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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20120829

Dossier : IMM-8948-11

Référence : 2012 CF 1025

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 août 2012

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

JOZSEF PUSUMA, AGNES TIMEA DAROCZI, VIKTORIA LAURA PUSUMA DAROCZI

(représentée par ses tuteurs à l’instance)

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d'une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) et visant la décision du 5 mars 2011 (la décision) par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande faite par les demandeurs en vue de la réouverture de leurs demandes d’asile présentées en application des articles 96 et 97 de la Loi.

FAITS PERTINENTS

[2]               Les demandeurs sont des Roms citoyens de la Hongrie. Ils sont venus au Canada pour échapper à la persécution dans leur pays en raison de leur origine ethnique et de leurs convictions politiques. Ils font actuellement l’objet de mesures de renvoi exécutoires. Après que le juge Roger Hughes a refusé le 8 décembre 2011 de sursoir à leur expulsion, les demandeurs ont cherché refuge dans une église anglicane non identifiée de Toronto où ils se trouvent toujours.

[3]               Les demandeurs ont sollicité l’asile au Canada le 17 septembre 2009. Ils ont dit craindre d’être persécutés parce que le demandeur travaillait auprès de Viktoria Mohacsi (Mme Mohacsi), une députée du Parlement européen défendant les droits des Roms, et parce qu’ils étaient Roms. Après avoir demandé l’asile, les demandeurs ont retenu les services d’un avocat, M. Hohots, et d’un consultant en immigration, M. Sarkozi, pour qu’ils les représentent. Les demandeurs disent avoir ensuite remis à M. Sarkozi une lettre dans laquelle Mme Mohacsi confirmait l’emploi occupé par le demandeur (la lettre de Mme Mohacsi), ainsi qu’un documentaire DVD traitant de la persécution des Roms en Hongrie.

Historique des procédures

[4]               La SPR a instruit au cours de deux séances les demandes d’asile des demandeurs. Représentés par le stagiaire en droit de M. Hohots à la première séance, les demandeurs ont sollicité et obtenu une remise pour cause de maladie de la demanderesse. C’est M. Sarkozi qui a représenté les demandeurs lors de la deuxième séance.

[5]               À la deuxième séance, les demandeurs ont tenté de produire la lettre de Mme Mohacsi ainsi que le DVD pour faire voir la situation qui existait en Hongrie. La SPR n’a pas admis ces éléments en preuve parce que les demandeurs ne les avaient pas transmis au moins 20 jours avant l’audience, tel que le requiert l’alinéa 29(4)a) des Règles de la Section de la protection des réfugiés DORS/2002-228 (les Règles). Les demandeurs n’avaient pas non plus fourni une traduction en anglais de la lettre de Mme Mohacsi. La SPR a visionné le DVD dans le cadre du plaidoyer final des demandeurs.

[6]               La SPR a examiné les demandes d’asile des demandeurs puis, le 25 février 2011, elle les a rejetées (la décision sur les demandes d’asile). La question déterminante était celle de la protection de l’État. La SPR a conclu que, sans en donner d’explication valable, le demandeur n’avait pas signalé certains actes de persécution à la police. Le demandeur n’avait pu réfuter, en ne faisant pas tout ce qu’on était en droit d’attendre de lui pour obtenir protection, la présomption d’existence de la protection de l’État en Hongrie. Faisant état du DVD dans ses motifs, la SPR a conclu qu’il démontrait qu’il y avait eu des problèmes de discrimination dans le passé en Hongrie. D’autres éléments de preuve permettaient toutefois de constater que ce pays avait pris diverses mesures pour s’attaquer à cette situation. La SPR a conclu que les demandeurs pouvaient se réclamer de la protection de l’État en Hongrie.

[7]               Des éléments essentiels du récit du demandeur n’étaient pas crédibles. Le demandeur a ainsi prétendu avoir travaillé pour Mme Mohacsi, mais il n’a présenté aucune preuve documentaire permettant de corroborer cette allégation. La SPR a également rejeté l’explication donnée par les demandeurs pour ne pas avoir fourni de traduction de la lettre de Mme Mohacsi; le délai d’une année et demie entre la présentation de leurs demandes d’asile et l’audience aurait dû suffire pour l’obtention d’une traduction de cette lettre. Les demandeurs auraient en outre pu chercher sur Internet et fournir de l’information au sujet de Mme Mohacsi, mais ils ne l’ont pas fait. Lorsque Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) lui avait fait passer une entrevue, enfin, le demandeur n’avait pas mentionné une agression subie en 2009 et dont il a fait état lorsqu’il a témoigné à l’audience.

[8]               Par suite du rejet de leurs demandes d’asile par la SPR, les demandeurs ont présenté à la Cour une demande d’autorisation et demande de contrôle judiciaire de la décision sur les demandes d’asile (IMM-1993-11). Les demandeurs affirment avoir demandé à M. Hohots de les représenter dans le cadre de cette demande, mais, d’après le dossier de la Cour, ils se sont alors représentés eux‑mêmes. Le 3 juin 2011, le juge Michael Kelen a rejeté la demande visant la décision sur les demandes d’asile parce qu’aucun dossier de demande n’avait encore été produit.

[9]               Les demandeurs ont présenté une demande d’évaluation des risques avant renvoi, qui a toutefois été rejetée. Ils ont également sollicité la suspension de la mesure de renvoi dont ils faisaient l’objet, ce qui leur a aussi été refusé. Le 7 mars 2012, le juge Robert Barnes a rejeté leur demande d’autorisation et demande de contrôle judiciaire visant la décision relative à la suspension  (IMM-8947-11).

