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Date : 20120831

Dossier : T‑56‑11

Référence : 2012 CF 1027

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 août 2012

En présence de Mme la juge Gleason

 

 

ENTRE :

 

ZABIA CHAMBERLAIN

 

 

 

demanderesse

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse, Zabia Chamberlain, employée du ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences [RHDCC], a fait une longue carrière dans la fonction publique fédérale. En 2006, elle s’est vue offrir, et a accepté, un poste intérimaire exclu de niveau EX‑01. Elle affirme que la charge de travail qui lui a été imposée dans le cadre de ce poste était excessive et qu’elle a fait l’objet d’un harcèlement constant de la part du superviseur duquel elle relevait. La situation a atteint un point critique en avril 2008 lorsque son superviseur a juré et crié après elle. Mme Chamberlain affirme que son superviseur a l’aurait également intimidée physiquement et qu’à d’autres occasions, il aurait tenu des propos qu’elle a estimés sexuellement suggestifs et déplacés.

 

[2]               En avril 2008, Mme Chamberlain a porté plainte auprès du sous‑ministre adjoint, de qui relevait son superviseur. Mme Chamberlain est tombée malade peu de temps après et n’a pas repris le travail depuis. Le sous‑ministre adjoint a fait enquête sur la plainte portée par Mme Chamberlain et a conclu que le superviseur de Mme Chamberlain avait violé la politique sur le harcèlement du Conseil du Trésor. Malgré tout insatisfaite du rapport d’enquête, Mme Chamberlain a entamé de longs échanges avec RHDCC à ce propos. La correspondance entre Mme Chamberlain, ses collègues de travail et RHDCC, qui compte quatorze recueils de documents, constitue d’ailleurs une bonne partie du dossier qui a été soumis à la Cour dans le cadre de la présente demande.

 

[3]               L’affectation intérimaire de Mme Chamberlain au poste EX‑01 a pris fin à la date initialement prévue, le 6 octobre 2008, malgré le fait qu’elle était alors absente pour cause de maladie. RHDCC a offert à Mme Chamberlain de la réintégrer à son poste d’attache de niveau ES‑07 au sein d’un autre service de RHDCC, mais Mme Chamberlain affirme qu’en raison de son état de santé, il lui est impossible de travailler aux endroits qui lui ont été offerts. Elle affirme également qu’on devrait continuer à la rémunérer au niveau EX‑01 et soutient que, contrairement à ce qui lui avait été promis, on l’a en quelque sorte empêchée de se porter candidate aux postes vacants de niveau EX‑01 parce que son ancien superviseur, contre qui elle avait porté plainte, était la personne qui avait organisé les concours visant à pourvoir à ces postes.

 

[4]               Le 3 décembre 2008, Mme Chamberlain a déposé un grief dans lequel elle se plaignait de plusieurs choses, dont le traitement que lui avait réservé son superviseur, l’enquête menée par le sous‑ministre adjoint, le contenu du rapport d’enquête, son incapacité de se porter candidate aux postes EX‑01 affichés et la perte du salaire de son poste EX‑01, la présumée indifférence de RHDCC en ce qui concerne son obligation d’assurer sa santé et sa sécurité conformément à la partie II du Code du travail du Canada, LRC, 1985, c L‑2) [le Code], le présumé défaut de RHDCC de tenir compte de ses besoins et la discrimination dont elle affirme avoir été victime en tant que femme, membre d’une minorité visible et personne atteinte d’une déficience. Mme Chamberlain a renvoyé son grief à l’arbitrage en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, LC 2003, c 22, art 2 [la LRTFP ou la Loi]. Elle a également saisi la Commission des relations de travail dans la fonction publique [la CRTFP ou la Commission] de quatre plaintes dans lesquelles elle alléguait que son employeur n’avait pas respecté son obligation de lui assurer un milieu de travail sécuritaire au sens du Code et avait exercé des représailles contre elle, contrairement au Code.

 

[5]               Dans une décision datée du 13 décembre 2010, l’arbitre Filliter de la CRTFP a rejeté au stade préliminaire le grief de Mme Chamberlain, car le grief n’était pas, selon lui, arbitrable. Dans la même décision, le vice‑président Filliter a également tranché quatre plaintes fondées sur le Code et a estimé que celles‑ci n’étaient qu’en partie admissibles à l’arbitrage. Dans la présente demande, Mme Chamberlain sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle l’arbitre a rejeté son grief.

 

[6]               La compétence en matière de contrôle judiciaire des décisions de la CRTFP est partagée entre notre Cour et la Cour d’appel fédérale. Lorsqu’un commissaire siège comme arbitre de grief, sa décision est susceptible de contrôle judiciaire devant notre Cour. Toutes les autres décisions rendues par des commissaires sont susceptibles de contrôle judiciaire devant la Cour d’appel fédérale (Beirnes c Canada (Conseil du Trésor – Emploi et Immigration Canada) (1993), 67 FTR 226, 4 WDCP (2d) 555 (1re inst)). Je ne peux donc examiner que les parties de la décision dans laquelle M. Filliter s’est prononcé sur le grief de Mme Chamberlain. Les parties de la décision du commissaire portant sur les plaintes déposées en vertu du Code sont susceptibles de contrôle judiciaire devant la Cour d’appel fédérale. La Cour d’appel a d’ailleurs déjà reçu et tranché une telle demande.

 

[7]               En effet, le 8 février 2012, la Cour d’appel fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire introduite par Mme Chamberlain relativement à la partie de la décision du vice‑président Filliter relative au Code (Chamberlain c Canada (Procureur général), 2012 CAF 44 [l’arrêt Chamberlain]). Mme Chamberlain a demandé l’autorisation de former un pourvoi de cette décision devant la Cour suprême du Canada, qui a refusé d’accorder cette autorisation le 9 août 2012.

 

[8]               La présente demande de contrôle judiciaire de Mme Chamberlain comporte plusieurs arguments dont certains ont déjà été tranchés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Chamberlain. En particulier, Mme Chamberlain allègue que l’arbitre n’a pas respecté les exigences de l’équité procédurale et qu’il avait un parti pris, reprenant ainsi des arguments qu’elle avait déjà formulés dans ses demandes fondées sur le Code que la Cour d’appel fédérale a examinées et rejetées dans l’arrêt Chamberlain. Comme nous le verrons plus loin, le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, suivant lequel une question qui a déjà été tranchée entre les parties ne peut être plaidée de nouveau, et le principe du stare decisis, suivant lequel les juridictions inférieures sont liées par les décisions rendues par les juridictions supérieures, exigent que je suive la décision de la Cour d’appel fédérale sur ces questions et que je rejette les arguments invoqués par Mme Chamberlain au sujet du présumé manquement à l’équité procédurale et du présumé parti pris de l’arbitre.

 

[9]               Mme Chamberlain reproche en outre à l’arbitre d’avoir commis plusieurs erreurs donnant ouverture à révision lorsqu’il a rejeté son grief. Bien qu’elle les formule de diverses façons, il est facile de résumer les erreurs qu’elle reproche à l’arbitre en les faisant entrer essentiellement dans trois catégories distinctes. Mme Chamberlain affirme premièrement que l’arbitre a commis une erreur en concluant que le grief ne portait pas sur une mesure disciplinaire entraînant la rétrogradation ou une sanction pécuniaire au sens de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP. Deuxièmement, elle conteste le rejet par l’arbitre de son grief en faisant valoir qu’elle a signalé des violations de droits de la personne et que l’arbitre aurait dû considérer que ces allégations étaient admissibles à l’arbitrage. Enfin, elle formule plusieurs allégations qui reprennent essentiellement les prétentions qu’elle avait formulées devant la Cour d’appel fédérale au sujet des erreurs qu’elle reproche à l’arbitre d’avoir commises lorsqu’il a statué sur les plaintes formulées en vertu du Code, voire qui se rapportent au bien‑fondé des prétentions fondées sur le Code que la CRTFP n’a pas encore examinées.

 

[10]           La dernière catégorie d’erreurs n’a pas été soulevée régulièrement dans la présente demande de contrôle judiciaire étant donné qu’elle déborde le cadre de la compétence de notre Cour. Qui plus est, la Cour d’appel fédérale a déjà tranché en partie ces questions, et une autre partie des questions fait l’objet d’une instance qui a été introduite devant la CRTFP. Ce ne sont donc que les deux premières catégories de questions de fond à l’égard desquelles Mme Chamberlain affirme que l’arbitre a commis une erreur qui ont été régulièrement soulevées en l’espèce.

 

[11]           Comme je l’expliquerai plus loin, le critère de contrôle judiciaire de la décision raisonnable s’applique à la décision de l’arbitre suivant laquelle le grief de Mme Chamberlain ne porte pas sur une mesure disciplinaire entraînant la rétrogradation ou une sanction pécuniaire au sens de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP. Pour les motifs ci‑après exposés, je suis arrivée à la conclusion que la décision rendue par l’arbitre sur cette question est raisonnable, de sorte que ce motif de contrôle est rejeté.

 

[12]           Pour ce qui est du deuxième moyen que Mme Chamberlain fait valoir et qui concerne la présumée violation de ses droits de la personne, Mme Chamberlain soutient que son employeur n’a pas tenu compte de ses besoins, contrevenant ainsi à la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC, 1985, c H‑6 [la LCDP]. Elle allègue également qu’elle a été victime de discrimination en violation de la LCDP. Bien que ces moyens ne soient pas clairement formulés, Mme Chamberlain affirme dans son grief qu’elle a été victime de discrimination et que son employeur n’a rien fait pour faciliter son retour au travail. Elle mentionne également la LCDP. L’arbitre ne s’est pas prononcé sur la question de savoir si les présumées violations de la LCDP étaient susceptibles d’arbitrage et, comme je l’expliquerai plus en détail plus loin, il a ainsi commis une erreur donnant ouverture à révision. Il se peut fort bien que les allégations formulées par Mme Chamberlain au sujet de la violation de ses droits de la personne ne soient pas admissibles à l’arbitrage, mais cette question n’a pas été abordée par l’arbitre, alors qu’il aurait dû les examiner. J’estime par conséquent que l’ordonnance par laquelle l’arbitre a rejeté le grief de Mme Chamberlain doit être annulée et que l’affaire doit lui être renvoyée – s’il est disponible ou, dans le cas contraire, doit être renvoyé à un autre arbitre de la CRTFP – pour qu’il décide si l’allégation de présumées violations de la LCDP formulée par Mme Chamberlain est admissible à l’arbitrage en vertu de la LRTFP. Comme la norme de contrôle de la conclusion tirée par l’arbitre au sujet de l’arbitrabilité est celle de la décision raisonnable, c’est à l’arbitre et non à notre Cour qu’il revient de se prononcer sur cette question.

 

[13]           Lors de l’examen de la présente affaire, deux questions de preuve ont été soulevées. Mme Chamberlain a tenté de déposer des éléments de preuve complémentaires que j’ai jugés non admissibles. Je formule plus loin les raisons pour lesquelles je suis parvenue à cette conclusion. L’avocate du défendeur a également présenté une requête en vue de faire radier certaines parties du dossier soumis à la Cour, et j’ai remis à plus tard ma décision sur cette question. Pour les motifs qui suivent, je fais droit en partie à la requête en radiation du défendeur.

 

Questions en litige

[14]           Ainsi qu’il ressort de ce qui précède, les questions soulevées dans la présente affaire sont les suivantes :

1.   Quels documents ont été régulièrement soumis à la Cour dans les présentes affaires?

2.      Quelles sont les incidences de l’arrêt Chamberlain rendu par la Cour d’appel fédérale sur les allégations de parti pris et de manquements à l’équité procédurale formulées dans la présente affaire?

