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Date : 20120830

 

Dossier : IMM-92-12

Référence : 2012 CF 1037

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 août 2012

En présence de monsieur le juge Boivin

 

 

ENTRE :

 

GASTON KIPA NUMBI

FRANÇOISE TSHIKUDI NDJIBU

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [Loi] à l’égard de la décision datée du 12 décembre 2011 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé de reconnaître aux demandeurs la qualité de réfugiés au sens de la Convention ou celle de personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

 

I. Les faits à l’origine du litige

[2]               Les demandeurs, M. Gaston Kipa Numbi (le demandeur principal) et son épouse, Mme Françoise Tshikudi Ndjibu, sont tous les deux des citoyens de la République démocratique du Congo (la RDC) qui demandent la protection du Canada, parce qu’ils craignent d’être persécutés par le gouvernement de la RDC, étant donné que le demandeur principal a dénoncé les manoeuvres de corruption et de détournement de fonds du président congolais.

 

[3]               Le demandeur principal a travaillé comme fonctionnaire au ministère des Finances du Congo pendant environ trente (30) ans.

 

[4]               Le demandeur principal soutient qu’en juillet 2006, il a été nommé à la tête d’un organisme gouvernemental qui avait pour mandat d’enquêter sur les dossiers fiscaux litigieux et les allégations de malversation et de recouvrer les montants d’impôt ou de droits de douane qui n’avaient pas été versés en bonne et due forme au gouvernement.

 

[5]               Le 30 mars 2010, dans le cadre de ses fonctions, le demandeur principal s’est présenté au bureau des douanes et de l’accise afin de recouvrer des fonds qu’une entreprise avait apparemment payés au service des douanes. Cependant, le demandeur soutient qu’il a appris du séquestre que l’argent avait été transféré dans un compte géré par le président de la RDC. Ces fonds totalisaient environ 23 millions de dollars US.

 

[6]               Le demandeur principal allègue qu’il a signalé cette irrégularité et que, par la suite, il est devenu la cible des forces de sécurité du président congolais.

 

[7]               Le demandeur principal allègue que, le 15 avril 2010, il a reçu un appel téléphonique de l’un de ses collègues qui l’a prévenu de ne pas retourner au bureau, parce que les forces de sécurité présidentielles s’apprêtaient à l’arrêter. Par conséquent, le demandeur principal soutient qu’il n’est jamais retourné à son bureau.

 

[8]               Le demandeur principal ajoute qu’il a commencé à recevoir des appels téléphoniques anonymes et des appels de menaces ainsi que des visites non prévues des forces de sécurité du président chez lui. En conséquence, il explique qu’il a décidé de partir et de se cacher dans la maison d’un membre de sa famille.

 

[9]               Craignant pour sa vie, le demandeur principal affirme qu’il a demandé un congé d’un an de son lieu de travail ainsi que des visas de séjour canadiens.

 

[10]           Les demandeurs sont arrivés au Canada le 5 juillet 2010 et ont présenté une demande d’asile le 11 août 2010.

 

[11]           La Commission a entendu la demande d’asile des demandeurs le 14 novembre 2011.

 

II. La décision visée par le contrôle

[12]           La Commission a rejeté la demande d’asile des demandeurs, au motif que la question déterminante à trancher concernait l’absence de crédibilité de leur compte rendu.

 

[13]           La Commission a jugé qu’il était peu vraisemblable que les demandeurs soient persécutés par les forces de sécurité présidentielles simplement parce que le demandeur principal avait signalé l’irrégularité tout en continuant d’exercer les fonctions de son poste. La Commission a conclu que le demandeur principal n’avait d’autre choix que d’informer son superviseur que les fonds avaient été virés dans un compte géré par le président congolais et qu’il n’avait pas ces fonds en sa possession.

 

[14]           La Commission a souligné qu’il était plutôt probable qu’après une longue carrière dans la fonction publique, le demandeur ait simplement voulu prendre sa retraite au Canada. La Commission a fait remarquer que les demandeurs n’avaient pas quitté la RDC à la hâte, mais qu’ils avaient pris leur temps pour planifier leur voyage et pour obtenir leurs visas canadiens.