[10]           Après le rejet de leur première demande présentée à la Cour, les demandeurs ont retenu les services de leur avocat actuel. Ils ont déposé des plaintes contre leurs précédents représentants, dans un cas, auprès du Barreau du Haut‑Canada (le Barreau) le vendredi 25 novembre 2011 et, dans l’autre cas, auprès de la Société canadienne des consultants en immigration (la SCCI) le lundi 28 novembre 2011. Le mardi 29 novembre 2011, ensuite, ils ont demandé à la SPR de rouvrir leurs demandes d’asile en vertu de l’article 55 des Règles. L’essentiel de leur argumentation était que leurs anciens représentants avaient par leur comportement porté atteinte à leur droit à l’équité procédurale. Leurs anciens conseils auraient ainsi omis de produire une traduction de la lettre de Mme Mohacsi dans le délai prévu à l’alinéa 29(4)a) des Règles, et leur incompétence les avait de la sorte empêché de présenter un élément de preuve capital. Cela constituait, selon la décision El Kaissi c Canada (Citoyenneté et Immigration),  2011 CF 1234, un manquement à l’équité procédurale nécessitant la réouverture par la SPR de leurs demandes d’asile.

[11]           Le défendeur a présenté des arguments à l’encontre de la demande de réouverture. Il a affirmé qu’aucune preuve ne démontrait la connaissance par les anciens représentants des allégations portées contre eux. Il a également fait remarquer que la décision sur les demandes d’asile se fondait sur des questions de crédibilité et de disponibilité de la protection de l’État.

[12]           La SPR a examiné la demande présentée par les demandeurs d’asile en vue de la réouverture de leurs demandes d’asile et elle l’a rejetée le 5 décembre 2011. Le 7 décembre 2011, la SPR a donné avis de la décision aux demandeurs.

DÉCISION CONTESTÉE

[13]           La SPR a rejeté la demande de réouverture des demandes d’asile parce que, selon elle, il n’y avait pas eu manquement au droit à l’équité procédurale des demandeurs du fait de l’incompétence de leurs conseils. La SPR a également conclu que le refus du tribunal originel d’admettre en preuve la lettre de Mme Mohacsi ou le DVD n’avait pas constitué un manquement à l’équité procédurale.

[14]           La SPR a examiné brièvement la décision sur les demandes d’asile et a conclu que l’élément principal y ayant mis en cause la crédibilité était le défaut du demandeur d’avoir mentionné l’agression subie en 2009 lorsque CIC lui avait fait passer une entrevue. Les demandes d’asile des demandeurs avaient été rejetées parce que ceux-ci pouvaient se réclamer de la protection de l’État en Hongrie. Selon la SPR, en outre, il était loisible au tribunal originel de rejeter la lettre de Mme Mohacsi en application du paragraphe 29(4) des Règles. Il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale à cet égard.

[15]           Les demandeurs n’ont pu démontrer non plus que le comportement de leurs anciens représentants avait enfreint leur droit à l’équité procédurale, parce qu’eux‑mêmes n’avaient pas donné à ceux-ci l’occasion de répondre aux allégations formulées contre eux. Les demandeurs ont bien déposé des plaintes contre leurs anciens représentants auprès du Barreau et de la SCCI, mais cela ne suffisait pas. La SPR a appuyé cette conclusion sur les décisions Ghahremani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1494, et Gonzalez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1274, et elle a aussi relevé que, selon Betesh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 173, une nouvelle audience ne devrait être accordée pour incompétence du conseil que dans des cas exceptionnels et lorsqu’il est raisonnablement probable que, sans cette incompétence, l’issue de l’instance aurait été différente.

QUESTIONS EN LITIGE

[16]           Les demandeurs soulèvent dans la présente demande les questions de savoir

a.                   si la SPR a commis une erreur en estimant nécessaire qu’ils aient déposé des plaintes contre leurs anciens conseils et leur aient donné avis des allégations portées contre eux;

b.                  si la SPR a porté atteinte à leur droit à l’équité procédurale en ne leur faisant pas part de l’obligation d’aviser dont, selon elle, ils auraient dû s’acquitter;

c.                   s’il était raisonnable pour la SPR de conclure que l’incompétence des anciens conseils n’avait pas eu d’incidence sur la conclusion du tribunal originel quant à la disponibilité de la protection de l’État.

 

NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[17]           La Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, a affirmé qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse relative à la norme de contrôle. En effet, lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière dont le tribunal est saisi est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’analyse des quatre facteurs servant à déterminer la norme de contrôle applicable.

[18]           En l’espèce, la première question en litige est une question de droit. La Cour suprême du Canada a établi dans l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 54, que la norme de la raisonnabilité s’appliquait aux questions de droit à l’égard desquels le décisionnaire a acquis une expertise particulière. Elle a plus récemment statué dans Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 30, que la norme de la décision correcte ne s’appliquait qu’à certaines catégories énumérées de questions, soit les questions constitutionnelles, les questions revêtant une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble, les questions portant sur la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés et les questions touchant véritablement la compétence. La première question en litige n’est pas d’un tel type et, ainsi, elle appelle la norme de contrôle de la raisonnabilité.