3.      Quelle est la norme de contrôle applicable aux parties de la décision de l’arbitre dont notre Cour est régulièrement saisie dans la présente demande?

4.      L’arbitre a‑t‑il tiré une conclusion raisonnable en estimant que, dans son grief, Mme Chamberlain n’avait pas allégué l’existence de mesures disciplinaires entraînant la rétrogradation ou une sanction pécuniaire?

5.      L’arbitre aurait‑il dû tenir compte des allégations formulées par Mme Chamberlain dans son grief au sujet des droits de la personne?

6.      Quelle est la réparation appropriée?

 

Quels documents ont régulièrement été soumis à la Cour dans les présentes affaires?

[15]           Lors de l’examen de la présente demande, Mme Chamberlain a tenté de déposer cinq affidavits supplémentaires : trois souscrits par elle‑même, datés respectivement du 6 septembre 2011, du 7 octobre 2011 et du 10 janvier 2012; un affidavit souscrit par Julie Dupuis, daté du 6 janvier 2012; enfin, l’affidavit souscrit par sa mère, Salima Dean, en date du 6 janvier 2012. Aux termes de l’ordonnance qu’elle a rendue le 14 février 2012, la protonotaire Aronovitch a jugé qu’aucun de ces affidavits n’était admissible. L’ordonnance de la protonotaire Aronovitch n’a pas été portée en appel et constitue donc une décision définitive et exécutoire en ce qui concerne l’admissibilité des cinq affidavits en question. Pour cette raison, j’ai statué, le 16 mai 2012, au cours de la seconde journée d’audience dans la présente affaire, qu’aucun des cinq affidavits ne pouvait être déposé et que je n’en tiendrai pas compte pour trancher la présente demande.

 

[16]           Comme je l’ai déjà signalé, à l’audience, l’avocate du défendeur a présenté une requête visant à faire radier des parties du dossier que Mme Chamberlain avait déposé. Plus précisément, l’avocate a tenté de faire radier tous les affidavits ou déclarations affirmatives contenues à l’onglet 5 du dossier de la demanderesse à l’exception des affidavits souscrits le 14 janvier 2011 par M. Rondeau et le 27 janvier 2011 par T. Dugas[1]. Elle a également tenté de faire radier les onglets A et B de l’onglet 6 du dossier de la demanderesse (une série de questions posées à Mme Chamberlain par son médecin traitant et par son psychologue ainsi que les réponses données par Mme Chamberlain) et tous les documents postérieurs à la décision de l’arbitre[2]. On y trouve de nombreux documents que Mme Chamberlain avait obtenus de RHDCC par suite des demandes qu’elle avait faites en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC, 1985, c P‑21, ainsi que les pièces qui avaient été déposées devant la CRTFP dans le cadre des audiences en cours portant sur les éléments des plaintes fondées sur le Code présentées par Mme Chamberlain que le vice‑président Filliter avait jugés arbitrables.

 

[17]           La règle générale, qui a été qualifiée de « principe bien établi » veut que, dans une demande de contrôle judiciaire, les seuls éléments de preuve dont on peut tenir compte sont ceux dont disposait l’auteur de la décision (voir, par ex., Première nation d’Ochapowace c Canada (Procureur général), 2007 CF 920, au paragraphe 9, 316 FTR 19 [la décision Première nation d’Ochapowace]; Slaeman c Canada (Procureur général), 2012 CF 641, au paragraphe 15). Cette règle souffre une exception dans des cas limités, notamment lorsqu’une nouvelle preuve est produite au soutien d’un argument intéressant l’équité procédurale ou la compétence ou lorsque les nouveaux éléments de preuve sont considérés comme des renseignements généraux susceptibles d’aider la Cour (décision Première nation d’Ochapowace, au paragraphe 9).

 

[18]           Les documents contestés aux onglets 5 et 6 du dossier se rapporteraient aux allégations formulées par Mme Chamberlain au sujet de l’équité procédurale, étant donné qu’ils renferment des éléments de preuve que l’arbitre a refusé d’admettre en preuve (commettant ainsi, selon la demanderesse, un manquement à l’équité procédurale). J’ai par conséquent décidé de ne pas radier ces documents du dossier. Bien que l’arrêt Chamberlain rendu par la Cour d’appel fédérale entraîne nécessairement le rejet des allégations en question, le dossier a été constitué avant que la décision ne soit rendue et avant que les questions d’équité procédurale et de parti pris ne me soient soumises. Par conséquent, les éléments de preuve se rapportant à ces questions font régulièrement partie du dossier (et ce, même si les allégations elles‑mêmes doivent être rejetées pour les motifs ci‑après exposés).

 

[19]           Les autres documents contestés sont toutefois postérieurs à la décision de l’arbitre, qui ne les avait donc pas en main et ils ne tombent pas sous le coup de l’une des exceptions susmentionnées. Compte tenu de la date à laquelle ils ont été créés, ils ne peuvent fournir d’éclaircissements au sujet de l’audience qui s’est déroulée devant l’arbitre et ils ne concernent pas sa compétence. Les documents contenus aux onglets 8, 9, 10, D et E1 et 11A, B, C, D, E et F du dossier de la demanderesse ne sont donc pas admissibles dans la présente demande et ils seront radiés du dossier. Je n’en ai donc pas tenu compte pour rendre ma décision.

 

Quelles sont les incidences de l’arrêt Chamberlain rendu par la Cour d’appel fédérale sur les allégations de parti pris et de manquements à l’équité procédurale formulées dans la présente affaire?

 

[20]           Pour ce qui est des allégations formulées par Mme Chamberlain au sujet des manquements à l’équité procédurale et de l’existence d’un parti pris, comme je l’ai déjà signalé, la Cour d’appel fédérale a examiné et rejeté pratiquement les mêmes allégations dans l’arrêt Chamberlain. D’ailleurs, les observations écrites que Mme Chamberlain a présentées devant notre Cour et devant la Cour d’appel fédérale sur ces points précis se ressemblent beaucoup. Dans les deux instances, elle allègue qu’on ne lui a pas permis de faire valoir pleinement son point de vue, que l’on n’a pas tenu suffisamment compte des éléments de preuve qu’elle avait présentés et de la jurisprudence qu’elle avait citée et que l’arbitre n’a pas cité à comparaître des témoins qu’elle voulait faire entendre. La Cour d’appel a conclu que, même si Mme Chamberlain n’était peut‑être pas d’accord avec la décision et les motifs, son droit à l’équité procédurale avait été respecté et qu’il y avait absence de crainte raisonnable de partialité.

 

[21]           Le défendeur affirme que Mme Chamberlain ne peut soumettre ces questions à notre Cour en raison de l’application de la doctrine de l’abus de procédure, comme le souligne la Cour suprême du Canada dans Toronto (Ville) c S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 RCS 77 [l’arrêt Ville de Toronto]. Je ne suis pas de cet avis. La doctrine de l’abus de procédure ne s’applique normalement pas lorsque le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’applique. Pour les motifs qui suivent, j’estime que le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’applique en l’espèce. De plus, le principe du stare decisis empêche Mme Chamberlain de plaider de nouveau les questions du parti pris et du manquement à l’équité procédurale. Ainsi, bien que je sois d’accord avec l’avocate du défendeur pour dire que ces questions ne peuvent être plaidées de nouveau, je diverge d’opinion avec elle quant à la raison de l’interdiction.

 

[22]           Le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, qui est un volet de la doctrine plus large de la chose jugée, est d’empêcher quelqu’un d’attaquer indirectement une décision. Pour que le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’applique, trois conditions doivent être réunies : premièrement, il faut que les parties ou leurs ayants droit soient les mêmes dans les deux affaires; deuxièmement, une décision définitive doit avoir été rendue dans la première affaire; troisièmement, la même question doit avoir été tranchée dans la première affaire (Danyluk c Ainsworth Technologies, 2001 CSC 44, au paragraphe 25, [2001] 2 RCS 460 [l’arrêt Danyluk]). Lorsque ces trois conditions sont réunies, la question ne peut être plaidée de nouveau.

 

[23]           Il existe d’importantes raisons de principe qui sous‑tendent la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Ainsi que la Cour suprême du Canada l’a expliqué dans Colombie‑Britannique (Workers’ Compensation Board) c Figliola, 2011 CSC 52, au paragraphe 34, [2011] 3 RCS 422 [l’arrêt BC Workers], la bonne façon de contester une conclusion de droit est d’interjeter appel ou d’introduire une demande de contrôle judiciaire, et non de procéder à une contestation indirecte ou d’introduire une instance devant un autre tribunal. La Cour a résumé de la façon suivante les principes applicables :

                     La capacité de se fier au caractère définitif d’une décision sert l’intérêt public et celui des parties.

 

                     Le respect du caractère définitif d’une décision judiciaire ou administrative renforce l’équité et l’intégrité des tribunaux judiciaires et administratifs ainsi que de l’administration de la justice; à l’opposé, la remise en cause de questions déjà tranchées par un forum compétent peut miner la confiance envers l’équité et l’intégrité du système en créant de l’incohérence et en suscitant des recours faisant inutilement double emploi.

 

                     La contestation de la validité ou du bien‑fondé d’une décision judiciaire ou administrative se fait au moyen de la procédure d’appel ou de contrôle judiciaire prévue par le législateur.

 

                     Les parties ne doivent pas éluder le mécanisme de révision prévu en s’adressant à un autre forum pour contester une décision judiciaire ou administrative.

 

                     En évitant les remises en cause inutiles, on évite le gaspillage de ressources.

 

[BC Workers, au paragraphe 34, renvois omis.]

 

 

[24]           Toutes les conditions nécessaires pour que s’applique la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée sont réunies en l’espèce. Premièrement, les parties sont exactement les mêmes que celles qui étaient devant la Cour d’appel dans l’affaire Chamberlain. Deuxièmement, comme la Cour suprême du Canada a rejeté la demande présentée par Mme Chamberlain pour obtenir l’autorisation d’interjeter appel de la décision de la Cour d’appel fédérale, il n’y a aucun doute que la décision de la Cour d’appel fédérale est définitive. Troisièmement, comme je l’ai déjà précisé, la demande que Mme Chamberlain a soumise à la Cour d’appel soulève des questions identiques à celles qui sont portées à notre connaissance en l’espèce, de sorte que les questions sur lesquelles la Cour d’appel s’est penchée sont identiques à celles qui me sont soumises en l’espèce. La doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée entraîne donc le rejet des arguments formulés par Mme Chamberlain au sujet des manquements à l’équité procédurale et de l’existence d’un parti pris.

 

[25]           Il y a une autre raison pour laquelle les arguments en question doivent être rejetés, en l’occurrence le principe du stare decisis, suivant lequel un tribunal d’instance inférieure est lié par l’énoncé des règles de droit applicables formulé par un tribunal de niveau supérieur en réponse à un appel interjeté de la décision de la juridiction inférieure. Le juge Rothstein (alors juge à la Cour d’appel fédérale) explique ce qui suit dans Canada (Commissaire à la concurrence) c Superior Propane Inc, 2003 CAF 53, au paragraphe 54, [2003] ACF no 151 : « Le principe du stare decisis est évidemment bien connu des avocats et des juges. Les tribunaux inférieurs doivent suivre le droit tel qu’il est interprété par une juridiction supérieure du même ordre de juridiction. Ils ne peuvent refuser de le faire » [renvois omis]. La Cour d’appel fédérale statue sur les appels interjetés des décisions de notre Cour et a tranché précisément la même question que celle qui m’est soumise en l’espèce en ce qui concerne le présumé parti pris dont aurait fait preuve l’arbitre et l’allégation qu’il a violé les principes d’équité procédurale. Par conséquent, je suis liée par l’arrêt Chamberlain et c’est également pour cette raison que les allégations formulées par Mme Chamberlain au sujet du parti pris et de l’équité procédurale doivent être rejetées.

