Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 


Date : 20120817

Dossier : T-1360-11

Référence : 2012 CF 1001

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 août 2012

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

 

DEBORAH GUYDOS

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Madame Deborah Guydos demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) de ne pas statuer sur la plainte de la demanderesse datée du 18 mars 2010 parce qu’elle n’avait pas épuisé les autres recours possibles pour le traitement de sa plainte.

 

[2]               Au début de l’audience, le 18 juin 2012, Mme Guydos a fait savoir qu’elle venait tout juste d’apprendre de la Commission que celle‑ci avait relancé l’examen de sa plainte parce que son syndicat, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (le syndicat) avait retiré son grief déposé devant le Conseil canadien des relations industrielles (le CCRI). L’avocat de la défenderesse, la Société canadienne des postes, n’avait pas reçu l’avis de la Commission. Par la suite, Mme Guydos a fourni copie d’une lettre datée du 24 juillet 2012 l’informant que la Commission examinerait les questions soulevées en vertu de l’alinéa 41(1)d). La défenderesse n’avait pas d’autre information, mais soutient, sur la foi de la lettre du 24 juillet 2012, que la demande est devenue théorique et devrait être rejetée.

 

[3]               Mme Guydos a manifesté le désir de donner suite à sa demande, soutenant que la Commission avait commis une erreur en n’examinant pas sa plainte relative à des événements antérieurs à 2008.

 

[4]               Selon l’alinéa 41(1)d), la Commission doit statuer sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime que la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi. Dans ce contexte, il est difficile de savoir si la Commission a décidé de réactiver la plainte de Mme Guydos. Étant donné que Mme Guydos n’est pas représentée par un avocat et a présenté ses observations à la Cour le 18 juin 2012, j’estime que la meilleure façon de procéder consiste à trancher les questions telles qu’elles ont été présentées à la Cour le 18 juin 2012.

 

[5]               Après avoir examiné les questions en litige, j’ai conclu que Mme Guydos n’avait pas établi que la Commission avait commis une erreur susceptible de contrôle, et je rejette la présente demande. Voici mes motifs.

 

Contexte

 

[6]               La demanderesse a commencé à travailler à la Société canadienne des postes en 1994. Plus tard au cours de la même année, elle a commencé à cohabiter avec un collègue, M. Joseph Coscia. La demanderesse soutient que M. Coscia lui a infligé de mauvais traitements et a été accusé en avril 1995 de harcèlement criminel, d’avoir proféré des menaces de mort, de s’être livré à des voies de fait et d’avoir menacé d’agresser sexuellement ses deux enfants. Par conséquent, la demanderesse soutient qu’une ordonnance de non‑communication a été prononcée contre M. Corsica, qui est néanmoins toujours un collègue à la Société canadienne des postes.

 

[7]               La demanderesse soutient qu’elle a informé ses superviseurs, y compris son chef de succursale, de l’existence de l’ordonnance de non‑communication et du fait qu’elle craignait pour sa sécurité au travail. Elle affirme que, entre 1995 et 1999, elle a subi des agressions et du harcèlement criminel une trentaine de fois, peut-on supposer, de la part de son ex‑partenaire. La demanderesse souligne que ces incidents d’agressions et de harcèlement criminel ont été rapportés à ses superviseurs, mais que rien n’a été fait pour y mettre fin ou empêcher que s’en produisent de nouveaux. En 1998, la demanderesse a refusé de travailler au même endroit que son ex‑partenaire. Elle a par la suite été mutée à un autre lieu de travail. Son chef de succursale est devenu chef de zone et a continué de la superviser. La demanderesse soutient qu’elle a appris que son collègue agresseur devait être muté au même endroit.

 

[8]               La demanderesse est partie en congé de maladie et a demandé des prestations d’invalidité en 1998. Elle soutient que, lorsqu’elle a tenté de retourner au travail, en 1999, elle a appris que sa demande de prestations d’assurance‑invalidité ne serait pas traitée. Elle prétend qu’elle attend toujours de toucher des prestations parce que la défenderesse refuse de produire les documents nécessaires pour le traitement de sa demande par l’assureur.