[19]           La troisième question en litige a trait à la conclusion de fait de la SPR. Il a été statué dans  Dunsmuir, précité, au paragraphe 53, que les conclusions de fait commandent la norme de la raisonnabilité.

[20]           Dans le cas du contrôle d’une décision suivant la norme du caractère raisonnable, l’analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».Voir Dunsmuir, ci-dessus, au paragraphe 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59.  En d’autres termes, la Cour ne doit intervenir que si la décision était déraisonnable en ce sens qu’elle ne fait pas partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

[21]           La seconde question en litige met en cause l’occasion pour le demandeur de se faire entendre, une composante de l’obligation d’équité. Il est de droit constant que de telles questions appellent la norme de la décision correcte. La Cour suprême du Canada a statué comme suit dans l’arrêt Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, au paragraphe 100 : « Il appartient aux tribunaux judiciaires et non au ministre de donner une réponse juridique aux questions d’équité procédurale ». La Cour d’appel fédérale a en outre déclaré ce qui suit dans Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 53 : « La question de l’équité procédurale est une question de droit. Aucune déférence n’est nécessaire. Soit le décideur a respecté l’obligation d’équité dans les circonstances propres à l’affaire, soit il a manqué à cette obligation. » La norme de contrôle applicable à la deuxième question est ainsi celle de la décision correcte.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES ET RÉGLEMENTAIRES PERTINENTES

[22]           Les dispositions suivantes des Règles s'appliquent dans la présente affaire :

55. (1) Le demandeur d’asile ou le ministre peut demander à la Section de rouvrir toute demande d’asile qui a fait l’objet d’une décision ou d’un désistement.

 

[...]

 

(4) La Section accueille la demande sur preuve du manquement à un principe de justice naturelle.

55. (1) A claimant or the Minister may make an application to the Division to re open a claim for refugee protection that has been decided or abandoned.

 

[...]

 

(4) The Division must allow the application if it is established that there was a failure to observe a principle of natural justice.

 

 

ARGUMENTS DES PARTIES

Observations des demandeurs

[23]           Suivant l’article 55 des Règles, la SPR doit rouvrir une demande d’asile s’il y a eu manquement à l’équité procédurale. Dans Matondo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 416, le juge Sean Harrington a déclaré ce qui suit, au paragraphe 14 : « Le paragraphe 55(4) du Règlement est clair. S’il y a eu déni de justice naturelle, la demande doit être rouverte. La Commission n’a aucune latitude à ce chapitre. » On a par ailleurs statué dans Memari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1196, que l’incompétence d’un avocat pouvait équivaloir à un manquement à l’équité procédurale si une erreur judiciaire en résultait (se reporter aux paragraphes 33 à 36 ainsi qu’à la décision El Kaissi, précitée, au paragraphe 18).

[24]           L’obligation faite par la SPR aux demandeurs de démontrer qu’ils avaient porté plainte contre leurs anciens représentants devant les organismes compétents et avisé ces représentants des allégations formulées à leur endroit ne reposait sur aucun fondement juridique. Dans Shirvan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1509, le juge Max Teitelbaum a ainsi déclaré ce qui suit, aux paragraphes 31 et 32 :

Avant d'examiner les allégations d'incompétence, la Cour doit déterminer si les demandeurs ont informé M. Hadad de celles-ci comme ils devaient le faire. L'avocat des demandeurs a écrit à la Société canadienne de consultants en immigration, dans une lettre en date du 15 août 2005, pour se plaindre de la manière dont M. Hadad avait traité les demandeurs et d'autres personnes et pour demander que l'organisme interdise immédiatement à M. Hadad d'agir comme consultant en immigration.

 

La lettre était datée du 15 août 2005, mais les demandeurs ont intenté la présente action en mars. Cela ne pose pas problème pour les demandeurs. Les tribunaux ont exigé une lettre d'un organisme de réglementation pour corroborer des allégations d'incompétence. Ils ne veulent pas examiner des allégations d'incompétence sans avoir une preuve à l'appui (Nunez c. Canada (MCI),[2000] A.C.F. no 555 (1re inst.), au paragraphe 19; Bader c. Canada (MCI), 2002 CFPI 304, au paragraphe 8). La lettre fournit une preuve corroborante suffisante et a informé en bonne et due forme l'ancien conseil des demandeurs de l'allégation à son endroit. De plus, le défendeur a écrit directement à M. Hadad dans une lettre datée du 12 octobre 2005. Cette lettre aurait laissé à M. Hadad suffisamment de temps pour décider s'il devait répondre aux allégations des demandeurs en l'espèce.

 

[25]           Une plainte en bonne et due forme est un moyen suffisant et acceptable d’aviser un représentant censément incompétent, mais ce n’est pas le seul. Se reporter à Cromhout c  Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1174, au paragraphe 31. La Cour mentionne en outre dans cette décision (paragraphe 32) que Betesh, précitée, énonce expressément qu’on satisfait à la condition préliminaire de démontrer ce type de manquement à l’équité procédurale soit en avisant un organisme de réglementation, soit en informant en personne l’ancien conseil. On pourra également se reporter à Ghahremani, précitée.

[26]           Il était déraisonnable pour la SPR de juger nécessaire à la fois que les demandeurs informent leurs anciens représentants des allégations portées contre eux et portent plainte devant les organismes de réglementation compétents. C’est là une erreur de droit nécessitant de renvoyer la décision pour nouvel examen.