 

Quelle est la norme de contrôle applicable aux parties de la décision de l’arbitre dont notre Cour est saisie dans la présente demande?

 

[26]           La question suivante à trancher concerne la norme de contrôle à appliquer en ce qui concerne les questions qui ont été régulièrement soumises à notre Cour. On se souviendra qu’il faut se poser les deux questions suivantes : Premièrement, l’arbitre a‑t‑il commis une erreur en estimant que le grief ne portait pas sur une mesure disciplinaire entraînant une rétrogradation ou une sanction pécuniaire au sens de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP? Deuxièmement, l’arbitre a‑t‑il commis une erreur en ne tenant pas compte des allégations relatives aux droits de la personne formulées par Mme Chamberlain?

 

[27]           Commençons par la question la plus simple, celle de la norme de contrôle qui s’applique aux allégations formulées par Mme Chamberlain au sujet des droits de la personne. La Cour d’appel fédérale s’est récemment penchée sur une question semblable dans Turner c Canada (Procureur général), 2012 CAF 159, [2012] ACF no 666 [l’arrêt Turner]. Dans cette affaire, la Cour était saisie d’une demande visant une décision du Tribunal canadien des droits de la personne. Le demandeur alléguait que le Tribunal n’avait pas tenu compte du motif de discrimination invoqué dans sa plainte. La Cour a estimé qu’il n’y avait pas lieu de faire preuve de retenue envers la décision du Tribunal à cet égard et qu’il revenait à la cour de révision de décider si le tribunal d’instance inférieure avait fait défaut d’examiner une question qui lui avait été soumise (paragraphe 43). Ainsi, en ce qui concerne l’argument de Mme Chamberlain suivant lequel l’arbitre a commis une erreur en rejetant les allégations qu’elle avait formulées au sujet des droits de la personne, il n’y a pas lieu de faire preuve de retenue à l’égard de la décision de l’arbitre, et il appartient à la Cour de décider si l’arbitre a fait défaut d’aborder une question que la demanderesse avait soulevée dans son grief.

 

[28]           En ce qui concerne la norme applicable au contrôle de la conclusion de l’arbitre suivant laquelle le grief ne se rapportait pas à une mesure disciplinaire entraînant la rétrogradation ou une sanction pécuniaire au sens de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP, la jurisprudence qui existe sur la question est contradictoire.

 

[29]           Mme Chamberlain semble soutenir que la norme applicable est celle de la décision correcte, étant donné qu’elle affirme que la conclusion tirée par l’arbitre est erronée. L’avocate du défendeur soutient en revanche que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable au motif que la jurisprudence a établi que cette norme était celle qui s’applique au contrôle d’une interprétation faite par la CRTFP de l’alinéa 209(1)b) de la Loi (citant à cet égard Canada (Procureur général) c Amos, 2011 CAF 38, 330 DLR (4th) 603 [l’arrêt Amos] et Lindsay c Canada (Procureur général), 2010 CF 389, 369 FTR 64 [la décision Lindsay]). L’avocate fait valoir, à titre subsidiaire, que l’application des quatre facteurs de « l’analyse pragmatique et fonctionnelle » qui ont été réaffirmés dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 64, [2008] 1 RCS 190 [l’arrêt Dunsmuir] donne également lieu à l’application de la norme de la décision raisonnable, compte tenu de l’existence d’une clause privative rigoureuse dans la LRTFP, de l’objet de la LRTFP, de la mission confiée à la CRTFP, en l’occurrence celle de favoriser le règlement expéditif des conflits en milieu de travail, de la nature de la question soumise à l’arbitre et, de façon plus générale, de la compétence spécialisée que possèdent les arbitres de la CRTFP en ce qui concerne l’interprétation de la portée de la compétence qui leur est conférée aux termes de l’alinéa 209(1)b) de la Loi.

 

[30]           Pour bien situer la question dans son contexte, il est utile d’examiner les dispositions législatives applicables. Les articles 208 et 209 de la LRTFP précisent les questions pouvant faire l’objet d’un grief et celles que les fonctionnaires fédéraux peuvent renvoyer à l’arbitrage. De façon générale, ces dispositions confèrent aux employés de la fonction publique fédérale des droits étendus qui leur permettent de déposer un grief concernant pratiquement toute question se rapportant au milieu de travail, tout en délimitant la portée des questions qui peuvent être soumises à l’arbitrage de la CRTFP. Voici les dispositions pertinentes de ces articles :

 

Droit du fonctionnaire

 

208. (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (7), le fonctionnaire a le droit de présenter un grief individuel lorsqu’il s’estime lésé :

 

a) par l’interprétation ou l’application à son égard :

 

 

(i) soit de toute disposition d’une loi ou d’un règlement, ou de toute directive ou de tout autre document de l’employeur concernant les conditions d’emploi,

 

(ii) soit de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

 

b) par suite de tout fait portant atteinte à ses conditions d’emploi.

 

Réserve

 

(2) Le fonctionnaire ne peut présenter de grief individuel si un recours administratif de réparation lui est ouvert sous le régime d’une autre loi fédérale, à l’exception de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

 

[...]

 

Réserve

 

(4) Le fonctionnaire ne peut présenter de grief individuel portant sur l’interprétation ou l’application à son égard de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale qu’à condition d’avoir obtenu l’approbation de l’agent négociateur de l’unité de négociation à laquelle s’applique la convention collective ou la décision arbitrale et d’être représenté par cet agent.

 

[...]

 

Renvoi d’un grief à l’arbitrage

 

209. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

 

 

 

a) soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

 

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

 

c) soit, s’il est un fonctionnaire de l’administration publique centrale :

 

(i) la rétrogradation ou le licenciement imposé sous le régime soit de l’alinéa 12(1)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques pour rendement insuffisant, soit de l’alinéa 12(1)e) de cette loi pour toute raison autre que l’insuffisance du rendement, un manquement à la discipline ou une inconduite,

 

[...]

 

Application de l’alinéa (1)a)

 

 

(2) Pour que le fonctionnaire puisse renvoyer à l’arbitrage un grief individuel du type visé à l’alinéa (1)a), il faut que son agent négociateur accepte de le représenter dans la procédure d’arbitrage.

Right of employee

 

208. (1) Subject to subsections (2) to (7), an employee is entitled to present an individual grievance if he or she feels aggrieved

 

(a) by the interpretation or application, in respect of the employee, of

 

(i) a provision of a statute or regulation, or of a direction or other instrument made or issued by the employer, that deals with terms and conditions of employment, or

 

(ii) a provision of a collective agreement or an arbitral award; or

 

(b) as a result of any occurrence or matter affecting his or her terms and conditions of employment.

Limitation

 

(2) An employee may not present an individual grievance in respect of which an administrative procedure for redress is provided under any Act of Parliament, other than the Canadian Human Rights Act.

 

[...]

 

Limitation

 

(4) An employee may not present an individual grievance relating to the interpretation or application, in respect of the employee, of a provision of a collective agreement or an arbitral award unless the employee has the approval of and is represented by the bargaining agent for the bargaining unit to which the collective agreement or arbitral award applies.

 

 

 

[...]

 

Reference to adjudication

 

 

209. (1) An employee may refer to adjudication an individual grievance that has been presented up to and including the final level in the grievance process and that has not been dealt with to the employee’s satisfaction if the grievance is related to

 

(a) the interpretation or application in respect of the employee of a provision of a collective agreement or an arbitral award;

 

(b) a disciplinary action resulting in termination, demotion, suspension or financial penalty;

 

 

(c) in the case of an employee in the core public administration,

 

(i) demotion or termination under paragraph 12(1)(d) of the Financial Administration Act for unsatisfactory performance or under paragraph 12(1)(e) of that Act for any other reason that does not relate to a breach of discipline or misconduct, or

 

 

 

[...]

 

Application of paragraph (1)(a)

 

(2) Before referring an individual grievance related to matters referred to in paragraph (1)(a), the employee must obtain the approval of his or her bargaining agent to represent him or her in the adjudication proceedings.

 

On trouvait des dispositions assez semblables dans l’ancienne loi, la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, LRC 1985, c P‑35 :

Droit du fonctionnaire

91. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et si aucun autre recours administratif de réparation ne lui est ouvert sous le régime d’une loi fédérale, le fonctionnaire a le droit de présenter un grief à tous les paliers de la procédure prévue à cette fin par la présente loi, lorsqu’il s’estime lésé :

 

a) par l’interprétation ou l’application à son égard :

 

 

(i) soit d’une disposition législative, d’un règlement ‑‑ administratif ou autre ‑‑, d’une instruction ou d’un autre acte pris par l’employeur concernant les conditions d’emploi,

 

(ii) soit d’une disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

 

b) par suite de tout fait autre que ceux mentionnés aux sous‑alinéas a)(i) ou (ii) et portant atteinte à ses conditions d’emploi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Restrictions

 

(2) Le fonctionnaire n’est pas admis à présenter de grief portant sur une mesure prise en vertu d’une directive, d’une instruction ou d’un règlement conforme à l’article 113. Par ailleurs, il ne peut déposer de grief touchant à l’interprétation ou à l’application à son égard d’une disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale qu’à condition d’avoir obtenu l’approbation de l’agent négociateur de l’unité de négociation à laquelle s’applique la convention collective ou la décision arbitrale et d’être représenté par cet agent.

 

[...]

 

92. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief portant sur :

 

a) l’interprétation ou l’application, à son endroit, d’une disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

 

b) dans le cas d’un fonctionnaire d’un ministère ou secteur de l’administration publique fédérale spécifié à la partie I de l’annexe I ou désigné par décret pris au titre du paragraphe (4), soit une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire, soit un licenciement ou une rétrogradation visé aux alinéas 11(2)f) ou g) de la Loi sur la gestion des finances publiques;

 

c) dans les autres cas, une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la suspension ou une sanction pécuniaire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Approbation de l’agent négociateur

 

(2) Pour pouvoir renvoyer à l’arbitrage un grief du type visé à l’alinéa (1)a), le fonctionnaire doit obtenir, dans les formes réglementaires, l’approbation de son agent négociateur et son acceptation de le représenter dans la procédure d’arbitrage.

 

[...]

Right of employee

91. (1) Where any employee feels aggrieved

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(a) by the interpretation or application, in respect of the employee, of

 

(i) a provision of a statute, or of a regulation, by‑law, direction or other instrument made or issued by the employer, dealing with terms and conditions of employment, or

 

(ii) a provision of a collective agreement or an arbitral award, or

 

(b) as a result of any occurrence or matter affecting the terms and conditions of employment of the employee, other than a provision described in subparagraph (a)(i) or (ii),

in respect of which no administrative procedure for redress is provided in or under an Act of Parliament, the employee is entitled, subject to subsection (2), to present the grievance at each of the levels, up to and including the final level, in the grievance process provided for by this Act.

 

Limitation

 

(2) An employee is not entitled to present any grievance relating to the interpretation or application, in respect of the employee, of a provision of a collective agreement or an arbitral award unless the employee has the approval of and is represented by the bargaining agent for the bargaining unit to which the collective agreement or arbitral award applies, or any grievance relating to any action taken pursuant to an instruction, direction or regulation given or made as described in section 113.

 

 

 

[...]

 

92. (1) Where an employee has presented a grievance, up to and including the final level in the grievance process, with respect to

 

 

 

(a) the interpretation or application in respect of the employee of a provision of a collective agreement or an arbitral award,

 

(b) in the case of an employee in a department or other portion of the public service of Canada specified in Part I of Schedule I or designated pursuant to subsection (4), (i) disciplinary action resulting in suspension or a financial penalty, or

(ii) termination of employment or demotion pursuant to paragraph 11(2)(f) or (g) of the Financial Administration Act, or

 

 

(c) in the case of an employee not described in paragraph (b), disciplinary action resulting in termination of employment, suspension or a financial penalty,

and the grievance has not been dealt with to the satisfaction of the employee, the employee may, subject to subsection (2), refer the grievance to adjudication.

