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Date : 20120827

Dossier : T-1272-11

Référence : 2012 CF 1015

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Halifax (Nouvelle-Écosse), le 27 août 2012

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

 

DEVANSH BHAGRIA,

AGUM KUMAR BHAGRIA et

SANGEETA RANI BHAGRIA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, à l’égard d’une décision datée du 8 juin 2011 par laquelle une agente du service extérieur du Haut-Commissariat du Canada en Inde (l’agente) a refusé d’attribuer la citoyenneté canadienne au demandeur, Devansh Bhagria, après avoir conclu que la lettre d’approbation de l’adoption de l’autorité indienne responsable des adoptions internationales était frauduleuse. En conséquence, conformément à l’alinéa 5.1(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-29, l’agente a conclu que le demandeur, Devansh Bhagria, ne respectait pas les exigences relatives à l’attribution de la citoyenneté canadienne.

Les demandeurs demandent à la Cour d’ordonner que la citoyenneté canadienne soit attribuée au demandeur, Devansh Bhagria. Subsidiairement, ils demandent que la décision de l’agente soit infirmée et que la demande de citoyenneté de Devansh Bhagria soit renvoyée au Haut-Commissariat du Canada en Inde pour que son traitement se poursuive.

[2]               Le demandeur principal est un jeune enfant, Devansh Bhagria, qui est un citoyen de l’Inde. Les autres demandeurs sont Agum Kumar Bhagria et Sangeeta Rani Bhagria, qui se sont mariés en 1990 et sont subséquemment devenus citoyens canadiens. Le couple réside actuellement à Winnipeg.

[3]               Le demandeur principal est né le 9 mai 2010. Sa mère est la cousine éloignée de Mme Bhagria. Étant donné que le couple des demandeurs est incapable d’avoir des enfants, la mère du demandeur principal leur a dit qu’elle leur permettrait d’adopter son fils. Avec la bénédiction de la grand-mère de Mme Bhagria, le couple des demandeurs a décidé de procéder à l’adoption. Le 28 mai 2010, la cour de Roorkee, en Inde, a établi un acte d’adoption reconnaissant l’adoption du demandeur principal par le couple des demandeurs.

[4]               Le 16 août 2010, les Services à l’enfant et à la famille de Winnipeg ont présenté une étude du milieu familial concernant l’adoption internationale du demandeur principal par le couple des demandeurs. Dans ce rapport, l’approbation de l’adoption était recommandée.

[5]               Le 4 janvier 2011, la demande de citoyenneté canadienne du demandeur principal a été déposée auprès du Haut-Commissariat du Canada à New Delhi. Le mois suivant, le 16 février 2011, l’agente a fait parvenir une lettre dans laquelle elle a demandé les documents nécessaires pour traiter la demande. Ces documents comprenaient une étude du milieu familial, un certificat de non‑opposition de la Central Adoption Resource Authority (CARA) de l’Inde et un certificat de non‑opposition provincial.

[6]               Dans un certificat de non-opposition daté du 4 avril 2011, la CARA a affirmé qu’elle ne s’opposait pas à l’adoption. Cependant, étant donné que le certificat n’a pas été reçu directement de la CARA, la province du Manitoba a demandé que son authenticité soit vérifiée.

[7]               Le 21 avril 2011, un agent d’immigration désigné du Haut-Commissariat du Canada a fait parvenir un courriel à la CARA. Une copie du certificat de non-opposition a été jointe à la demande visant à en vérifier l’authenticité. Plus tard le même matin, C. Saraswathi, directeur adjoint de la CARA, a envoyé par courriel une réponse dans laquelle il a expliqué que la CARA n’avait pas établi le certificat de non-opposition en question, de sorte que celui-ci n’était pas authentique.

[8]               Par la suite, le 27 avril 2011, l’agente a fait parvenir aux demandeurs une lettre d’équité procédurale dans laquelle elle a affirmé que la CARA avait avisé le Haut-Commissariat du Canada que le certificat de non-opposition était frauduleux. L’agente a informé les demandeurs qu’ils disposaient d’un délai de trente jours pour fournir des observations supplémentaires.

[9]               M. Bhagria se trouvait en Inde lorsque la lettre d’équité procédurale a été reçue. En conséquence, vers le 3 mai 2011, M. Bhagria s’est rendu au bureau de la CARA à New Delhi et a rencontré la directrice du service, Mme Anu Jai Singh, qui lui aurait dit que l’affaire était encore pendante, parce que le demandeur principal n’était pas un membre de la famille immédiate, mais plutôt un enfant d’une cousine éloignée. Le certificat de non-opposition fourni au Haut‑Commissariat du Canada avait donc été établi par erreur. En fait, il concernait un autre enfant qui portait le même prénom que le demandeur principal et dont le dossier avait déjà été approuvé, ce qui n’était pas le cas du demandeur principal.

[10]           Le 4 mai 2011, M. Bhagria s’est rendu au Haut-Commissariat du Canada à New Delhi. Il a parlé à l’agent d’immigration Manjit Keshub et l’a informé de sa visite à la CARA. Dans un courriel envoyé à l’agente, l’agent Keshub a informé celle-ci de la visite de M. Bhagria. L’agent Keshub a expliqué que M. Bhagria avait parlé à Mme Singh, qui lui avait dit que le certificat de non‑opposition avait été établi par la CARA par suite d’une erreur technique de la part de celle-ci. Cependant, l’agent Keshub a souligné que, dans son courriel envoyé en réponse à la demande de vérification du certificat de non-opposition, la CARA n’a pas mentionné qu’elle avait établi le certificat en question, mais qu’elle l’avait fait par erreur.