 

[9]               La demanderesse affirme aussi que son syndicat n’ignorait rien de la situation, mais que les griefs qu’elle a déposés ont disparu.

 

[10]           La demanderesse soutient que, en 2000, pendant son congé de maladie, la défenderesse avait conclu qu’elle avait abandonné son poste. Elle prétend avoir alors été congédiée, même si elle affirme n’avoir pris conscience de la situation qu’en 2003, après quoi elle a sombré dans une profonde dépression qui a nécessité son hospitalisation.

 

[11]           La demanderesse signale que, lorsqu’elle s’est suffisamment rétablie, elle a demandé à son syndicat si elle pouvait reprendre le travail. Elle a été rétablie dans ses fonctions en 2006. La demanderesse indique qu’à son retour au travail, elle a été confiée au même superviseur, ce qui a contribué à envenimer la situation. La demanderesse est retournée en congé de maladie et n’a pas repris le travail depuis.

 

[12]           La demanderesse maintient que son syndicat et la défenderesse ont retiré tous ses griefs. Elle a affirmé qu’elle avait porté plainte devant le CCRI pour non-représentation par son syndicat eu égard aux plaintes qu’elle avait déposées et attendait une décision à ce sujet.

 

[13]           La demanderesse prétend que la défenderesse l’a obligée à subir une évaluation médicale indépendante en dépit du fait qu’elle avait déjà tous les documents médicaux nécessaires. Elle a été convoquée à un examen médical en 2008 par un médecin choisi par la défenderesse. La demanderesse affirme que, au lieu d’une évaluation médicale indépendante, il s’agissait en fait d’une évaluation des risques. Elle estime que le rapport a été établi de manière à atténuer la gravité des mauvais traitements qu’elle allègue avoir subis au travail. La demanderesse prétend que la défenderesse voulait se servir de l’évaluation pour la congédier.

 

[14]           Enfin, selon la demanderesse, même si elle a toujours su qu’elle avait été agressée, ce n’est qu’en 2008 qu’elle a pu se souvenir des détails. Elle décrit avoir eu d’importants rappels éclairs (flashbacks) des agressions après avoir reçu l’évaluation de son employeur.

 

[15]           La demanderesse a contacté la Commission pour la première fois le 27 octobre 2008, mais n’a déposé un formulaire de plainte acceptable que le 18 mars 2010.

 

[16]           La demanderesse a été congédiée à titre d’employée de la Société canadienne des postes le 2 avril 2010.

 

Décision soumise au contrôle

 

[17]           Le 29 juillet 2011, la Commission a rendu sa décision. Elle a examiné les documents suivants pour rendre sa décision :

·      Formulaires(s) de plainte daté(s) du 24 mars 2010

·      Rapport relatif aux articles 40 et 41 daté du 31 janvier 2011

 

De plus, la Commission a pris en considération les observations suivantes des parties :

·      Observations de la plaignante datées du 11 mars 2011

·      Observations de la mise en cause datées du 11 mars 2011

·      Observations de la mise en cause sur la communication réciproque datées du 8 avril 2011

·      Observations de la plaignante sur la communication réciproque de la mise en cause datées du 4 mai 2011

·      Observations de la plaignante sur la communication réciproque datées du 3 juin 2011

 

[18]           La décision de la Commission suivait essentiellement les recommandations formulées dans la conclusion du rapport relatif aux articles 40 et 41 (le rapport). M. Scott Whitelaw (l’enquêteur) a examiné les faits allégués, résumé les positions des parties et analysé la plainte de la demanderesse par rapport au paragraphe 41(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6 (la Loi), plus particulièrement les alinéas 41(1)a), 41(1)c) et 41(1)e) et a conclu le tout avec ses recommandations à la Commission.