 

 

Approval of bargaining agent

 

(2) Where a grievance that may be presented by an employee to adjudication is a grievance described in paragraph (1)(a), the employee is not entitled to refer the grievance to adjudication unless the bargaining agent for the bargaining unit, to which the collective agreement or arbitral award referred to in that paragraph applies, signifies in the prescribed manner its approval of the reference of the grievance to adjudication and its willingness to represent the employee in the adjudication proceedings.

 

[...]

 

 

[31]           Ces dispositions ont fait l’objet d’un grand nombre de litiges visant une foule de questions, y compris celles de la portée du contrôle que la Cour peut exercer sur les décisions de la CRTFP (ou de son prédécesseur, la Commission des relations de travail dans la Fonction publique [la CRTFP]). Dans la majorité des décisions plus anciennes (rendues avant l’arrêt Dunsmuir de la Cour suprême du Canada), la Cour a estimé que la norme de contrôle applicable aux décisions de la CRTFP était celle de la décision correcte en ce qui concerne la compétence de la CRTFP (voir, par ex., Marin c Canada (Conseil du Trésor), 2007 CF 1250, 320 FTR 119; Chadwick c Canada (Procureur général), 2004 CF 503, [2004] ACF no 605; Canada (Procureur général) c Marinos, [2000] 4 CF 98, 186 DLR (4th) 517). Dans ces décisions, la Cour a estimé que la loi définissait le cadre de la compétence de la Commission en précisant les questions pouvant être soumises à l’arbitrage et, par conséquent, que l’article qui correspond à l’article 209 actuel de la LRTFP était une disposition relative à la compétence qui commandait l’application de la norme de contrôle de la décision correcte.

 

[32]           Dans ses décisions plus récentes, la Cour a toutefois appliqué la norme de la décision raisonnable (voir, par ex., la décision Lindsay, aux paragraphes 36 à 38, et Kagimbi c Canada (Procureur général), 2011 CF 527, au paragraphe 15), en s’inspirant de l’arrêt Dunsmuir et de la jurisprudence rendue dans la foulée de cet arrêt qui militait en faveur d’une norme de contrôle judiciaire empreinte de plus de déférence. Qui plus est, dans plusieurs arrêts récents concernant d’autres types de décisions rendues par la CRTFP en vertu d’autres articles de la LRTFP, la Cour d’appel fédérale a également jugé que la norme applicable était celle de la décision raisonnable (voir, par ex., l’arrêt Amos, au paragraphe 33, précité au paragraphe 29; Alliance de la fonction publique du Canada c Association des pilotes fédéraux du Canada, 2009 CAF 223, au paragraphe 50, [2010] 3 RCF 219 [l’arrêt Association des pilotes fédéraux] et Procureur général du Canada c Alliance de la Fonction publique du Canada, 2011 CAF 257, aux paragraphes 27 à 35, 343 DLR (4th) 156 [l’arrêt PG c AFPC]).

 

[33]           La question de la norme de contrôle applicable à la décision en litige dans la présente affaire n’a pas été tranchée de façon définitive par la Cour d’appel fédérale. Contrairement à ce que prétend l’avocate du défendeur, l’affaire Amos ne portait pas sur la norme applicable à la décision rendue par la Commission au sujet de l’arbitrabilité au sens de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP. L’affaire Amos portait plutôt sur la compétence de la CRTFP pour sanctionner le non‑respect d’une entente de règlement et sur la norme de contrôle applicable à la conclusion de la Commission suivant laquelle elle était compétente à cet égard.

 

[34]           Dans l’arrêt relativement récent Rhéaume c Canada (Procureur général), 2010 CAF 355, 415 NR 47, la Cour d’appel fédérale a fait observer que la jurisprudence était partagée sur la question de la norme de contrôle applicable dans des affaires comme celles qui nous occupent, et elle a refusé de se prononcer sur la norme qui s’appliquait dans le cas des décisions rendues par la Commission en vertu de l’alinéa 92(1)b) de la LRTFP (disposition qui a précédé l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP) parce que la décision de la Commission qui était en litige dans cette affaire était à la fois raisonnable et correcte. Sous la plume de la juge Trudel, la Cour d’appel a expliqué qu’elle « se penchera sur [la] question [de la norme de contrôle applicable] un autre jour » (au paragraphe 9).

 

[35]           Compte tenu de la jurisprudence partagée sur la question, il est nécessaire d’analyser la LRTFP et la nature de la question soumise à l’arbitre pour arrêter la norme de contrôle applicable en l’espèce. L’analyse à laquelle il faut procéder est une analyse contextuelle qui suppose que l’on examine plusieurs facteurs, dont : (1) la présence ou l’absence d’une clause privative et le libellé de cette clause; (2) la mission de la CRTFP; (3) la nature de la question en litige; (4) l’expertise de la CRTFP (pour paraphraser l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 64). 

 

[36]           Ainsi que l’avocate du défendeur le fait observer à juste titre, la LRTFP actuelle – contrairement à l’ancienne LRTFP – renferme une clause privative rigoureuse. À cet égard, voici ce que prévoit l’article 233 de la LRTFP :

Caractère définitif des décisions

 

233. (1) La décision de l’arbitre de grief est définitive et ne peut être ni contestée ni révisée par voie judiciaire.

 

Interdiction de recours extraordinaires

 

(2) Il n’est admis aucun recours ni aucune décision judiciaire — notamment par voie d’injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto — visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l’action de l’arbitre de grief exercée dans le cadre de la présente partie.

Decisions not to be reviewed by court

 

233. (1) Every decision of an adjudicator is final and may not be questioned or reviewed in any court.

 

No review by certiorari, etc.

 

 

(2) No order may be made, process entered or proceeding taken in any court, whether by way of injunction, certiorari, prohibition, quo warranto or otherwise, to question, review, prohibit or restrain an adjudicator in any of the adjudicator’s proceedings under this Part.

 

 

[37]           La Cour d’appel fédérale a jugé qu’une clause privative libellée de manière aussi stricte constituait un facteur important pour conclure que la norme de contrôle de la décision raisonnable s’appliquait à d’autres types de décisions rendues par la CRTFP. Ainsi, dans l’arrêt Association des pilotes fédéraux (précité au paragraphe 32), la Cour était appelée à décider quelle était la norme de contrôle applicable à la conclusion tirée par la CRTFP au sujet de la composition de l’unité de négociation. Le juge Evans a, au nom de la majorité de la Cour, fait observer que l’article 233 était une « clause privative stricte », ajoutant que ce facteur était important pour déterminer que la norme de contrôle applicable dans le cas qui lui était soumis était celle de la décision raisonnable (aux paragraphes 18 et 55). Dans le même ordre d’idées, dans l’arrêt PG c AFPC (au paragraphe 35, précité au paragraphe 32), la Cour d’appel s’est fondée sur la clause privative contenue à l’article 51 de la LRTFP pour conclure que c’était la norme de contrôle de la décision raisonnable qui s’appliquait à la décision par laquelle la CRTFP avait fixé le niveau des services essentiels qui devait être assuré en cas de grève ou de lock‑out. Dans l’arrêt Amos (précité au paragraphe 29), le contenu de la clause privative a été considéré comme un facteur important pour déterminer que c’était la norme de contrôle de la décision raisonnable qui s’appliquait à la décision de la Commission de se déclarer compétente pour sanctionner le non‑respect d’une entente de règlement conclue relativement à un grief arbitrable (paragraphe 29).

 

[38]           L’article 233 de la LRTFP est semblable à la clause privative que l’on trouve à la partie I du Code, qui énonce les dispositions relatives aux relations de travail dans le secteur privé fédéral et définit la compétence du Conseil canadien des relations industrielles (CCRI). Il est de jurisprudence constante que c’est la norme de contrôle de la décision raisonnable qui s’applique aux décisions du CCRI, notamment en raison de la clause privative énoncée clairement que l’on trouve à l’article 22 du Code (voir, par ex., Syndicat des débardeurs du Port de Québec (SCFP, section locale 2614) c Société des Arrimeurs de Québec Inc, 2011 CAF 17, 419 NR 225, au paragraphe 37; JD Irving Ltd c General Longshore Workers, Checkers and Shipliners of the Port of Saint John (N.‑B.), section locale 273 de l’Association internationale des débardeurs, 2003 CAF 266, [2003] 4 CF 1080 aux paragraphes 10 et 11). Ainsi, le premier critère de l’analyse pragmatique et fonctionnelle donne une indication claire que la norme de contrôle applicable devrait être celle de la décision raisonnable.

 

[39]           En ce qui concerne le deuxième facteur de l’analyse de la norme de contrôle, l’objet de la loi est de faciliter le règlement expéditif et définitif des conflits en milieu de travail. Il a souvent été statué que cet objet justifie l’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable (voir, par ex., l’arrêt Association des pilotes fédéraux, au paragraphe 55, précité au paragraphe 32; et l’arrêt Amos, au paragraphe 30, précité au paragraphe 29).

 

[40]           Le troisième facteur, qui exige que l’on examine le type de question que l’arbitre a tranchée, milite également fortement en faveur du choix de la norme de contrôle de la décision raisonnable. Dans la décision contestée, l’arbitre devait décider si le grief déposé par Mme Chamberlain portait sur une « mesure disciplinaire » prise par son employeur qui aurait entraîné une rétrogradation ou une sanction pécuniaire. Pour trancher cette question, il lui fallait examiner les faits et le droit, ce qui constitue une des principales caractéristiques du type de décision qui commande normalement l’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable.

 

[41]           Enfin, l’examen du type de mesure constituant une sanction disciplinaire se situe au cœur même de l’expertise des tribunaux du travail. La CRTFP a été saisie d’une foule d’affaires de ce genre qui exigeaient d’elle qu’elle soit sensible aux réalités du monde du travail, ce qui se situe au cœur même de l’expertise de la Commission et déborde souvent le cadre de la compétence de la cour de révision. Ainsi donc, le quatrième facteur indique lui aussi qu’il y a lieu d’appliquer la norme de contrôle de la décision raisonnable.

 

[42]           Le fait que l’article 209 soit rédigé en des termes qui définissent la portée des questions qui peuvent être soumises à l’arbitrage – et, partant, la portée de la compétence de l’arbitre – n’empêche pas de conclure que la norme de contrôle applicable en ce qui concerne la question de l’arbitrabilité est celle de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Dunsmuir (précité au paragraphe 29), dans lequel la Cour suprême du Canada a expliqué la démarche qu’elle suivrait désormais pour examiner des questions relatives à la norme de contrôle, les juges LeBel et Bastarache ont, au nom de la majorité, expliqué que « la déférence est habituellement de mise » « lorsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie » (paragraphe 54). Tout en faisant observer que « [les] question[s] touchant véritablement à la compétence » donnent habituellement lieu à l’application de la norme de contrôle de la décision correcte, les juges se sont empressés de souligner que ces situations étaient peu fréquentes, rappelant la mise en garde formulée par le juge Dickson dans l’arrêt SCFP [Syndicat canadien des employés de la Fonction publique, section locale 963 c Société des alcools du Nouveau‑Brunswick, [1979] 2 RCS 227] selon laquelle, en cas de doute, il faut se garder de qualifier un point de question de compétence (au paragraphe 59).

