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Date : 20120807

Dossier : T-1859-11

Référence : 2012 CF 970

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 août 2012

En présence de madame la juge Simpson

 

 

ENTRE :

 

ESMOND JACK YU

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Esmond Jack Yu [le demandeur] dépose la présente demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7. La décision contestée a été rendue par le Service correctionnel du Canada [le SCC] le 29 septembre 2011. Le SCC, qui était alors saisi d’un grief au troisième palier, a rejeté la plus grande partie de la réclamation présentée par le demandeur pour des dommages qui auraient été causés à son ordinateur.

 

[2]               Le demandeur, qui se représente lui‑même, est détenu à l’Établissement de Matsqui, à Abbotsford (Colombie‑Britannique) [Matsqui]. La demande a été instruite par vidéoconférence à Vancouver.

 

[3]               Le 1er novembre 2007, des agents de Matsqui ont fouillé la cellule du demandeur et ont trouvé divers objets non autorisés, notamment un téléphone cellulaire dissimulé dans son imprimante et un chargeur de téléphone cellulaire dissimulé dans la tour de son ordinateur. Le téléphone cellulaire et son chargeur seront appelés « les objets interdits ». Les agents ont saisi toutes les composantes de l’ordinateur, notamment la tour, l’imprimante, le moniteur Sony E‑100 de 15 pouces, le clavier et la souris [collectivement, l’ordinateur] et les ont fouillées.

 

[4]               Le 10 décembre 2007, la chef – Technologie de l’information de Matsqui, Roylene McIntosh, a signalé avoir trouvé des logiciels, des pilotes de périphérique et des dossiers interdits et non autorisés dans l’ordinateur. Son enquête [l’enquête TI] et la fouille effectuée précédemment par les agents seront appelées collectivement « la fouille ». Mme McIntosh a recommandé que l’ordinateur soit reformaté aux frais du demandeur. On ne sait pas si cela a été fait. On sait en revanche que l’ordinateur a été entreposé et qu’il a été décidé qu’il ne serait pas remis au demandeur avant sa libération.

 

[5]               Le demandeur a ensuite été transféré à l’Établissement de Kent, un établissement à sécurité maximale, sans qu’il l’ait demandé, puis il est retourné à Matsqui en 2008. Il semble que l’ordinateur ait été déplacé chaque fois que le demandeur a été transféré.

 

[6]               Le 18 octobre 2010, le demandeur a été autorisé à voir l’ordinateur [l’inspection]. L’agent d’admission et d’élargissement présent lors de l’inspection a indiqué que le demandeur croyait que la mémoire vive de l’ordinateur placée sur le côté de la tour ne fonctionnait pas. Le demandeur a aussi constaté que, malgré le fait qu’il y avait du courant, l’écran du moniteur ne s’allumait pas. Au cours de l’inspection, le moniteur et la tour ont été photographiés et aucune fissure ou bosselure n’était visible; il y avait cependant de légères tâches ou éraflures sur le moniteur [les photos].

 

[7]               Le 5 novembre 2010, le défendeur a reçu la réclamation du demandeur concernant les composantes perdues ou endommagées de l’ordinateur [la réclamation]. Le demandeur réclamait :

(i)                 30 $ pour le remplacement des panneaux manquants de la tour;

(ii)               30 $ pour les frais de main‑d’œuvre relatifs à l’installation des nouveaux panneaux;

(iii)             10 $ pour la mémoire vive endommagée;

(iv)             100 $ pour les frais de main‑d’œuvre relatifs à la réinitialisation du dispositif de sécurité du moniteur ou 315 $ pour un nouveau moniteur.

 

[8]               Dans la réclamation, à la page 24 du dossier certifié du 29 novembre 2011, le demandeur explique ce qui, à son avis, a causé le fonctionnement défectueux de la mémoire vive et de l’écran du moniteur. Il parle aussi des panneaux de remplacement. Il écrit :

[traduction]

[...]

 

Quant à la mémoire vive, elle a probablement été endommagée par des chocs parce que la tour n’a jamais été emballée dans du matériel de protection pendant les trois ans où elle a été sous la garde du SCC. Il y a des parasites dans un appareil électronique seulement quand il est branché; aucun appareil électronique ne cesse de fonctionner lorsqu’il ne reçoit pas de courant.

