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Date : 20120831

Dossier : IMM-387-12

Référence : 2012 CF 1046

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 31 août 2012

En présence de monsieur le juge Boivin

 

 

ENTRE :

 

SANJAYAN SIVALINGAM

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision, en date du 9 décembre 2011, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) a refusé de reconnaître au demandeur la qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

 

Contexte factuel

[2]               M. Sanjayan Sivalingam (le demandeur) est un citoyen du Sri Lanka d’origine ethnique tamoule. Il demande l’asile au Canada en vertu des articles 96 et 97 de la Loi, car il allègue qu’il risque d’être persécuté ou tué au Sri Lanka comme jeune Tamoul venant du Nord.

 

[3]               Le demandeur allègue qu’il a grandi dans le contexte de la guerre civile au Sri Lanka. Il soutient que sa famille et lui ont résidé à Jaffna jusqu’en octobre 1995, lorsque l’armée sri-lankaise les a obligés à quitter leur maison. Le demandeur allègue de plus que sa famille a alors déménagé à Vinayagapuram, à Mallavi.

 

[4]               À Vinayagapuram, à Mallavi, le demandeur déclare que son père était harcelé par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET). Il soutient que malgré l’accord de paix entre les TLET et le gouvernement sri‑lankais en février 2002, les TLET ont continué à harceler sa famille.

 

[5]               Le demandeur allègue qu’en mars 2006, les TLET ont tenté de le recruter; il avait alors vingt‑deux (22) ans. En conséquence, il affirme que son père a décidé de déménager la famille à Sithamparapuram, à Vavuniya, en août 2006.

 

[6]               À Vavuniya, le demandeur allègue avoir travaillé comme maçon. Il soutient cependant que l’armée sri‑lankaise et les militants de l’Organisation de libération populaire de l’Eelam tamoul (la PLOTE) le harcelaient sans cesse. Il prétend que la PLOTE l’a forcé à travailler pour elle comme maçon sans être rémunéré et qu’il a été menacé de représailles en cas de refus.

 

[7]               En mai 2008, le demandeur allègue que l’armée sri-lankaise l’a arrêté alors qu’il retournait à la maison. Il affirme qu’il a été accusé d’être un militant des TLET et qu’il a été interrogé et torturé au camp militaire de Joseph. Il soutient qu’il a été détenu pendant dix‑huit (18) jours et qu’il a été libéré uniquement après que son père eut payé un pot‑de‑vin à l’armée sri-lankaise. Il affirme avoir dû obtenir des soins médicaux après sa libération.

 

[8]               Le demandeur allègue qu’en janvier 2009, des militants de la PLOTE l’ont détenu pendant deux (2) jours après qu’il eut refusé de travailler gratuitement pour eux. Un incident semblable s’est produit à nouveau en juin 2009. Toutefois, cette fois-là, lorsque le demandeur a refusé d’obtempérer, les militants de la PLOTE ont faussement informé l’armée sri‑lankaise que le demandeur travaillait pour les TLET. En conséquence, aux dires du demandeur, l’armée sri-lankaise l’a arrêté et détenu pendant quatre (4) jours au cours desquels il a été battu et interrogé. Le demandeur affirme qu’il a été libéré après que son père eut payé un autre pot‑de‑vin.

 

[9]               Le demandeur prétend que les militants de la PLOTE ont continué à le harceler et que son père et lui ont décidé de déposer une plainte au poste de police. Toutefois, le demandeur a à nouveau été remis à l’armée sri‑lankaise et a été arrêté le 1er décembre 2009. Selon le demandeur, son père aurait alors payé un autre pot‑de‑vin permettant d’obtenir sa libération et on lui aurait ordonné de [traduction] « retirer la plainte » à l’encontre des militants de la PLOTE.

 

[10]           Après sa libération, le demandeur a reçu des soins médicaux. À la clinique médicale, il a appris que la PLOTE le recherchait et avait informé sa mère de son intention de le tuer.

 

[11]           Le père du demandeur a alors trouvé un agent pour prendre des mesures pour que le demandeur fuie le Sri Lanka. Le demandeur a transité par plusieurs pays et a été intercepté aux États-Unis. Après avoir été détenu pendant deux mois, le demandeur a été libéré et il a fui au Canada. Il a présenté une demande d’asile à la frontière canadienne le jour de son arrivée.