 

[43]           Dans ses décisions ultérieures, la Cour suprême a reconfirmé qu’il existe certaines circonstances dans lesquelles l’interprétation, par un tribunal administratif, de sa loi constitutive donne lieu à de « véritables » questions de compétence susceptibles de contrôle judiciaire selon la norme de la décision correcte. Dans une trilogie de décisions rendues après l’arrêt Dunsmuir et portant sur la compétence des tribunaux administratifs pour adjuger des dépens, la Cour suprême a appliqué la norme de la décision raisonnable aux décisions rendues par ces tribunaux au sujet de la portée de leur compétence en précisant qu’en principe, l’interprétation qu’un tribunal administratif fait des pouvoirs que lui confère sa loi constitutive commande la déférence et devrait par conséquent être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable. Dans Nolan c Kerry (Canada) Inc, 2009 CSC 39, [2009] 2 RCS 678, le juge Rothstein a, au nom de la majorité, déclaré que « la déférence est habituellement de mise lorsque le tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive et il convient d’appliquer la norme de la décision correcte uniquement dans des cas exceptionnels, c’est‑à‑dire lorsque l’interprétation de cette loi soulève la question générale de la compétence du tribunal » (au paragraphe 34). Dans le même sens, dans Smith c Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, [2011] 1 RCS 160, le juge Fish, qui s’exprimait au nom de la majorité, a rejeté sommairement l’argument que la question de la capacité du tribunal administratif d’adjuger les dépens soulevait une question de compétence en expliquant, au paragraphe 36 que :

L’argument fondé sur la compétence est sans valeur. [Les tribunaux ont] « la faculté [. . .] de connaître » de la question de savoir si les « frais » visés [par la Loi] ne comprennent que les frais faits au cours de l’instance qui se déroule devant eux, décision qui relève nettement des « pouvoirs dont le législateur [les] a investi[s] » [...].

 

 

Ce passage semble indiquer que, lorsque la loi confère au tribunal administratif le pouvoir d’aborder la question en litige, il ne s’agit pas d’une question de compétence. Enfin, dans l’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 RCS 471, la Cour a jugé que c’était la norme de contrôle de la décision raisonnable qui s’appliquait à l’interprétation faite par un tribunal administratif de la portée des pouvoirs que lui confère sa loi constitutive si la question soulevée relève de son « domaine d’expertise et sans que soit soulevée une question de droit générale » (les juges LeBel et Cromwell, écrivant pour la Cour, au paragraphe 24).

 

[44]           Dans l’arrêt récent Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654, le juge Rothstein a, au nom de la majorité, reconfirmé qu’il existe peu de situations dans lesquelles l’interprétation qu’un tribunal administratif fait de la portée des pouvoirs que lui confère sa loi constitutive est assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte. Voici ce que le juge déclare, au paragraphe 34 :

La consigne voulant que la catégorie des véritables questions de compétence appelle une interprétation restrictive revêt une importance particulière lorsque le tribunal administratif interprète sa loi constitutive. En un sens, tout acte du tribunal qui requiert l’interprétation de sa loi constitutive soulève la question du pouvoir ou de la compétence du tribunal d’accomplir cet acte. Or, depuis Dunsmuir, la Cour s’est écartée de cette définition de la compétence. En effet, au vu de la jurisprudence récente, le temps est peut‑être venu de se demander si, aux fins du contrôle judiciaire, la catégorie des véritables questions de compétence existe et si elle est nécessaire pour arrêter la norme de contrôle applicable. Cependant, faute de plaidoirie sur ce point en l’espèce, je me contente d’affirmer que, sauf situation exceptionnelle – et aucune ne s’est présentée depuis Dunsmuir –, il convient de présumer que l’interprétation par un tribunal administratif de « sa propre loi constitutive ou [d’]une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie » est une question d’interprétation législative commandant la déférence en cas de contrôle judiciaire.

 

 

[45]           Ma conclusion suivant laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique à l’interprétation que l’arbitre a faite de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP est renforcée par les conclusions tirées par les Cour d’appel de l’Ontario et de l’Alberta au sujet de questions semblables. Dans Ontario Public Service Employees Union c Seneca College of Applied Arts & Technology, [2006] OJ no 1756, 80 OR (3d) 1, la Cour d’appel de l’Ontario a, dans une décision rendue avant l’arrêt Dunsmuir, jugé que la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable s’appliquait à la conclusion tirée par un tribunal d’arbitrage au sujet de la portée de sa compétence pour accorder des dommages‑intérêts punitifs aux termes de la convention collective en litige. Dans le même sens, dans l’arrêt Alberta c Alberta Union of Provincial Employees, 2008 ABCA 258, la Cour d’appel de l’Alberta a appliqué la norme de la décision raisonnable à la conclusion tirée par l’arbitre au sujet de l’arbitrabilité.

 

[46]           Vu ce qui précède, c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique au contrôle de la conclusion de l’arbitre suivant laquelle le grief de Mme Chamberlain ne portait pas sur une mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire ou une rétrogradation. Cette norme est une norme empreinte de déférence qui oblige la cour de révision à examiner tant les motifs donnés par le tribunal administratif que la solution qu’il proposée. En règle générale, la cour ne peut intervenir que si elle est convaincue que les motifs exposés par le tribunal administratif ne sont pas justifiés, transparents ou intelligibles ou encore que la solution qu’il propose n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47). Il importe peu que la cour de révision soit d’accord avec la conclusion du tribunal administratif, serait arrivée à un résultat différent ou aurait pu suivre un raisonnement différent. Dès lors que les motifs sont compréhensibles et que le résultat est logique et justifiable compte tenu des faits et des règles de droit applicables, la cour ne doit pas infirmer la décision du tribunal inférieur lorsqu’elle applique la norme de contrôle de la décision raisonnable.

 

[47]           En l’espèce, la question n’est donc pas de savoir si l’arbitre a commis une erreur en rejetant le grief de Mme Chamberlain en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP mais plutôt celle de savoir si la décision et le raisonnement de l’arbitre sont défendables compte tenu des faits et des règles de droit applicables et si ses motifs sont compréhensibles (ou transparents et intelligibles). En ce qui concerne le défaut de l’arbitre d’examiner le moyen relatif aux droits de la personne que Mme Chamberlain affirme avoir formulé dans son grief, il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence.

 

L’arbitre a‑t‑il tiré une conclusion raisonnable en estimant que, dans son grief, Mme Chamberlain n’avait pas allégué l’existence de mesures disciplinaires entraînant une rétrogradation ou une sanction pécuniaire?

 

[48]           Pour déterminer si la décision rendue par l’arbitre en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP est raisonnable, il faut commencer par examiner le grief lui‑même. Mme Chamberlain s’est représentée elle‑même pendant toute la procédure de règlement de son grief, tant devant la CRTFP que devant notre Cour. Dans son grief, elle énumère huit points pour affirmer que l’employeur a violé ses droits. Bien que le grief soit assez long, on peut résumer l’essentiel des allégations qu’il renferme comme suit :

1.      L’employeur n’a pas respecté son obligation d’assurer la santé et la sécurité au travail parce qu’il a imposé une charge de travail trop lourde à Mme Chamberlain et a exercé des pressions indues sur elle, et en raison [traduction] « [de] l’agressivité, [du] harcèlement, [des] injures et [de] la violence physique » dont le superviseur a fait preuve envers Mme Chamberlain (Exposé du grief, dossier du défendeur, vol 2, p 110).

2.      L’employeur a fait fi de son obligation de répondre aux préoccupations soulevées par Mme Chamberlain au sujet de sa santé et de sa sécurité au travail conformément à la procédure que, suivant Mme Chamberlain, il devait suivre aux termes du Code et du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail, DORS/86‑304.

3.      L’employeur a fait fi de son obligation de [traduction] « prendre des mesures d’intégration positives et proactives pour tenir compte de son statut de femme et de parent qui travaille [...] et de membre d’une minorité visible et de personne atteinte d’un état de santé invalidant » en violation de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, LC 1995, c 44 ainsi que les politiques applicables du Conseil du Trésor (Exposé du grief, dossier du défendeur, vol 2, p 100). D’autres extraits du grief peuvent être interprétés comme correspondant à une allégation selon laquelle en agissant de la sorte, l’employeur a également violé la LCDP.

4.      L’employeur n’a pas rectifié les erreurs dont faisait état, suivant Mme Chamberlain, le rapport d’enquête établi par le sous‑ministre adjoint à la suite des plaintes formulées par Mme Chamberlain.

5.      L’employeur n’a pas tenu compte des besoins de Mme Chamberlain et l’a traitée de façon discriminatoire en raison des [traduction] « contraintes professionnelles que son état de santé lui impose », ce qui a entraîné la perte du salaire de EX‑01 que Mme Chamberlain avait touché pendant son affectation intérimaire (Exposé du grief, dossier du défendeur, vol 2, p 110).

6.      L’employeur n’a pas tenu compte de ses obligations aux termes de la Politique du Conseil du Trésor sur l’obligation de prendre des mesures d’adaptation pour les personnes handicapées dans la fonction publique fédérale.

7.      L’employeur [traduction] « n’a pas tenu compte du préjudice causé au cheminement de carrière [de Mme Chamberlain] en raison du fait que son superviseur lui a fait croire que son affectation provisoire au poste EX‑01 lui permettrait d’obtenir un poste permanent EX, et qu’il l’a « exploitée » dans ce poste et en lui faisant subir des [traduction] « comportements discutables » de la part de la direction, ce qui a eu pour conséquences qu’elle n’a pas pu profiter d’occasions de perfectionnement professionnel normales, qu’elle a perdu son salaire EX‑01 provisoire intérimaire et a été « exclue » des concours visant à combler des postes permanents à RHDCC, étant donné que les concours visant à combler les postes vacants étaient organisés par le superviseur qui l’avait harcelée (Exposé de grief, dossier du défendeur, vol 2, p 110 et 111).

8.      L’employeur n’a pas suivi la procédure administrative appropriée en ce qui concerne les dépenses et les décisions, l’utilisation du courriel de Mme Chamberlain pendant sa période de congé de maladie, les affirmations contenues dans le rapport d’enquête et, de façon générale, en ne tenant pas compte de son [traduction] « rétablissement » (Exposé de grief, dossier du défendeur, vol 2, p 111).

 

[49]           Bon nombre des points susmentionnés concernent le Code. Aux termes de la LRTFP, les allégations de violation du Code doivent être présentées sous forme de plainte et non sous forme de grief (LRTFP, art 240, Code, art 133 et 147) de sorte que, comme je l’ai déjà signalé, ces points ne peuvent être soulevés dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Parmi les autres points susmentionnés du grief, certains portent sur la violation de politiques ou de procédures administratives. Ces allégations ne peuvent être soumises à l’arbitrage sous le régime de la LRTFP. Ainsi, seules les allégations se rapportant à la présumée violation du paragraphe 209(1) de la LRTFP et de la LCDP pourraient être arbitrables.

 

[50]           Pour examiner la question de l’arbitrabilité du grief au sens de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP, l’arbitre s’est d’abord demandé si le grief contenait de prime abord une allégation que l’employeur avait infligé des mesures disciplinaires à Mme Chamberlain, et a conclu que non. Il s’est ensuite demandé si l’employeur avait imposé à Mme Chamberlain des mesures disciplinaires déguisées, ou si l’employeur avait par ailleurs pris des mesures en apparence non disciplinaires qui pouvaient être considérées comme des mesures disciplinaires si elles étaient motivées par l’intention de corriger l’employée ou de la punir, et il a invité Mme Chamberlain à lui soumettre des éléments de preuve susceptibles de démontrer qu’elle avait fait l’objet de mesures disciplinaires. En réponse, Mme Chamberlain a déposé une grande partie du volumineux dossier qui a été soumis à la Cour dans le cadre de la présente demande.