 

Pour ce qui est du moniteur, je doute qu’il soit endommagé, mais, comme je devrai payer un technicien agréé pour qu’il rétablisse le dispositif de sécurité (peut‑être) abîmé parce que le SCC n’a pas suivi la procédure applicable décrite sur son site Web; le SCC est responsable. Je réclame les frais de réparation (si vous pouvez ordonner qu’il soit réparé) ou la valeur de remplacement.

 

Pour ce qui est des panneaux, si vous les retrouvez dans un endroit qui relève du SCC et que vous me permettez de les remettre en place, il n’y aura ni préjudice, ni faute. Dans le cas contraire, je réclame la valeur de remplacement.

 

[9]               Selon la décision rendue au premier palier le 29 décembre 2010, le demandeur a obtenu une somme de 30 $ pour les panneaux manquants parce qu’ils étaient en place lorsque l’ordinateur a été saisi et que le personnel du SCC les avait de toute évidence perdus. Le directeur a toutefois rejeté le reste de la réclamation. Sa décision a été maintenue au deuxième palier par la sous‑commissaire adjointe, Roxy Mandziak [la SCA], le 9 mars 2011.

 

[10]           Le 4 avril 2011, le demandeur a présenté son grief au troisième palier. Ce grief était accompagné d’un long mémoire [le mémoire] qui démontre que, selon le demandeur, son ordinateur a été endommagé parce qu’il n’était pas bien emballé lorsqu’il a été entreposé et déplacé.

 

[11]           Le 29 septembre 2011, le sous‑commissaire principal par intérim [le SCPI], Ross Toller, a rejeté le grief au troisième palier pour ce qui est des frais de main‑d’œuvre relatifs aux nouveaux panneaux, à la mémoire vive et au moniteur. Il a considéré que la réclamation de 30 $ pour les panneaux manquants avait été réglée puisqu’elle avait été acceptée par le directeur [la décision contestée].

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

 

[12]           Le SCPI a signalé les allégations du demandeur selon lesquelles l’ordinateur n’avait pas été bien emballé et le SCC avait omis de confirmer que l’ordinateur était en bon état de fonctionnement avant et après les transferts entre Matsqui et Kent. Il a toutefois conclu que ces allégations n’étaient pas pertinentes. Le SCPI a dit que l’on avait découvert que le demandeur cachait des objets interdits dans l’ordinateur, que le dommage allégué [traduction] « correspondait à celui qui a été causé par le fait que vous avez altéré les composantes internes » et que ces altérations [traduction] « avaient très raisonnablement fait en sorte que l’ordinateur et le moniteur ne fonctionnaient pas bien par la suite ». Il a dit aussi que le demandeur était responsable de tout dommage causé par ces altérations.

 

[13]           Subsidiairement, le SCPI a conclu que, si l’ordinateur avait été endommagé pendant la fouille, les dommages seraient visés par la Directive 234‑1, intitulée Instructions relatives à l’administration des réclamations [les Instructions], dont la version applicable du paragraphe 29 prévoit ce qui suit :

Lorsque des effets personnels d’un délinquant, dans lesquels un objet interdit ou non autorisé avait été dissimulé, ont été endommagés par inadvertance au moment où l’objet interdit ou non autorisé a été extrait, le Service ne doit pas être tenu responsable des dommages causés aux effets personnels s’il fallait endommager ces effets pour extraire l’objet interdit ou non autorisé. Cependant, une indemnité devrait être offerte si des effets ont été endommagés, mais qu’il n’y avait aucun objet interdit ou non autorisé.

When an offender’s property concealing contraband or an unauthorized item was inadvertently damaged while the contraband or unauthorized item was being retrieved, the Service shall not be held liable for any damage caused to the property if the damage was necessary to remove the contraband or unauthorized item. However, compensation should be offered if property is damaged and no contraband or unauthorized item is found.

 

 

[14]           Le SCPI a traité toutes les composantes de l’ordinateur comme s’il s’agissait d’un seul effet personnel et a conclu, en s’appuyant sur le paragraphe 29, que le demandeur ne devait pas être remboursé pour la mémoire vive endommagée ou le moniteur. Il a mentionné en outre qu’aucune autre mesure n’était nécessaire au regard des panneaux manquants parce que cette partie de la réclamation avait déjà été maintenue. Enfin, les frais de main‑d’œuvre relatifs à la réinstallation des panneaux n’ont pas été accordés parce que le demandeur avait dit à un agent du SCC qu’il pouvait facilement les réinstaller lui‑même.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[15]           Les conclusions de fait et les conclusions mixtes de fait et de droit qui sont tirées dans le cadre du processus de règlement des griefs du SCC sont assujetties à la norme de contrôle de la raisonnabilité, voir Bonamy c Canada (Procureur général), 2010 CF 153, aux paragraphes 46 et 47.

