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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20120828

Dossier : IMM-480-12

Référence : 2012 CF 1020

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 août 2012

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

MOHAMMAD ANWARUL KABIR

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision rendue le 25 novembre 2011 par la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La SAI a rejeté l’appel interjeté par le demandeur et parrain, Mohammad Anwarul Kabir, à l’égard du refus de délivrer un visa à sa mère, Shamsunnahar Azim, parce qu’elle est atteinte d’une insuffisante rénale chronique et est interdite de territoire au Canada pour motifs sanitaires suivant le paragraphe 38(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), étant donné que son état de santé risque d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé.

 

I.          Contexte

 

[2]               Le demandeur est arrivé au Canada en 2000 et il est maintenant citoyen canadien. En 2004, il a présenté une demande pour faire venir sa mère au pays, mais une évaluation médicale connexe a révélé que cette dernière était atteinte d’une insuffisance rénale chronique. On a donné l’occasion à Mme Azim de présenter des éléments de preuve médicaux supplémentaires, ce qu’elle a fait. Selon cette nouvelle preuve, son état de santé est actuellement stable.

 

[3]               Après avoir examiné cette preuve, le médecin agréé et, par conséquent, l’agent des visas ont maintenu que l’état de santé de Mme Azim risquait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé. Sa demande de résidence permanente a donc été rejetée. L’évaluation médicale sur laquelle s’est appuyé l’agent des visas mentionnait par exemple ce qui suit :

[traduction] Mme Azim doit constamment être évaluée et prise en charge par des spécialistes des maladies rénales et de l’hypertension. Advenant une détérioration de sa fonction rénale, déjà affaiblie, elle devra avoir accès à des installations hospitalières spécialisées ainsi qu’à des services de diagnostic et de traitement, y compris à une clinique de prédialyse et, en fin de compte, à une dialyse et à une transplantation rénale. Ces services sont coûteux, et la demande de transplantation rénale est forte. Il existe des listes d’attente partout au Canada.

 

[4]               Le demandeur a par la suite interjeté appel de la décision de l’agent des visas. Son appel a toutefois été rejeté par la SAI. Il demande maintenant à la Cour d’intervenir dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

 

II.        Décision faisant l'objet du présent contrôle

 

[5]               La SAI a conclu que la décision de l’agent des visas était fondée en droit. Elle était convaincue que le médecin agréé avait tenu compte de tous les documents produits et qu’il était raisonnable pour l’agent des visas de s’appuyer sur l’évaluation médicale connexe. Le demandeur était disposé à payer les frais liés au traitement de sa mère. Néanmoins, si cette dernière était autorisée à immigrer au Canada, elle aurait accès à ce traitement plus ou moins gratuitement.

 

[6]               En ce qui concerne les motifs d’ordre humanitaire, la SAI a reconnu que, même si la stabilité de l’état de santé actuel de Mme Azim avait joué en sa faveur, elle était « atténuée par le fait que le refus en l’espèce n’est pas fondé sur son état de santé actuel, mais plutôt sur la détérioration de sa fonction rénale prévue au cours des cinq à dix prochaines années en raison de son âge, de son hypertension et de sa microprotéinurie ».

 

[7]               La SAI a expressément examiné l’établissement du demandeur au Canada et le fait qu’il soit en mesure de s’occuper de sa mère, le retour de sa sœur au Bangladesh en juillet 2011 pour aider leur mère, ses propres visites annuelles à cette dernière ainsi que les relations très étroites entretenues par les membres de sa famille. Parallèlement, le demandeur, son frère et sa sœur « ont tous pris des décisions éclairées en ce qui concerne leur vie, sans tenir compte des conséquences possibles liées à leur abandon » de la demandeure au Bangladesh.