[27]           En l’espèce, l’incompétence des conseils a empêché les demandeurs de faire admettre la lettre de Mme Mohacsi en preuve par le tribunal de la SPR qui a instruit leurs demandes d’asile. Cela a eu une incidence sur la conclusion de la SPR quant à la protection de l’État et à la crédibilité. Il ressort de Flores c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 503, aux paragraphes 30 et 31, que pour valablement évaluer la disponibilité de la protection de l’État, la SPR doit évaluer au préalable le risque auquel le demandeur d’asile serait exposé. Or, la lettre de Mme Mohacsi révélait la participation du demandeur aux activités d’une députée bien en vue du Parlement européen. Le profil du demandeur comme personne à risque différait de celui des citoyens ordinaires de la Hongrie, de sorte que l’exclusion de la lettre de Mme Mohacsi a influé sur l’analyse par la SPR de la question de la protection de l’État. L’incompétence des anciens conseils a empêché les demandeurs de produire une preuve d’importance pour établir le bien-fondé de leurs prétentions, et ainsi il était déraisonnable pour la SPR de conclure que cette incompétence n’a pas influé sur l’analyse du tribunal originel relative à la protection de l’État. Si l’incompétence des conseils n’avait pas empêché les demandeurs de produire en preuve la lettre de Mme Mohacsi, l’issue de l’instance  aurait pu être différente.

Équité procédurale

[28]           Les demandeurs ajoutent que même s’il avait été raisonnable pour la SPR de conclure qu’ils devaient aviser leurs anciens conseils et porter plainte devant les organismes de réglementation compétents, celle‑ci aurait enfreint leur droit à l’équité procédurale en ne les informant pas de l’existence de cette double obligation. On ne pouvait pas raisonnablement s’attendre à ce que les demandeurs connaissent cette exigence et la SPR était donc tenue de les en informer. La SPR ne l’a pas fait, mais elle a néanmoins disposé des demandes d’asile sur ce fondement.

Observations du défendeur

[29]           Pour faire valoir avec succès que l’incompétence de son conseil équivalait à un manquement à l’équité procédurale, un demandeur d’asile doit au préalable aviser ce conseil de ses allégations (Shirvan, précitée, paragraphes 31 et 32; Betesh, précitée). Il était raisonnable pour la SPR de conclure que, bien que les demandeurs aient porté plainte devant le Barreau et la SCCI, ils n’avaient pas donné d’avis à leurs anciens représentants ni ne leur avaient fourni l’occasion de répondre aux allégations portées contre eux. Les demandeurs disposent en outre d’une autre voie de recours : ils peuvent solliciter une nouvelle ERAR.

Réponse des demandeurs

[30]           Le défendeur a fait valoir la décision Betesh, précitée, pour affirmer que tant un avis qu’une plainte étaient requis, mais cette décision n’étaye pas une telle thèse. Dans Betesh, en effet, le juge James O’Reilly a rejeté la demande de contrôle judiciaire parce qu’en l’espèce les demandeurs n’avaient pas « établi que leur consultante avait été informée des allégations qu’ils avaient soulevées ou que des plaintes avaient été déposées auprès de la Société canadienne des consultants en immigration » (paragraphe 17). Selon la décision Cromhout, précitée, par ailleurs, une plainte en bonne et due forme constitue un moyen valable d’aviser son conseil. Les demandeurs ayant formulé une telle plainte, la SPR a commis une erreur en rejetant leur demande pour le  motif invoqué.

Mémoire supplémentaire du défendeur

[31]           La SPR a décidé de ne pas rouvrir les demandes d’asile des demandeurs après avoir conclu de manière raisonnable que leurs anciens représentants n’étaient pas au fait des allégations d’incompétence qu’ils avaient formulées contre eux. De plus, les demandeurs ont affirmé en présentant leur demande de réouverture qu’ils fourniraient des documents provenant de Mme Mohacsi et attestant de la situation qui règne en Hongrie, mais ils n’ont pas produit de tels documents.

Défaut d’aviser les anciens représentants

[32]           La SPR a conclu de manière raisonnable que les demandeurs n’avaient pas donné avis suffisant à leurs anciens représentants des allégations qu’ils avaient portées contre eux. Les demandeurs ont déposé leurs plaintes seulement 10 jours avant que la SPR ne rende sa décision. Selon les décisions Shirvan et Cromhout, précitées, on ne peut démontrer un manquement à l’équité procédurale du fait de l’incompétence d’un ancien conseil que si ce dernier a été valablement avisé des allégations d’incompétence portées contre lui. Rien dans le dossier dont la Cour est saisie n’indique que le Barreau ou la SCCI est entré en communication avec M. Hohots ou M. Sarkozi dans les 10 jours entre le dépôt des plaintes et le prononcé de la décision. Les anciens représentants n’auraient donc pu avoir connaissance des allégations à leur endroit que si les demandeurs avaient communiqué avec eux.

[33]           Dans la décision Arndorfer c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 20, la Cour a enjoint aux demandeurs, qui alléguaient l’incompétence, de signifier le dossier de demande à leur ancien avocat. Elle leur a aussi enjoint de renoncer à la protection du secret professionnel, de façon à permettre à leur ancien avocat de répondre aux allégations d’incompétence portées contre lui. Cela montre combien il importe d’accorder aux anciens représentants l’occasion de répondre aux allégations dont ils ont pu faire l’objet.