[11]           Le 12 mai 2011, M. Bhagria est retourné au Haut-Commissariat du Canada à New Delhi et a demandé à rencontrer l’agente. Cette demande a été refusée, si bien que M. Bhagria a préparé des observations écrites qu’il a laissées au Haut-Commissariat du Canada à l’intention de l’agente. Dans ses observations, M. Bhagria a souligné qu’un représentant de la CARA lui avait assuré que le dossier du demandeur principal était en cours d’examen. Cependant, le traitement de tous les cas avait été reporté jusqu’à la fin de juillet, en raison de modifications apportées aux règles de la CARA en matière d’adoption. M. Bhagria a donc demandé à l’agente de réexaminer le dossier jusqu’à ce que les demandeurs reçoivent une réponse écrite de la CARA.

[12]           M. Bhagria a apparemment demandé à maintes reprises à la CARA de rédiger une nouvelle lettre afin de reconnaître son erreur; cependant, aucune lettre en ce sens n’a encore été préparée. M. Bhagria a également retenu les services d’un avocat en Inde pour l’aider relativement à cette question et cette affaire est pendante. Mme Bhagria reste en Inde avec le demandeur principal en attendant qu’une décision soit rendue au sujet de la présente demande.

La décision de l’agente

[13]           Dans une lettre datée du 8 juin 2011, l’agente a fait savoir au demandeur principal que sa demande de citoyenneté ne respectait pas les critères de l’alinéa 5.1(1)c) de la Loi sur la citoyenneté. L’agente a expliqué que cette conclusion était fondée sur la preuve de la CARA selon laquelle le certificat de non-opposition était frauduleux. En conséquence, il n’avait pas été établi que l’adoption du demandeur principal avait été faite conformément au droit de l’Inde, là où elle avait eu lieu. Pour cette raison, la demande de citoyenneté du demandeur principal a été rejetée.

[14]           Les motifs à l’appui de la décision de l’agente sont expliqués davantage dans les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC), lesquelles notes font partie de la décision.

[15]           Il appert des notes consignées dans le SMGC que le 4 mai 2011, M. Bhagria s’est rendu au Haut‑Commissariat du Canada à New Delhi pour savoir où en était la demande du demandeur principal. L’agente a refusé de rencontrer personnellement M. Bhagria, comme il le lui avait demandé. Néanmoins, M. Bhagria a informé l’agent Keshub qu’il s’était rendu au bureau de la CARA le 3 mai 2011 et qu’il avait parlé à Anu J. Singh, secrétaire. D’après les notes consignées dans le SMGC, Mme Singh a informé M. Bhagria que la CARA n’avait pas approuvé la demande de certificat de non-opposition, parce que le demandeur principal était un enfant d’une cousine éloignée plutôt qu’un membre de la famille immédiate. Madame Singh a ajouté que la CARA avait établi le certificat de non-opposition par erreur. Les notes consignées dans le SMGC font également état de la reconnaissance de l’explication de M. Bhagria selon laquelle son ami, M. Anand, avait traité de la question pour son compte avec la CARA et avait obtenu le certificat de non-opposition de celle-ci. Cependant, même si l’agente a reconnu ces observations, elle a mentionné que la CARA n’avait pas informé le Haut-Commissariat du Canada que le certificat de non-opposition avait été établi par erreur.

[16]           L’agente a également examiné les observations datées du 12 mai 2011 de M. Bhagria. Ces observations comprenaient une lettre dans laquelle M. Bhagria demandait à la CARA de réexaminer la décision portant refus de délivrer le certificat de non-opposition. Cependant, l’agente a souligné que, même si la demande en question a été refusée, les demandeurs ont présenté un certificat de non‑opposition frauduleux au Haut-Commissariat du Canada. Elle a ajouté qu’aucune réponse n’avait été donnée à cette question. En conséquence, l’agente a refusé la demande de citoyenneté du demandeur principal.

Les questions en litige

[17]           Les demandeurs soutiennent que les principales questions en litige sont les suivantes :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable en l’espèce?

            2.         En quoi consiste l’obligation d’équité en l’espèce?

3.         Le Haut-Commissariat du Canada a-t-il manqué à son devoir d’équité envers les demandeurs?

[18]           Je reformulerais les questions en litige comme suit :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         L’agente a-t-elle refusé aux demandeurs le droit à l’équité procédurale?

            3.         L’agente a-t-elle commis une erreur quant à la façon dont elle a apprécié la preuve?

Les observations écrites des demandeurs

[19]           Les demandeurs soutiennent que, eu égard à l’importance d’obtenir l’approbation de l’adoption internationale, un degré élevé d’équité procédurale est nécessaire. Les questions d’équité procédurale et de justice naturelle sont des questions de droit qui sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte.

[20]           Les demandeurs affirment qu’il est bien établi que les agents des visas ont une obligation d’équité envers les demandeurs et soulignent les facteurs qui servent à déterminer le contenu de l’obligation d’équité et que la Cour suprême du Canada a énoncés dans Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, [1999] ACS no 39.