 

[51]           L’arbitre a examiné la preuve en faisant observer à juste titre qu’il incombait à Mme Chamberlain de démontrer qu’elle avait fait l’objet de mesures disciplinaires et a conclu qu’elle n’avait pas démontré que les agissements de son employeur pouvaient être assimilés à des sanctions disciplinaires. Plus particulièrement, l’arbitre a conclu que la décision de l’employeur de ne pas prolonger l’affectation intérimaire EX‑01 de Mme Chamberlain ne constituait pas une mesure disciplinaire, pas plus que sa décision d’afficher des offres d’emploi pour les postes EX ou de pourvoir à ces postes. Aucun de ces actes ne pouvait être interprété comme étant lié à une inconduite de Mme Chamberlain et aucun ne visait non plus à la punir ou à la corriger. L’arbitre a également jugé que le rapport d’enquête du sous‑ministre adjoint ne constituait pas une mesure disciplinaire, que le fait d’obliger Mme Chamberlain à utiliser ses congés de maladie ne constituait non plus une mesure disciplinaire et que le refus de permettre à un employé de participer à une formation en langue seconde, à défaut d’autres éléments de preuve permettant de conclure à une intention d’infliger une mesure disciplinaire, ne constituaient pas des mesures disciplinaires. L’arbitre a par conséquent conclu que rien ne permettait de penser que l’employeur avait l’intention d’infliger des mesures disciplinaires à Mme Chamberlain et qu’il n’existait, à première vue, aucune preuve de mesures disciplinaires qui lui aurait donné compétence pour statuer sur le grief de Mme Chamberlain en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP.

 

[52]           Comme je l’ai déjà expliqué, les conclusions tirées par l’arbitre étaient raisonnables compte tenu du dossier dont il disposait et des règles de droit applicables.

 

[53]           Dans la demande qu’elle a soumise a la Cour, Mme Chamberlain formule essentiellement trois arguments en ce qui concerne le caractère erroné de la décision rendue par l’arbitre en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP. Comme je l’expliquerai plus en détail plus loin, aucun de ces arguments ne justifie la Cour d’intervenir et de modifier la décision de l’arbitre.

 

[54]           La demanderesse affirme en premier lieu que la conclusion de l’arbitre suivant laquelle les agissements de l’employeur dans son cas n’étaient pas de nature disciplinaire est incorrecte parce qu’elle a subi un préjudice financier du fait qu’elle n’a pu toucher son salaire EX‑01, qu’elle a été obligée d’utiliser ses crédits de congé de maladie et qu’elle a dû engager des frais juridiques pour faire valoir son grief, ajoutant que tout cela s’expliquait par la situation dans laquelle elle s’était retrouvée en raison du défaut de RHDCC d’intervenir. Elle affirme en deuxième lieu que les menaces que son superviseur lui a faites équivalaient à des réprimandes verbales et constituaient donc des mesures disciplinaires. Elle soutient enfin que l’arbitre n’a pas appliqué et suivi la jurisprudence applicable. Je reviendrai sur chacun de ces arguments plus loin.

 

[55]           Pour ce qui est du premier argument, on se souviendra que l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP prévoit que, pour pouvoir être renvoyé à l’arbitrage, un grief doit porter sur une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire. Compte tenu de la situation de Mme Chamberlain, seules une rétrogradation ou une sanction pécuniaire pourraient s’appliquer. Pour que sa situation tombe sous le coup de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP, il ne suffit cependant pas que Mme Chamberlain ait été affectée à un poste moins bien rémunéré ou qu’elle ait subi une perte pécuniaire. Ainsi que l’arbitre l’a fait observer à juste titre, il faut que la raison qui a motivé la rétrogradation ou la perte pécuniaire soit également d’ordre disciplinaire.

 

[56]           Pour déterminer si une mesure est disciplinaire, il y a lieu de procéder à une analyse axée sur les faits qui peut impliquer l’examen de questions comme la nature des agissements de l’employé qui ont donné lieu à la mesure en question, la nature de la mesure prise par l’employeur, l’intention déclarée de l’employeur et les répercussions de cette mesure sur l’employé. Lorsque la conduite de l’employé est blâmable ou lorsque l’employeur avait l’intention de corriger la mauvaise conduite de l’employé ou de le punir, la mesure prise sera en règle générale considérée comme disciplinaire. En revanche, lorsque la conduite de l’employé n’est pas blâmable et que l’objectif de l’employeur n’était pas de punir ou de corriger l’employé, la mesure sera généralement qualifiée de non disciplinaire (décision Lindsay, au paragraphe 48, (précitée au paragraphe 29); Canada (Procureur général) c Frazee, 2007 CF 1176, aux paragraphes 23 à 25, [2007] ACF no 1548 [la décision Frazee]; Basra c Canada (Administrateur général – Service correctionnel), 2008 CF 606, au paragraphe 19, [2008] ACF no 777).

 

[57]           Certaines mesures sont de toute évidence disciplinaires. Ce serait le cas, par exemple, lorsque l’employeur inflige explicitement une sanction ― comme une suspension ou un congédiement ― en réponse à l’inconduite de l’employé. D’autres situations sont plus nuancées et exigent une appréciation des facteurs susmentionnés pour déterminer si l’intention de l’employeur était effectivement d’infliger une mesure disciplinaire à l’employé même si l’employeur le nie. Le juge Barnes a expliqué dans les termes suivants l’analyse à laquelle il convient de procéder dans la décision Frazee, aux paragraphes 21 à 25 :

[L]a question n’est pas de savoir si la mesure prise par l’employeur est mal fondée ou mal exécutée, mais plutôt si elle constitue une mesure disciplinaire visant la suspension [...] [L]es sentiments d’un employé qui estime avoir été traité injustement n’ont pas pour effet de convertir une mesure administrative en mesure disciplinaire [...]

 

[...] Il convient de se demander si l’employeur avait l’intention d’imposer une mesure disciplinaire et si la contestation de sa décision pouvait servir de fondement à une mesure disciplinaire ultérieure [...]

 

Néanmoins, il est admis que la façon dont l’employeur choisit de qualifier sa décision ne peut pas être en soi un facteur déterminant. Le concept de mesure disciplinaire déguisée est un facteur déterminant bien connu et nécessaire qui permet à un arbitre de grief d’examiner les éléments sous‑jacents au motif énoncé par l’employeur afin de déterminer quelle était sa véritable intention. Par conséquent, dans la décision Gaw c. Conseil du Trésor (Service national de libération conditionnelle) (1978), 166‑2‑3292 (CRTFP), la tentative de l’employeur de justifier la suspension de l’employé comme étant nécessaire pour permettre la tenue d’une enquête a été rejetée à la lumière de la preuve convaincante qui établissait que la véritable motivation de l’employeur était de nature disciplinaire [...]

 

Le problème de la mesure disciplinaire déguisée peut aussi être abordé par l’examen des effets de la mesure sur l’employé. Lorsque l’incidence de la décision de l’employeur est grandement disproportionnée par rapport au motif administratif qui est invoqué, la décision peut être considérée comme disciplinaire [...] Cependant, cette norme ne sera pas atteinte si la mesure imposée par l’employeur est jugée comme étant une réaction raisonnable (mais pas nécessairement la meilleure) à des considérations opérationnelles honnêtes.

 

Parmi les autres facteurs servant à définir la mesure disciplinaire dans le contexte de l’emploi figurent les répercussions de la décision sur les perspectives de carrière de l’employé et les questions de savoir si l’incident en cause ou le point de vue de l’employeur à cet égard peut sembler être lié à la conduite de l’employé pouvant être rectifiée ou à sa conduite coupable, si la décision prise était de nature corrective et si la mesure de l’employeur a eu un effet préjudiciable immédiat sur l’employé [...]

[Renvois omis.]

 

 

[58]           Compte tenu de ces principes, il est évident que l’arbitre a tiré une conclusion raisonnable en estimant que le grief ne faisait à première vue état d’aucune mesure disciplinaire. Aucun des huit points soulevés par Mme Chamberlain dans son grief ne mentionne qu’elle a fait l’objet d’une mesure disciplinaire ou d’une mesure prise par RHDCC en vue de la punir ou de la corriger. Comme je l’ai déjà signalé, il ne suffit pas que la demanderesse ait subi une perte pécuniaire pour pouvoir prétendre qu’elle tombe sous le coup de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP. La perte alléguée doit être liée à une mesure disciplinaire prise par l’employeur pour que le grief soit arbitrable. Or, la demanderesse n’a allégué aucune mesure de ce genre dans son grief.

 

[59]           Dans le même ordre d’idées, la conclusion de l’arbitre suivant laquelle les faits à l’origine du grief ne permettaient pas de conclure qu’on avait affaire à une mesure disciplinaire déguisée était également raisonnable. Mme Chamberlain ne s’est livrée à aucune inconduite et elle n’en était accusée d’aucune. Rien ne permettait non plus de conclure que RHDCC avait l’intention de punir ou de corriger Mme Chamberlain. D’ailleurs, dans son enquête, le sous‑ministre adjoint avait conclu que le superviseur de Mme Chamberlain avait eu des comportements déplacés, confirmant ainsi la thèse de Mme Chamberlain. Compte tenu de ce fait, il n’est pas étonnant de constater qu’il n’y avait aucune intention de punir ou de corriger Mme Chamberlain. De plus, rien ne permettait de penser que RHDCC avait pris quelque mesure que ce soit qui pouvait s’apparenter à une sanction disciplinaire. Mme Chamberlain n’a pas été rétrogradée pour des motifs se rapportant à un mauvais rendement; en fait, son affectation intérimaire est arrivée à terme comme prévu et aucun nouveau poste EX‑1 ne lui a été offert. Le fait que son ancien superviseur était la personne qui organisait les concours visant à pourvoir aux postes vacants ne saurait être assimilé à une mesure disciplinaire, et Mme Chamberlain n’a cité aucun précédent tendant à indiquer le contraire.

 

[60]           Comme je l’ai déjà fait observer, le troisième argument de Mme Chamberlain est que l’arbitre n’a pas suivi les précédents applicables, et elle cite à cet égard les décisions suivantes rendues par la CRTFP : décision Frazee (précitée au paragraphe 56), Kelly c Canada (Conseil du Trésor – ministère des Transports), 2010 CRTFP 80 [Kelly], Robitaille c Canada (Administrateur général (ministère des Transports), 2010 CRTFP 70 (infirmée par la suite en appel à 2011 CF 1218) [Robitaille], LaBranche c Canada (Conseil du Trésor – ministère des Affaires étrangères et du Commerce extérieur), 2010 CRTFP 65 [LaBranche], Leclair c Canada (Conseil du Trésor – Service correctionnel), 2010 CRTFP 49 [Leclair], Hanna c Administrateur général (ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien)), 2009 CRTFP 94 [Hanna], Gill c Canada (Conseil du Trésor – ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2009 CRTFP 19 [Gill], Lloyd c Canada (Agence du revenu), 2009 CRTFP 15 [Lloyd], Giroux c Canada (Conseil du Trésor – Agence des services frontaliers), 2009 CRTFP 45 [Giroux II], Gaskin c Agence du revenu du Canada, 2008 CRTFP 96 [Gaskin], Stevenson c Agence du revenu du Canada, 2009 CRTFP 89, Giroux c Canada (Conseil du Trésor – Agence des services frontaliers), 2008 CRTFP 102 [Giroux I] Vallée c Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2007 CRTFP 52 [Vallée], Boivin c Canada (Agence des douanes et du revenu), 2003 CRTFP 94 [Boivin], Thibault c Canada (Conseil du Trésor – Service correctionnel), 1996 CRTFP 166‑2‑26613 [Thibault], et Robertson c Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 1971 CRTFP 166‑2‑454 [Robertson]. Elle affirme également que l’arbitre a commis une erreur en affirmant que la décision Wong c Agence du revenu du Canada, 2006 CRTFP 133, [2006] CRTFP no 133 appuyait la proposition que le refus d’offrir une formation en langue seconde ne constituait pas une mesure disciplinaire eu égard aux circonstances de cette affaire.

