eux‑mêmes les agents de persécution des citoyens rom. Des enquêtes, des accusations et des déclarations de culpabilité ont été soulignées même dans les cas où les accusés sont des policiers » (au paragraphe 48).

 

[31]           De l’avis de la Commission, l’agression de 2005 était le fait d’un agent de police motivé par la haine, mais qui n’était pas représentatif de l’ensemble de la force policière en Hongrie. Étant donné que le demandeur principal n’a pas signalé l’agression, « l’incident dont a été victime le demandeur d’asile principal ne s’inscrit pas dans le cadre d’une tendance plus générale de l’État à être incapable ou à refuser d’offrir une protection » (au paragraphe 35).

 

[32]           La Commission a reconnu que les préjugés contre les Roms étaient répandus dans la police hongroise, mais a néanmoins fait allusion à de récents changements. Au nombre des mesures mises en place pour contrer ce problème, la Commission a mentionné les efforts que la Commission indépendante de traitement des plaintes contre la police a récemment déployés afin de sensibiliser les policiers aux droits de la personne et aux minorités, et le recrutement d’agents de police roms. La Commission a aussi souligné que les policiers reconnus coupables d’inconduite pouvaient être réprimandés, congédiés ou poursuivis en justice. Aux termes d’une disposition législative récente, les policiers déclarés coupables d’avoir commis des actes criminels dans l’exercice de leurs fonctions sont automatiquement renvoyés.

 

[33]           Enfin, étant donné que la Hongrie est membre de l’Union européenne [UE] et que son gouvernement respecte généralement les droits des citoyens, la Commission a estimé qu’un degré adéquat de protection de l’État était établi. Des organisations européennes surveillent la situation des Roms et, à titre de membre de l’UE, la Hongrie doit prendre leurs recommandations au sérieux. La priorité que l’UE accorde aux droits de la personne donne à penser que les efforts déployés récemment par la Hongrie en vue d’améliorer la situation produiront des changements permanents.

 

[34]           La Commission a également conclu que les demandeurs n’étaient pas des personnes à protéger au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR. Bien que la Commission n’ait pas justifié cette conclusion par des motifs détaillés, elle a déclaré que, si les demandeurs étaient renvoyés, « ils ne seraient pas personnellement exposés aux dangers et aux risques énoncés aux alinéas 97(1)a) et 97(1)b) de la LIPR » (au paragraphe 49).

 

[35]           Enfin, et il s’agit d’un point important, la Commission a conclu que le demandeur manquait de crédibilité. Malgré son hospitalisation, le demandeur principal n’a pu présenter aucun rapport médical concernant les agressions qu’il avait subies. De plus, son témoignage selon lequel il n’avait pas été voir la police ne concordait pas avec l’information donnée dans son FRP, où il faisait état d’un rapport de police inexact relativement à l’agression de mai 2007. Le demandeur principal explique que l’hôpital avait l’obligation de signaler l’incident, ce qui n’a fait qu’empirer sa situation. Lorsqu’on lui a demandé ce qu’il voulait dire dans son FRP quand il indique que [traduction] « ils ont écrit des choses complètement différentes dans les documents comparativement à la vérité » (dossier du tribunal, p. 161), il a soutenu que le personnel de l’hôpital l’avait décrit comme la victime d’un accident. Toutefois, si l’hôpital avait vraiment été obligé de signaler l’incident, le demandeur principal n’aurait pas été décrit comme la victime d’un simple accident. Ces incohérences et l’absence de preuve corroborante ont miné la crédibilité du demandeur principal quant à l’agression de mai 2007.

 

VI. Questions en litige

[36]           1) Une prorogation de délai devrait‑elle être accordée aux demandeurs?

2) Est‑il raisonnable de conclure que les demandeurs ne craignent pas avec raison d’être persécutés?

3) Est‑il raisonnable de conclure que les demandeurs peuvent obtenir une protection de l’État adéquate?

4) La conclusion défavorable sur la crédibilité tirée par la Commission est‑elle raisonnable?