[21]           Appliquant les facteurs de l’arrêt Baker, susmentionné, à la présente affaire et rappelant que celle-ci concerne l’adoption d’un enfant mineur, les demandeurs font valoir qu’un degré élevé d’équité procédurale est requis au cours du processus décisionnel de l’agent. Les demandeurs soulignent que le rôle de l’agent dans les affaires d’adoption est identique à celui du juge de la citoyenneté et que, de ce fait, l’agent remplit une fonction judiciaire. Selon les demandeurs, la Cour fédérale a affirmé qu’un degré élevé d’équité procédurale est exigé des juges de la citoyenneté.

[22]           Les demandeurs ajoutent que la décision de l’agente est définitive et ne peut être portée en appel. La présentation d’une nouvelle demande aurait pour effet d’augmenter sensiblement le temps d’attente global en vue de la réunification de la famille. De plus, comme l’agente leur avait proposé de présenter des observations supplémentaires, les demandeurs sont en droit de s’attendre à ce que leurs observations soient examinées à fond.

[23]           Alléguant qu’un degré élevé d’équité est nécessaire dans les situations semblables à la présente affaire, les demandeurs font valoir que ce degré d’équité n’a pas été atteint en l’espèce.

[24]           D’abord et avant tout, les demandeurs reprochent à l’agente de ne pas avoir examiné adéquatement la preuve. Ils soulignent que, selon la lettre envoyée par la CARA, le certificat de non‑opposition n’a pas été approuvé par le comité, de sorte qu’il n’a pas été délivré par la CARA. L’agente a conclu de cette lettre que le certificat de non-opposition était frauduleux. Cependant, les demandeurs soutiennent que d’autres interprétations sont possibles. Ainsi, il se pourrait que le certificat de non-opposition n’ait pas été établi conformément aux procédures normalement applicables à son approbation par le comité ou qu’un employé de la CARA ait délivré le certificat par erreur ou de manière frauduleuse. Étant donné que ces autres possibilités existent et que M. Bhagria a fourni une version différente des faits, l’agente aurait dû faire un suivi auprès de la CARA afin d’obtenir des éclaircissements ou de vérifier la crédibilité des demandeurs.

[25]           Les demandeurs ajoutent que le dossier de l’agente ne comporte pas le moindre élément de preuve montrant qu’elle a examiné les observations de M. Bhagria. À cet égard, les demandeurs soulignent qu’il n’y a pas eu d’analyse ou d’évaluation de la preuve ni de suivi auprès de la CARA ou des demandeurs. À leur avis, l’agente n’a pas examiné correctement les observations supplémentaires de M. Bhagria.

[26]           De plus, ou subsidiairement, les demandeurs font valoir que l’agente aurait dû accorder à M. Bhagria la possibilité de présenter ses observations en personne à l’agente. Selon les demandeurs, il appert de certaines décisions que le demandeur doit avoir la possibilité de présenter des observations de vive voix lorsque la crédibilité est déterminante ou lorsque des doutes existent au sujet de la preuve qu’il a présentée. Les demandeurs font valoir que, dans la présente affaire, toute conclusion portant qu’un document frauduleux a été fourni par eux ou pour leur compte reposait sur leur crédibilité et l’interrogatoire de vive voix était la procédure qui convenait le mieux pour évaluer cet aspect. Il était donc inéquitable de rejeter l’explication des demandeurs sans vérifier leur crédibilité.

[27]           Enfin, les demandeurs affirment qu’ils n’ont pas préparé de documents frauduleux ni n’ont pris de mesures pour obtenir des documents frauduleux de la CARA ou d’ailleurs.

Les observations écrites du défendeur

[28]           Le défendeur affirme que la norme de contrôle applicable est la norme de la décision correcte dans le cas des questions d’équité procédurale et la norme de la décision raisonnable pour ce qui est des questions d’interprétation et d’appréciation de la preuve.

[29]           De l’avis du défendeur, l’agente a examiné correctement la preuve des demandeurs.

[30]           Le défendeur commente d’abord l’argument des demandeurs selon lequel l’emploi du mot « fraudulent » (frauduleux) par l’agente pour décrire le certificat de non-opposition donne à penser qu’il s’agit d’une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité. Le défendeur souligne que l’agente n’a pas soutenu, que ce soit dans sa décision ou dans la lettre d’équité procédurale, que les demandeurs avaient eux-mêmes commis une fraude, ni que sa décision définitive reposait sur une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité. Elle a plutôt simplement mentionné que le certificat de non-opposition n’avait pas été attesté par son auteur présumé et qu’il ne suffisait donc pas pour établir que l’adoption avait été faite conformément au droit de l’Inde. Étant donné que la CARA a fait savoir qu’elle n’avait pas authentifié le certificat de non-opposition, il était raisonnable de la part de l’agente de décrire ledit certificat comme un document frauduleux, parce qu’il n’avait pas été autorisé, qu’il n’était pas authentique et qu’il n’avait pas été attesté par la CARA. Le défendeur ajoute que les demandeurs n’ont pas réussi à établir que l’adoption du demandeur principal avait été faite conformément au droit de l’Inde, puisque l’agente n’a jamais reçu de certificat de non-opposition authentifié par la CARA.

[31]           En deuxième lieu, le défendeur fait valoir que l’agente a dûment tenu compte des observations supplémentaires. Le défendeur souligne que l’exigence relative au caractère suffisant des motifs des décisions rendues par les agents administratifs n’est pas aussi rigoureuse que celle qui s’applique aux tribunaux administratifs. De plus, en l’absence d’éléments de preuve clairs et convaincants démontrant le contraire, les décideurs sont réputés avoir tenu compte de la totalité de la preuve qui leur a été présentée. Dans la présente affaire, aucun élément de preuve ne donne à penser que l’agente n’a pas tenu compte des observations supplémentaires. D’ailleurs, l’agente renvoie explicitement aux observations en question dans sa décision. Le défendeur affirme donc que l’agente a dûment tenu compte desdites observations.