 

[8]               La SAI s’est exprimée en ces termes relativement au préjudice susceptible de découler du refus de la demande de visa :

Afin d’évaluer les difficultés, je dois notamment me pencher sur la capacité de l’appelant à rendre visite à la demandeure, la présence de membres de la famille de celle‑ci au Bangladesh et sa situation actuelle en général. Je suis convaincue que la demandeure est bien soignée. Selon le témoignage de l’appelant, la demandeure reçoit régulièrement des soins et un suivi au Bangladesh; sa situation financière est stable; elle a deux frères et une sœur qui vivent au Bangladesh et avec qui elle communique; ses enfants lui rendent régulièrement visite et son plus jeune fils vit toujours au Bangladesh. Bien qu’il ait présenté une demande d’immigration, aucune décision n’a encore été rendue à cet égard.

 

[9]               De plus, la SAI n’a pas considéré que le séjour de la sœur du demandeur au Bangladesh pour s’occuper de leur mère constituait un préjudice indu. L’intérêt supérieur des enfants du demandeur à bénéficier de la présence de Mme Azim au Canada à temps plein n’était que très peu favorable au demandeur. Bien qu’il aurait pu être favorable pour Mme Azim de se trouver au Canada avec son fils et peut‑être ses autres enfants, rien ne l’empêchait, dans un avenir rapproché, de leur rendre visite au Canada.

 

[10]           La SAI est finalement arrivée à la conclusion suivante :

Je ne doute pas que ma décision de rejeter l’appel décevra l’appelant. Cependant, il est en mesure de rester en contact avec la demandeure et de lui rendre visite assez souvent, et je ne crois pas qu’il subira un préjudice indu du fait que la demandeure ne peut pas venir s’établir au Canada.

 

III.       Questions en litige

 

[11]           Cette demande présente les questions suivantes :

 

a)         La SAI a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que le refus de l’agent des visas était          fondé en droit?

 

b)         La SAI a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’il n’y avait pas de motifs d’ordre           humanitaire suffisants pour justifier la prise de mesures spéciales?

 

IV.       Norme de contrôle

 

[12]           Les évaluations effectuées par la SAI à cet égard doivent faire l’objet de la retenue judiciaire qu’appelle la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, aux paragraphes 56 à 58).

 

[13]           La raisonnabilité tient à la « justification […], à la transparence et à l’intelligibilité » ainsi qu’à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

V.        Analyse

 

A.        Validité du refus

 

[14]           Le demande insiste sur le fait que la SAI n’aurait pas tenu compte de l’ensemble de la preuve avant de confirmer la conclusion de l’agent des visas voulant que sa mère risque d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé, contrairement aux dispositions du paragraphe 38(1) de la LIPR. Il renvoie à certains éléments de preuve médicaux supplémentaires produits en l’espèce selon lesquels l’état de santé de sa mère est stable depuis les dernières dix à douze années; elle suit un traitement basé sur la prudence en surveillant son régime alimentaire plutôt que de recourir à des médicaments; et elle n’a pas besoin d’une transplantation rénale pour l’instant.

 

[15]           Je ne suis toutefois pas convaincu que le médecin agréé a fait abstraction de certains éléments de preuve au moment d’établir son rapport ni que l’agent des visas a fait de même lorsqu’il a subséquemment conclu à l’interdiction de territoire fondée sur des motifs sanitaires. Compte tenu de l’ensemble de cette preuve, il était raisonnable pour la SAI de décider que la conclusion tirée sur ce point est fondée en droit.

 

[16]           Comme le souligne le défendeur, même si l’état de santé actuel de Mme Azim est jugé stable, l’élément important pour la SAI tenait au fait que le médecin agréé a reconnu qu’une diminution de la fonction rénale en raison de l’âge, de l’hypertension et de la microprotéinurie ne se produirait pas avant cinq à dix ans, ce qui permettrait d’étayer la conclusion selon laquelle elle risque, dans l’avenir, d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé.

 

[17]           Par ailleurs, l’offre du demandeur de s’engager à payer les frais médicaux pour les prochains cinq à dix ans ne serait pas exécutoire selon la jurisprudence de la Cour (Jafarian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 40, [2010] ACF no 332, au paragraphe 25).