 

VII. Dispositions législatives pertinentes

[37]           Les dispositions législatives suivantes de la LIPR sont pertinentes :

Demande d’autorisation

 

 

72.      (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

 

Note marginale : Application

 

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent à la demande d’autorisation :

 

 

a) elle ne peut être présentée tant que les voies d’appel ne sont pas épuisées;

 

 

b) elle doit être signifiée à l’autre partie puis déposée au greffe de la Cour fédérale — la Cour — dans les quinze ou soixante jours, selon que la mesure attaquée a été rendue au Canada ou non, suivant, sous réserve de l’alinéa 169f), la date où le demandeur en est avisé ou en a eu connaissance;

 

 

 

 

 

 

c) le délai peut toutefois être prorogé, pour motifs valables, par un juge de la Cour;

 

 

d) il est statué sur la demande à bref délai et selon la procédure sommaire et, sauf autorisation d’un juge de la Cour, sans comparution en personne;

 

e) le jugement sur la demande et toute décision interlocutoire ne sont pas susceptibles d’appel.

 

 

[...]

 

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

 

 

Personne à protéger

 

97.      (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Application for judicial review

 

72.      (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

Marginal note: Application

 

(2) The following provisions govern an application under subsection (1):

 

(a) the application may not be made until any right of appeal that may be provided by this Act is exhausted;

 

(b) subject to paragraph 169(f), notice of the application shall be served on the other party and the application shall be filed in the Registry of the Federal Court (“the Court”) within 15 days, in the case of a matter arising in Canada, or within 60 days, in the case of a matter arising outside Canada, after the day on which the applicant is notified of or otherwise becomes aware of the matter;

 

(c) a judge of the Court may, for special reasons, allow an extended time for filing and serving the application or notice;

 

(d) a judge of the Court shall dispose of the application without delay and in a summary way and, unless a judge of the Court directs otherwise, without personal appearance; and

 

(e) no appeal lies from the decision of the Court with respect to the application or with respect to an interlocutory judgment.

 

...

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

 

 

Person in need of protection

 

97.      (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

VIII. Position des parties

[38]           Les demandeurs affirment que la conclusion de la Commission voulant que la situation des Roms en Hongrie ait changé depuis 2005 est incorrecte. Bien que la Commission ait décrit les mesures prises par le gouvernement de la Hongrie pour régler les problèmes vécus par les Roms, la preuve documentaire montre que les Roms sont encore victimes de violence raciste et de violations des droits fondamentaux de la personne.

 

[39]           Pour démontrer que la situation actuelle des Roms de la Hongrie s’est dégradée en raison de la crise économique et de la montée de l’extrême droite, les demandeurs renvoient aux éléments de preuve suivants figurant au dossier : i) un compte rendu bien documenté daté du 10 septembre 2009 décrivant la violence faite aux Roms et la montée récente de groupes politiques anti-Roms d’extrême droite; ii) un article du 12 août 2009 expliquant en détail l’effet disproportionné de la crise économique sur les Roms, les récents épisodes de violence, une déclaration du président de la Hongrie affirmant que la situation était tendue au point d’exploser et appelant à la compassion envers les Roms, une déclaration du ministre du Travail selon laquelle les employeurs n’embauchaient pas de Roms et les avancées des partis politiques anti‑Roms d’extrême droite.

 

[40]           Les demandeurs soutiennent que la protection accordée aux Roms par l’État est inadéquate et inefficace. Ils affirment que, malgré les efforts déployés récemment par le gouvernement, le cadre législatif et la volonté politique de la Hongrie ne suffisent pas pour protéger les Roms. Ils renvoient aux documents suivants : i) un rapport d’Amnistie internationale de 2009 décrivant l’annulation des lois sur les discours haineux par la Cour constitutionnelle de la Hongrie; et ii) un rapport de février 2009 contenant des déclarations faites par le directeur du Centre européen des droits des Roms et l’ombudsman des affaires des minorités de la Hongrie voulant que la Hongrie n’ait pas adopté de mesures concrètes pour aider les Roms.

 

[41]           Les demandeurs affirment que la volonté d’un État d’améliorer la situation en cas de problème de droits de la personne n’établit pas en soi que la protection de l’État est adéquate et efficace. Pour que cette protection soit établie, la volonté de changer doit être mise en pratique. Citant la décision rendue par la Cour dans Kovacs, précitée, les demandeurs déclarent que « la preuve de l’amélioration et des progrès réalisés par l’État ne constitue pas une preuve que les mesures actuelles équivalent à une protection efficace » (au paragraphe 68) [souligné dans l’original]. Les demandeurs s’appuient également sur Streanga c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 792, pour dire que « [l]a preuve de l’amélioration et des progrès réalisés par l’État ne constitue pas une preuve que les mesures actuelles équivalent à une protection adéquate et efficace » (au paragraphe 19) [souligné dans l’original].