[32]           Le défendeur commente ensuite la question de l’équité procédurale que les demandeurs ont soulevée. Il fait valoir que l’agente n’a pas commis d’erreur en refusant de fixer une entrevue. Le défendeur souligne qu’il n’y a aucune raison en droit pour laquelle M. Bhagria se serait attendu à rencontrer l’agente lorsqu’il s’est rendu au Haut-Commissariat du Canada à New Delhi alors qu’aucun rendez‑vous n’avait préalablement été fixé.

[33]           Le défendeur affirme également que l’agente n’a pas commis d’erreur en refusant de fixer une entrevue ou de proposer une autre date de rencontre. Le devoir d’équité qui existait dans les circonstances de la présente affaire ne comprenait pas l’obligation d’interroger les demandeurs ou de fixer une entrevue avec ceux-ci. Selon le défendeur, la Cour fédérale a reconnu qu’il n’est pas toujours obligatoire que les agents des visas tiennent des audiences de vive voix. La question cruciale à trancher pour déterminer la nécessité d’une audience est de savoir si les demandeurs ont eu une réelle possibilité, en l’absence d’audience, de présenter des éléments de preuve de façon que ceux-ci soient examinés en entier et de manière équitable. Le défendeur soutient que les demandeurs ont eu pleinement cette possibilité en l’espèce.

[34]           Le défendeur souligne l’argument des demandeurs selon lequel ils n’ont pas eu de réelle possibilité de présenter des éléments de preuve sur la question de savoir si l’adoption était conforme au droit indien. Selon le sous-alinéa 5.1(3)b)(i) du Règlement sur la citoyenneté, DORS/93-246, il est nécessaire d’obtenir un certificat de non-opposition valide de la CARA pour confirmer que l’adoption est conforme au droit indien. Il s’agit d’une preuve qui doit être présentée par écrit. Ainsi, en l’absence de certificat de non‑opposition valide de la CARA, aucune entrevue ou audience de vive voix n’aurait aidé les demandeurs à prouver à l’agente que l’adoption était conforme au droit indien. En conséquence, l’agente n’a pas commis de manquement aux règles d’équité procédurale en ne proposant pas d’autres dates de rencontre avec les demandeurs.

[35]           Qui plus est, le défendeur affirme que l’agente n’était pas tenue d’assurer un suivi auprès de la CARA. Il appartenait plutôt aux demandeurs de prouver que leur demande satisfaisait aux exigences en matière de citoyenneté. À cet égard, le défendeur invoque des décisions dans lesquelles il a été conclu qu’il incombait aux auteurs d’une demande de citoyenneté de prouver qu’ils avaient respecté les exigences de la Loi sur la citoyenneté et du Règlement sur la citoyenneté.

[36]           Le défendeur estime également que l’agente n’était pas tenue de suspendre l’examen de la demande de citoyenneté des demandeurs. En fait, cette exigence ne serait pas raisonnable et aurait pour effet de ralentir le traitement des demandes. Le défendeur souligne que M. Bhagria n’a pas indiqué à l’agente un délai précis à l’intérieur duquel aurait lieu le réexamen du certificat de non‑opposition par la CARA. En conséquence, le défendeur affirme que l’agente n’a pas commis d’erreur en refusant de tenir la demande de citoyenneté du demandeur principal en suspens jusqu’au règlement des questions des demandeurs avec la CARA.

[37]           En dernier lieu, le défendeur allègue que, si la Cour accueille la présente demande, elle ne devrait pas lui donner de directives précises lui enjoignant d’attribuer la citoyenneté. Ces directives ne sont pas justifiées dans les circonstances de la présente affaire.

Analyse et décision

[38]           Question no 1

            Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Lorsque la jurisprudence a défini la norme de contrôle applicable à une question particulière, la cour de révision peut adopter cette norme (voir Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57).

[39]           Les décisions rendues en application de l’article 5.1 de la Loi sur la citoyenneté sont des décisions fondées sur les faits et rendues par des agents possédant une compétence spécialisée dans le domaine. Ces décisions commandent un degré élevé de déférence de la part de la Cour fédérale et, par conséquent, la norme de contrôle qui s’y applique est celle de la décision raisonnable. Toutefois, la Cour fédérale peut intervenir lorsqu’elle estime que l’agent a commis une erreur en ignorant un élément de preuve ou en tirant des conclusions déraisonnables de la preuve (voir Jardine c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 565, [2011] ACF n782, aux paragraphes 16 à 18).

[40]           Lorsqu’elle révise la décision de l’agent selon la norme de la décision raisonnable, la Cour ne devrait pas intervenir à moins que l’agent n’ait tiré une conclusion qui n’est pas transparente, justifiée et intelligible et qui n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des éléments de preuve dont il disposait (voir Dunsmuir, susmentionné, au paragraphe 47). La cour de révision ne peut substituer à la conclusion de l’agent l’issue qui serait à son avis préférable et il n’entre pas dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] ACS no 12, aux paragraphes 59 et 61).

[41]           À l’inverse, les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (voir Malik c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1283, [2009] ACF no 1643, au paragraphe 23, et Khosa, précité, au paragraphe 43). Il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence à l’endroit de l’agent sur cette question (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 50).