 

[61]           Mme Chamberlain est dans l’erreur sur ces points. L’arbitre a correctement traité la jurisprudence et n’a pas ignoré ou omis de suivre les précédents applicables. Ses commentaires au sujet de la décision Wong étaient également justes.

 

[62]           Les affaires Boivin, Gaskin, Leclair et Vallée portaient sur des plaintes déposées en vertu du Code et, par conséquent, ne concernent pas une allégation formulée en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP. Les affaires Giroux I, LaBranche, Giroux II, Lloyd et Kelly ne portaient pas non plus sur l’alinéa 209(1)b) de la loi LRTFP. Elles concernaient une situation nettement différente de celle de Mme Chamberlain, étant donné qu’elles visaient des dispositions interdisant la discrimination contenues dans la convention collective applicable. Dans le cas de Mme Chamberlain, en revanche, aucune question de ce genre n’a été soulevée, d’autant plus qu’elle n’avait pas l’appui de son agent négociateur lorsqu’elle a déposé son grief ou l’a renvoyé à l’arbitrage. Elle ne pouvait donc pas prétendre qu’une disposition interdisant la discrimination contenue dans la convention collective aurait été violée compte tenu des exigences des paragraphes 208(4) et 209(2) de la LRTFP.

 

[63]           Les affaires Robitaille et Thibault portaient également sur une situation différente de celle de Mme Chamberlain. Dans ces deux affaires, l’employé s’était rendu coupable d’une inconduite qui concernait l’employeur. Dans Robitaille, l’employé s’était livré à de mauvaises méthodes de gestion et avait commis un abus de pouvoir en tant que gestionnaire. Il avait par conséquent été rétrogradé et suspendu sans solde pendant une certaine période de temps. L’employeur l’avait rémunéré pour la période où il n’avait pas travaillé avant l’audience et avait tenté de prétendre que la suspension n’était plus en litige et que la rétrogradation n’était pas une mesure disciplinaire. Ces arguments ont été rejetés par l’arbitre de la CRTFP, qui a mis l’accent sur l’intention qu’avait l’employeur en imposant les mesures en question et a conclu qu’elles avaient été imposées en vue de corriger l’inconduite de l’employé. Bien que cette décision ait été annulée en appel, la conclusion tirée par l’arbitre au sujet de l’intention n’a pas été modifiée, mais la Cour a conclu qu’une réprimande écrite ne constituait pas une mesure disciplinaire au sens du paragraphe 209(1) de la LRTFP. Cette conclusion confirme la thèse du défendeur. L’affaire Thibault portait également sur des faits différents de ceux de l’espèce. L’intention de l’employeur a été considérée comme une mesure disciplinaire parce qu’il avait décidé de ne pas renouveler l’affectation intérimaire de l’employé qui s’estimait lésé après avoir reçu des rapports faisant état du fait qu’il buvait au travail. On ne dispose d’aucun élément de preuve d’une telle intention dans le cas de Mme Chamberlain.

 

[64]           Les affaires Hanna et Gill, citées par Mme Chamberlain, appuient toutes les deux la thèse du défendeur. Dans Hanna, l’arbitre a conclu qu’elle n’avait pas compétence en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP parce qu’on ne pouvait assimiler à une mesure disciplinaire le refus de l’employeur d’indemniser la personne s’estimant lésée des honoraires qu’elle avait payés à l’avocat qu’elle avait engagé alors qu’elle faisait l’objet d’une enquête pour harcèlement qui n’avait abouti à aucune mesure. Dans Gill, l’employeur a imposé une suspension administrative en attendant qu’un jugement soit rendu au sujet des accusations criminelles portées contre un employé pour enlèvement et voies de fait, et l’employeur avait effectivement licencié l’employé après avoir révoqué son habilitation de sécurité au motif qu’il ne remplissait plus les conditions requises pour occuper son poste. Comme il a été jugé que ces décisions étaient motivées par le désir de protéger le public et non par celui de punir la personne s’estimant lésée, l’arbitre a rejeté le grief de M. Gill. Le dossier de Mme Chamberlain renferme beaucoup moins d’éléments de preuve permettant de penser que les agissements de l’employeur pourraient être qualifiés de mesures disciplinaires.

[65]           Les affaires Stevenson, Frazee et Robertson citées par l’arbitre permettent également de soutenir que la conclusion de l’arbitre était raisonnable. Dans Stevenson, la personne s’estimant lésée avait été rétrogradée pour cause de faible productivité. Dans cette affaire, l’arbitre a estimé que la rétrogradation n’était pas une mesure disciplinaire parce qu’elle était fondée sur les exigences opérationnelles légitimes de l’employeur et non sur un désir de punir ou de corriger l’employé. Les arguments à l’appui de la thèse qu’il s’agissait d’une mesure disciplinaire étaient encore plus solides dans cette affaire que dans le cas de Mme Chamberlain, étant donné qu’au moins dans cette affaire, l’employé, M. Stevenson, avait eu un rendement insatisfaisant, ce qui n’est pas le cas de Mme Chamberlain.

[66]           Dans la décision Frazee, la Cour a annulé la décision de l’arbitre et expliqué que la suspension administrative d’un vétérinaire employé par l’Agence canadienne d’inspection des aliments qui avait fait l’objet d’une plainte de la part d’un client ne constituait pas une mesure disciplinaire en l’absence de l’intention disciplinaire requise. Là encore, les arguments permettant de prétendre qu’il s’agissait d’une mesure disciplinaire étaient beaucoup plus solides que dans le cas de Mme Chamberlain car, contrairement à ce qui s’est passé en l’espèce, l’employeur avait pris des mesures concrètes pour suspendre la personne s’estimant lésée et qu’il y avait insatisfaction (quoique de la part d’un client du ministère) quant à son rendement. Ces facteurs ne sont absolument pas présents dans le cas de Mme Chamberlain.

[67]           Dans Robertson, l’arbitre a décliné compétence parce qu’il avait conclu que le congédiement de la personne s’estimant lésée pour incompétence ne constituait pas une mesure disciplinaire prise par l’employeur. Là encore, cette décision n’est d’aucun secours pour Mme Chamberlain.

[68]           Ainsi, contrairement à ce que prétend Mme Chamberlain, l’arbitre n’a pas fait défaut d’appliquer les précédents applicables. Sa décision est au contraire en accord avec la jurisprudence existante. À défaut d’éléments de preuve de comportements négatifs de la part de Mme Chamberlain ou d’éléments de preuve démontrant la volonté de RHDCC de la corriger et de la punir, la décision de l’arbitre suivant laquelle le grief de Mme Chamberlain ne portait pas sur une mesure disciplinaire entraînant une rétrogradation ou une sanction pécuniaire était raisonnable.

 

L’arbitre aurait‑il dû tenir compte des allégations que Mme Chamberlain aurait formulées dans son grief au sujet des droits de la personne?

 

[69]           Enfin, pour ce qui est de l’omission de l’arbitre d’examiner les allégations formulées par Mme Chamberlain au sujet des droits de la personne, comme je l’ai déjà expliqué, Mme Chamberlain a allégué, dans son grief, qu’on n’avait pas pris de mesures d’accommodement pour faciliter son retour au travail et qu’elle avait été victime de discrimination fondée sur la déficience, le sexe et l’appartenance à une minorité visible. Elle réclamait également une indemnité non pécuniaire en vertu des paragraphes 53(2) et 53(3) de la LCDP, qui permettent d’indemniser la victime qui a subi un préjudice moral et de lui verser une indemnité s’il est jugé que les contraventions aux dispositions de la LCDP étaient délibérées ou inconsidérées.

 

[70]           Lors de l’audition de la présente affaire, l’avocate du défendeur a reconnu que le grief formulé par Mme Chamberlain soulevait des violations de la LCDP, tout en ajoutant que ces allégations ne pouvaient faire l’objet d’un contrôle judiciaire parce qu’elles n’avaient pas été abordées dans la décision. Cependant, là n’est pas la question : c’est précisément parce que ces questions n’ont pas été abordées par l’arbitre que j’estime que ce dernier a commis une erreur.

 

[71]           Bien que la discrimination flagrante fondée sur le sexe, la race ou l’origine ethnique constituent des motifs évidents permettant d’alléguer que des violations des droits de la personne ont été commises, l’omission de l’employeur de prendre les mesures d’adaptation requises peut également être considérée comme une discrimination fondée sur la déficience ainsi qu’il a été reconnu dans de nombreuses décisions (voir, par exemple, Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4, [2007] 1 RCS 161, Desormeaux c Ottawa (Ville), 2005 CAF 311, [2005] ACF no 1647).

 

[72]           La plupart des griefs qui sont soumis à l’arbitrage sous le régime de la LRTFP et qui portent sur la discrimination visent une présumée violation d’une disposition interdisant la discrimination stipulée dans une convention collective. En pareil cas, il est évident que l’arbitre de la CRTFP est compétent pour statuer sur les griefs en question si l’agent négociateur appuie le grief (LRTFP, alinéa 209(1)a) et paragraphe 209(2)). Mme Chamberlain n’a toutefois formulé aucun argument en ce sens parce qu’elle n’a pas obtenu l’appui de son agent négociateur lorsqu’elle a présenté son grief. Cela dit, on pourrait soutenir que la LRTFP peut également prévoir le droit de statuer sur une demande fondée sur la présumée violation de la LCDP qui est soulevée indépendamment de la violation d’une disposition de la convention collective. Ainsi que l’avocate du défendeur l’a admis lors des débats tenus dans le cadre de la présente demande, la jurisprudence n’a certainement pas écarté cette possibilité.

 

[73]           À cet égard, le paragraphe 208(2) de la LRTFP prévoit expressément que l’on peut formuler un grief pour de présumées violations de la LCDP. Le paragraphe 209(1) de la Loi est censé limiter le type d’allégations fondées sur les droits de la personne qui peuvent être soumises à l’arbitrage en ne permettant que ce qui suit :

a)   tout grief portant sur l’interprétation et l’application de toute disposition d’une convention collective (pour laquelle l’agent négociateur doit avoir exprimé son appui conformément au paragraphe 209(2) de la LRTFP);

b)   tout grief se rapportant à une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

c)   dans le cas d’un fonctionnaire d’un ministère fédéral, la rétrogradation ou le licenciement imposé pour rendement insuffisant ou pour toute autre raison que l’insuffisance du rendement, un manquement à la discipline ou une inconduite.

 

[74]           Toutefois, l’article 210 de la LRTFP prévoit que les griefs qui soulèvent une question liée à une présumée violation de la LCDP peuvent être renvoyés à l’arbitrage (à condition que la personne qui fait valoir cette allégation en donne avis à Commission canadienne des droits de la personne). L’alinéa 226(1)g) de la LCDP prévoit par ailleurs que les arbitres de grief nommés en vertu de la LRTFP ont le pouvoir d’« interpréter et [d’]appliquer la [LCDP] », sauf les dispositions de celle‑ci portant sur le droit à la parité salariale, ainsi que toute autre loi fédérale relative à l’emploi, « même si la loi en cause entre en conflit avec une convention collective », et l’alinéa 226(1)h) habilite les arbitres nommés sous le régime de la LRTFP à accorder une réparation en vertu de l’alinéa 53(2)e) ou du paragraphe 53(3) de la LCDP.

 

[75]           On peut à tout le moins soutenir que les dispositions susmentionnées auraient pu faire en sorte que les allégations de Mme Chamberlain relatives aux droits de la personne auraient pu être soumises à l’arbitrage devant la CRTFP. Certaines décisions laissent entendre que la limitation de compétence prévue au paragraphe 209(1) de la LRTFP ne supprime pas la compétence pour examiner un grief dans lequel est alléguée une violation de droits de la personne, et ce, même si les prétentions de la personne qui s’estime lésée ne font pas partie des motifs énumérés au paragraphe 209(1) de la LRTFP.