 

[16]           Les parties conviennent – et je suis d’accord avec elles – que la norme de contrôle qui s’applique aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[17]           Le demandeur soulève deux questions :

1.      Le défendeur a-t-il contrevenu aux règles d’équité procédurale?

2.      La décision était‑elle raisonnable?

 

            Le défendeur soulève une question additionnelle :

 

3.      Les réparations demandées par le demandeur sont‑elles appropriées?

 

Question 1      Le défendeur a-t-il contrevenu aux règles d’équité procédurale?

 

Les thèses des parties

 

[18]           Le défendeur mentionne que, bien que le demandeur conteste le caractère suffisant des motifs donnés au soutien de la décision contestée comme s’il s’agissait d’une question d’équité procédurale, la Cour suprême du Canada a récemment décidé que l’insuffisance des motifs ne permet pas à elle seule de contester une décision. Les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat dans le but de déterminer si ce dernier fait partie des issues possibles : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 14 et 22.

 

[19]           Le demandeur fait valoir que le SCPI n’a pas expliqué les motifs de sa conclusion selon laquelle le dommage aux composantes de l’ordinateur correspondait au dommage causé par le demandeur en altérant les composantes internes de l’ordinateur. Plus précisément, le demandeur soutient que le SCPI a employé des expressions comme [traduction] « altéré par », [traduction] « composantes internes » et « [traduction] « composantes de l’ordinateur » [les expressions employées] qui créaient de la confusion et qui n’ont pas été définies de façon appropriée.

 

[20]           Pour sa part, le défendeur affirme que le mémoire du demandeur montre que celui‑ci comprenait manifestement le sens des expressions employées.

 

[21]           Le demandeur fait valoir qu’une copie du résumé administratif rédigé par Kristen Sage [l’analyste], qui a fait enquête sur son grief au troisième palier, ne lui a pas été remise, de sorte qu’il n’a pas eu la possibilité de démontrer que, malgré ce que le défendeur prétend, il n’avait pas lui‑même causé le dommage lorsqu’il avait dissimulé les objets interdits dans l’ordinateur.

 

[22]           Le défendeur fait valoir que, comme l’objet du grief est une réclamation d’un montant maximal de 385 $ pour des dommages causés à des biens, les règles d’équité procédurale sont minimales et elles sont respectées si le détenu a la possibilité de présenter des observations au cours du processus de règlement des griefs.

 

[23]           Le défendeur dit que le SCPI disposait du mémoire du demandeur et que celui‑ci était au courant des Instructions sur lesquelles le SCPI s’appuyait.

 

[24]           Le demandeur allègue en outre que l’analyste n’était pas impartiale parce qu’elle [traduction] « a pris parti » et a défendu la position du SCC dans le différend. Il prétend que l’analyste n’a pas effectué une enquête appropriée et qu’elle aurait dû vérifier la crédibilité des parties, recueillir les politiques pertinentes et présenter un rapport neutre au SCPI. Or, l’analyste a omis de mentionner ses arguments et ses prétentions. Par exemple, le demandeur affirme qu’il a cité l’article 28 des Instructions dans son mémoire, mais que cela n’est pas indiqué dans le résumé administratif. Il soutient également que celui‑ci n’explique pas pourquoi ses arguments ont été rejetés.

 

[25]           Le défendeur affirme qu’il ressort d’un examen du résumé administratif que l’analyste a exposé tous les arguments et décrit tous les éléments de preuve et qu’elle s’en est servie pour formuler une recommandation. Il affirme également que c’est le SCPI, et non l’analyste, qui était le décideur et que le SCPI a tenu compte de tous les éléments de preuve, y compris le mémoire.

 

Question 2      La décision était-elle déraisonnable?

 

Les thèses des parties

 

[26]           Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable pour le SCPI de décider qu’aucune autre mesure n’était nécessaire au regard des panneaux manquants. Il soutient que le SCPI n’a pas démontré qu’il avait fait enquête sur les frais de main‑d’œuvre ou qu’il les avait vérifiés et qu’il n’a pas reconnu qu’un tiers allait exiger une somme d’argent pour installer les nouveaux panneaux.