[42]           Question no 2

            L’agente a-t-elle refusé aux demandeurs le droit à l’équité procédurale?

            La présente affaire porte sur l’application de l’article 5.1 de la Loi sur la citoyenneté, qui a été édicté relativement récemment. En conséquence, il a peu été interprété dans la jurisprudence jusqu’à maintenant. Lorsqu’il a adopté cette disposition, le législateur voulait réduire les distinctions relatives à l’admissibilité à la citoyenneté entre les enfants étrangers adoptés et les enfants nés à l’étranger de parents canadiens. Avant l’édiction de cette disposition, les enfants étrangers adoptés devaient d’abord demander et obtenir la résidence permanente avant de pouvoir demander la citoyenneté canadienne. Pour leur part, les enfants nés à l’étranger de parents canadiens obtenaient automatiquement la citoyenneté canadienne.

[43]           Lorsque le projet de loi comportant cette disposition a été débattu, les députés ont souligné que celle-ci visait à promouvoir le traitement juste et équitable des enfants nés de parents canadiens ainsi qu’à favoriser la constitution de nouvelles familles le plus facilement et le plus rapidement possible. Monte Solberg, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le parrain du projet de loi C‑14, a donné les explications suivantes lors du débat devant la Chambre des communes :

Effectivement, nous soutenons les familles et leurs nouveaux membres, les enfants adoptés, des enfants dont nous voulons assurer la protection, que nous voulons accueillir, des enfants qui se sentiront chez eux au Canada. [non souligné dans l’original]

 

 

[44]           M. Solberg a également souligné que cette disposition comportait d’importantes mesures de protection afin que l’on s’assure que l’adoption a été faite dans l’intérêt supérieur de l’enfant, qu’une évaluation adéquate du foyer d’adoption a été menée, que les parents biologiques ont consenti à l’adoption, qu’aucune personne ne retire des gains non justifiés de l’adoption en question et qu’un véritable lien affectif parent-enfant existe. Le respect des lois du pays où l’enfant a été adopté a aussi été décrit comme une obligation importante. C’est l’application de cette obligation qui est en cause en l’espèce.

[45]           Le sous-alinéa 5.1(3)b)(i) du Règlement sur la citoyenneté reconnaît cette obligation de respecter les lois des autres pays en matière d’adoption. Voici le texte de cette disposition :

Les facteurs ci-après sont considérés pour établir si les conditions prévues au paragraphe 5.1(1) de la Loi sont remplies à l’égard de l’adoption de la personne visée au paragraphe (1) : [...] dans le cas où la personne a été adoptée à l’étranger dans un pays qui est partie à la Convention de La Haye sur l’adoption et dont la destination prévue au moment de l’adoption est une province, [...] le fait que les autorités compétentes de ce pays et celles de la province de destination de la personne ont déclaré par écrit que l’adoption était conforme à cette convention, [...] [non souligné dans l’original]

 

 

[46]           Tel qu’il est mentionné plus haut, le sous-alinéa 5.1(3)b)(i) du Règlement sur la citoyenneté oblige les agents à se demander si les autorités compétentes du pays ont « déclaré par écrit que l’adoption était conforme à cette convention ».

[47]           Dans la présente affaire, il est indéniable que l’autorité compétente en Inde est la CARA et qu’un certificat de non-opposition écrit à l’égard du demandeur principal a été fourni à l’origine à l’agente. Cependant, les parties ne s’entendent pas sur l’interprétation de la réponse donnée par la CARA à la demande de vérification de l’authenticité du certificat en question. La réponse à cette demande était brève :

[traduction]

LE CERTIFICAT DE NON-OPPOSITION relatif à DEVANSH (M), né le 09‑05‑2010, n’a pas été approuvé par le comité et n’a donc pas été établi par la CARA. Par conséquent, le certificat de non‑opposition n’est pas authentifié ni attesté par la CARA.

 

 

[48]           Le défendeur soutient que cette réponse montre clairement que le certificat de non‑opposition n’était pas authentique et n’a pas été autorisé ni attesté par la CARA. L’agente a donc eu raison de présumer qu’il était frauduleux. À l’inverse, les demandeurs font valoir qu’en présumant que le certificat était frauduleux, l’agente mettait essentiellement en doute leur crédibilité. Par conséquent, elle devait tenir une audience de vive voix, interroger personnellement les demandeurs ou mener d’autres recherches auprès de la CARA. En omettant de prendre l’une ou l’autre de ces mesures, l’agente a privé les demandeurs de leurs droits à l’équité procédurale.

[49]           Avant de commenter plus à fond ces deux positions, il convient de souligner que les parties admettent qu’un degré élevé d’équité procédurale est nécessaire en l’espèce. Cependant, elles ne s’entendent pas sur le contenu de cette obligation dans la présente affaire. Étant donné que peu de décisions ont été rendues au sujet de cette disposition, il faut passer en revue les principes fondamentaux pour déterminer le contenu de l’obligation d’équité sous-jacente à celle-ci, eu égard également aux circonstances de la présente affaire.

[50]           Dans l’arrêt Baker, susmentionné, Madame la juge L’Heureux-Dubé a commenté les principes fondamentaux qui sont pertinents quant à la détermination du contenu de l’obligation de l’équité procédurale. Dès le départ, elle a reconnu que le contenu de l’obligation est tributaire du contexte particulier de chaque cas (voir l’arrêt Baker, susmentionné, au paragraphe 21). Madame la juge L’Heureux-Dubé a souligné ce qui suit (voir l’arrêt Baker, précité, au paragraphe 22) :

[…] les droits de participation faisant partie de l’obligation d’équité procédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d’une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leurs points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu’ils soient considérés par le décideur.