[34]           Le défendeur admet que l’incompétence d’un conseil peut constituer un manquement à l’équité procédurale. Il doit toutefois exister une preuve claire et convaincante de cette incompétence. Il faut également démontrer le préjudice causé par l’incompétence. Voir Ghahremani, précitée, au paragraphe 6. En outre, il doit être « raisonnablement probable que n’eût été de l’erreur ou des erreurs professionnelles en cause, l’issue de l’instance aurait été différente » (Gonzalez, précitée, paragraphe 27).

[35]           La SPR a conclu de manière raisonnable que les demandeurs n’avaient pas démontré que l’incompétence de leurs anciens conseils avait influé sur l’issue de leurs demandes d’asile. L’absence de la lettre de Mme Mohacsi n’a eu une incidence que sur la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’avait pas travaillé pour Mme Mohacsi. Le défaut du demandeur de mentionner l’agression de 2009 dans son FRP était davantage source d’inquiétude dans la décision sur les demandes d’asile, et ce défaut n’avait aucun lien avec une quelconque incompétence.

[36]           Les demandeurs ont également fait valoir le défaut de l’ancien conseil de présenter des éléments de preuve sur la situation régnant en Hongrie et qui auraient servi à démontrer le risque auquel ils y étaient exposés. Ils n’ont pas dit de quels éléments de preuve il s’agissait, ni en quoi ceux‑ci auraient changé la décision sur les demandes d’asile.

[37]           Les demandes d’asile ont été rejetées parce que les demandeurs pouvaient se réclamer de la protection de l’État en Hongrie. Puis, lorsque les demandeurs ont demandé à la SPR de rouvrir leurs demandes d’asile, ils n’ont présenté aucun élément de preuve montrant que les autorités hongroises n’offraient pas une protection suffisante aux personnes qui, comme le demandeur, défendent les droits des Roms.

ANALYSE

[38]           L’avocat des demandeurs m’a fait part de l’historique des procédures dans la présente affaire ainsi que des difficultés rencontrées par ses clients tout au long du processus. Aux fins du présent contrôle, toutefois, je me restreindrai à la décision et à ce qui, dans le dossier dont je suis saisi, se rapporte aux questions en litige.

[39]           Premièrement, je souscris à la thèse voulant que la lettre exclue de Mme Mohacsi, qui traitait des activités et du profil des demandeurs en Hongrie, était importante aux fins d’analyse de la protection de l’État et que par conséquent, si cette exclusion n’était pas justifiée, les conclusions quant à la protection de l’État ne pourraient être maintenues.

[40]           Je reconnais également que l’interprétation par la SPR de l’obligation d’aviser un ancien conseil accusé d’incompétence a été une composante importante de la décision. La SPR y a ainsi déclaré ce qui suit :

Les demandeurs ont bien déposé des plaintes auprès du Barreau du Haut-Canada et de l’organisme de réglementation des consultants en immigration. Cependant, rien n’indique dans la demande de réouverture que les demandeurs ont donné l’occasion à leur ancien conseil de faire part de leur justification, comme la Cour, dans la décision Ghahremani, Iraj, c. M.C.I. (C.F., IMM-1740-06), [...] l’a formulé : « La Cour fédérale s’est également montrée peu disposée à traiter des allégations d’incompétence sans qu’un avis approprié de ces allégations soit donné à l’ancien avocat et au barreau dont il est membre ou, dans le cas d’un consultant en immigration, au consultant ainsi qu’à la Société canadienne de consultants en immigration [...] ». En outre, la Cour est parvenue à la même conclusion dans la décision Ramiro Gonzalez, Norvin c. M.C.I. (C.F., IMM-1158-06), [...] lorsqu’elle a statué que : « Un justiciable ne peut valablement invoquer une faute professionnelle de son ancien avocat sans fournir les explications de ce dernier sur ce qui lui est reproché [...] ».

 

 

[41]           Selon mon interprétation de ce passage, la SPR n’a pas imposé aux demandeurs une quelconque obligation double inappropriée d’aviser. La SPR a plutôt conclu qu’en l’espèce, les plaintes auprès du Barreau et de la SCCI n’étaient pas un avis suffisant permettant aux demandeurs d’établir que le comportement de leurs anciens représentants avait constitué un manquement à l’équité procédurale. C’était là, à mon sens, une conclusion raisonnable.

[42]           Tel qu’on l’a clairement déclaré dans Shirvan, précitée, les « tribunaux ont exigé une lettre d’un organisme de réglementation pour corroborer des allégations d’incompétence » (la Cour souligne). On ne s’acquitte pas automatiquement de l’obligation d’aviser, toutefois, au moyen d’une telle lettre. Il s’est trouvé qu’en fonction des faits d’espèce dans Shirvan, la lettre à l’organisme de réglementation concerné a aussi « informé en bonne et due forme l’ancien conseil des demandeurs de l’allégation à son endroit »; on ne dit toutefois aucunement dans cette décision que tel sera toujours la situation dans chaque cas. Même dans Shirvan, de plus, le juge Teitelbaum a fait remarquer ce qui suit :  

De plus, le défendeur a écrit directement à M. Hadad dans une lettre datée du 12 octobre 2005. Cette lettre aurait laissé à M. Hadad suffisamment de temps pour décider s'il devait répondre aux allégations des demandeurs en l'espèce.