 

[27]           Le défendeur répond de deux façons : (i) il était raisonnable pour le SCPI de conclure que cette question avait été réglée définitivement et (ii) le mémoire du demandeur n’indiquait pas clairement que celui‑ci exigeait des frais de main‑d’œuvre relativement aux panneaux. Le défendeur souligne que, dans sa réclamation originale, le demandeur affirmait que, si les panneaux étaient retrouvés, il les [traduction] « remettr[ait] en place », ce qui laisse entendre qu’il pouvait aussi en « mettre en place » de nouveaux.  

 

[28]           Le défendeur prétend que le demandeur a choisi d’exposer son ordinateur à des dommages lorsqu’il s’en est servi pour dissimuler les objets interdits et que c’est lui qui est responsable de tout dommage causé pendant la fouille.

 

[29]           En ce qui concerne le moniteur et la mémoire vive, le défendeur fait remarquer que toutes les composantes de l’ordinateur du demandeur ont été confisquées et ont dû être fouillées après que des objets interdits ont été trouvés dans la partie avant de la tour et dans l’imprimante. Il était donc raisonnable pour le SCC de fouiller le moniteur et la tour en entier, y compris la mémoire vive placée sur le côté. En conséquence, tout dommage causé au moniteur ou à la mémoire vive était imputable au demandeur même si aucun objet interdit n’y a été trouvé.

 

ANALYSE

            Le résumé administratif

 

[30]           À l’audience, le demandeur a fait référence pour la première fois à la décision rendue par le juge Martineau dans Lewis c Canada (Services correctionnels), 2011 CF 1233. Dans cette affaire, le demandeur avait allégué que le défaut de lui remettre le résumé administratif (aussi appelé « évaluation en vue d’une décision ») violait les règles d’équité procédurale. Le résumé administratif avait été préparé aux fins d’un grief au troisième palier visant une décision relative à une demande de transfert dans un autre établissement et une décision faisant passer le niveau de sécurité de l’établissement où le demandeur devait être détenu de faible à moyenne.

 

[31]           Dans Lewis, le grief au troisième palier du demandeur avait été rejeté en grande partie parce que la plupart des questions soulevées à ce palier n’avaient pas été soulevées auparavant. Le demandeur a dit que, s’il avait pris connaissance du résumé administratif dans lequel des préoccupations étaient exprimées au regard des nouvelles questions, il aurait pu expliquer pourquoi il n’avait pas soulevé ces questions plus tôt.

 

[32]           La Cour a statué dans Lewis que le paragraphe 27(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [la Loi], créait une obligation applicable et que le résumé administratif aurait dû être remis au demandeur. Le paragraphe 27(1) prévoit ce qui suit :

 (1) Sous réserve du paragraphe (3), la personne ou l’organisme chargé de rendre, au nom du Service, une décision au sujet d’un délinquant doit, lorsque celui-ci a le droit en vertu de la présente partie ou des règlements de présenter des observations, lui communiquer, dans un délai raisonnable avant la prise de décision, tous les renseignements entrant en ligne de compte dans celle-ci, ou un sommaire de ceux-ci.

 (1) Where an offender is entitled by this Part or the regulations to make representations in relation to a decision to be taken by the Service about the offender, the person or body that is to take the decision shall, subject to subsection (3), give the offender, a reasonable period before the decision is to be taken, all the information to be considered in the taking of the decision or a summary of that information.

 

[33]           Comme le demandeur a fait référence à Lewis sans avoir fait part au préalable de son intention à cet égard, le défendeur a eu la possibilité de présenter des observations après l’audience, dans lesquelles il a indiqué que le paragraphe 27(1) s’applique seulement lorsque la décision est rendue « au sujet d’un délinquant », ce qui signifie qu’il s’applique dans des affaires comme Lewis où le transfert ou le niveau de sécurité sont en cause.

 

[34]           Le défendeur fait valoir que la décision contestée en l’espèce n’a pas été rendue au sujet d’un délinquant, mais plutôt au sujet de ses biens. J’accepte cette affirmation et sa conséquence, soit que le paragraphe 27(1) de la Loi ne s’applique pas et que, si le droit d’avoir accès au résumé administratif existe, il faut que ce soit en vertu de la common law.