 

 

[51]           Madame la juge L’Heureux-Dubé a ensuite énuméré cinq facteurs non exhaustifs servant à déterminer le contenu de l’obligation d’équité (voir l’arrêt Baker, susmentionné, aux paragraphes 23 à 28). En résumé, il s’agit des facteurs suivants :

            1.         la nature de la décision et le processus suivi pour y parvenir;

2.         la nature du régime législatif et les termes de la loi en vertu de laquelle agit l’organisme en question;

            3.         l’importance de la décision pour les personnes visées;

            4.         les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision;

            5.         le choix de procédure que l’organisme fait lui-même.

[52]           En ce qui a trait au premier facteur, Madame la juge L’Heureux-Dubé a expliqué que plus le processus prévu, la fonction du tribunal, la nature de l’organisme rendant la décision et la démarche à suivre pour parvenir à la décision ressemblent à une prise de décision judiciaire, plus il est probable que l’obligation d’agir équitablement exigera des protections procédurales proches du modèle du procès (voir l’arrêt Baker, susmentionné, au paragraphe 23). L’élément clé réside dans la nature de la question à trancher et non dans le statut formel de l’organisme décisionnel (voir l’arrêt Baker, susmentionné, au paragraphe 25). Dans la présente affaire, lorsqu’elle exerce son pouvoir en application de l’article 5.1 de la Loi sur la citoyenneté, l’agente rend une décision concernant la citoyenneté d’un enfant adopté. Son rôle est donc semblable à celui d’un juge de la citoyenneté, ce qui signifie qu’elle devait soupeser la preuve et appliquer le droit aux faits. À ce titre, l’agente a exercé une fonction judiciaire en rendant sa décision.

[53]           Dans le cas du deuxième facteur, Madame la juge L’Heureux-Dubé a expliqué dans Baker que des protections procédurales plus importantes seront exigées lorsque la loi ne prévoit aucune procédure d’appel ou lorsque la décision est déterminante quant à la question en litige (au paragraphe 24). Comme l’indique la présente demande, il est possible de solliciter le contrôle judiciaire de la décision qu’un agent prend en application de l’article 5.1 de la Loi sur la citoyenneté. Cependant, aucun droit d’appel n’est prévu et les demandeurs ont fait valoir à juste titre que le processus du contrôle judiciaire est beaucoup plus restrictif que celui de l’appel. De plus, une fois que l’agent a rendu sa décision, une nouvelle demande serait nécessaire, ce qui retarderait la réunification de la famille. Le délai supplémentaire va à l’encontre de l’intention que le législateur avait lorsqu’il a édicté cette disposition, soit de voir de nouvelles familles se constituer le plus facilement et le plus rapidement possible.

[54]           Quant au troisième facteur, Madame la juge L’Heureux-Dubé a expliqué dans Baker que plus la décision est importante pour les vies des personnes visées et plus ses répercussions sont grandes pour ces personnes, plus les protections procédurales requises seront rigoureuses (au paragraphe 25). Ce facteur est nettement favorable aux demandeurs, puisque la décision de l’agente a de grandes répercussions sur leurs vies. En conséquence, ce facteur favorise lui aussi l’application de protections procédurales plus rigoureuses.

[55]           En ce qui concerne le quatrième facteur, Madame la juge L’Heureux-Dubé a expliqué dans Baker que si le demandeur s’attend légitimement à ce qu’une certaine procédure soit suivie, l’obligation d’équité exigera cette procédure (au paragraphe 26). Dans la présente affaire, les demandeurs soutiennent que, étant donné que l’agente leur a accordé un délai de trente jours pour présenter des observations supplémentaires, elle devait examiner attentivement les observations en question. Effectivement, l’agente est tenue d’examiner l’ensemble de la preuve dont elle est saisie, y compris les observations supplémentaires présentées à l’intérieur du délai autorisé de trente jours. Cependant, contrairement à ce que les demandeurs font valoir, il n’était pas obligatoire que le dossier soit tenu en suspens jusqu’à ce que les questions soient réglées avec la CARA. Aucune indication en ce sens n’a été donnée dans la lettre d’équité procédurale de l’agente.

[56]           Enfin, quant au cinquième facteur, Madame la juge L’Heureux-Dubé a expliqué dans Baker que les choix de procédure que l’organisme fait lui-même doivent être respectés, particulièrement quand la loi laisse au décideur la possibilité de choisir ses propres procédures, ou quand l’organisme a une expertise dans le choix des procédures appropriées dans les circonstances (au paragraphe 27). Le sous-alinéa 5.1(3)b)(i) du Règlement sur la citoyenneté énonce en toutes lettres une liste de facteurs que l’agent doit prendre en compte pour en arriver à une décision, ce qui limite un tant soit peu la souplesse du processus décisionnel. Cependant, il est bien reconnu que les agents d’immigration possèdent une compétence spécialisée sur les questions d’immigration qui commande généralement la déférence de la part des tribunaux. En conséquence, le choix de procédure que les agents font pour rendre leur décision devrait généralement être respecté.

