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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20120824

Dossier : IMM-8539-11
IMM-8541-11

 

Référence : 2012 CF 1009

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 août 2012

En présence de monsieur le juge Rennie

 

ENTRE :

 

 

IMM-8539-11

 

IGNACIO VELAZQUEZ SANCHEZ,

MARIA GUADALUPE MENDOZA SUAREZ, ARIANA VELAZQUEZ MENDOZA,

IRIS ANEL VELAZQUEZ MENDOZA et LLUVIA VANESSA VELAZQUEZ MENDOZA

 

 

 

demandeurs

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

                    ET ENTRE :

 

IMM-8541-11

 

IGNACIO VELAZQUEZ SANCHEZ,

MARIA GUADALUPE MENDOZA SUAREZ, ARIANA VELAZQUEZ MENDOZA,

IRIS ANEL VELAZQUEZ MENDOZA et LLUVIA VANESSA VELAZQUEZ MENDOZA

 

 

 

demandeurs

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs demandent le contrôle judiciaire d’une décision de l’agent d’immigration principal J. Belyea (l’agent), datée du 3 octobre 2011, rejetant la demande de résidence permanente des demandeurs fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (CH) en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), et d’une décision du même agent, datée du 30 septembre 2011, rejetant la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) des demandeurs. Pour les motifs énoncés ci‑après, la demande est accueillie pour la décision CH (IMM-8539) et est rejetée pour la décision d’ERAR (IMM-8541-11).

 

Les faits

[2]               Les demandeurs sont une famille du Mexique : Ignacio Velasquez Sanchez (le demandeur), son épouse, Maria Guadalupe Mendoza Suarez (la demanderesse), et leurs trois filles, Ariana Velasquez Mendoza, Iris Anel Velasquez Mendoza et Lluvia Vanessa Velasquez Mendoza. Les demandeurs ont également un fils né au Canada, Victor Steven Velasquez Mendoza.

 

[3]               Le demandeur vient au Canada pour travailler comme ouvrier agricole saisonnier depuis 1991. En 2005, Iris s’est inscrite à un concours de beauté local et elle a été droguée et agressée sexuellement par un des juges. Elle et sa mère ont rapporté l’incident à la police, mais celle-ci n’a rien fait. L’agresseur a abordé Iris quelques semaines plus tard et l’a menacée ainsi que sa famille. La famille a commencé à recevoir des appels anonymes d’une personne qui prétendait posséder une vidéo d’Iris nue. De l’argent a été demandé. Plusieurs tentatives d’obtenir la protection de la police n’ont donné aucun résultat.

 

[4]                 La demanderesse et ses filles sont venues au Canada le 12 juillet 2005. Le demandeur est retourné au Mexique en novembre 2005 et s’est enquis de l’avancement de l’enquête policière. Il s’est fâché devant l’inaction de la police, qu’il a accusée de corruption, ce qui lui a valu d’être battu par des policiers. Le demandeur est revenu au Canada le 4 février 2006 et les demandeurs ont déposé leurs demandes de statut de réfugié en mai 2006.

 

[5]               La Section de la protection des réfugiés (SPR) a d’abord rejeté les demandes des demandeurs en 2007, sur le fondement du critère de la protection de l’État. Cependant, cette décision a été annulée au terme d’un contrôle judiciaire, et une nouvelle audience a été tenue. En 2010, les demandes des demandeurs ont de nouveau été rejetées, cette fois au motif qu’il existait une possibilité de refuge intérieur (PRI) dans le district fédéral. La SPR a conclu que ni le juge ni la police locale de la ville d’origine des demandeurs ne les poursuivraient dans le district fédéral. La SPR a conclu en outre qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que les demandeurs y déménagent.

 

[6]               Les demandeurs ont déposé une demande d’ERAR en juillet 2010, laquelle a été rejetée en octobre 2010. Les demandeurs ont également déposé une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, qui a été rejetée en septembre 2010. Les demandeurs ont formulé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de ces deux décisions. Le défendeur a consenti à ce que les deux affaires soient renvoyées pour nouvelles décisions puisque l’agent décideur avait commis une erreur en s’appuyant sur la décision annulée de 2007 de la SPR. Un nouvel agent a statué sur la demande d’ERAR et la demande CH des demandeurs, et celles-ci ont de nouveau toutes deux été rejetées.