 

[35]           Aussi, je me réfère à Sweet c Canada (Procureur général), 2005 CAF 51, où la Cour a dit ce qui suit au sujet du SCC aux paragraphes 31 et 32 :

Tout organisme public qui rend des décisions administratives touchant les droits, les privilèges ou les biens d’une personne a l’obligation de se conformer aux règles de la justice naturelle et de suivre les règles de l’équité procédurale (voir Cardinal c. Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, à la page 653). La juge L’Heureux-Dubé a cependant indiqué, dans Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, à la page 682, que « la notion d’équité procédurale est éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas ».

 

Le contenu de l’obligation d’équité qui incombe à un organisme public comme le SCC a été décrit par la juge L’Heureux-Dubé dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, et a été récemment résumé par la juge en chef McLachlin dans Congrégation des témoins de Jéhovah de St-Jérôme-Lafontaine c. Lafontaine (Village), [2004] 2 R.C.S. 650, au paragraphe 5. Ainsi, le contenu de l’obligation d’équité varie en fonction de cinq facteurs : 1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi par l’organisme public pour y parvenir; 2) la nature du régime législatif et les dispositions législatives précises en vertu desquelles agit l’organisme public; 3) l’importance de la décision pour les personnes visées; 4) les attentes légitimes de la partie qui conteste la décision; 5) la nature du respect dû à l’organisme.

 

[36]           À mon avis, un degré élevé d’équité procédurale n’est pas justifié en l’espèce. Le premier et le troisième facteurs décrits dans Baker sont pertinents au regard de cette conclusion.

 

[37]           Dans Gallant c Canada (Sous-commissaire, Service correctionnel du Canada), [1989] 3 CF 329 (CA), ACF no 70, la Cour d’appel fédérale a établi une distinction fondamentale entre les décisions disciplinaires et les décisions administratives dans le contexte pénitentiaire, soulignant que les droits de participation ont tendance à être comparativement plus importants dans le cas des premières. Alors que les décisions administratives sont rendues dans ce contexte pour « le bon fonctionnement de l’établissement », les décisions disciplinaires visent à imposer une sanction ou une punition à une personne : Poulin c Canada (Procureur général), 2008 CF 811, au paragraphe 27, citant Gallant, ci‑dessus. La décision contestée en l’espèce est clairement une décision administrative, de sorte que le degré d’équité procédurale est minimal.

 

[38]           En outre, la décision contestée du SCPI découle d’un processus d’examen du grief du demandeur de type inquisitoire ou administratif, un processus qui exigera généralement un degré d’équité procédurale moins grand qu’un processus de nature plus contradictoire : Baker, ci‑dessus, au paragraphe 23; Poulin, ci‑dessus, au paragraphe 28.

 

[39]           En ce qui concerne l’importance de la décision contestée pour le demandeur, il ne s’agit pas en l’espèce d’un cas où cette décision a une incidence sur l’autonomie du demandeur dans l’établissement correctionnel, comme dans Poulin (voir le paragraphe 29). L’ordinateur a été saisi et entreposé jusqu’à la libération du demandeur parce que ce dernier y avait dissimulé des objets interdits. Le demandeur ne conteste pas la saisie de son ordinateur. La décision a tout au plus une incidence sur son droit de propriété à l’égard de son ordinateur. Compte tenu de la faible valeur du dommage allégué, j’estime que l’importance de la décision contestée pour le demandeur permet aussi de croire qu’un faible degré d’équité procédurale est requis.

 

[40]           Étant donné que, selon les facteurs décrits dans Baker, l’obligation d’équité procédurale est minimale en l’espèce, je conclus que le défendeur n’a pas contrevenu aux règles d’équité procédurale en ne remettant pas une copie du résumé administratif au demandeur.

 

[41]           J’ai conclu également qu’il ne s’agit pas en l’espèce d’un cas où le demandeur a subi un préjudice parce qu’il n’a pas eu accès au résumé administratif. La décision rendue au deuxième palier indiquait que le demandeur était responsable de la réparation ou du remplacement des composantes étant donné qu’il avait choisi d’exposer son système informatique à des dommages par ses propres actions. Le demandeur affirme qu’il a compris que cette conclusion faisait référence à la possibilité qu’il ait pu causer des courts‑circuits électriques. Cette affirmation est d’ailleurs corroborée, selon lui, par le fait qu’il a traité de cette possibilité dans la deuxième partie de la page 2 de son mémoire.

 

[42]           À mon avis, il était déraisonnable qu’il ait compris une telle chose. Il n’y a rien dans la décision rendue au deuxième palier qui permet de croire qu’il n’y était question que d’électricité. En conséquence, je rejette l’idée que le demandeur n’a pas eu la possibilité de traiter de la question des altérations parce qu’il n’a pas pris connaissance du résumé administratif.