 

[19]           La Commission a décidé, conformément à l’alinéa 41(1)a), de ne pas instruire la plainte de la demanderesse à ce stade parce que la demanderesse devait, selon elle, épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts. Elle a signalé que, à l’issue de ces recours ou procédures, la demanderesse pourrait demander la réactivation de sa plainte.

 

[20]           La Commission a également décidé, en vertu du paragraphe 41(1), qu’elle statuerait sur les allégations relatives aux événements qui se sont produits à partir de 2008. Cependant, compte tenu de l’alinéa 41(1)e) de la Loi, elle a décidé de ne pas se prononcer sur les allégations se rapportant aux événements antérieurs à 2008.

 

Dispositions législatives pertinentes

 

[21]           Selon la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6 :

41.(1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

 

a) la victime présumée de l’acte discriminatoire devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

 

b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

 

 

c) la plainte n’est pas de sa compétence;

 

 

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

 

e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

41.(1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

 

(a) the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;

 

 

(b) the complaint is one that could more appropriately be dealt with, initially or completely, according to a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act;

 

(c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

 

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

 

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

 

 

Questions en litige

 

[22]           La demanderesse se représente elle‑même. Dans ses observations écrites, elle soulève un certain nombre de questions alléguant des conclusions de fait erronées, des erreurs de droit, des motifs inadéquats et des manquements à l’équité procédurale. Dans ses observations de vive voix, elle a prétendu que la Commission avait fourni des motifs inadéquats, négligé de prendre en considération ses allégations relatives à des actes de harcèlement au travail intervenus avant 2008 de la part de son employeur et négligé de tenir compte de sa déficience à titre de justification du retard dans le dépôt de sa plainte en matière de droits de la personne.

 

[23]           La demanderesse soutient qu’elle a fait l’objet de harcèlement, premièrement par son ex‑partenaire qui était aussi un collègue, et, deuxièmement, par les cadres supérieurs au travail. À cause de ce harcèlement, la demanderesse soutient qu’elle souffre de troubles de stress post‑traumatique (TSPT) qui entraînent des difficultés quand il s’agit de se remémorer des détails relatifs aux incidents et de parler de ceux‑ci.

 

[24]           La défenderesse prétend que les questions en litige en l’espèce concernent la détermination de la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission et la question de savoir si, à la lumière de cette norme, la décision de la Commission devrait être annulée.

 

[25]           J’estime qu’il y a en l’espèce deux questions en litige :

 

a.       La Commission a‑t‑elle commis une erreur en décidant de ne pas instruire la plainte de discrimination de la demanderesse concernant des événements antérieurs à 2008?

 

b.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur en décidant de ne pas instruire la plainte de la demanderesse concernant les événements intervenus après 2008 en raison de l’existence de recours internes ou de procédures d’appel ou de règlement des griefs?

 

Norme de contrôle

 

[26]           La Cour suprême du Canada a statué dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], qu’il n’existe que deux normes de contrôle : la décision correcte pour les questions de droit et la décision raisonnable pour les questions mixtes de fait et de droit et les questions de fait : Dunsmuir, aux paragraphes 50 et 53. Elle a également conclu que lorsque la norme de contrôle applicable est déjà établie, il n’est pas nécessaire de reprendre l’analyse sur cette question : Dunsmuir au paragraphe 62.

 

[27]           La Cour d’appel fédérale a statué qu’il convient de faire montre de déférence à l’égard de la décision prise par la Commission en vertu de l’article 41 de la Loi. Dans Bell Canada c Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, [1999] 1 CF 113, [Bell Canada], la Cour d’appel, au sujet de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission, a affirmé ce qui suit au paragraphe 38 :

 

La Loi confère à la Commission un degré remarquable de latitude dans l’exécution de sa fonction d’examen préalable au moment de la réception d’un rapport d’enquête. Les paragraphes 40(2) et 40(4), et les articles 41 et 44 regorgent d’expressions comme « à son avis », « devrait », « normalement ouverts », « pourrait avantageusement être instruite », « des circonstances », « estime indiqué dans les circonstances », qui ne laissent aucun doute quant à l’intention du législateur.