 

[12]           Le demandeur soutient qu’en juin 2010, une fois arrivé au Canada, il a appris que les militants de la PLOTE avaient continué à le rechercher. De même, il a appris que sa famille avait déménagé à Jaffna en mai 2010 après eu avoir été harcelée par des militants de la PLOTE. Le demandeur soutient qu’à Jaffna, sa famille continue à avoir des problèmes avec l’armée sri‑lankaise. Il affirme que l’armée sri‑lankaise a interrogé les membres de sa famille et que ces derniers ont été tenus d’enregistrer le nom du demandeur auprès de l’armée sri‑lankaise depuis leur arrivée à Jaffna.

 

[13]           La Commission a entendu la demande d’asile du demandeur le 11 octobre 2011.

 

La décision faisant l’objet du contrôle

[14]           La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de « personne à protéger » aux termes des articles 96 et 97 de la Loi, respectivement. Bien qu’elle ait estimé que les allégations du demandeur étaient crédibles, la Commission a souligné que le point déterminant de la demande d’asile était que la guerre civile sri-lankaise était terminée et elle a rejeté la demande du demandeur pour ce motif.

 

[15]           La Commission a confirmé qu’il y avait seulement une simple possibilité que le demandeur d’asile soit exposé à un risque de persécution au Sri Lanka à titre de jeune Tamoul provenant du Nord. Se fondant sur des principes directeurs du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (le HCR), la Commission a conclu que la situation avait changé au Sri Lanka depuis la fin de la guerre civile et que ce changement était un changement durable. La Commission a reconnu que les documents fournis par le demandeur présentaient des analyses différentes, mais après les avoir soupesés, elle a conclu que rien n’indiquait que le document du HCR n’était plus valide.

 

[16]           De plus, la Commission a conclu qu’il était important de faire une distinction entre la criminalité, l’action policière et la persécution. Elle a indiqué que dans son témoignage, le demandeur avait déclaré qu’il n’avait jamais été associé aux TLET et que le gouvernement sri‑lankais avait libéré des milliers de dirigeants des TLET depuis la fin de la guerre civile. De même, la Commission a conclu que l’armée sri‑lankaise n’aurait vraisemblablement pas libéré le demandeur en 2009 si elle avait réellement cru qu’il appartenait aux TLET. En conséquence, la Commission a conclu que le demandeur était exposé à un risque moins que sérieux d’être persécuté par l’armée sri‑lankaise en raison de son association présumée aux TLET.

 

[17]           En outre, compte tenu de l’exposé circonstancié du demandeur dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) et de son témoignage, la Commission a décidé que le demandeur avait été exposé à un risque uniquement parce qu’il avait refusé de travailler gratuitement comme maçon pour la PLOTE. La Commission a conclu que cela équivalait à de l’extorsion de la part d’une organisation criminelle, ce que la preuve documentaire étayait selon la Commission. Cette conclusion commandait une évaluation au regard de l’alinéa 97(1)b) de la Loi. La Commission a expliqué que si le demandeur devait rejoindre sa famille à Jaffna, il était difficile de croire que les militants de la PLOTE dans la région, s’il y en avait, sauraient que l’organisation avait auparavant tenté, à Vavuniya, de forcer le demandeur à fournir des services de maçonnerie gratuits. La Commission a conclu que même si ces renseignements étaient connus, cela ne signifiait pas que les militants de la PLOTE auraient également besoin du travail gratuit d’un maçon. En conséquence, la Commission a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur d’asile serait à l’abri de la PLOTE à Jaffna.

 

[18]           En ce qui a trait à l’enregistrement du demandeur, la Commission a indiqué que la preuve montrait que le fardeau concernant l’enregistrement avait été éliminé, car [traduction] « le commandant des forces de sécurité de Jaffna avait garanti que l’enregistrement forcé cesserait » et que la PLOTE n’était pas une force ou était une force en déclin à Jaffna. La Commission a de plus indiqué que le demandeur serait à l’abri de la PLOTE à Colombo, pour les mêmes motifs qu’il le serait à Jaffna.