 

[76]           À cet égard, dans Parry Sound (District), Conseil d’administration des services sociaux c SEEFPO, section locale Local 324, 2003 CSC 42, [2003] 2 RCS 157 [l’arrêt Parry Sound], la Cour suprême du Canada était appelée à décider si une disposition de la Loi de 1995 sur les relations de travail de l’Ontario, LO 1995, c 1, ann. A [la LRTO], qui était semblable à l’alinéa 226(1)g) de la LRTFP, conférait à un arbitre de grief la compétence pour statuer sur des allégations fondées sur des violations des droits de la personne qui ne reposaient pas sur des dispositions de la convention collective. La Cour a estimé que l’arbitre avait cette compétence. Dans l’arrêt Parry Sound, l’employeur avait congédié une employée à l’essai après son retour du congé de maternité, et l’employée avait déposé un grief dans lequel elle alléguait que son congédiement était motivé par une discrimination illégale en violation de la législation ontarienne sur les droits de la personne. La convention collective qui régissait son emploi ne contenait pas de dispositions interdisant la discrimination et stipulait en outre que la décision de la direction de congédier les employés à l’essai ne pouvait faire l’objet d’un arbitrage. Malgré cela, la Cour suprême a conclu que l’arbitre avait eu raison de se déclarer compétent pour statuer sur le grief déposé par l’employée parce qu’il était habilité à le faire, du moins en partie, en raison de dispositions de la LRTO semblables à l’alinéa 226(1)g) de la LRTFP. En d’autres termes, la compétence de l’arbitre ne découlait pas des dispositions législatives attributives de compétence usuelles – compétence qui n’entre en jeu qu’en cas de violation de la convention collective –, mais plutôt, du moins en partie, d’une disposition réparatrice semblable à l’alinéa 226(1)g) de la LRTFP. Le juge Iacobucci a, au nom de la majorité, fait observer qu’il existait d’importantes considérations d’intérêt public qui militaient en faveur de la décision d’attribuer aux arbitres du travail compétence sur les plaintes relatives aux droits des employés syndiqués, ce qui améliorerait notamment l’accès à la justice et assurerait un règlement rapide de tous les conflits de travail (voir paragraphes 50 à 54). On pourrait soutenir que ce raisonnement vaut aussi dans le cas de la LRTFP.

 

[77]           Une question assez semblable a été soulevée dans l’arrêt Canada (Chambre des communes) c Vaid, 2005 CSC 30, [2005] 1 RCS 667 [l’arrêt Vaid], dans lequel la Cour suprême du Canada était appelée à se prononcer sur la compétence de la CRTFP en vertu d’une autre loi, la Loi sur les relations de travail au Parlement, LRC 1985, c 33 (2e suppl), art 2 [la LRTP], pour juger une plainte en matière de relations de travail qui soulevait des questions de droits de la personne et qui avait été présentée par un employé du Parlement qui avait été congédié. À bien des égards, la LRTP ressemblait à la LRTFP et renfermait notamment des dispositions semblables aux articles 208 à 210 de la LRTFP. Les deux lois prévoient donc des restrictions en ce qui concerne le genre de questions qui peuvent être soumises à l’arbitrage et qui sont plus limitées que celles pouvant faire l’objet d’un grief. Dans l’arrêt Vaid, la Cour a estimé que la CRTFP pouvait statuer sur la plainte de M. Vaid suivant laquelle il avait été congédié en raison de ses origines ethniques en violation de la LCDP.

 

[78]           Ces décisions vont tout à fait dans le sens de l’évolution du droit du travail moderne, qui a graduellement élargi la compétence des tribunaux du travail pour leur permettre de juger tous les différends en milieu de travail. Ainsi, les plaintes découlant directement ou indirectement d’une présumée violation d’une convention collective doivent être tranchées par un tribunal du travail et non par une cour de justice (voir, par ex., Weber c Hydro Ontario, [1995] 2 RCS 929, 125 DLR (4th) 583, et les nombreuses décisions dans lesquelles l’arrêt Weber a été appliqué).

 

[79]           Ainsi que l’avocate du défendeur l’a admis, la jurisprudence n’a pas encore tranché de façon définitive la question de savoir si la CRTFP est compétente pour statuer sur les plaintes relatives au droit de la personne dans des affaires comme celles de Mme Chamberlain. Certaines décisions de la CRTFP donnent à penser qu’elle possède effectivement cette compétence. Par exemple, dans Gibson c Canada (Conseil du Trésor – ministère de la Santé), 2008 CRTFP 68, l’arbitre Filliter s’était déclaré compétent dans une situation dans laquelle la personne s’estimant lésée affirmait que la décision de son employeur de ne pas prolonger son contrat d’une période déterminée avait été prise pour des motifs discriminatoires en violation de la LCDP. L’arbitre Filliter a fait observer à cet égard que les dispositions de l’alinéa 226(1)g) de la LRTFP avaient [traduction] « revêtu une dimension importante dans [ses] délibérations » (au paragraphe 10). Par conséquent, il a rejeté le grief sur le fond.

 

[80]           De même, dans Lovell c Canada (Agence du revenu), 2010 CRTFP 91, l’arbitre Mackenzie a estimé qu’il était compétent pour juger un grief dans lequel l’employée alléguait qu’elle avait été congédiée en violation d’une clause interdisant la discrimination contenue dans la convention collective ainsi qu’en violation de la LCDP. Pour conclure qu’il était compétent pour statuer sur les plaintes, l’arbitre Mackenzie a déclaré que les dispositions du paragraphe 208(2) et des alinéas 226(1)g) et 226(1)h) de la LRTFP investissaient les arbitres de la CRTFP de la compétence pour statuer sur les allégations de violation de la LCDP qui ne reposaient pas sur la convention collective. L’arbitre a fait observer qu’« il suffit de lire les dispositions législatives pour se rendre compte que les législateurs n’ont jamais voulu que les questions d’emploi dans la fonction publique fédérale soient inutilement morcelées » (au paragraphe 22).

 

[81]           Il existe toutefois au moins une décision contradictoire de la CRTFP. Dans Wong c Administrateur général (Service canadien du renseignement de sécurité), 2010 CRTFP 18, l’arbitre Butler a estimé qu’il n’était pas compétent pour statuer sur des allégations de violation de la LCDP. Pour arriver à cette décision, il n’a toutefois pas tenu compte des incidences des arrêts Parry Sound et Vaid (précités aux paragraphes 76 et 77) de la Cour suprême du Canada.

 

[82]           Vu ce qui précède, on pourrait soutenir que les allégations de violation des droits de la personne formulées par Mme Chamberlain sont arbitrables. L’arbitre a toutefois omis d’aborder cette question dans la décision à l’examen, probablement parce que Mme Chamberlain avait soulevé une foule d’autres questions et n’avait pas articulé clairement cette question. Quoi qu’il en soit, le défaut d’un tribunal administratif d’aborder une question soulevée dans un grief ou une plainte constitue effectivement une erreur donnant ouverture à révision parce que, en pareil cas, le tribunal administratif n’a pas exercé sa compétence et n’a pas tranché les questions dont il était saisi. À cet égard, comme je l’ai déjà fait observer, la Cour d’appel fédérale a, dans l’arrêt Turner, précité au paragraphe 27, dans une situation fort semblable à la présente, renvoyé l’affaire au Tribunal des droits de la personne au motif que ce dernier avait commis une erreur en n’abordant pas une question qui avait été soulevée dans la plainte. De même, dans Peters c Canada (Procureur général), 2009 CF 400, [2009] ACF no 528, le juge Russell de notre Cour a annulé une décision de la Commission d’appel des pensions au motif que celle‑ci avait commis une erreur de droit en n’examinant pas les questions soulevées par le demandeur. La Cour a tiré des conclusions semblables dans les décisions Miguel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 94 et Van de Wetering c Canada (Procureur général), 2003 CFPI 588, 233 FTR 229.

 

[83]           L’arbitre a donc commis une erreur donnant ouverture à révision en ne tranchant pas la question de savoir si les allégations de violation de ses droits de la personne de Mme Chamberlain étaient arbitrables. Cela ne veut pas dire que les allégations de Mme Chamberlain sont effectivement arbitrables. Il s’agit là d’une conclusion qu’il appartient à l’arbitre de tirer. Toutefois, en n’abordant même pas cette question, l’arbitre a commis une erreur.

 

Quelle est la réparation appropriée?

[84]           Comme je l’ai déjà indiqué, c’est à l’arbitre et non à la Cour qu’il appartient de déterminer si les allégations de violation des droits de la personne formulées par Mme Chamberlain dans sa demande sont arbitrables, étant donné qu’il convient de faire preuve de déférence envers la CRTFP en ce qui concerne les conclusions qu’elle tire au sujet de l’arbitrabilité. Cette question devra donc être renvoyée à M. Filliter – s’il est disponible, ou à un autre arbitre s’il ne l’est pas – pour qu’il examine la question de savoir si un arbitre de la CRTFP a compétence pour statuer sur les allégations de violation des droits de la personne formulées par Mme Chamberlain et, dans l’affirmative, pour statuer au fond sur ses allégations.


JUGEMENT

 

LA COUR :

1.         RADIE du dossier les documents contenus aux onglets 8, 9, 10 D et E1 et 11A, B, C, D, E et F du dossier de la demanderesse;

2.         ACCUEILLE en partie la demande de contrôle judiciaire;

3.         DÉCLARE que le grief de Mme Chamberlain soulève les allégations que son employeur n’a pas respecté la LCDP en ne tenant pas compte de sa présumée déficience et en exerçant contre elle une discrimination fondée sur le sexe, la déficience et l’origine ethnique;

4.         ANNULE l’ordonnance par laquelle l’arbitre a rejeté le grief de Mme Chamberlain;

5.         RENVOIE le grief de Mme Chamberlain à l’arbitre Filliter, s’il est disponible pour l’entendre, ou à un autre arbitre de la CRTFP s’il ne l’est pas, pour qu’il décide si un arbitre de la CRTFP a compétence pour statuer sur les allégations de violation des droits de la personne formulées par Mme Chamberlain et, dans l’affirmative, pour statuer au fond sur ses allégations;

6.         N’ADJUGE aucuns dépens étant donné que chacune des parties obtient en partie gain de cause.

 

« Mary J.L. Gleason »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑56‑11

 

INTITULÉ :                                                  ZABIA CHAMBERLAIN c
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 16 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LA JUGE GLEASON

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 31 août 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Zabia Chamberlain

 

LA DEMANDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Caroline Engmann,

Josh Alcock

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Zabia Chamberlain

Ottawa (Ontario)

 

LA DEMANDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Myles J. Kirvan,

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 



[1] Les documents que l’avocate souhaite faire radier sous cet onglet comprennent la déclaration affirmative de R. Borysewize, datée du 28 octobre 2010; de D. Bryson, datée du 3 novembre 2010; de D. Jelly, datée du 3 novembre 2010; de C. Corneau, datée du 19 novembre 2010; de M. Chaussé, datée d’octobre 2010; de F. Dean, datée du 26 octobre 2010 et de D. Londynski, datée du 8 novembre 2010, ainsi que les affidavits souscrits par D. Bryson, daté du 29 avril 2011, par C. Corneau, daté du 29 avril 2011 et par M. Chaussé, daté d’avril 2011.

 

[2] Les documents que l’avocate souhaitait faire radier parce qu’ils sont postérieurs à la décision comprennent les documents que l’on trouve aux onglets 8 et 9, 10, D et E1 et 11, A, B, C, D, E et F du dossier de la demanderesse.

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