 

[42]           Selon les demandeurs, les mesures prises par le gouvernement de la Hongrie sous les pressions de l’UE ne représentent ni un changement de circonstances pour les Roms ni une protection de l’État efficace. S’appuyant sur l’ouvrage de James Hathaway intitulé The Law of Refugee Status, les demandeurs soutiennent qu’un changement dans les circonstances doit être réel, effectif et permanent.

 

[43]           Le défendeur affirme que la demande doit être rejetée parce que les demandeurs n’ont pas déposé leur avis de demande dans le délai prescrit. Le défendeur fait remarquer que la juge Danièle Tremblay-Lamer n’a pas tenu compte de la question du délai lorsqu’elle a autorisé le contrôle judiciaire.

 

[44]           Citant McBean c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1149, le défendeur soutient que la Cour a compétence pour déterminer s’il y a lieu d’accorder une prorogation de délai lorsque le juge saisi de la requête a omis d’examiner la question. Le défendeur soutient également, en s’appuyant sur Canada (Procureur général) c Larkman, 2012 CAF 204, que « des retards inexpliqués, même courts, peuvent justifier le refus d’une prorogation de délai » et il souligne que « [l]a date limite de trente jours se justifie par le principe du caractère définitif des décisions » (aux paragraphes 86 et 87).

 

[45]           Le défendeur ajoute que le comportement des demandeurs ne cadre pas avec la présence d’une crainte subjective de persécution. À son avis, il était raisonnable d’estimer que le décalage entre l’agression de 2007 et le départ des demandeurs pour le Canada ne permettait pas de conclure à la présence d’une crainte subjective.

 

[46]           Selon le défendeur, la raison donnée par les demandeurs pour expliquer ce décalage ne cadre pas avec la présence d’une crainte subjective. Si les demandeurs avaient éprouvé une crainte subjective, affirme le défendeur, ils auraient pu demander tout de suite l’asile dans un pays européen voisin plutôt que de retarder leur départ afin d’amasser de l’argent pour commencer une nouvelle vie en Amérique du Nord.

 

[47]           Le défendeur ajoute que les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption de protection de l’État, présomption ne pouvant être réfutée étant donné que la Hongrie est un État démocratique, doté d’institutions judiciaires et administratives efficaces. Le défendeur s’appuie sur Chagoya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 721, pour dire que la présomption est d’autant plus forte quand le pays d’origine est un État démocratique, ayant des institutions étatiques dont le caractère indépendant et solide est mondialement reconnu, et que les pays de ce genre peuvent être distingués de certaines démocraties émergentes, où les problèmes de corruption de l’appareil d’État ou des forces policières sont flagrants. Selon le défendeur, la preuve documentaire montre que la Hongrie est un État démocratique qui respecte les droits de la personne, et qui possède des institutions judiciaires et administratives efficaces, y compris des institutions vouées expressément aux Roms.

 

[48]           Le défendeur soutient que la protection de l’État est efficace. Il renvoie à la preuve documentaire montrant qu’une enquête sur des attaques dirigées contre des Roms avait été menée et que des accusations avaient été portées, et que des mises en accusation avaient eu lieu récemment à la suite de plaintes formulées par des Roms à propos de mauvais traitements infligés par la police. Le défendeur mentionne aussi le cas des policiers qui avaient signalé la présence de messages anti‑Roms sur un site Web interne de la police nationale; une enquête avait été faite, et une formation sur la tolérance avait été donnée aux agents de police responsables des messages. En 2009, la dissolution du groupe nationaliste extrémiste de la Garde hongroise par la Cour suprême de la Hongrie confirme, selon le défendeur, l’efficacité des mesures prises récemment.

 

[49]           Citant Martinez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 502, le défendeur ajoute qu’il était raisonnable pour la Commission d’énumérer les diverses organisations d’État qui auraient pu venir en aide aux demandeurs en Hongrie.

 

[50]           Le défendeur souligne en outre que le demandeur principal n’a pas demandé la protection de la police après les agressions de 2005 et de 2007, et que le fils du demandeur principal n’a pas formulé de plainte après s’être vu refuser l’entrée à une discothèque. S’appuyant sur Chagoya, précitée, le défendeur affirme que l’absence de plainte à la police peut montrer qu’un demandeur n’a pas réussi à réfuter la présomption de protection de l’État.