[57]           En résumé, les trois premiers facteurs susmentionnés de l’arrêt Baker favorisent nettement l’application de protections procédurales rigoureuses, tandis que les deux derniers facteurs militent plutôt en faveur de la reconnaissance de protections procédurales moindres. En nous servant de cette analyse comme toile de fond, nous devons maintenant examiner les circonstances particulières mises en preuve en l’espèce pour décider si les droits d’équité procédurale nécessaires ont été reconnus aux demandeurs.

[58]           Dans la présente affaire, il est indéniable que l’agente a examiné le certificat de non‑opposition original et la réponse de la CARA à la demande de vérification dudit certificat. Cependant, lorsqu’elle a reçu la brève réponse que la CARA avait envoyée par courriel, l’agente n’a pas demandé d’autres renseignements à celle-ci. Néanmoins, elle a envoyé une lettre d’équité procédurale aux demandeurs afin de les informer de la réponse de la CARA et de leur accorder un délai de trente jours pour fournir des renseignements supplémentaires.

[59]           Peu après avoir reçu cette lettre d’équité procédurale, M. Bhagria s’est rendu au bureau de la CARA pour s’informer au sujet du certificat de non-opposition. Il est ensuite allé au bureau du Haut‑Commissariat du Canada, où il a parlé à l’agent Keshub. Après la discussion, l’agent Keshub a envoyé à l’agente un courriel dans lequel il a résumé les préoccupations de M. Bhagria. L’agent Kesheb a souligné la déclaration de M. Bhagria selon laquelle il avait parlé à Mme Singh, du bureau de la CARA, qui l’avait informé que le certificat de non-opposition avait été établi par erreur, parce qu’il était destiné à un autre enfant et non au demandeur principal. Toutefois, l’agent Keshub a souligné que, dans la réponse de la CARA à la demande de vérification du certificat de non-opposition, il n’est pas mentionné que la CARA avait établi celui-ci par erreur, mais plutôt qu’il n’était pas authentique et n’avait pas été établi par la CARA. Plus tard, lorsque M. Bhagria est retourné au bureau du Haut-Commissariat du Canada et a demandé une rencontre avec l’agente, celle-ci a refusé cette demande.

[60]           À mon avis, ces événements, auxquels s’ajoutent les protections procédurales relativement rigoureuses qu’exigent les facteurs susmentionnés de l’arrêt Baker et l’intention qu’avait le législateur en édictant l’article 5.1 de la Loi sur la citoyenneté, soulèvent de sérieuses questions au sujet de l’équité des mesures prises à l’égard des demandeurs en l’espèce sur le plan de la procédure. Je rappelle qu’en édictant cette disposition, le législateur voulait voir de nouvelles familles se constituer le plus facilement et le plus rapidement possible.

[61]           Je souligne ensuite le rapport sur l’étude du milieu familial menée par le gouvernement du Manitoba, qui comportait des recommandations très favorables au sujet des demandeurs comme parents adoptifs. Quant aux lois sur l’adoption de l’Inde, il convient de souligner qu’un acte d’adoption émanant de la cour de Roorkee, en Inde, a été remis aux demandeurs et soumis à l’agente. Il n’a nullement été sous-entendu que ce document était frauduleux ou invalide. De plus, lorsqu’il a reçu la lettre d’équité procédurale, M. Bhagria a communiqué immédiatement avec la CARA et s’est rendu subséquemment au bureau du Haut-Commissariat du Canada à deux occasions distinctes afin de régler les questions soulevées. En conséquence, je suis d’avis que M. Bhagria a agi rapidement et de manière proactive afin de répondre aux préoccupations de l’agente. La conduite de l’agente ne peut toutefois être décrite de la même manière.

[62]           Eu égard à l’importance que le Canada accorde à la réunification des familles, je suis d’avis qu’au nom de l’équité procédurale exigée par les circonstances particulières de la présente affaire, l’agente devait aller plus loin et vérifier la façon dont la CARA avait traité le dossier du demandeur principal.

[63]           J’ai des doutes au sujet de la conclusion de l’agent Keshub selon laquelle le bref courriel de la CARA n’appuyait pas l’allégation de M. Bhagria. Même si la CARA n’a pas mentionné explicitement dans ce courriel qu’elle avait établi le certificat de non-opposition par erreur, elle a affirmé que le comité n’avait pas approuvé le certificat relatif au demandeur principal. Si, comme M. Bhagria l’a souligné, le certificat de non-opposition avait été établi à tort à l’endroit du demandeur principal alors qu’il était destiné à un autre enfant, le comité n’aurait pas approuvé le certificat relatif au demandeur principal. Le courriel de la CARA peut donc être interprété de deux façons : soit le certificat de non‑opposition était frauduleux, soit il a été établi par erreur par la CARA. Comme l’agente n’a pas tenté d’obtenir d’autres explications, sa compréhension s’est limitée à l’interprétation donnée par l’agent Keshub et exposée dans le courriel. Dans ces circonstances, les demandeurs ont été privés du droit à l’examen complet et équitable de leur preuve par l’agente.

[64]           Eu égard à l’existence d’une explication claire qui est différente de la conclusion finale de l’agente ainsi qu’à l’intention qu’avait le législateur lorsqu’il a édicté l’article 5.1 de la Loi sur la citoyenneté, je suis d’avis que l’agente devait, à tout le moins, demander d’autres explications à la CARA au sujet du certificat de non-opposition en litige, dans le cadre de l’obligation d’équité procédurale qui lui incombait en l’espèce. Toute obligation moindre irait à l’encontre de l’objectif du législateur, soit de voir de nouvelles familles se constituer le plus facilement et le plus rapidement possible.