 

 

[28]           De plus, la Commission, en déterminant s’il fallait instruire la plainte de la demanderesse, devait trancher des questions mixtes de fait et de droit. C’est pourquoi la norme de contrôle qui s’applique à la décision de la Commission est celle de la décision raisonnable.

 

[29]           Lorsqu’une question d’équité procédurale ou une question de droit est portée à l’attention de la Cour, il n’y a pas lieu de faire montre de déférence à l’endroit de la Commission. La norme de contrôle à cet égard serait celle de la décision correcte : Donoghue c Canada (Ministre de la Défense nationale), 2010 CF 404, au paragraphe 27.

 

Analyse

[30]           Je constate en premier lieu que la Commission a accepté la plainte de la demanderesse en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi avec deux restrictions. Tout d’abord, elle a décidé qu’elle n’examinerait pas les allégations de discrimination qui concernent des événements antérieurs à 2008 parce qu’elles sont séparées et visent des faits qui se sont produits à l’extérieur du délai d’un an prévu à l’alinéa 41(1)e). Deuxièmement, la Commission a décidé de ne pas instruire la plainte de la demanderesse relative à des événements postérieurs à 2008 parce que celle‑ci pouvait se prévaloir de procédures de règlement des griefs ou de réparation et que des procédures étaient en cours.

 

[31]           J’examine maintenant les deux restrictions que la Commission a imposées à l’examen de la plainte de la demanderesse. Ce faisant, j’examinerai la décision de la Commission et le rapport d’enquête.

 

La Commission a‑t‑elle commis une erreur en décidant de ne pas instruire les plaintes de discrimination déposées par la demanderesse concernant des événements antérieurs à 2008?

 

 

[32]           La demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur en décidant de ne pas instruire les plaintes relatives à des événements antérieurs à 2008 au motif que les incidents en cause sont distincts. Je ne suis pas d’accord.

 

[33]           La demanderesse n’a pas établi en quoi la Commission avait commis une erreur en concluant que les incidents antérieurs à 2008 étaient distincts des incidents postérieurs à 2008; elle n’étaye aucunement son argument.

 

[34]           La demanderesse affirme que la Commission n’a pas instruit ses plaintes relatives à des événements antérieurs à 2008 parce qu’elles sont de nature criminelle. Elle affirme qu’elle aurait dû avoir la possibilité de faire des observations sur la question de savoir si les agressions tombaient sous le coup de la Loi. Elle ajoute qu’elle aurait dû avoir la possibilité de présenter des observations écrites sur la question du délai en ce qui concerne les incidents antérieurs à 2008.

 

[35]           Dans ses observations à la Commission, la demanderesse soutient que sa plainte était très sérieuse et soulevait des questions d’importance pour le public. À ses yeux, il s’agit d’une entreprise de dissimulation des faits par son employeur et son syndicat et de harcèlement continu. Elle a expliqué que les retards dans le dépôt des plaintes sont attribuables à son état de santé, aux TSPT, aux procédures judiciaires et à la manipulation des faits par l’employeur et le syndicat.

 

[36]           La demanderesse a présenté son formulaire de plainte rempli le 18 mars 2010.

 

[37]           La Commission peut instruire des plaintes concernant des actes qui ont eu lieu plus d’un an avant le dépôt de la plainte. Selon l’alinéa 41(1)e) :

 

e)      la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances. [Non souligné dans l’original.]

 

[38]           La Commission a constaté que le premier incident allégué s’est produit en 1995, tandis que le dernier est censé avoir eu lieu en avril 2010. Elle a reconnu que la demanderesse a contacté un membre de son personnel concernant cette plainte pour la première fois le 27 octobre 2008. Elle a aussi reconnu que la demanderesse avait insisté pour dire que les questions soulevées étaient de nature continue et constituaient un cycle continu de discrimination.