 

[51]           Bien qu’un agent de police ait été au nombre des agresseurs dans la présente affaire, le défendeur soutient que le demandeur principal était quand même tenu de demander de l’aide à d’autres instances gouvernementales. Le défendeur s’appuie sur Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 136, pour dire « qu’un demandeur peut se prévaloir de la protection de l’État sans nécessairement se tourner vers la police » (au paragraphe 22).

 

[52]           Le défendeur renvoie aussi à plusieurs décisions rendues récemment dans lesquelles la Cour a déterminé qu’il n’était pas déraisonnable de conclure qu’un demandeur d’asile rom de la Hongrie avait une crainte non fondée de persécution et qu’il pouvait obtenir une protection adéquate et efficace de l’État. Voir Jantyik c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 798, Molnar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 530, et Matte c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 761.

 

[53]           Le défendeur soutient que les conclusions défavorables quant à la crédibilité étaient également raisonnables. Il affirme que la Commission a agi raisonnablement en exigeant d’autres documents sur l’agression de 2007. Le défendeur souligne qu’aux termes de l’article 7 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, 2002-228, le demandeur d’asile « transmet à la Section des documents acceptables pour établir son identité et les autres éléments de sa demande. S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour s’en procurer ». Citant Encinas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 61, le défendeur affirme que la crédibilité d’une demandeur d’asile peut être mise en doute si la Commission n’a pas « entre les mains la preuve qu’elle aurait voulu obtenir » (au paragraphe 21).

 

[54]           Étant donné qu’il a reçu des soins médicaux après chaque agression, le demandeur principal aurait dû être en mesure de produire des documents. Son explication selon laquelle il n’avait pas apporté de documents parce qu’il ne s’attendait pas à comparaître devant un tribunal ne concorde pas avec son témoignage selon lequel il connaissait le processus de demande d’asile avant de quitter la Hongrie.

 

[55]           Le défendeur affirme de plus qu’il était raisonnable pour la Commission de conclure que le témoignage du demandeur principal était parfois invraisemblable et incohérent. Selon le ministre, le problème tient aux incohérences relevées entre le FRP du demandeur principal et son témoignage en ce qui concerne l’enquête de police. Citant Kirac c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 362, le défendeur soutient qu’un conclusion défavorable quant à la crédibilité est raisonnable quand « de nombreuses invraisemblances, incohérences et contradictions » sont relevées entre le témoignage et le FRP d’un demandeur (au paragraphe 26).

 

IX. Analyse

Norme de contrôle

[56]           La question de savoir si les demandeurs ont établi qu’ils craignent avec raison d’être persécutés est une question mixte de fait et de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. La norme de la décision raisonnable s’applique aussi à la conclusion de la Commission selon laquelle la protection de l’État existe et à ses conclusions défavorables quant à la crédibilité (Kallai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 729); Mohmadi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 884).

 

[57]           Étant donné que la norme de la décision raisonnable s’applique, la Cour n’interviendra que si les motifs de la Commission ne sont pas justifiés, transparents et intelligibles. Pour satisfaire à cette norme, la décision doit appartenir « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

Prorogation de délai

[58]           La cour de révision a compétence pour accorder une prorogation de délai, même si le contrôle judiciaire a déjà été autorisé. La Cour a le pouvoir discrétionnaire d’accorder la prorogation d’un délai si elle le juge nécessaire dans les circonstances (Khalife c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 221, [2006] 4 RCF 437).

 

Crainte fondée de persécution

[59]           Le critère à appliquer pour établir une crainte fondée de persécution comporte un élément objectif et un élément subjectif. L’élément subjectif se rapporte à la présence d’une réelle crainte de persécution dans l’esprit du demandeur. L’élément objectif consiste à « déterminer si [la crainte] est fondée » (Rajudeen c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1984), 55 NR 129 (CAF); Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Ward, [1993] 2 RCS 689).

 

Crainte subjective de persécution

[60]           La conclusion défavorable de la Commission quant à la crédibilité, en soi, débouche raisonnablement sur la conclusion que les demandeurs n’éprouvent pas de crainte subjective. D’après Han c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 978, quand une conclusion défavorable quant à la crédibilité est tirée, « il s’ensuit naturellement que [l]a demande est rejetée sur la base de l’absence de crainte subjective de persécution (à moins qu’il y ait un fondement objectif à la crainte [...]) », (au paragraphe 21).