 

[18]           En conséquence, le demandeur n’a pas établi que la SAI avait, d’une façon ou d’une autre, fait abstraction de la preuve pertinente; il a simplement montré qu’il n’est pas d’accord avec l’appréciation de la preuve et la conclusion ultérieures. Ce n’est pas un fondement valable à l’intervention de la Cour lorsque la justification de la décision et la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel sont suffisants pour étayer la décision voulant qu’il soit fondé, en droit, de conclure que l’état de santé du demandeur risque de soulever des préoccupations suivant le paragraphe 38(1) (Dunsmuir, ci‑dessus).

 

 

B.        Motifs d’ordre humanitaire

 

[19]           Le demandeur fait valoir que la SAI reconnaît tous les motifs d’ordre humanitaire pour ensuite conclure, à tort et sans tenir compte de l’ensemble de la preuve, que ces motifs sont insuffisants pour justifier la prise de mesures spéciales. Par exemple, il soutient que sa mère ne pourra obtenir un visa pour des visites en raison des exigences médicales. Elle dépend en outre de lui financièrement. Il laisse également entendre que l’analyse est déraisonnable parce qu’elle est incompatible avec l’un des objets énoncés de la LIPR, à savoir la réunification des familles.

 

[20]           Après avoir examiné le raisonnement suivi par la SAI, je ne puis conclure que celle‑ci a omis de tenir compte de cette preuve ou l’a mal interprétée. La SAI s’est penchée sur les motifs d’ordre humanitaire pertinents, comme il est prévu dans la décision Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1970] DSAI no 1. Le demandeur tente de critiquer la façon dont la SAI a apprécié la preuve. Or, il n’appartient pas à la Cour, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, de soupeser la preuve ayant déjà été appréciée par la SAI (Khosa, ci‑dessus). Comme dans la présente affaire, si la conclusion appartient aux issues possibles acceptables ou, en d’autres termes, si elle suffisamment justifiée, transparente et intelligible, je n’ai pas à m’immiscer dans la décision globale (Dunsmuir, ci‑dessus).

 

[21]           La SAI a simplement conclu, après avoir tenu compte de tous les motifs d’ordre humanitaire, que, même si la situation de la famille du demandeur suscitait la sympathie, aucun préjudice indu n’était causé par le refus d’accorder des mesures spéciales. La SAI a fait mention de la stabilité de l’état de santé actuel de sa mère et de ses liens familiaux étroits. Elle a néanmoins mis ces faits en balance avec la détérioration prévue de son état, la possibilité de visites au Canada et la possibilité pour les membres de sa famille de se rendre au Bangladesh pour l’aider.

 

[22]           La SAI peut mettre en balance les motifs d’ordre humanitaire et les aspects importants comme l’objet visant la réunification des familles avec les questions relatives au fardeau excessif pour le système de soins de santé (voir, par exemple, Aleksic c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1285, [2010] ACF no 1594, aux paragraphes 33 et 34). Même si le demandeur s’attendait à ce que les antécédents et la situation actuelle de sa famille justifient une conclusion différente, ce fait à lui seul n’est pas suffisant pour qu’il obtienne gain de cause dans sa demande puisque la SAI a apprécié les motifs pertinents et a justifié sa conclusion selon laquelle ceux‑ci ne permettent pas d’établir l’existence du degré de préjudice requis.

 

VI.       Conclusion

 

[23]           Comme j’estime que les conclusions de la SAI sont raisonnables et reflètent la preuve présentée en l’espèce, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« G. Near »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-480-12

 

INTITULÉ :                                      MOHAMMAD ANWARUL KABIR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 11 juillet 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 28 août 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Chayanika Dutta

 

POUR LE DEMANDEUR

Leena Jaakkamainen

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Chayanika Dutta

Avocate et notaire public

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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