 

[39]           La Commission a jugé important le fait que, même si le premier incident de discrimination allégué remontait à 1995, la demanderesse n’explique pas pourquoi elle n’avait pas porté plainte alors. Elle souligne que la demanderesse a indiqué qu’elle n’avait commencé à se souvenir de détails des agressions alléguées qu’en 2008, au moment où elle a commencé à avoir des rappels éclairs (flashbacks) après avoir reçu l’évaluation de son employeur.

 

[40]           La Commission a conclu que la présente plainte se rapporte au dernier acte discriminatoire allégué, soit le congédiement d’avril 2010. Elle a jugé que cet acte était très clairement lié à l’ordre donné par la défenderesse à la demanderesse de se présenter à un nouveau lieu de travail en septembre 2008. La défenderesse a conclu que le fait que la demanderesse ne s’était pas présentée au travail et n’avait pas fourni d’explication valable pour son absence représentait des motifs de congédiement. La Commission a conclu que le congédiement se rapportait aussi à l’évaluation de 2008, laquelle, selon la demanderesse, constitue la raison de son congédiement. La Commission a interprété le fait que la demanderesse a initialement contacté son personnel le 27 octobre 2008 comme une confirmation de l’importance des dates de 2008.

 

[41]           L’examen du rapport montre que l’enquêteur était manifestement au courant des allégations de la demanderesse selon lesquelles les événements antérieurs à 2008 étaient liés à ceux intervenus après 2008. Certains paragraphes pertinents du rapport sont reproduits ci‑dessous :

 

[traduction]

 

78. Il convient encore une fois de noter que le premier acte discriminatoire allégué remonte à 1995. La plaignante insiste pour dire que cet acte et ceux qui ont suivi sont liés au dernier acte allégué en ce qu’ils illustrent un cycle continu de discrimination. La plaignante n’explique toutefois pas pourquoi elle n’a pas porté plainte au moment où se sont produits les actes discriminatoires allégués. Elle mentionne, cependant, qu’elle ne s’est souvenue des agressions alléguées qu’en 2008, lorsqu’elle a commencé à avoir des rappels éclairs (flashbacks) après avoir reçu l’évaluation de son employeur.

 

[…]

 

80. L’importance de ces deux événements en 2008 semble être renforcée par la date du premier contact entre la plaignante et la Commission, le 27 octobre 2008. Les événements qui se seraient produits avant 2008 semblent être distincts et indépendants de ceux qui ont mené au congédiement de la plaignante.

 

81. De plus, il semblerait que la capacité de la mise en cause de se défendre contre la plainte soit sérieusement compromise par le fait que le premier acte discriminatoire allégué remonte à 1995. Ici encore, il serait utile de recevoir des précisions des parties sur les questions qui sont instruites dans le cadre de la procédure interne de règlement des griefs et par le CCRI car elles pourraient renseigner la Commission sur le lien entre les différents événements s’étant produits au cours des deux dernières décennies.

 

[42]           La demanderesse n’avait pas porté plainte auparavant, mais l’a fait lorsqu’elle a appris, en 2008, qu’elle s’exposait à un congédiement. De plus, il y a un long intervalle entre les premiers événements qui se sont produits entre 1995 et 1999 et ceux qui ont conduit à son congédiement, en 2010, étant donné que la demanderesse a été absente du travail de 2000 à 2006. J’estime que ces deux facteurs concordent avec la conclusion de la Commission voulant que les événements antérieurs à 2008 sont distincts et indépendants des événements qui se rapportent au congédiement de la demanderesse, pendant les années 2008 à 2010.

 

[43]           La Commission avait un motif supplémentaire de ne pas tenir compte des événements remontant à 1995. Elle a conclu que la capacité de la défenderesse de se défendre contre les allégations énoncées dans la plainte serait grandement compromise si elle devait aborder les incidents discriminatoires remontant à plus de 20 ans.