 

[61]           Il était raisonnable pour la Commission de conclure que le demandeur principal manquait de crédibilité parce que son témoignage ne concordait pas avec l’information donnée dans son FRP et qu’il n’avait pas fourni de preuve documentaire corroborante. La Cour a déjà statué qu’il n’est pas déraisonnable de conclure à un manque de crédibilité quand le demandeur d’asile ne fournit pas de preuve corroborante (Fatih c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 857). Il n’est peut-être pas toujours raisonnable de préférer la preuve documentaire au propre témoignage du demandeur d’asile (Coitinho c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1037). Néanmoins, quand le témoignage d’un demandeur d’asile est incohérent et manque de crédibilité, il est raisonnable d’exiger une preuve corroborante.

 

[62]           Le décalage entre l’agression qui se serait produite en 2007 et le départ pour le Canada mine également la crédibilité des demandeurs. Bien qu’un décalage ne déterminera pas en lui‑même le rejet d’une demande d’asile (Saez c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 65 FTR 317, [1993] ACF no 631 (QL/Lexis)), il peut être examiné de concert avec d’autres circonstances lorsqu’il s’agit d’établir la présence d’une crainte subjective (Huerta c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 157 NR 225, [1993] ACF no 271 (QL/Lexis) (CAF)). Étant donné les incohérences entre son témoignage et son FRP et l’absence de preuve corroborante, il est raisonnable de conclure que ce décalage mine encore plus la crédibilité du demandeur principal.

 

[63]           La Commission n’était pas déraisonnable en concluant que les demandeurs n’avaient pas de crainte subjective de persécution. Il a toutefois été confirmé que l’absence de crainte subjective n’est pas déterminante si le critère de la crainte objective est rempli. Selon Yusuf c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 629 (CA), quand la crainte objective de persécution est établie, la demande d’une personne ne peut être rejetée en raison de l’absence de crainte subjective :

[5] [...] Il est vrai, évidemment, que la définition de réfugié au sens de la Convention a toujours été interprétée comme comportant un élément subjectif et un élément objectif. L’utilité de cette dichotomie provient du fait qu’il arrive souvent qu’une personne puisse craindre subjectivement d’être persécutée alors que cette crainte n’est pas bien fondée dans les faits, c’est-à-dire, qu’elle est objectivement sans raison. L’inverse, toutefois, est beaucoup plus discutable. En effet je conçois difficilement dans quelles circonstances on pourrait affirmer qu’une personne qui, par définition, n’oublions pas, revendique le statut de réfugié, puisse avoir raison de craindre d’être persécutée et se voir quand même refusée parce que l’on prétend que cette crainte n’existe réellement pas dans son for intérieur. La définition de réfugié n’est certainement pas conçue pour exclure les personnes courageuses ou simplement stupides au profit de celles qui sont plus timides ou plus intelligentes. D’ailleurs, il répugne de penser que l’on pourrait rejeter une demande de statut de réfugié au seul motif que le revendicateur, étant un enfant de bas âge ou une personne souffrant d’une débilité mentale, était incapable de ressentir la crainte dont les éléments objectifs sont manifestement bien fondés.

 

[64]           La Cour a récemment suivi ce raisonnement dans Han, précitée.

 

[65]           Dans Kanvathipillai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 881 (CF 1re inst.), le juge Denis Pelletier a exprimé des réserves face à la démarche adoptée dans Yusuf, précitée, statuant que « l’on a raison d’insister sur la présence d’une crainte subjective de persécution, même si cela signifie que les robustes et les faibles d’esprit pourraient de ce fait être exclus de la définition de “réfugié” ». Selon le juge Pelletier, « le système des revendications du statut de réfugié a pour objet de protéger ceux qui craignent la persécution et pour lesquels il n’existe pas de protection d’État [...] C’est pour maintes raisons que l’on quitte des régions troublées, mais seules les personnes qui le font en raison d’une crainte fondée de persécution peuvent prétendre à une protection internationale. Ceux qui partent pour d’autres raisons n’ont pas le droit [...] du seul fait qu’ils auraient pu ou auraient dû avoir des craintes, même si tel n’était pas le cas » (au paragraphe 22). Dans Maqdassy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 182 (CF 1re inst.), la juge Tremblay-Lamer a également statué que l’élément subjectif du critère « suffit en soi pour que la demande soit rejetée » (au paragraphe 10).