 

Le juge Teitelbaum a autrement dit estimé, en fonction des faits d’espèce, qu’un avis suffisant avait été donné. Il n’a pas dit qu’une plainte déposée auprès d’un organisme de réglementation constituait dans tous les cas un avis suffisant. En outre, même un avis suffisant à l’ancien conseil ne satisfera pas à l’obligation de « corroboration » mentionnée par le juge Teitelbaum. Il faut dans chaque cas satisfaire aux deux exigences.

 

[43]           La Cour a statué dans le passé qu’une plainte auprès d’un organisme de réglementation pouvait constituer un avis d’allégation d’incompétence suffisant à un ancien représentant. Je suis d’accord. Tel ne sera toutefois pas toujours le cas et chaque tribunal devra s’assurer, en fonction des faits qui lui sont soumis, que l’ancien conseil a obtenu un avis valable ainsi que l’occasion de se faire entendre. La SPR s’est préoccupée en l’espèce du caractère suffisant de l’avis, parce qu’il lui fallait disposer de l’ensemble des faits pertinents pour pouvoir évaluer si l’ancien représentant était bel et bien incompétent. À bon droit, la SPR est peu encline à tirer une conclusion de fait de cette nature sans permettre à l’ancien représentant de répondre aux allégations et de fournir des explications.

[44]           En l’espèce, il était raisonnable pour la SPR d’exiger davantage que la formulation de plaintes auprès du Barreau ou de la SCCI. La principale allégation portée par les demandeurs contre leurs anciens représentants était qu’ils avaient omis de produire une traduction en anglais de la lettre de Mme Mohacsi. Ils ont déclaré dans les observations au soutien de leur demande de réouverture qu’ils avaient [traduction] « fait preuve d’une grande diligence dans leur affaire et fourni, longtemps avant l’audience, une preuve d’une importance cruciale ». C’était là une assertion de fait, qui pouvait ou non être exacte. Il se pouvait, par ailleurs, que les anciens représentants aient une explication valable à donner quant au motif pour lequel la lettre de Mme Mohacsi n’avait pas été traduite avant l’audience.

[45]           Bien que les demandeurs aient déposé des plaintes auprès du Barreau et de la SCCI, ils n’ont énoncé dans ces plaintes, reproduites dans leur dossier de demande, que les allégations même soulevées devant la SPR. Ils n’ont présenté aucun autre élément de preuve pour corroborer leurs allégations d’incompétence. Il était par conséquent raisonnable pour la SPR de s’attendre à ce que les demandeurs fournissent d’autres éléments de corroboration et la preuve d’un avis suffisant donné à leurs anciens représentants.

[46]           Comme l’a fait valoir le défendeur, la conclusion de la Commission selon laquelle les plaintes auprès du Barreau et de la SCCI ne constituaient pas un avis suffisant aux anciens représentants était raisonnable compte tenu du fait que ces plaintes avaient été déposées, tout au plus, 10 jours plus tôt.

[47]           On n’a présenté à la Cour, non plus qu’à la SPR, aucun élément de preuve permettant de savoir si les organismes de réglementation en cause avaient communiqué pendant cette période avec les anciens conseils des demandeurs. Il n’y a non plus aucun élément de preuve quant à la durée d’une éventuelle enquête. On peut en outre se demander comment les anciens représentants auraient pu savoir, malgré l’existence d’une plainte déposée devant le Barreau ou la SCCI, que leur compétence était contestée devant la Cour, à moins que les demandeurs formulant les allégations n’aient communiqué directement avec eux et qu’on ne leur ait donné l’occasion d’y répondre.

[48]           On s’est préoccupé de cette situation dans Arndorfer, précitée, où la Cour, tout en accordant l’autorisation demandée, a ordonné que les demandeurs signifient le dossier de demande à leur ancien avocat et renoncent à la protection du secret professionnel, de façon à permettre à ce dernier de répondre aux allégations d’incompétence portées contre lui. La Cour a exigé cette renonciation pour pouvoir disposer de tous les faits nécessaires à l’examen de ces allégations.

[49]           Je conclus, par conséquent, que la SPR n’a pas imposé aux demandeurs une double obligation jugée non requise par la jurisprudence. Elle a conclu de manière raisonnable que la plainte déposée par les demandeurs ne suffisait pas en l’espèce pour satisfaire à l’obligation d’aviser.

[50]           Les avocats m’ont cité une série de décisions de la Cour qui traitent de l’obligation d’aviser. Dans certaines décisions, comme Ghahremani, précitée, on laisse entendre qu’avis des allégations d’incompétence devait être donné tant à l’ancien conseil qu’à l’organisme de réglementation concerné. On semble dire dans d’autres décisions, comme Cromhout (précitée, paragraphes 31 et 32), que le demandeur peut satisfaire à l’obligation d’aviser soit en déposant une plainte auprès d’un organisme de réglementation, soit en fournissant une preuve selon laquelle l’ancien représentant a été informé directement des allégations contre lui. Enfin, il ne ressort pas clairement d’autres décisions, comme Gonzalez, précitée, quelles obligations incombent véritablement au demandeur.