 

[44]           La Commission a accepté la plainte de la demanderesse relative aux événements remontant à 2008 même si cette date est en dehors du délai d’un an prévu pour le dépôt de plaintes en vertu de la Loi. La Commission a accepté que la demanderesse trouvait le processus intimidant et a reconnu que la demanderesse avait amorcé les contacts avec son personnel en octobre 2008.

 

[45]           La Commission a examiné les observations de la demanderesse; elle a tenu compte du contenu substantiel de la plainte déposée le 18 mars 2010, du préjudice que subirait la défenderesse quand il s’agirait de répondre à des allégations dont les faits remontent à 1995, et des difficultés qu’a eues la demanderesse à remplir son formulaire de plainte après son premier contact avec la Commission.

 

[46]           En ce qui a trait à l’observation de la demanderesse selon laquelle la Commission ne lui a pas permis de présenter des observations écrites sur la question du délai en ce qui concerne les incidents antérieurs à 2008, je ne suis pas d’accord.

 

[47]           Je constate que la demanderesse a pleinement eu la possibilité d’examiner le contenu du rapport et de faire des observations à la Commission sur la question du respect du délai prévu pour porter plainte. Ses observations n’ajoutaient rien à celles qu’elle avait déjà présentées.

 

[48]           À la page 10 du rapport, l’enquêteur a énuméré un certain nombre de facteurs se rapportant à une décision fondée sur l’alinéa 41(1)e), c.‑à‑d. si la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée. À la page suivante, le rapport indique que la demanderesse a fait des observations sur cette question générale.

 

[49]           Une fois que le rapport a été produit, la demanderesse en a reçu copie et a eu la possibilité de présenter d’autres observations. La demanderesse a profité de l’occasion pour aborder les questions et les conclusions énoncées dans le rapport. Par exemple, le 11 mars 2011, la demanderesse a présenté 10 pages d’observations. Elle a envoyé deux autres pages d’observations, avec pièces justificatives, le 8 avril 2011. Enfin, elle a présenté 3 autres pages d’observations, avec des pièces additionnelles, le 7 juin 2011.

 

[50]           Le dossier indique sans équivoque que la demanderesse a pu faire des observations sur la question du délai et sur toutes les autres questions abordées dans le rapport. De plus, je constate que la demanderesse indique au paragraphe 36 de son affidavit qu’elle n’avait pas lu le rapport au complet avant de faire ses observations à la Commission en raison des troubles de stress post‑traumatiques dont elle souffrait. Elle prétend qu’elle vient juste de découvrir certains éléments du rapport. L’allégation de la demanderesse selon laquelle la Commission ne lui a pas permis de présenter des observations écrites sur cette question n’est pas fondée.

 

[51]           J’estime que la décision de la Commission de ne pas prendre en considération les aspects de la plainte de la demanderesse antérieurs à 2008 est raisonnable.

 

La Commission a‑t‑elle commis une erreur en décidant de ne pas instruire la plainte de la demanderesse concernant les événements intervenus après 2008 en raison de l’existence de recours internes ou de procédures d’appel ou de règlement des griefs?

 

 

[52]           La demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte du paragraphe 42(2) et des articles 48 et 59 de la Loi. Des dispositions en question, seul le paragraphe 42(2) est pertinent en l’espèce.

 

[53]           Selon l’article 42 :

42.(1) Sous réserve du paragraphe (2), la Commission motive par écrit sa décision auprès du plaignant dans les cas où elle décide que la plainte est irrecevable.

(2) Avant de décider qu’une plainte est irrecevable pour le motif que les recours ou procédures mentionnés à l’alinéa 41a) n’ont pas été épuisés, la Commission s’assure que le défaut est exclusivement imputable au plaignant.

42.(1) Subject to subsection (2), when the Commission decides not to deal with a complaint, it shall send a written notice of its decision to the complainant setting out the reason for its decision.

(2) Before deciding that a complaint will not be dealt with because a procedure referred to in paragraph 41(a) has not been exhausted, the Commission shall satisfy itself that the failure to exhaust the procedure was attributable to the complainant and not to another.