[65]           En raison de la conclusion à laquelle j’en suis arrivé au sujet de l’équité procédurale, il n’est pas nécessaire que j’examine l’autre question en litige.

[66]           Pour les motifs exposés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs est accueillie.

[67]           Le demandeur devrait bénéficier d’un délai suffisant pour obtenir le certificat de non‑opposition.

[68]           Le demandeur a sollicité les dépens dans son plaidoyer écrit; cependant, eu égard aux faits de la présente affaire, je ne suis pas disposé à accorder des dépens, car le problème découle d’une erreur de la CARA.


JUGEMENT

La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7

 

18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande.

 

 

(2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l’office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous-procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu’un juge de la Cour fédérale peut, avant ou après l’expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.

 

 

 

(3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

 

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

 

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

 

(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l’office fédéral, selon le cas :

a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l’exercer;

 

 

b) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter;

 

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

 

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

 

e) a agi ou omis d’agir en raison d’une fraude ou de faux témoignages;

 

f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.

 

(5) La Cour fédérale peut rejeter toute demande de contrôle judiciaire fondée uniquement sur un vice de forme si elle estime qu’en l’occurrence le vice n’entraîne aucun dommage important ni déni de justice et, le cas échéant, valider la décision ou l’ordonnance entachée du vice et donner effet à celle-ci selon les modalités de temps et autres qu’elle estime indiquées.

 

18.1 (1) An application for judicial review may be made by the Attorney General of Canada or by anyone directly affected by the matter in respect of which relief is sought.

 

(2) An application for judicial review in respect of a decision or an order of a federal board, commission or other tribunal shall be made within 30 days after the time the decision or order was first communicated by the federal board, commission or other tribunal to the office of the Deputy Attorney General of Canada or to the party directly affected by it, or within any further time that a judge of the Federal Court may fix or allow before or after the end of those 30 days.

 

(3) On an application for judicial review, the Federal Court may

 

(a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or

 

 

(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.

 

(4) The Federal Court may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

 

(a) acted without jurisdiction, acted beyond its jurisdiction or refused to exercise its jurisdiction;

 

(b) failed to observe a principle of natural justice, procedural fairness or other procedure that it was required by law to observe;

 

(c) erred in law in making a decision or an order, whether or not the error appears on the face of the record;

 

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

 

(e) acted, or failed to act, by reason of fraud or perjured evidence; or

 

(f) acted in any other way that was contrary to law.

 

(5) If the sole ground for relief established on an application for judicial review is a defect in form or a technical irregularity, the Federal Court may

 

 

 

 

 

 

(a) refuse the relief if it finds that no substantial wrong or miscarriage of justice has occurred; and

 

(b) in the case of a defect in form or a technical irregularity in a decision or an order, make an order validating the decision or order, to have effect from any time and on any terms that it considers appropriate.

 

 

 

Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-29

 

5.1 (1) Sous réserve du paragraphe (3), le ministre attribue, sur demande, la citoyenneté à la personne adoptée par un citoyen le 1er janvier 1947 ou subséquemment lorsqu’elle était un enfant mineur. L’adoption doit par ailleurs satisfaire aux conditions suivantes :

 

a) elle a été faite dans l’intérêt supérieur de l’enfant;

 

b) elle a créé un véritable lien affectif parent-enfant entre l’adoptant et l’adopté;

 

c) elle a été faite conformément au droit du lieu de l’adoption et du pays de résidence de l’adoptant;

 

 

d) elle ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à l’immigration ou à la citoyenneté.

 

5.1 (1) Subject to subsection (3), the Minister shall on application grant citizenship to a person who was adopted by a citizen on or after January 1, 1947 while the person was a minor child if the adoption

 

 

 

(a) was in the best interests of the child;

 

 

(b) created a genuine relationship of parent and child;

 

(c) was in accordance with the laws of the place where the adoption took place and the laws of the country of residence of the adopting citizen; and

 

(d) was not entered into primarily for the purpose of acquiring a status or privilege in relation to immigration or citizenship.

 

 

Règlement sur la citoyenneté, DORS/93-246

 

5.1(3) Les facteurs ci-après sont considérés pour établir si les conditions prévues au paragraphe 5.1(1) de la Loi sont remplies à l’égard de l’adoption de la personne visée au paragraphe (1) :

 

. . .

b) dans le cas où la personne a été adoptée à l’étranger dans un pays qui est partie à la Convention sur l’adoption et dont la destination prévue au moment de l’adoption est une province :

 

(i) le fait que les autorités compétentes de ce pays et celles de la province de destination de la personne ont déclaré par écrit que l’adoption était conforme à cette convention, . . .

5.1(3) The following factors are to be considered in determining whether the requirements of subsection 5.1(1) of the Act have been met in respect of the adoption of a person referred to in subsection (1):

 

. . .

(b) whether, in the case of a person who has been adopted outside Canada in a country that is a party to the Hague Convention on Adoption and whose intended destination at the time of the adoption is a province,

 

(i) the competent authority of the country and of the province of the person’s intended destination have stated in writing that they approve the adoption as conforming to that Convention, . . .


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1272-11

 

INTITULÉ :                                      DEVANSH BHAGRIA, AGUM KUMAR BHAGRIA

                                                            et SANGEETA RANI BHAGRIA

 

                                                            c

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 8 mars 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 27 août 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stacey L. Belding

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Alex Menticoglou

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Carroll & Belding

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada Winnipeg (Manitoba)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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