[51]           Dans la décision Betesh, précitée, le juge O’Reilly a résumé comme suit les principes applicables selon lui en la matière (au paragraphe 15) :

Les demandeurs admettent qu’ils doivent répondre à un critère très rigoureux pour qu’une nouvelle audience leur soit accordée sur le fondement de l’incompétence de leur consultante. Le juge Marshall Rothstein a affirmé qu’une nouvelle audience ne devrait être accordée que dans les cas très exceptionnels : Huynh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 642 (1re inst.) (QL). En outre, les demandeurs doivent démontrer qu’il est raisonnablement probable que l’issue de l’instance aurait été différente : Shirvan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1509. De manière générale, ils doivent également démontrer que la consultante a été informée des allégations d’incompétence et qu’elle a eu la possibilité d’y répondre : Shirvan, précitée; Nunez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n555.

 

 

[52]           Selon mon interprétation, aucune de ces décisions ne traite directement du point que les demandeurs font valoir devant moi, soit que l’avis donné à un organisme de réglementation serait toujours suffisant pour satisfaire à l’obligation d’aviser. Je ne vois pas comment, en outre, cette thèse pourrait résister à l’examen. Si elle était avérée, un demandeur d’asile pourrait aviser l’organisme de réglementation compétent d’une manière et à un moment tels qu’il serait impossible pour l’ancien conseil de se faire entendre dans les circonstances, tout en satisfaisant malgré cela à l’obligation d’aviser. Je crois que cette perspective a beaucoup préoccupé la SPR en l’espèce.

[53]           Il ressort selon moi de la jurisprudence qu’on peut satisfaire de plusieurs manières à l’obligation de donner un avis valable, mais que l’avis doit toujours être suffisant en fonction des faits d’espèce. Parfois une plainte auprès d’un organisme de réglementation suffira, mais parfois, comme dans notre affaire, davantage sera requis pour convaincre la SPR et la Cour qu’un ancien avocat ou consultant a reçu un avis valable et a obtenu l’occasion de se faire entendre. La SPR a jugé, d’après les faits dont elle était saisie, que l’avis donné aux organismes de réglementation ne lui permettait pas d’estimer qu’un avis suffisant avait été donné. Les demandeurs auraient aussi dû informer leurs anciens représentants dans un délai permettant à la SPR d’estimer que ceux‑ci avaient eu une occasion raisonnable de répondre aux allégations d’incompétence, et qu’elle-même disposait des éléments nécessaires à l’évaluation de ces allégations. Au vu des faits soumis, je ne crois pas que la SPR a commis une erreur de droit ou tiré une conclusion déraisonnable. Cela ne clôt toutefois pas l’affaire.

[54]           Les demandeurs soutiennent également qu’ils étaient en droit de se fonder sur la jurisprudence antérieure qui avait jugé suffisant l’avis donné à l’organisme de réglementation compétent et qu’ainsi, si la SPR croyait qu’un tel avis n’était pas suffisant en l’espèce, elle était tenue de les en avertir et de leur donner l’occasion de remédier à la lacune, ou à tout le moins de répondre au moyen d’observations supplémentaires. Les demandeurs affirment qu’il était inéquitable sur le plan de la procédure que, sans agir ainsi, la SPR rende sa décision, et qu’on a enfreint de la sorte leur droit à l’équité procédurale.

[55]           Je ne crois pas qu’on puisse défendre cet argument. Premièrement, on doit présumer que tous les demandeurs et leurs avocats savent que dans chaque affaire où l’incompétence d’un ancien conseil est alléguée la SPR, la Cour ou les deux à la fois examineront attentivement a) s’il s’agit d’une plainte en bonne et due forme, et p. ex. si le demandeur a informé l’organisme de réglementation compétent, et b) si on a donné à l’ancien représentant un avis suffisant et l’occasion de se faire entendre. Peut-être, dans certains cas, une plainte à l’organisme de réglementation satisfera-t-elle à ces deux éléments, mais cela dépendra du fait que la procédure de plaintes a permis ou non de répondre à toute allégation. Il y a toujours le danger, toutefois, qu’un ancien conseil ne sache pas même qu’on l’a accusé d’incompétence professionnelle dans le cadre d’une procédure de contrôle judiciaire.

[56]           Cela signifie que dans chaque cas, comme il est si facile de formuler des plaintes contre son ancien conseil, il incombe au demandeur de convaincre la SPR, ou la Cour, qu’un avis suffisant a été donné. Il incombe également aux demandeurs et à leurs avocats de convaincre la SPR et la Cour que, dans leur affaire, ils ont bien accordé à leur ancien conseil une occasion valable de se faire entendre. Les demandeurs et leurs avocats sont présumés comprendre qu’il leur faut évaluer la situation par eux‑mêmes et produire une preuve convainquant la SPR et la Cour qu’ils ont fait ce que commandaient les circonstances de l’affaire. On ne peut échapper à cette obligation en faisant appel à une règle générale arbitraire (voulant, p. ex., que l’avis à un organisme de réglementation soit toujours suffisant) ou en exigeant que la SPR évalue la demande puis, si elle devait décider qu’un avis suffisant n’a pas été donné, informe les demandeurs de ses préoccupations et leur fournisse une nouvelle occasion de corriger les lacunes qui entachent leur demande.