 

La décision relative à la demande d’ERAR

[7]               L’agent a conclu que certains des éléments de preuve présentés étaient antérieurs aux dates d’audience des demandeurs devant la SPR et ne pouvaient donc pas être pris en compte. L’agent a examiné les conclusions de la SPR dans sa décision de 2010 et a noté que les risques allégués étaient ceux que la SPR avait déjà évalués. L’agent a également noté que bon nombre des observations des demandeurs avaient trait à des facteurs d’ordre humanitaire plutôt qu’au risque, et débordaient donc du rôle de l’agent dans le contexte d’une demande d’ERAR.

 

[8]               L’agent a rejeté certains des éléments de preuve documentaire présentés parce qu’ils n’étaient pas datés ou parce que l’identité du traducteur de l’espagnol vers l’anglais était incertaine. L’agent a examiné certaines des affirmations contenues dans le rapport de 2010 du Département d’État des États-Unis sur le Mexique.

 

[9]               L’agent a affirmé qu’il avait examiné tous les éléments de preuve et n’avait pas relevé suffisamment de nouveaux éléments de preuve objectifs indiquant que le juge du concours de beauté ni personne d’autre n’auraient voulu s’en prendre aux demandeurs si ceux-ci retournaient au Mexique. L’agent a également estimé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que des changements importants étaient survenus dans la situation dans le pays ou dans la situation personnelle des demandeurs depuis l’audience devant la SPR. La demande a donc été rejetée.

 

La décision CH

[10]           L’agent a d’abord examiné les allégations de difficultés des demandeurs fondées sur le risque. L’agent a rappelé les incidents liés au concours de beauté et à la police, notant que six ans s’étaient écoulés depuis que les demandeurs avaient fui le Mexique, et il a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve indiquant que quiconque voulait encore s’en prendre aux demandeurs. L’agent a également conclu que les demandeurs n’avaient fourni aucune précision quant à des tentatives d’obtenir la protection de l’État et n’avaient pas prouvé qu’une telle protection n’était pas disponible. L’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve indiquant que les filles seraient socialement stigmatisées ou ridiculisées du fait que d’autres étaient au courant de l’agression sexuelle qu’Iris avait subie. L’agent a conclu qu’il n’était pas convaincu qu’il y avait un risque en cas de retour au Mexique qui équivalait à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

 

[11]           Pour ce qui concerne l’intérêt supérieur des enfants, l’agent a noté qu’il y avait deux enfants dont il fallait tenir compte : la plus jeune demanderesse, Lluvia, et le fils né au Canada, Victor Steven. L’agent a mentionné des lettres de soutien et d’autres éléments de preuve qui indiquaient que Lluvia s’était adaptée à la vie au Canada et qu’elle réussissait bien à l’école et se faisait des amis. L’agent a conclu que le simple fait que l’enfant puisse avoir de meilleures perspectives au Canada ne suffisait pas pour justifier l’exercice du pouvoir discrétionnaire de prendre des mesures spéciales fondées sur des considérations d’ordre humanitaire en l’espèce.

 

[12]           L’agent a réitéré la conclusion selon laquelle il n’y avait pas suffisamment de preuve d’un risque quelconque de violence en cas de retour au Mexique. L’agent a reconnu les difficultés qu’éprouveraient les enfants à s’ajuster à la vie au Mexique, notamment du fait qu’ils devraient se séparer de leurs amis et s’adapter à un nouveau système d’éducation. Cependant, l’agent a conclu que les enfants continueraient vraisemblablement à pouvoir compter sur l’amour et le soutien de leur famille, qui les aiderait à s’adapter. Ainsi, l’agent a conclu qu’il ne serait pas contraire à l’intérêt supérieur des enfants de les renvoyer au Mexique.

 

[13]           Enfin, pour ce qui concerne l’établissement, l’agent a examiné les antécédents des demandeurs en matière d’emploi et a noté leur engagement au sein de leur église et de leur collectivité. L’agent a conclu qu’ils avaient des dossiers civils exemplaires, mais que c’était ce qu’on attendait de tous les résidents canadiens. L’agent a conclu que les éléments de preuve présentés ne démontraient pas un degré considérable d’établissement tel qu’un renvoi au Mexique causerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. L’agent a conclu que les demandeurs pourraient éprouver au départ certaines difficultés à se rétablir, mais que la prise de mesures spéciales fondées sur des considérations d’ordre humanitaire n’était pas justifiée. La demande a donc été rejetée.

