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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

 


Date : 20120713

Dossier : IMM-9264-11

Référence : 2012 CF 884

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Winnipeg (Manitoba), le 13 juillet 2012

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

 

AHMAD WALI MOHMADI

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur demande le contrôle judiciaire de la décision datée du 18 novembre 2011 qui a été rendue par un commissaire de la section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La SPR a rejeté la demande d’asile présentée par le demandeur en vertu de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ( la Loi) après avoir conclu que, parce qu’il n’avait pas établi son identité, le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la convention ni une personne à protéger.

L’historique

[2]               Le demandeur vivait à Kaboul (Afghanistan). Il affirme être issu d’une famille bien en vue. Il a eu une aventure avec l’épouse d’un voisin et s’est attiré les foudres de ce dernier. Après avoir découvert l’affaire, le voisin a attaqué le demandeur, mais celui-ci a pu s’échapper. Le demandeur n’est pas rentré chez lui cette nuit-là parce qu’il avait peur. Le jour suivant, il a appelé son frère qui lui a dit que le voisin et d’autres personnes étaient venus à la maison pour battre son père. Ils étaient armés et ont demandé au père du demandeur où ce dernier se trouvait. Ne le trouvant pas, ils ont tiré dans les airs et ont dit à au père du demandeur que lorsque qu’il reviendrait, ils le tueraient. Le père du demandeur était en colère contre le demandeur, mais il a trouvé un agent pour faire sortir ce dernier du pays.

 

[3]               Le demandeur est arrivé au Canada le 14 mars 2010 et il a demandé l’asile le 23 mars 2010.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

 

[4]               La SPR a conclu que la question déterminante dans la présente demande était l’identité et a conclu que le demandeur n’était pas crédible en ce qui concernait son identité. Cette conclusion reposait sur des contradictions et des invraisemblances que la SPR avait relevées dans les documents, le témoignage et les remarques du demandeur.

 

[5]               La SPR a conclu que le demandeur n’était pas crédible en raison de contradictions et d’invraisemblances relatives à sa taskira (document d’identité afghan) car :

 

  • Le demandeur n’a pas déclaré dans son FRP qu’il détenait une taskira, le principal document d’identité afghan; il a plutôt déclaré qu’il détenait un certificat de naissance.

 

  • La signature du demandeur ne figurait pas sur sa taskira; la SPR a déclaré qu’il était logique que la signature du demandeur figure dans la taskira à l’espace prévu à cette fin, malgré le témoignage du demandeur selon lequel ce n’était souvent pas le cas.

 

  • Les dates figurant dans la taskira ne correspondaient à pas celles que le demandeur avait mentionnées dans son témoignage.

 

  • La SPR a estimé qu’il était illogique que l’ami du demandeur en Afghanistan aille faire traduire la taskira dans un bureau du gouvernement plutôt que de l’envoyer directement au demandeur afin que celui-ci la fasse traduire.

 

  • La SPR s’attendait à ce qu’un quelconque sceau ou insigne officiel figure sur la taskira. L’absence d’éléments de sécurité ou de sceau officiel a amené la SPR à accorder peu de poids à la taskira soumise.

 

[6]               La SPR n’a également pas tenu compte du passeport afghan qui a été soumis dans le cadre des observations formulées par le demandeur après l’audience. La SPR a accordé peu de poids au passeport parce qu’elle avait conclu que la taskira douteuse avait été utilisée pour obtenir le passeport.

 

[7]               La SPR a rejeté la demande présentée en vertu des articles 96 et 97 en raison de la question de l’identité.

Les dispositions législatives

 

[8]               La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, prévoit ce qui suit :

106. La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer.

106. The Refugee Protection Division must take into account, with respect to the credibility of a claimant, whether the claimant possesses acceptable documentation establishing identity, and if not, whether they have provided a reasonable explanation for the lack of documentation or have taken reasonable steps to obtain the documentation.

 

 

[9]               Les Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228, prévoient ce qui suit :

 

7. Le demandeur d’asile transmet à la Section des documents acceptables pour établir son identité et les autres éléments de sa demande. S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour s’en procurer.

7. The claimant must provide acceptable documents establishing identity and other elements of the claim. A claimant who does not provide acceptable documents must explain why they were not provided and what steps were taken to obtain them.