 

[66]           Les circonstances particulières des demandeurs ne suffisent pas à établir que leur crainte est objectivement fondée. Puisqu’il était raisonnable pour la Commission de conclure à l’absence de crainte objective ou subjective, la règle établie dans Yusuf, précitée, ne permet pas de trancher la présente demande. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de résoudre la tension entre Yusuf et Kanvathipillai, précitées.

 

Crainte objective de persécution

[67]           Pour satisfaire au critère de l’élément objectif, la crainte de persécution des demandeurs doit être fondée (Rajudeen, précité). Les demandeurs doivent établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils sont exposés à un risque de persécution supérieur à « une possibilité minimale ou à une simple possibilité ». Ils ne sont toutefois pas tenus d’établir une probabilité de persécution (Ponniah, précité; Cordova c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 309).

 

[68]           Pour savoir si la situation que subissent les demandeurs équivaut à de la persécution, il faut déterminer si leurs droits fondamentaux de la personne sont menacés « de façon importante » (Chan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 RCS 593, au paragraphe 70; Sadeghi-Pari c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 282). En tranchant cette question, la Commission doit tenir compte de l’effet cumulatif des incidents de persécution (Munderere c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 84).

 

[69]           La preuve documentaire sur la situation générale qui règne en Hongrie pour les Roms soulève de graves préoccupations quant aux droits de la personne. Les obstacles en matière d’éducation, d’emploi, de logement, d’économie et de santé ainsi que la violence dirigée contre les Roms dont la preuve fait état montrent que les conditions dans lesquelles certains Roms vivent en Hongrie pourraient équivaloir à de la persécution.

 

[70]           Une demande d’asile valable comporte à la fois un élément de crainte subjective et un élément de crainte objective. La crainte objective ne doit pas être évaluée dans l’abstrait. Pour exister, « la preuve objective doit être reliée à la situation spécifique des demandeurs » (Sahiti, précitée). Le fait que la preuve montre la violation systématique ou généralisée des droits de la personne ne suffit pas à établir « la crainte de persécution spécifique et individualisée chez [un] défendeur en particulier » (Ahmad, précitée).

 

[71]           Il était raisonnable de conclure que les circonstances particulières des demandeurs ne satisfaisaient pas au critère de l’élément objectif. Les demandeurs sont suffisamment intégrés à la société hongroise pour qu’il soit possible de conclure raisonnablement qu’ils ne sont pas exposés à plus qu’une simple possibilité de persécution. Le demandeur principal a appris un métier, qu’il a pu exercer. En outre, il a servi plus d’une fois dans l’armée hongroise. Le demandeur principal avait accès à des soins de santé, comme le montre le traitement médical qu’il a reçu après avoir subi les agressions alléguées. Les enfants recevaient une éducation dont la qualité était suffisante pour inciter les demandeurs à repousser leur départ pour le Canada.

 

[72]           Bien que la preuve documentaire générale donne à penser que les Roms font face à une possibilité de persécution en Hongrie, ce n’est pas le cas des demandeurs en l’espèce. Étant donné les circonstances particulières des demandeurs, la possibilité de persécution ne satisfait pas au critère établi dans Ponniah, précité.

 

Protection de l’État

[73]           La Commission a raisonnablement déterminé que les demandeurs ne craignaient pas avec raison d’être persécutés. Par conséquent, la Cour n’a pas besoin d’évaluer le caractère raisonnable de la conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs pouvaient bénéficier d’une protection de l’État adéquate et efficace.

 

[74]           Lorsqu’il faut déterminer si un demandeur d’asile peut obtenir la protection de l’État, le soussigné a déjà souligné que « la preuve de l’amélioration et des progrès réalisés par l’État ne constitue pas une preuve que les mesures actuelles équivalent à une protection efficace » (Kovacs, précitée). De plus, lorsqu’elle doit déterminer si la protection de l’État est offerte, la Commission doit « procéder à une analyse individualisée qui tienne compte de la situation personnelle du demandeur » (Horvath , précitée).

 

Personne à protéger

[75]           La Commission n’a pas fourni de motifs détaillés pour expliquer pourquoi elle avait conclu que les demandeurs n’étaient pas des personnes à protéger au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR. Néanmoins, il était raisonnable pour la Commission de conclure que les demandeurs ne seraient pas exposés à un risque de torture au sens de l’alinéa 97(1)a) de la LIPR, le dossier ne contenant en effet aucun élément de preuve qui montrerait l’existence d’un tel risque.