[57]           Je ne crois pas qu’il se dégage des faits d’espèce un manquement à l’équité procédurale, puisque les demandeurs et leur nouvel avocat sont réputés connaître la loi et savoir que c’est en fonction de leur demande que sera jugée l’affaire. Si une demande comporte une allégation d’incompétence contre un ancien conseil, le tribunal et la Cour requerront qu’un avis, suffisant en l’espèce, ait été donné, et que l’ancien conseil ait eu l’occasion de se faire entendre. Si les demandeurs s’appuient uniquement sur l’avis donné à un organisme de réglementation, cela ne suffira pas toujours, ainsi que la jurisprudence nous l’enseigne. Si un demandeur veut faire valoir l’incompétence, une allégation extraordinaire, il doit être prêt à satisfaire aux critères énoncés par la juge O’Reilly dans Betesh. Si le demandeur ne satisfait pas à ces critères, il ne peut exiger que la SPR l’informe au préalable de son défaut et lui fournisse l’occasion de corriger sa demande. Il incombe à tout demandeur et à son avocat de s’assurer qu’un avis suffisant a été donné et que l’ancien conseil a eu l’occasion de se faire entendre. Il faut faire preuve en la matière de la plus grande prudence.

Certification

[58]           Les demandeurs ont proposé la certification des questions qui suivent.

                                            i.                        Lorsqu’un demandeur fait valoir qu’une représentation inadéquate a résulté en un manquement à l’équité procédurale, satisfait-il toujours à l’obligation d’aviser en déposant une plainte en bonne et due forme auprès d’un organisme de réglementation compétent?

                                          ii.                        Dans la négative, si une plainte en bonne et due forme a déjà été déposée auprès de l’organisme de réglementation,

a.                   le décideur peut-il exiger que, en outre, le demandeur avise directement le représentant dont la compétence est contestée du fondement de la plainte et qu’il lui fournisse l’occasion de se faire entendre?

b.                  Le décideur est-il tenu, en raison de l’obligation d’équité procédurale, d’informer le demandeur de cette exigence additionnelle en matière d’avis et de lui fournir l’occasion d’y satisfaire avant de rejeter la demande?

[59]           Le défendeur s’oppose à la certification au motif que, compte tenu des faits d’espèce ayant entouré l’allégation d’incompétence, il était raisonnable pour la SPR de conclure que les demandeurs auraient dû aviser leurs anciens conseils des allégations portées contre eux. Selon le défendeur, en outre, le défaut des demandeurs de produire la moindre preuve montrant que les défenseurs des droits de la personne sont exposés à un plus grand risque de persécution en Hongrie a eu pour effet de rendre sans conséquence toute évaluation de la crédibilité qu’aurait pu miner l’incompétence des conseils. Les questions proposées par les demandeurs ne permettraient pas ainsi de régler un appel.

[60]           La Cour d’appel fédérale s’est penchée dans Zazai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 89, sur le critère applicable à la certification et elle a confirmé comme principe qu’une question certifiée doit être une question de portée générale qui permettrait de régler un appel. La question doit également avoir été soulevée et examinée dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire. Si la question ne se pose pas, ou si le juge qui entend la demande estime non  nécessaire de l’examiner, il ne convient pas de la certifier (se reporter aux paragraphes 11 et 12). Dans Boni c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 68, en outre, la Cour d’appel fédérale a statué qu’une question certifiée devait se prêter à une approche générique et être susceptible d’apporter une réponse d’application générale.

[61]           Compte tenu de la teneur de mon jugement, la première question proposée par les demandeurs ne peut faire l’objet d’une certification. Comme je l’ai conclu, la question de savoir si l’avis donné à un organisme de réglementation satisfait à l’obligation d’aviser est une question de fait qu’il convient de trancher en fonction de l’ensemble des faits d’espèce. Pour répondre à la première question, la Cour d’appel fédérale devrait tirer une conclusion de fait s’appliquant à toutes les affaires futures d’allégation d’incompétence d’un conseil. Or cette question ne se prête pas à une approche générique ni n’est susceptible d’apporter une réponse d’application générale. En outre, elle nécessiterait que la Cour d’appel fédérale tranche une question de fait qui relève indubitablement de la compétence de la SPR.

[62]           Quant à la deuxième question proposée, j’estime qu’elle ne se pose pas au vu de ma décision en l’espèce. Comme je l’ai conclu, la SPR n’a pas imposé aux demandeurs une exigence additionnelle en matière d’avis. Elle a plutôt conclu que leurs plaintes auprès du Barreau et de la SCCI ne suffisaient pas pour satisfaire à l’obligation d’aviser leurs anciens représentants des allégations portées contre eux. J’ai également conclu qu’il n’était pas question de manquement à l’équité procédurale en l’espèce, étant donné qu’il faut présumer la connaissance par les demandeurs de la nécessité d’un avis suffisant, quelle qu’en soit la forme. La réponse à la deuxième question proposée ne permettrait pas de régler un appel et cette question, ainsi, n’a pas à être certifiée.

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8948-11

 

INTITULÉ :                                      JOZSEF PUSUMA, AGNES TIMEA DAROCZI, VIKTORIA LAURA PUSUMA DAROCZI

(représentée par ses tuteurs à l’instance)

 

                                                            -   et   -

 

                                                              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                              ET DE L’IMMIGRATION                                                                                 

                                                          

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :             Le 26 juin 2012

                                                           

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 29 AOÛT 2012

 

 

COMPARUTIONS : 

 

Andrew Brouwer                                                         POUR LES DEMANDEURS

                                                                                                                     

John Loncar                                                                 POUR LE DÉFENDEUR                                 

 

                              

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :    

 

Andrew Brouwer                                                         POUR LES DEMANDEURS

Avocat

Bureau du droit des réfugiés

Toronto (Ontario)                                                                               

                                                                                                                   

Myles J. Kirvan, c.r.                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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