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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20120823

Dossier : IMM-8500-11

Référence : 2012 CF 1010

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 août 2012

En présence de madame la juge Gleason

 

 

ENTRE :

 

LUDYS MARIA ECHEVERRIA OLIVARES

RAMON IGNACIO PACHON ALARCON DANNA CAROLINA PACHON ECHEVERRIA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Les demandeurs sont les membres d’une famille composée du père, Ramon Alarcon, de la mère, Ludys Olivares, et de leur fille mineure, Danna. Tous les trois sont des citoyens de la Colombie qui ont fui ce pays pour venir au Canada en 2010 et qui ont soutenu à leur arrivée qu’ils avaient qualité de réfugiés ou de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR ou la Loi]. Au soutien de leur demande, ils ont déclaré qu’ils craignaient d’être torturés ou tués par les Fuerzas Revolucionarias de Columbia ou les FARC. Dans une décision datée du 21 octobre 2011, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR ou la Commission] a rejeté les demandes des demandeurs, ayant conclu que ceux-ci n’avaient pas réussi à réfuter la présomption de la protection de l’État. Dans la présente demande de contrôle judiciaire, les demandeurs demandent que cette décision soit infirmée.

 

[2]               Bien qu’ils invoquent plusieurs arguments au sujet des raisons pour lesquelles la décision devrait être annulée, il est nécessaire que je n’examine qu’un seul d’entre eux, soit l’argument selon lequel la SPR a commis une erreur susceptible de contrôle en qualifiant mal le « profil » ou la situation de M. Alarcon à l’égard du risque invoqué. Pour les motifs exposés ci-dessous, je suis d’avis que la Commission a mal décrit le profil de M. Alarcon et qu’elle a donc commis une erreur susceptible de contrôle, de sorte que la décision est annulée.

 

[3]               À cet égard, M. Alarcon a déclaré pendant son témoignage qu’il travaillait pour un groupe de médecins colombiens à but non lucratif qui consacrait une bonne partie de sa pratique au traitement des victimes d’actes de terrorisme, y compris les victimes des FARC. Le groupe avait le droit d’obtenir du gouvernement de la Colombie le remboursement du coût des traitements que recevaient les victimes de terrorisme. Les tâches de M. Alarcon consistaient notamment à compiler les renseignements nécessaires pour obtenir les remboursements; ce rôle aidait donc les médecins à traiter les victimes de terrorisme. Au cours de son témoignage, M. Alarcon a expliqué qu’à la fin de 2009, les FARC lui ont demandé de communiquer des renseignements au sujet des personnes que le groupe avait traitées, de présenter des demandes de remboursement frauduleuses et de leur verser les fonds reçus au titre de ces demandes. Il a refusé de le faire et, au début de l’année 2010, il a été enlevé et battu par les FARC, qui ont renouvelé leurs demandes. Peu après, des membres des FARC ont également téléphoné à Mme Olivares sur son téléphone cellulaire et lui ont dit qu’ils savaient qu’elle était l’épouse de M. Alarcon et que, si celui-ci ne faisait pas ce qu’ils lui demandaient, les FARC tueraient Danna. Après ces événements, la famille a déménagé ailleurs en Colombie, mais les FARC ont pu les retracer et ont renouvelé leurs menaces. Les demandeurs se sont alors enfuis au Canada et ont présenté leurs demandes d’asile. Dans sa décision, la Commission n’a pas mis en doute la version des événements donnée par les demandeurs, mais elle a conclu qu’ils n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État, parce que certains documents mis en preuve montraient que les autorités de la Colombie étaient, de façon générale, capables de protéger les personnes à l’encontre des FARC. Cependant, la Commission a également souligné que la preuve relative à la protection de l’État était partagée et que certains groupes de la société colombienne, notamment les activistes des droits de la personne, demeuraient en danger.

 

[4]               Lorsqu’elle a évalué les demandes des demandeurs et l’existence de la protection de l’État, la SPR a décrit M. Alarcon comme un « coordonnateur de la facturation », malgré le fait que son avocat a dit qu’il était un travailleur des droits de la personne et malgré le témoignage de M. Alarcon au sujet du travail qu’il faisait. La Commission ne s’est donc pas demandé si M. Alarcon était un travailleur ou activiste des droits de la personne semblable aux personnes qui pourraient être en danger en Colombie et qui ne seraient peut-être pas en mesure d’obtenir la protection de l’État. L’omission de la part de la SPR de mener cette analyse est importante car, comme celle-ci l’a souligné dans la décision, la documentation abondante dont elle avait été saisie au sujet de la situation du pays montrait que les activistes des droits de la personne étaient exposés au risque particulier d’être persécutés ou de subir un préjudice en Colombie (décision, au paragraphe 8, dossier certifié du tribunal [DCT], à la page 5). Effectivement, dans le rapport de mai 2010 du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés intitulé UNHCR Eligibility Guidelines for Assessing the International Protection Needs of Asylum-Seekers from Columbia, que la SPR a invoqué dans sa décision, il est mentionné que [traduction] « les membres de la société civile et les activistes des droits de la personne constituent à l’heure actuelle un des groupes les plus vulnérables en Colombie » et que le [traduction] « HCNUR estime que les activistes des droits de la personne et les membres de la société civile qui militent contre les violations et agressions commises par les groupes armés illégaux et les forces de sécurité pourraient être en danger en raison de leurs opinions politiques, réelles ou imputées » (DCT aux pages 198-190).