 

[43]           Par ailleurs, même si je tiens pour acquis que le demandeur ignorait que la décision contestée ferait référence à la possibilité qu’il ait lui‑même causé les dommages lorsqu’il a dissimulé les objets interdits dans l’ordinateur, il n’en reste pas moins que cette conclusion a été tirée de façon subsidiaire. Il était tout aussi probable que les dommages soient survenus pendant la fouille. Cette conclusion et les Instructions sur lesquelles elle était fondée étaient suffisantes en soi pour justifier le rejet de la réclamation, et le demandeur était au courant de ce raisonnement et des Instructions en question.

 

[44]           Pour ces motifs, j’ai conclu que l’équité procédurale n’exigeait pas que le SCC remette au demandeur une copie du résumé administratif avant que la décision contestée soit rendue.

 

Les motifs

 

[45]           Après avoir pris connaissance du mémoire et avoir entendu les observations présentées de vive voix par le demandeur en l’espèce, j’estime qu’il ne fait aucun doute que celui‑ci connaît bien les ordinateurs et les expressions employées. Je ne suis donc pas convaincue qu’il n’était pas en mesure de comprendre la décision contestée.

 

Une crainte raisonnable de partialité

 

[46]           Je suis convaincue par contre que l’analyste a décrit de façon impartiale et complète la position du demandeur. Elle a mentionné que, selon le demandeur, l’ordinateur n’avait pas été bien emballé et n’avait pas été inspecté. De plus, elle a passé en revue les mesures prises pour faire enquête sur la réclamation du demandeur ainsi que la preuve concernant l’état de son ordinateur en 2010. Les photos faisaient partie de cette preuve.

 

[47]           Le demandeur reproche à l’analyste de ne pas avoir mentionné qu’elle s’appuyait sur le paragraphe 28 des Instructions. Selon lui, cela dénote un parti pris. Il a écrit ce qui suit dans son mémoire au sujet des Instructions :

[traduction] Je vous prie instamment de désigner un analyste qui [...] comprend [...] les Instructions 234-1.

 

[...] je vous prie [...] d’examiner les paragraphes 26 à 28 des Instructions 234‑.

 

[48]           Le paragraphe 28 est libellé comme suit :

Objets interdits ou non autorisés

 

28.    Une réclamation concernant un objet interdit ou non autorisé qui a été saisi suivant la procédure établie aux articles 57 et 58 du RSCMLC doit être rejetée, sauf si l’objet devait être remis au délinquant – ou à son représentant – aux termes de l’article 59 du RSCMLC. Par exemple, une réclamation peut être acceptée dans les cas suivants :

 

a.   lorsqu’il avait été convenu que l’objet serait restitué au délinquant en vertu du paragraphe 59(3) du RSCMLC et que l’objet est demeuré sous la garde du Service;

b.   lorsque le délinquant a pris des mesures pour la disposition ou la garde de l’objet à l’extérieur du pénitencier conformément au paragraphe 59(4) du RSCMLC alors que l’objet est encore sous la garde du Service;

c.   lorsque, conformément au paragraphe 59(7) du RSCMLC, la confiscation de l’objet a été annulée.

 

[49]           Le demandeur n’expose pas clairement son point de vue sur la pertinence du paragraphe 28 des Instructions dans son mémoire. Il semble laisser entendre que les paragraphes 26 à 28 font en sorte que le fait que des objets interdits ont été découverts et que son ordinateur est devenu non autorisé en conséquence n’est pas pertinent. Le point de vue du demandeur n’est cependant pas exposé clairement. Dans ces circonstances et étant donné que la pertinence du paragraphe 28 n’est pas claire et évidente, je ne suis pas convaincue que le fait que l’analyste n’a pas fait référence à cette disposition fait naître une crainte raisonnable de partialité.

 

[50]           Je dois souligner également que le demandeur n’a pas traité du paragraphe 28 dans le mémoire des faits et du droit qu’il a déposé dans le cadre du présent contrôle judiciaire, si ce n’est pour affirmer au paragraphe 14 que [traduction] « le SCC peut accueillir une réclamation pour perte ou dommages touchant des objets interdits s’il les remet en la possession ou sous le contrôle du détenu ». Or, la pertinence de cette affirmation au regard du grief du demandeur n’est pas claire à mes yeux étant donné que la preuve ne démontre pas que l’ordinateur ou les objets interdits ont été restitués, malgré l’allégation – non étayée – du demandeur figurant à la page 3 du mémoire daté du 31 janvier 2011 qu’il a déposé au deuxième palier, selon laquelle le SCC avait remis les objets réclamés.