 

[19]           En ce qui concerne les allégations du demandeur selon lesquelles il serait exposé à un risque s’il devait retourner au Sri Lanka parce qu’il serait arrêté à l’aéroport, après avoir examiné la preuve documentaire qu’il a fournie, la Commission a conclu que celle‑ci manquait de précisions et a mentionné qu’elle préférait la preuve provenant du gouvernement du R.‑U. et du haut‑commissariat du Canada qui indiquait que « ce processus d’entrée au Sri Lanka était sans heurts si les demandeurs d’asile n’avaient aucun lien avec les TLET et s’ils n’étaient pas des criminels ». La Commission a souligné le fait que la guerre civile au Sri Lanka avait pris fin plus de deux (2) ans auparavant et que plusieurs demandeurs d’asile y étaient retournés. De plus, la Commission a mentionné que le demandeur avait quitté le Sri Lanka muni de son propre passeport et sans difficulté pendant la période de vigilance accrue en 2009. La Commission a conclu que ce fait renforçait sa conclusion selon laquelle il y avait moins qu’une possibilité sérieuse que les autorités sri‑lankaises fassent courir un risque au demandeur s’il devait retourner dans son pays d’origine.

 

Questions en litige

[20]           La présente affaire soulève les questions suivantes :

1)            Était-il raisonnable de la part de la Commission de conclure que la fin de la guerre civile au Sri Lanka représentait un changement de circonstances tel que le demandeur pouvait retourner dans son pays et vivre en sécurité à Jaffna ou à Colombo?

 

2)            La Commission a‑t‑elle omis de respecter un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou possédait‑elle la compétence voulue pour rendre sa décision?

 

Les dispositions législatives

[21]           Les dispositions suivantes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés s’appliquent à la présente instance :

Partie 2

 

PROTECTION DES RÉFUGIÉS

 

Notions d’asile, de réfugié et de personne à protéger

 

 

 

Définition de « réfugié »

 

A qualité de réfugié au sens de la Convention – le réfugié – la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

Part 2

 

REFUGEE PROTECTION

 

 

Refugee Protection, Convention Refugees and Persons in Need of Protection

 

Convention refugee

 

A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Personne à protéger

 

(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales – et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Person in need of protection

 

(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

Norme de contrôle

[22]           En ce qui concerne la première question en litige, soit celle de savoir s’il était raisonnable de la part de la Commission de conclure que la fin de la guerre civile au Sri Lanka représentait un changement de circonstances tel que le demandeur pouvait retourner dans son pays et vivre en sécurité à Jaffna ou à Colombo, la Cour rappelle que les conclusions de la Commission quant au changement de circonstances dans un pays sont des questions de fait auxquelles s’applique la norme de contrôle de la décision raisonnable (Sow c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 7, aux paragraphes 7 et 8, [2012] ACF n19; Yusuf c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] ACF n35, au paragraphe 2, 179 NR 11; Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]).

 

[23]           En ce qui a trait à la deuxième question en litige, soit celle de savoir si la Commission a omis de respecter un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou si elle possédait la compétence voulue pour rendre sa décision, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (voir arrêt Dunsmuir, précité; Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c Ontario (Ministre du travail), 2003 CSC 29, aux paragraphes 99 et 100, [2003] 1 RCS 539; Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 53, [2005] ACF n2056).

 

Analyse

 

Question no 1 – Était-il raisonnable de la part de la Commission de conclure que la fin de la guerre civile au Sri Lanka représentait un changement de circonstances tel que le demandeur pouvait retourner dans son pays et vivre en sécurité à Jaffna ou à Colombo?

 

Allégation selon laquelle la Commission n’a pas appliqué les bons critères

[24]           Le demandeur soutient que la Commission a omis d’appliquer le bon critère en concluant qu’il y avait eu un changement de situation depuis que le demandeur avait présenté sa demande d’asile. La Cour doit cependant convenir avec le défendeur que la Commission a en effet appliqué le bon critère concernant le changement de circonstances conformément aux principes énoncés dans la décision Tariq c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 540, [2001] ACF no 822. Le demandeur demande dans les faits à la Cour de soupeser à nouveau la situation du pays. 

 

[25]           Le demandeur allègue de plus que la Commission a aussi commis une erreur en ce qui a trait au risque de persécution au Sri Lanka. Dans l’arrêt Adjei c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1989] 2 CF 680, [1989] ACF no 67 [Adjei], la Cour d’appel fédérale a conclu qu’un demandeur d’asile était tenu de démontrer l’existence d’une possibilité de persécution « raisonnable » ou « sérieuse », par opposition à une simple possibilité de persécution (voir aussi Lawal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 558, [2010] ACF no 673; Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 1, [2005] ACF no 1). La Commission a souligné que la guerre civile au Sri Lanka était terminée et la Cour convient avec le défendeur qu’il est bien établi en droit que le critère applicable à la reconnaissance du statut de réfugié est prospectif et non rétrospectif (Pour‑Shariati c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 1 CF 767; [1994] ACF no 1928; Katwaru c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 196, [2010] ACF no 232).