 

[5]               Bien que la Cour fédérale ait récemment confirmé de nombreuses décisions dans lesquelles la SPR a conclu que les demandeurs d’asile de la Colombie pouvaient se réclamer de la protection de l’État dans ce pays (voir, p. ex., Garavito Olaya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 913; Pion Tarazona c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 605; Castro Nino c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 506; Hernandez Bolanos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 513, 214 ACWS (3d) 553; Ayala Nunez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 255, 213 ACWS (3d) 451; et Alexander Osorio c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 37, 211 ACWS (3d) 187), dans les cas où, comme ce qui s’est produit en l’espèce, la Commission a mal décrit le profil du demandeur, les décisions ont été annulées au motif qu’elles n’étaient pas raisonnables. Ainsi, dans Osorio Garcia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 366, le juge Barnes a infirmé une décision dans laquelle la SPR a examiné la protection de l’État pouvant généralement être obtenue en Colombie, mais n’a pas tenu compte du risque auquel la demanderesse serait exposée si elle retournait dans ce pays et défendait à nouveau activement les idées politiques ou syndicales progressives. Dans cette affaire-là, la demanderesse avait été absente de la Colombie pendant plusieurs années, ayant vécu pendant plus de dix ans illégalement aux États-Unis, de sorte que le risque auquel elle était exposée en raison de son activisme était probablement beaucoup moins élevé que celui auquel M. Alarcon serait peut-être exposé. De même, dans Acevedo Munoz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 86, madame la juge Simpson a infirmé une décision dans laquelle la SPR n’a pas tenu compte du risque auquel était exposé le demandeur qui, plusieurs années auparavant, avait participé aux activités d’une organisation de protection des jeunes en Colombie et, de ce fait, avait nui à la capacité des FARC de recruter de nouveaux membres. De plus, dans Arias c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 322, j’ai infirmé une décision dans laquelle la SPR avait décrit erronément le demandeur à titre de « simple greffier », alors qu’il était en réalité un ex‑employé du système judiciaire et neveu d’un juge, et j’ai conclu que cette description erronée rendait la décision de la Commission déraisonnable, parce que la preuve documentaire montrait que les membres de la magistrature et les employés du système judiciaire étaient davantage exposés à un risque que les autres membres de la société colombienne.

 

[6]               Ces décisions vont de pair avec la jurisprudence de la Cour fédérale selon laquelle les décisions où la SPR qualifie mal le profil du demandeur ne sont pas raisonnables parce que, pour en arriver à cette décision, la Commission n’a pas tenu compte de la preuve dont elle était saisie et a mal évalué le risque auquel le demandeur pouvait être exposé. Comme l’a souligné le juge de Montigny dans Walcott c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 415, au paragraphe 44, 98 Imm LR (3d) 216, si la Commission a « mal qualifié le risque auquel le demandeur affirmait être exposé, [elle] ne pouvait l’apprécier correctement. Pour ce seul motif, [...] » il a fait droit à la demande de contrôle judiciaire.

 

[7]               En conséquence, étant donné que la SPR a mal évalué le travail que M. Alarcon faisait et qu’elle n’a pas examiné la documentation relative au pays à la lumière de la situation réelle et des circonstances personnelles du demandeur, la conclusion qu’elle a tirée au sujet de la protection de l’État n’est pas raisonnable. Puisque les deux autres demandes découlaient de la demande de M. Alarcon, la décision que la Commission a rendue dans les trois cas doit être infirmée et les demandes des demandeurs seront renvoyées à la SPR pour nouvelle décision par un tribunal différemment constitué.

 

[8]               Aucune question à certifier aux termes de l’article 74 de la LIPR n’a été présentée et aucune ne se pose en l’espèce.

 

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  La décision de la SPR est infirmée.

3.                  Les demandes d’asile des demandeurs sont renvoyées à la SPR pour nouvelle décision par un tribunal différemment constitué.

4.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

5.                  Aucune ordonnance n’est rendue au sujet des dépens.

 

 

 

« Mary J.L. Gleason »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8500-11

 

INTITULÉ :                                      LUDYS MARIA ECHEVERRIA OLIVARES ET AL. c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 20 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            MADAME LA JUGE GLEASON

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 23 août 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jack Davis

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Nicole Rahaman

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Davis & Grice,

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

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