 

[51]           Après s’être plaint de la portée de l’enquête au cours du processus de règlement des griefs, le demandeur affirme maintenant que le fait de ne pas mener une enquête complète dénote un manque de partialité. Il croit que l’article 84 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92‑620 [le Règlement], qui oblige le SCC à prendre les mesures utiles pour protéger les effets personnels des détenus, lui donne droit à un rapport décrivant les mesures prises pour protéger son ordinateur. Or, le Règlement n’impose aucune obligation en matière de rapport. Le demandeur a néanmoins reçu un résumé après l’inspection :

[traduction]

En réponse à votre demande :

 

1.         Vos appareils électroniques qui ont été saisis ont été photographiés et ont été consignés dans votre dossier AE.

 

2.                  Vos appareils électroniques ont fait l’objet d’une inspection par un membre du personnel de la section des TI, à laquelle vous avez assisté le 18 octobre 2010. Comme il a été mentionné, ces objets ont été saisis après qu’un téléphone cellulaire a été découvert dans votre imprimante et qu’un chargeur a été trouvé dans le lecteur de votre ordinateur.

 

3.                  Il a été inscrit dans le registre des objets interdits que l’étiquette de saisie 459‑17 a été attribuée au téléphone cellulaire et l’étiquette de saisie 461, aux appareils électroniques.

 

4.                  Pour ce qui est de la réponse au grief V80A00030900, le sous‑directeur a décidé, en consultation avec l’équipe de gestion des opérations, de ne pas vous remettre votre ordinateur jusqu’à ce que vous soyez libéré. La décision est appuyée et confirmée par l’équipe de gestion actuelle.

 

5.                  Le 18 octobre 2010, vous étiez présent lorsqu’une liste de vos appareils électroniques a été dressée. Vous avez été autorisé à assister aussi à l’inspection de vos appareils, que vous avez ensuite emballés en vue de leur entreposage.

 

6.                  Votre demande et la présente réponse ont été versées à votre dossier AE.

 

[52]           Les griefs présentés au deuxième et au troisième paliers montrent que le demandeur croit également qu’il a le droit d’exiger d’être convaincu, après une enquête :

  • que l’enquêteur a consulté le site Web de Sony;
  • que l’agent qui a enlevé le sceau apposé sur son moniteur a été interrogé;
  • que le rapport de l’enquête TI a fait l’objet d’une vérification indépendante;
  • que des mesures appropriées ont été prises pour assurer l’exactitude de tous les éléments de preuve;
  • que les dix énoncés figurant à la page 2 de son mémoire du 13 janvier 2011 ont été examinés et vérifiés;
  • qu’une attention appropriée a été accordée au Règlement, aux directives du commissaire et aux Instructions. Par souci de commodité, ceux qui concernent le demandeur sont résumés ci‑dessous :

Règlement

Article 3                      Le personnel doit bien connaître ses fonctions.

Paragraphe 24(1)         Régime disciplinaire applicable aux détenus.

Article 59                    Si des objets sont saisis, leur propriétaire en est informé.

Paragraphe 74(2)         Toutes les mesures utiles doivent être prises pour régler les griefs de façon informelle.

Section 84                   Les effets personnels des détenus doivent être protégés contre la perte et les dommages.

 

Directives

566-12, annexe C        Effets personnels des délinquants – L’article 8 prévoit que tout logiciel ou matériel informatique non autorisé peut entraîner l’enlèvement permanent de l’ordinateur et des périphériques appartenant au détenu.

DC685-5                     Traite de la gestion des objets saisis.

DC 081                       Traite des plaintes et des griefs des délinquants.

 

Instructions

234‑1, paragraphes 28 et 29

 

[53]           De plus, le demandeur exprime son point de vue sur les défauts de l’enquête au paragraphe 79 de son mémoire des faits et du droit :

[traduction] Oui, le SCC n’a jamais interrogé l’agent Conner afin de savoir de quelle façon il avait effectué la fouille (en lui posant des questions comme : s’était-il servi d’un tournevis pour ouvrir les effets personnels du demandeur? Avait‑il débranché les appareils avant de les ouvrir ou de toucher la circuiterie interne?). Il n’a jamais interrogé non plus la première enquêtrice afin de savoir sur quoi elle fondait ses conclusions et il n’a jamais révélé l’identité de tous les membres du personnel qui avaient manipulé l’objet réclamé.