 

[26]           Après un examen minutieux de la jurisprudence applicable et de la preuve, la Cour ne peut pas accepter les arguments du demandeur et conclut que la Commission a appliqué les bons critères pour évaluer la demande d’asile du demandeur.

 

Traitement de la preuve

[27]           Le demandeur soutient également que la Commission a ignoré ou a mal décrit la preuve documentaire qui est au cœur de la demande d’asile. Plus précisément, le demandeur fait valoir que la Commission a ignoré la preuve du demandeur concernant l’existence du risque et du danger à Vavuniya et à Jaffna : le fait que sa famille a fait l’objet de perquisitions, le danger pour son frère, les menaces visent le demandeur, les conséquences découlant de l’enregistrement forcé de membres « absents » de la famille, le lien qui existe entre la PLOTE et l’armée sri‑lankaise et le fait que la PLOTE l’a dénoncé à l’armée sri‑lankaise pour avoir appuyé les TLET. De même, le demandeur prétend que la Commission a ignoré ou écarté la preuve documentaire provenant de plusieurs groupes de défense des droits de la personne.

 

[28]           En outre, le demandeur fait valoir qu’en concluant que le demandeur n’était pas exposé à un risque, la Commission s’est fondée sur une partie d’un document du HCR daté de juillet 2010 qui était de nature générale et difficile à interpréter. Le demandeur soutient que la Commission a également ignoré des renseignements contenus dans certaines parties de ce même document et que rien dans la preuve documentaire postérieure au document du HCR n’indique que ses conclusions sont toujours valables.

 

[29]           De plus, le demandeur soutient que les conclusions de la Commission étaient de nature conjecturale et qu’en identifiant la PLOTE comme étant une organisation criminelle, la Commission n’a pas examiné la preuve du demandeur. De même, le demandeur affirme qu’aucun élément de preuve n’indique que la PLOTE a coupé ses liens avec l’armée sri‑lankaise et que la Commission a ignoré une grande quantité de documents qui démontrent que l’armée sri-lankaise continue d’être une force puissante à Jaffna et un agent de persécution important. De même, le demandeur allègue que des éléments de preuve semblables ont été ignorés concernant la possibilité de refuge intérieur à Colombo. Bien que le demandeur reconnaisse que la Commission n’était pas tenue de faire de commentaires à propos de chaque élément de preuve documentaire, il soutient que les documents sont contradictoires et que la Commission aurait dû examiner et expliquer les raisons pour lesquelles elle rejetait cette allégation.

 

[30]           Pour sa part, le défendeur est d’avis que les conclusions de la Commission étaient raisonnables et que la preuve documentaire indique qu’il y avait eu en effet un changement de circonstances depuis que le demandeur a présenté sa demande d’asile, car la guerre civile au Sri Lanka a pris fin en mai 2009. Le défendeur explique que ce changement est substantiel et durable et que par conséquent, il rend la crainte du demandeur non fondée (voir Barua c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 59, [2012] ACF no 70; Hettige c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 849, [2010] ACF no 1056; Balasubramaniam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 228, [2012] ACF no 249; Selvalingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 251, [2012] ACF no 274; Sivalingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 47, [2012] ACF no 47).

 

[31]           Le défendeur soutient également qu’il était raisonnable de la part de la Commission de conclure que le demandeur risquait d’être extorqué par la PLOTE, ce qui constitue de la criminalité et ne peut pas être un fondement pour obtenir le statut de réfugié suivant un motif prévu à la Convention en vertu de l’article 96 de la Loi (voir entre autres Aburto c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1049, [2011] ACF no 1305; Meneses c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 511, [2009] ACF no 830; Suarez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 227, [2009] ACF no 275). La Commission avait le droit de tirer cette conclusion, car la question du lien est une question de fait.