 

[76]           Il était également raisonnable de conclure que le renvoi n’aurait pas pour effet d’exposer les demandeurs à une menace pour leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités. Pour être visés par l’alinéa 97(1)b) de la LIPR, les demandeurs doivent prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il est plus probable que le contraire qu’ils soient exposés à un risque aux termes de l’alinéa 97(1)b) de la LIPR (Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 1). Ce critère est plus élevé que celui qui s’applique à l’article 96 de la LIPR, selon lequel le demandeur d’asile doit démontrer que le risque représente plus qu’une simple possibilité (Ponniah, précité). Étant donné que les demandeurs n’ont pu démontrer qu’ils craignaient avec raison d’être persécutés selon le critère moins rigoureux qui s’applique à l’article 96 de la LIPR, il s’ensuit qu’ils ne respectent pas non plus, d’après leur preuve, le critère plus élevé de la prépondérance des probabilités qui s’applique à l’article 97 de la LIPR.

 

X. Conclusion

[77]           Pour tous les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs est rejetée. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

 

Opinion incidente concernant le paragraphe 68 ci‑dessus

            La ligne de démarcation entre discrimination et persécution est mince en droit des réfugiés.

 

            Dans les affaires de cette nature, la distinction est faite comme l’indique la jurisprudence des cours supérieures, discutée et citée ci‑dessus.

 

            Un jour, dans un monde plus évolué, une norme plus douce et plus clémente s’appliquera peut-être et fera disparaître la distinction entre les deux, tout comme la notion de traitement séparé, mais égal disparaît graduellement (dans certains États). Cependant, les normes jurisprudentielles en droit international n’ont pas, à ce jour, évolué en ce sens (en ce qui concerne la fluidité de la démarcation entre discrimination et persécution).

 

            Pourquoi faudrait-il que l’enfant ou, du reste, l’adulte qui, pour les mêmes raisons que celles qui l’exposeraient ou pourraient l’exposer à des actes de persécution, est victime de discrimination dans un pays quelconque, soit privé du droit de demander l’asile (parce que le niveau de la persécution n’est pas atteint)?

 

Les normes internationales en droit des réfugiés ne permettent pas encore d’accorder le statut de réfugié au demandeur d’asile qui subit de la discrimination (sans que la discrimination n’atteigne le niveau défini pour équivaloir à de la persécution). Il est à espérer que les pays d’origine seront incités à en faire davantage pour favoriser le respect des droits de la personne dans leur propre État, et l’avenir nous dira si cet espoir se concrétisera.

 

            Le juge a pour mandat d’interpréter la loi et la jurisprudence en général, et plus particulièrement la jurisprudence des cours supérieures. La trajectoire du droit et son interprétation évoluent par le truchement de la jurisprudence, comme la notion d’« arbre vivant », évoquée par Lord Stankey, prend place dans le droit constitutionnel et se retrouvera peut‑être un jour dans le droit des réfugiés. Toutefois, cette branche du droit international n’est pas encore rendue là et, par conséquent, l’interprétation de la convention sur les réfugiés n’a pas encore atteint cette étape. Elle l’atteindra peut-être un jour, mais pour l’instant, le monde a encore du chemin à faire. (Il faut reconnaître que l’amélioration continue des droits de la personne est la responsabilité des pays sources de réfugiés; autrement, il incomberait uniquement aux pays accueillant des réfugiés, plutôt qu’aux pays sources de réfugiés, d’améliorer leur bilan au chapitre des droits de la personne, dans le cadre de la communauté des nations, si, en fait, les normes législatives internationales devaient faire évoluer la condition humaine.)

 

            Par conséquent, la Cour n’a d’autre choix que d’établir la démarcation entre discrimination et persécution, à l’image de la jurisprudence des cours supérieures. Les cours supérieures ont reconnu l’état du monde civilisé dans lequel elles se trouvent elles‑mêmes, où la rencontre entre le réel et l’idéal ne s’est pas encore produite à cet égard.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1144-12

 

INTITULÉ :                                      ZOLTAN CSONKA,

ZOLTANNE CSONKA,

SZABINA CSONKA,

ZOLTAN CSONKA,

ALEXANDRA KATALIN CSONKA,

c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 4 septembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 7 septembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Serban Mihai Tismanariu

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Mario Blanchard

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Serban Mihai Tismanariu

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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