 

La norme de contrôle et les questions en litige

[14]           Les présentes demandes soulèvent les questions suivantes :

a.       La décision d’ERAR de l’agent était-elle raisonnable?

b.      La décision CH de l’agent était-elle raisonnable?

 

[15]           Les deux décisions doivent être contrôlées selon la norme de la décision raisonnable : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190.

 

Analyse

            La décision d’ERAR

[16]           Le seul argument des demandeurs concernant la décision d’ERAR est que l’agent a omis d’analyser correctement la question de savoir si les demandeurs pouvaient avoir accès à la protection de l’État. Ils soutiennent que l’agent s’est fié seulement aux bonnes intentions de l’État, plutôt que d’évaluer si ces intentions s’étaient traduites par une protection efficace dans les faits.

 

[17]           L’argument des demandeurs est problématique en ce que l’agent n’a pas relevé suffisamment d’éléments de preuve démontrant que les demandeurs risquaient d’être persécutés s’ils étaient renvoyés au Mexique. L’agent a conclu qu’il n’y avait aucune preuve que le juge du concours de beauté ni personne d’autre n’était intéressé à s’en prendre à eux, en particulier parce que plusieurs années s’étaient écoulées depuis l’agression sexuelle d’une des filles. Puisque l’agent n’a pas admis que les demandeurs seraient exposés à un risque quelconque à leur retour, il n’était pas nécessaire de procéder à une analyse relative à la protection de l’État. Les demandeurs n’ont présenté aucun argument pour démontrer en quoi la conclusion de l’agent au sujet du risque était déraisonnable, et la décision doit donc être maintenue.

 

            La décision CH

[18]           Je conviens avec les demandeurs que le raisonnement qui a conduit l’agent à rejeter la prétention selon laquelle Iris et ses sœurs souffriraient de stigmatisation sociale en raison de l’agression sexuelle d’Iris est insuffisant. L’agent a pris acte de cette prétention, mais il a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour l’étayer. Il n’a pas poussé son analyse plus loin. Je conviens avec les demandeurs qu’il s’agit là du simple énoncé d’une conclusion et que cela ne satisfait pas aux exigences de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité. L’agent n’a pas indiqué quels éléments de preuve il avait pris en compte, sans parler de l’insuffisance de preuve qui justifiait prétendument cette conclusion.

 

[19]           Il est devenu monnaie courante de lire des décisions CH et des décisions d’ERAR dans lesquelles les motifs exposés se limitent à la formule suivante : « Les demandeurs allèguent X; cependant, je ne relève pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour établir X. » Ce genre de formule type est contraire à la raison d’être des motifs de décisions, puisqu’elle obscurcit plutôt que ne révèle la justification de la décision de l’agent. Les motifs devraient être rédigés pour permettre au demandeur de comprendre pourquoi une décision a été rendue et non pour mettre la décision à l’abri d’un contrôle judiciaire : Lorne Sossin, « From Neutrality to Compassion: The Place of Civil Service Values and Legal Norms in the Exercise of Administrative Discretion », (2005), 55 UTLJ 427.

 

[20]           L’agent a adopté cette approche mécanique à l’égard de la stigmatisation sociale, et il l’a maintenue tout au long du reste de l’analyse

 

[21]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie pour la décision CH et rejetée pour la décision d’ERAR. Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que

1.             La demande de contrôle judiciaire est accueillie pour la décision CH (IMM‑8539‑11). L’affaire est renvoyée pour nouvel examen devant un autre agent de Citoyenneté et Immigration Canada.

2.             La demande de contrôle judiciaire est rejetée pour la décision d’ERAR (IMM‑8541‑11).

3.             Il n’y a aucune question à certifier.

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8539-11

INTITULÉ :                                      IGNACIO VELAZQUEZ SANCHEZ, et al c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

DOSSIER :                                        IMM-8541-11

INTITULÉ :                                      IGNACIO VELAZQUEZ SANCHEZ, et al c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 26 juillet 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE RENNIE

 

DATE DU JUGEMENT ET

DES MOTIFS :                                 Le 24 août 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Wennie Lee

 

IMM-8539-11 / IMM-8541-11
POUR LES DEMANDEURS

 

Me Ildiko Erdei

IMM-8539-11 / IMM-8541-11
POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lee & Company

Immigration Advocacy, Counsel & Litigation

Toronto (Ontario)

 

IMM-8539-11 / IMM-8541-11
POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

IMM-8539-11 / IMM-8541-11

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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