 

La question en litige

 

[10]           La seule question en litige en l’espèce est celle qui consiste à savoir si la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’a pas établi son identité pour les besoins de sa demande d’asile était déraisonnable.

 

La norme de contrôle

 

[11]           La Cour suprême du Canada a conclu dans Dunsmuir c New Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir] qu’il n’existe que deux normes de contrôle : celle de la décision correcte pour les questions de droit et celle de la décision raisonnable pour les questions mixtes de fait et de droit et les questions de fait : Dunsmuir, aux paragraphes 50 et 53. La Cour suprême a également conclu que lorsque la norme de contrôle a déjà été déterminée, il n’est pas nécessaire de refaire l’analyse relative à la norme de contrôle applicable : Dunsmuir, au paragraphe 62.

 

[12]           Les conclusions de fait et de crédibilité de la SPR et son évaluation de la preuve soumise pour établir l’identité appellent la norme de la raisonnabilité : Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 969 [Wang], au paragraphe 22.

 

Analyse

 

[13]           Le demandeur prétend que la décision de la SPR est déraisonnable parce qu’elle est fondée sur des conclusions de fait déraisonnables. Premièrement, le demandeur prétend qu’il était déraisonnable pour la SPR de n’accorder aucun poids au passeport afghan qui a été soumis dans le cadre des observations formulées après l’audience. Deuxièmement, le demandeur conteste les postulats de la SPR selon lesquels les taskiras doivent porter la signature de leur détenteur et doivent être dotées d’éléments de sécurité. Le demandeur prétend que la SPR ne s’est fondée sur aucun élément de preuve et n’a fait que formuler des hypothèses.

 

[14]           Le défendeur prétend que la décision de la SPR était raisonnable et que la demande devrait être rejetée. Le défendeur prétend que la SPR s’est fondée sur des contradictions figurant dans la documentation et le témoignage du demandeur pour conclure que l’identité du demandeur ne pouvait pas être confirmée de façon convaincante. Le défendeur souligne que lorsque l’identité n’est pas établie, il est inutile d’analyser davantage la preuve et la demande : Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 296, au paragraphe 8.

 

[15]           Le défendeur prétend que les doutes de la SPR à propos de l’identité sont en grande partie fondés sur la taskira soumise par le demandeur. En ce qui concerne le passeport, le défendeur prétend que la SPR a accusé réception de celui-ci, mais a décidé de ne luiaccorder que peu de poids en raison des doutes qu’elle avait déjà exprimés à propos des pièces d’identité du demandeur. Le défendeur prétend que même si la SPR a souligné que le passeport afghan du demandeur semblait authentique, rien n’empêchait la SPR de conclure que le demandeur n’avait pas réussi à établir sa véritable identité : Saleem c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 389, 166 ACWS (3d) 321, au paragraphe 29.

 

[16]           Selon moi, la SPR a tiré une conclusion fondamentale qui était déraisonnable. La SPR a relevé de nombreux problèmes en ce qui concerne la taskira du demandeur, notamment des contradictions dans le témoignage du demandeur. Si la SPR ne s’était fondée que sur cela, j’aurais peut-être conclu que les conclusions de la SPR étaient raisonnables. Toutefois, la SPR s’est fiée sur cette conclusion pour n’accorder que peu de poids à un autre document, le passeport du demandeur.

 

[17]           Dans le cadre des observations qu’il a formulées après l’audience, le demandeur a soumis un passeport afghan délivré après la date de l’audience par l’ambassade de l’Afghanistan à Ottawa.

 

[18]           Après avoir examiné les questions concernant la taskira du demandeur, la SPR s’est penchée sur la question du passeport délivré par l’ambassade afghane figurant dans les documents soumis après l’audience. En ce qui concerne le passeport, la SPR a déclaré ce qui suit :

 

Le demandeur d’asile a produit ce qui semble être un passeport authentique délivré par l’ambassade afghane à Ottawa le 18 août 2011. Dans des circonstances normales, le présent tribunal aurait considéré ce document comme une pièce d’identité importante. En l’espèce, il y a de nombreux problèmes de crédibilité qui m’amènent à douter de l’identité du demandeur d’asile. Le conseil du demandeur d’asile a affirmé que ce dernier n’avait pas été en mesure d’obtenir d’autres pièces d’identité de l’Afghanistan. Aucune explication n’a été fournie quant à la question de savoir comment il a pu obtenir la pièce 8 s’il n’a pas pu obtenir d’autres documents de l’Afghanistan ou pourquoi il a deux taskiras arborant des numéros différents? Malgré cela, selon les éléments de preuve, le passeport a été délivré grâce aux documents présentés au tribunal, documents pour lesquels, compte tenu des raisons données précédemment, j’ai de sérieuses réserves quant à l’authenticité. Le passeport ne vaut pas mieux que les documents utilisés pour établir l’identité. En l’espèce, j’estime que les documents présentés ne suffisent pas pour établir l’identité et, par conséquent, j’accorde peu d’importance au passeport à cet égard.