 

[15]           La Commission a également reconnu que les demandeurs avaient présenté une preuve abondante faisant état des atteintes aux droits de la personne en RDC. La Commission a affirmé qu’elle était au courant des violations commises dans ce pays. Cependant, elle a conclu qu’en qualité d’employé du gouvernement, le demandeur n’avait présenté aucun élément de preuve établissant qu’il avait été persécuté au cours de sa longue carrière et elle a jugé qu’il était peu probable qu’il soit persécuté maintenant, à la fin de sa carrière.

 

III. La question en litige

[16]           La seule question à trancher en l’espèce est la suivante : les conclusions de la Commission étaient-elles raisonnables?

 

IV. Les dispositions législatives

[17]           Les dispositions suivantes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés s’appliquent à la présente instance :

Notions d’asile, de rÉfugiÉ et de personne à protÉger

 

 

Définition de « réfugié »

 

Refugee Protection, Convention Refugees and Persons in Need of Protection

 

Convention refugee

 

 

Personne à protéger

 

(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Person in need of protection

 

(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

[18]           Il est bien reconnu en droit que les conclusions de la Commission sur la crédibilité et le manque de vraisemblance sont des questions de fait et sont donc susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1993] ACF no 732, 160 NR 315; Hafeez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 747, au paragraphe 13, [2012] ACF no 798; Cekim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 177, au paragraphe 6, [2011] ACF no 221; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190).

 

[19]           La Cour souligne que la Commission a conclu essentiellement qu’il était peu vraisemblable que le demandeur soit persécuté par les forces de sécurité présidentielles à la fin de sa longue carrière simplement parce qu’il avait signalé une irrégularité financière de 23 millions de dollars alors qu’il exerçait ses fonctions comme vérificateur pour le ministère des Finances. La Cour rappelle que la Commission a le droit de tirer des conclusions relatives à la crédibilité sur la base des invraisemblances, du bon sens et de la raison (Cooper c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 118, [2012] ACF no 135; Hilo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1991] ACF no 228, 130 NR 236; RKL c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, 228 FTR 43).

 

[20]           Cependant, la Cour estime que, dans la présente affaire, cette conclusion n’est appuyée par aucun élément de preuve et, par conséquent, la Commission ne pouvait raisonnablement en arriver à la conclusion d’invraisemblance qu’elle a tirée, puisque celle-ci n’était pas fondée sur la documentation contenue au dossier. Plus précisément, la Cour est d’avis que la conclusion d’invraisemblance de la Commission n’était pas appuyée de façon adéquate par la preuve ni étayée d’une autre manière. Effectivement, les demandeurs avaient attiré l’attention de la Commission sur divers documents concernant les meurtres de certains individus (fonctionnaires, politiciens, journalistes et activistes travaillant pour des organisations non gouvernementales) qui avaient dénoncé le détournement de fonds de la part de l’État congolais (dossier du tribunal, pages 833 et 838). Bien que cette preuve ait été fournie à la Commission, celle-ci ne l’a pas commentée ou analysée dans sa décision (Fok c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1993] ACF no 800 (disponible sur QL); Zakhour c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1178, [2011] ACF no 1449).

 

[21]           Ainsi, la Cour pense à M. Steve Nyembo, haut fonctionnaire du service fiscal qui a été assassiné et dont les parties génitales ont été mutilées parce qu’il avait dénoncé le détournement de fonds fiscaux par le bureau du président (dossier du demandeur, pages 102 et 103).

 

[22]           De l’avis de la Cour, la Commission ne pouvait écarter cette preuve d’emblée. Elle avait l’obligation de commenter dans sa décision ces renseignements ainsi que le témoignage du demandeur principal. À cet égard, la décision de la Commission n’était pas raisonnable.

 

[23]           De plus, la Commission a commis une erreur en supposant que le demandeur principal souhaitait simplement rester au Canada afin de profiter de sa retraite. Cette supposition était sans fondement et n’était pas appuyée par la preuve. Même si la Cour accepte l’argument du défendeur selon lequel cette question a été examinée et débattue au cours de l’audience (dossier du tribunal, pages 317 à 320 et pages 826 à 833), la Commission l’a totalement ignorée dans sa décision.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande est accueillie.

 

2.                  La décision est annulée et l’affaire est renvoyée pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué de la Commission.

 

3.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-92-12

 

INTITULÉ :                                      GASTON KIPA NUMBI ET AL c MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 26 juillet 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 30 août 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Raoul Boulakia

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Sybil Thompson

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cabinet de Raoul Boulakia

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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