 

[32]           De plus, en ce qui a trait à l’évaluation de la demande d’asile du demandeur en vertu de l’article 97 de la Loi, le défendeur soutient que la décision de la Commission était raisonnable, puisque la preuve documentaire indique que la PLOTE est une force en déclin qui s’est transformée en gangs criminels. Le défendeur fait également valoir qu’il était raisonnable de la part de la Commission de conclure qu’il était peu probable que la PLOTE à Jaffna soit au courant des démêlés du demandeur avec l’organisation concernant son travail de maçon et, si elle l’était, qu’elle ait besoin de travaux de maçonnerie. Le défendeur réitère également les conclusions de la Commission selon lesquelles le demandeur n’intéresserait pas l’armée sri‑lankaise puisqu’il n’a jamais été associé aux TLET. Il souligne le fait que la preuve documentaire indique que les jeunes Tamouls du Nord n’ont pas besoin de la protection internationale depuis la fin de la guerre. De plus, le défendeur explique que la preuve documentaire montre que le demandeur ne serait plus tenu de s’enregistrer à Jaffna. Le défendeur soutient en outre que le demandeur a omis d’expliquer les raisons pour lesquelles l’enregistrement à Colombo constituerait de la persécution ou un risque de retour.

 

[33]           La Cour est d’accord avec le défendeur et souligne qu’il est clair que la Commission a examiné la preuve documentaire et donné une explication complète concernant les raisons pour lesquelles elle a choisi de privilégier certains documents à d’autres que le demandeur avait fournis. Même si la Cour convient que certains éléments de la preuve documentaire au dossier étaient plus récents que le document du HCR sur lequel la Commission s’est appuyée, la Cour note que la Commission a reconnu qu’il y avait des éléments de preuve documentaire plus récents que le document du HCR mais a expliqué les raisons pour lesquelles elle a décidé que les renseignements dans le document du HCR étaient toujours valides (paragraphe 15 de la décision de la Commission). Bien que le demandeur allègue que la Commission a ignoré et mal interprété la preuve concernant le fait que sa famille faisait l’objet de perquisitions et de menaces, ces incidents se sont produits à Vavuniya et non à Jaffna, où la famille réside à l’heure actuelle.

 

[34]           La Cour est également d’avis qu’il était loisible à la Commission de conclure que la preuve documentaire n’étayait pas l’allégation du demandeur voulant qu’il soit exposé à un risque à son retour au Sri Lanka. En effet, la preuve démontre que le demandeur n’était pas un criminel et n’avait pas de lien avec les TLET. Ainsi, il était également raisonnable de la part de la Commission de conclure que le demandeur ne serait pas exposé à un risque à son arrivée au Sri Lanka. De plus, l’armée sri‑lankaise n’aurait probablement pas libéré le demandeur au cours de l’année 2009 en échange d’un pot‑de‑vin si elle avait réellement cru qu’il était associé aux TLET. Il était donc raisonnable de la part de la Commission de conclure que le demandeur ne correspondait tout simplement pas au profil de risque parce qu’il n’était pas un membre des TLET. 

 

[35]           La Commission a analysé les différences qui existent pour les demandeurs d’asile lors d’un retour ou d’un transit au Sri Lanka. Malgré l’argument du demandeur, la Cour conclut que, parmi les éléments de preuve, la Commission avait le droit de s’appuyer sur les analyses du gouvernement du R.‑U. et du haut-commissariat canadien qui indiquaient que le processus d’entrée au Sri Lanka se faisait « sans heurts » si les demandeurs d’asile qui retournaient chez eux n’avaient aucun lien avec les TLET et s’ils n’étaient pas des criminels (paragraphe 22 de la décision de la Commission).

 

[36]           À l’audience devant la Cour, aucun élément de preuve convaincant contraire n’a été allégué et le demandeur n’a pas expliqué de façon convaincante à la Cour pourquoi il serait ciblé personnellement.  

 

[37]           Essentiellement, un débat concernant le traitement de la preuve par la Commission est au cœur de la présente demande de contrôle judiciaire. Même si le demandeur reproche à la Commission d’avoir omis de prendre en compte plusieurs documents et d’en privilégier certains à d’autres, la Cour estime que l’insatisfaction du demandeur à l’égard de la façon dont la Commission a traité la preuve ne justifie pas l’intervention de la Cour. 