 

 

[19]           Je conclus que la SPR a mis en doute l’authenticité d’une pièce d’identité à la suite de problèmes avec une autre. Le défendeur prétend que le dossier soumis à la SPR comporte des éléments de preuve qui justifient de n’accorder que peu de poids au passeport. Toutefois, je ne peux pas faire abstraction des mots choisis par le commissaire de la SPR dans la déclaration suivante : « [...] documents pour lesquels, compte tenu des raisons données précédemment, j’ai de sérieuses réserves quant à l’authenticité. Le passeport ne vaut pas mieux que les documents utilisés pour établir l’identité ». Selon moi, cette déclaration témoigne que l’évaluation du passeport faite par la SPR a été limitée en raison des problèmes posés par d’autres documents, notamment la taskira.

 

[20]           Dans Wang, le juge Russell a été confronté à une question du même genre. La SPR avait refusé d’accorder un poids important à des documents authentiques en raison de problèmes posés par de faux documents qui avaient été soumis. Aux paragraphes 48 et 49, il a déclaré ce qui suit :

 

Le défendeur affirme que les conclusions de la SPR quant à l’invraisemblance sont raisonnables, mais n’explique pas en quoi elles sont raisonnables. Je suis particulièrement préoccupé par les conclusions concernant le permis de conduire du demandeur et l’avis de saisie du bureau de poste. La SPR affirme que le permis de conduire semble authentique, mais n’en tient tout de même pas compte parce qu’elle a conclu que les autres documents sont faux et qu’il est facile d’avoir accès à des faux documents en Chine. Il en va de même pour l’avis de saisie du bureau de poste, que le demandeur a présenté pour prouver que sa femme a tenté de lui envoyer sa CIR par la poste, mais que les employés de la poste l’ont saisi et l’ont envoyé au BSP. La SPR ne conclut pas qu’elle est fausse, mais refuse d’accorder « foi au fait que l’avis de saisie puisse expliquer l’absence de documents d’identité acceptables fournis par le demandeur […] à la [SPR] » compte tenu de ses préoccupations concernant l’authenticité d’autres papiers d’identité et l’accessibilité à de faux documents en Chine.

 

Comme la juge Carolyn Layden-Stevenson l’a fait remarquer au paragraphe 12 de la décision Lin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 84, la conclusion qu’un document est (ou que certains documents sont) faux ne signifie pas nécessairement que tous les documents le sont également, même lorsque de faux documents sont facilement accessibles. La SPR doit faire des efforts pour établir l’authenticité des documents qui semblent authentiques.

 

                        [Non souligné dans l’original.]

 

[21]           En l’espèce, la SPR a décidé de mettre en doute la validité du passeport en raison de ses doutes concernant les documents soumis par le demandeur afin d’obtenir le passeport. Il était déraisonnable de la part de la SPR de limiter son évaluation du passeport en raison de doutes quant à l’authenticité de la taskira du demandeur. Par conséquent, je conclus que la décision de la SPR de n’accorder que peu de poids au passeport du demandeur pour la simple raison qu’un autre document posait des problèmes est déraisonnable.

 

Conclusion

 

[22]           Je conclus que la décision de la SPR est déraisonnable et que la demande de contrôle judiciaire devrait être accordée.

 

[23]           Aucune question grave de portée générale n'est proposée aux fins de certification et je n’en certifie aucune.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

1.        La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la SPR est annulée et l’affaire est renvoyée pour nouvelle décision par un tribunal différemment constitué.

 

2.         Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-9264-11

 

 

INTITULÉ :                                      AHMAD WALI MOHMADI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              SASKATOON (SASKATCHEWAN)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 12 JUILLET 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE MANDAMIN

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     LE 13 JUILLET 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Christopher G. Veeman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Natasha Crooks

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Veeman Law

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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