 

[54]           À mon avis, les Instructions montrent qu’une enquête approfondie et complète n’est pas nécessaire dans des cas comme celui dont la Cour est saisie en l’espèce. Aux termes du paragraphe 2 de la section intitulée « Enquêtes sur les réclamations » des Instructions, « [l]a portée de l’enquête dépend du montant réclamé ou du montant qui peut être offert pour le règlement de la réclamation ». De plus, comme les photos ne montrent pas de dommages externes qui auraient pu être causés si l’on avait laissé tomber l’ordinateur ou si celui‑ci avait été déplacé sans qu’aucune précaution ne soit prise, elles réfutent largement l’allégation du demandeur selon laquelle l’ordinateur a été endommagé parce qu’il n’a pas été bien emballé. Cela renforce ma conclusion selon laquelle une enquête approfondie n’était pas requise.

 

[55]           Le demandeur soutient également que le SCC avait l’obligation, aux termes du paragraphe 74(2) du Règlement, de le questionner au cours d’une entrevue afin de comprendre ses préoccupations et que, comme il ne l’a pas fait, l’enquête était inadéquate. Or, la disposition traite du règlement d’un grief, non de l’enquête à laquelle il a donné lieu. Le paragraphe 74(2) prévoit ce qui suit :

 

74(2) Les agents et le délinquant qui a présenté une plainte conformément au paragraphe (1) doivent prendre toutes les mesures utiles pour régler la question de façon informelle.

74(2) Where a complaint is submitted pursuant to subsection (1), every effort shall be made by staff members and the offender to resolve the matter informally through discussion.

 

[56]           À mon avis, comme le SCC est tenu seulement de prendre « toutes les mesures utiles » et que des discussions ne sont pas obligatoires, cette expression signifie, à mon avis, « toutes les mesures raisonnables ». En l’espèce, compte tenu de la documentation abondante relative au grief et des allégations de manquements aux politiques par le personnel du SCC qui sont formulées par le demandeur, il était évident qu’un règlement informel ne serait pas possible.

 

[57]           Dans ces circonstances, je suis convaincue qu’il était raisonnable pour le SCC de ne pas entamer de discussions visant à régler l’affaire de façon informelle.

 

[58]           À mon avis, le demandeur cherchait à contrôler la portée de l’enquête relative à son grief. Or, il n’a aucun droit à cet égard et, par conséquent, il n’avait pas droit à une décision traitant de tous les points soulevés. Il s’ensuit qu’une allégation de partialité fondée sur le fait que le décideur n’a pas, dans la décision contestée, traité de toutes les questions soulevées par le demandeur n’est pas fondée.

LA DÉCISION CONTESTÉE EST-ELLE RAISONNABLE?

 

[59]           À mon avis, la décision contestée révèle qu’il est impossible de savoir pourquoi le moniteur et la mémoire vive ne fonctionnent pas. On y émet l’hypothèse que, si ce problème résulte d’un dommage, ce dommage a été causé soit par le demandeur lorsqu’il a dissimulé les objets interdits, soit par les agents du SCC pendant la fouille. La décision contestée montre que, dans un cas comme dans l’autre, le SCC n’est pas responsable.

 

[60]           Le demandeur allègue que le SCC ne s’est pas acquitté de son fardeau de prouver qu’il n’avait pas causé les problèmes de fonctionnement. À mon avis cependant, les photos, qui montrent qu’aucun dommage matériel correspondant au défaut de bien emballer l’ordinateur avant qu’il soit déplacé et entreposé n’a été causé, sont suffisantes pour que l’on considère que le SCC s’est acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait.

 

[61]           J’estime que, en l’absence de tout dommage matériel important, il était raisonnable de rejeter les allégations du demandeur selon lesquelles le SCC avait omis de protéger son ordinateur ou ne l’avait pas manipulé avec soin.

 

CONCLUSION

 

[62]           Vu ces conclusions, il n’est pas nécessaire d’examiner le caractère approprié des réparations sollicitées par le demandeur.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1859-11

 

INTITULÉ :                                      ESMOND JACK YU c

                                                            PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 26 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 7 août 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Esmond Jack Yu

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Sarah-Dawn Norris

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Esmond Jack Yu

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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