 

 

[54]           Selon le paragraphe 42(2), la Commission, avant de décider qu’une plainte est irrecevable en vertu de l’alinéa 41(1)a), doit s’assurer que ce défaut est exclusivement imputable au plaignant. Comme il a été affirmé dans l’arrêt Bell Canada, l’expression « s’assure que » indique l’intention du législateur de conférer une déférence considérable à la décision de la Commission.

 

[55]           Il est vrai que ni la décision de la Commission ni le rapport n’indiquent expressément que le paragraphe 42(2) a été pris en considération. Cependant, un examen du rapport révèle que l’essence du paragraphe 42(2) a été prise en compte, notamment la question de savoir si le défaut est exclusivement imputable au plaignant. Un exemple est fourni au paragraphe 20 du rapport à cet égard :

 

[traduction] Dans une lettre datée du 4 juin 2010, le Conseil canadien des relations industrielles a informé la plaignante dans son dossier # 28057-C qu’il n’avait pas reçu un certain nombre de documents qu’elle s’était engagée à joindre à sa plainte, dont : « lettres de congédiement; griefs; courriels, autres pièces de correspondance; documents de tribunaux; documents médicaux; rapports de police; autorisations de représenter; protocoles d’entente; documents sur les droits de la personne; documents relatifs aux blessures au travail; dossiers d’employée; etc. ». La plaignante n’a pas fourni d’autre précision au sujet de l’état d’avancement de cette plainte.

 

 

[56]           Ce paragraphe montre que la demanderesse n’a pas fait tout ce qu’il fallait pour épuiser les recours ou procédures qui lui sont ouverts. Bien que la Commission n’ait pas expressément mentionné le paragraphe 42(2), le fait que la demanderesse n’a pas fourni les documents dont avait besoin le CCRI (l’une des procédures de règlement des griefs qui lui sont normalement ouvertes) permet de conclure que la Commission s’est acquittée des obligations énoncées au paragraphe 42(2).

 

[57]           La Commission a décidé, en vertu de l’alinéa 41(1)a), de ne pas instruire la plainte de la demanderesse à ce stade parce que la demanderesse devait, selon elle, épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts. La Commission a indiqué que, à l’issue de ces recours ou procédures, la demanderesse pouvait lui demander de réactiver sa plainte.

 

[58]           Quoi qu’il en soit, je conclus que la décision de la Commission de ne pas instruire la plainte à ce stade est raisonnable à la lumière des éléments de preuve dont celle‑ci disposait. L’alinéa 41a) prévoit que la demanderesse doit d’abord épuiser les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts. Le paragraphe 42(2) prévoit que la Commission doit s’assurer que le défaut ou le retard est exclusivement imputable au plaignant. La Commission avait devant elle des éléments de preuve voulant que la demanderesse disposait d’autres recours ou procédures et que tout retard lui était entièrement imputable.

 

[59]           Je conclus que la décision de la Commission de ne pas instruire la plainte était raisonnable au moment où elle l’a prise.

 

Frais

[60]           La demanderesse se représente elle‑même. De plus, la Commission a accepté la plainte de la demanderesse, bien que ce soit en partie et pour instruction ultérieure.

 

[61]           À la lumière de ces faits, j’estime qu’il n’y a pas lieu d’adjuger des dépens en l’espèce.

 

Conclusion

 

[62]           Je conclus que la demanderesse n’a pas établi que la Commission avait commis une erreur susceptible de contrôle. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[63]           Aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.                  Aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Line Niquet


COUR FÉDRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1360-11

 

 

INTITULÉ :                                      DEBORAH GUYDOS c LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 18 JUIN 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE MANDAMIN

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     LE 17 AOÛT 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Deborah Guydos

 

LA DEMANDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Michael Torrance

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Deborah Guydos

Toronto (Ontario)

 

LA DEMANDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Norton Rose Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.