 

[38]           À l’audience devant la Cour, le demandeur a renvoyé à une décision récente rendue par le juge Martineau, Sivapathasuntharam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 486, [2012] ACF no 511. La Cour estime que la décision Sivapathasuntharam ne s’applique pas en l’espèce. Premièrement, il est important de souligner que le juge Martineau a pris soin de distinguer la décision Sivapathasuntharam des autres décisions récentes concernant le Sri Lanka. En effet, il a conclu que la Commission, dans sa décision de deux pages, s’est fondée d’une manière sélective sur la preuve et a analysé celle‑ci très rapidement. Toutefois, et il est utile de le souligner que, dans la présente affaire, la Commission a examiné les éléments de preuve contraires et fourni une analyse dans ses motifs. Chaque affaire est un cas d’espèce et la Cour ne peut, dans les présentes circonstances, adopter les parallèles que le demandeur souhaite faire.

 

Question no 2 – La Commission a‑t‑elle omis de respecter un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou possédait‑elle la compétence voulue pour rendre sa décision?

 

Décision à caractère persuasif

[39]           Le demandeur allègue que la décision de la Commission était clairement fondée sur une décision à caractère persuasif rendue en novembre 2010, bien qu’elle ne soit pas mentionnée dans ses motifs (dossier du demandeur, aux pages 66 à 75). Ainsi, le demandeur soutient qu’il a été privé de son droit à une audience équitable et impartiale et que justice ne paraît pas avoir été rendue.

 

[40]           Le demandeur fait valoir que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) encourage le recours à des décisions à caractère persuasif. Le demandeur affirme toutefois de telles décisions sont prononcées sans aucune autorité légale par opposition aux lignes directrices jurisprudentielles qui découlent de l’alinéa 158(1)h) de la Loi. Néanmoins, le demandeur déclare que même si les décisions à caractère persuasif doivent être considérées comme étant légales, la Commission était quand même tenue de remplir son obligation de déterminer la question de savoir si le demandeur était exposé à un risque de persécution.

 

[41]           À l’inverse, le défendeur affirme que la décision à caractère persuasif invoquée par le demandeur n’était pas mentionnée dans la décision de la Commission et que rien n’indique que la Commission se soit appuyée sur celle-ci puisqu’elle a examiné la situation personnelle du demandeur, ses antécédents et la preuve documentaire. Le défendeur soutient que cet argument est tout à fait hypothétique et non fondé.

 

[42]           Après avoir examiné la décision de la Commission et les arguments des parties, la Cour conclut que l’argument du demandeur sur ce point est sans fondement.

 

L’allégation concernant la compétence du commissaire

[43]           De plus, le demandeur soutient que justice ne semble pas avoir été rendue en raison de la possible incompétence de la Commission. De façon générale, le demandeur fait valoir que certains membres actuels de la CISR ont échoué l’examen qui est exigé s’ils souhaitent demeurer en fonction après l’entrée en vigueur du projet de loi C‑11. En conséquence, le demandeur soutient que le taux d’échec des membres actuels de la Commission soulève des préoccupations sérieuses concernant leur compétence (dossier du demandeur, aux pages 76 à 85).

 

[44]           Après avoir examiné la preuve et l’argument, la Cour conclut que l’argument est de nature conjecturale et n’est pas étayé par la preuve et doit donc être rejeté (Faour c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 534, [2012] ACF no 562; Gillani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 533, [2012] ACF no 561).

 

[45]           Finalement, le demandeur tente de présenter de nouveaux éléments de preuve en soutenant que son profil est semblable à celui d’autres personnes dont les demandes d’asile ont été acceptées. La jurisprudence de la Cour établit cependant clairement que le statut de réfugié est décidé au cas par cas, sur la base des faits allégués. Les deux décisions présentées par le demandeur ont été rendues après l’audition de sa demande par la Commission et ont été rendues par des tribunaux différemment constitués. La Commission n’est pas liée par l’issue d’une autre demande d’asile. Ces nouveaux éléments de preuve ne sont pas admissibles à cette étape du contrôle judiciaire et la Cour doit donc rejeter l’argument du demandeur.

 

[46]           Pour tous ces motifs, la Cour conclut que la décision de la Commission appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). En conséquence, la Cour doit rejeter la demande de contrôle judiciaire.

 

[47]           Les parties n’ont pas proposé de question à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.

 

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-387-12

 

Intitulé :                                                  Sanjayan Sivalingam c MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 19 juillet 2012

 

Motifs du jugement :                       le juge BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 31 août 2012

 

 

 

Comparutions :

 

Joyce Yedid

 

Pour le demandeur

 

Angela Joshi

Pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cabinet de J. Yedid

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

 

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