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Date : 20120703

Dossier : T-737-08

Référence : 2012 CF 842

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 juillet 2012

En présence de monsieur le juge Martineau

 

 

ENTRE :

 

EUROCOPTER

(SOCIÉTÉ PAR ACTIONS SIMPLIFIÉE)

 

 

 

 

demanderesse / défenderesse reconventionnelle

et

 

 

 

BELL HELICOPTER TEXTRON CANADA LIMITÉE

 

 

 

défenderesse / demanderesse reconventionnelle

 

          MOTIFS DU JUGEMENT SUR LES DÉPENS ET JUGEMENT

 

[1]               Les présents motifs du jugement sur les dépens et jugement portent sur la question de l’adjudication des dépens à taxer par suite des motifs du jugement et jugement que notre Cour a prononcés le 30 janvier 2012 dans l’affaire Eurocopter c Bell Helicopter Textron Canada Ltée, 2012 CF 113, [2012] ACF 107. Dans cette instance, instruite moins de deux ans après son introduction, Eurocopter a d’abord actionné Bell Helicopter Textron Canada Ltée (Bell) en mai 2008 au motif de la contrefaçon de son brevet no 2207787 (le brevet 787) par le train d’atterrissage qu’avait développé ladite Bell (le train Legacy), réclamant une injonction permanente et un dédommagement pécuniaire. Bell a nié la contrefaçon en invoquant la défense Gillette et l’exception d’expérimentation ou d’utilisation réglementaire, et a demandé l’invalidation des 16 revendications du brevet 787 par voie reconventionnelle. 

 

[2]               Cependant, l’action une fois introduite, Bell a immédiatement apporté au train Legacy des modifications qui ont donné lieu à la mise au point d’un nouveau train d’atterrissage baptisé « Production » (le train Production), avec lequel, après l’y avoir intégré, elle a fait homologuer son modèle d’hélicoptère 429. En juin 2009, Eurocopter a modifié sa déclaration pour y alléguer que le train Production contrefaisait aussi plusieurs revendications du brevet 787. Bell a riposté en demandant une déclaration d’invalidité de la totalité des 16 revendications du brevet 787 d’Eurocopter, pour causes d’évidence, d’insuffisance de description, d’absence d’utilité ou de prédiction valable, ainsi que de portée excessive.

 

[3]               La Cour a conclu que la revendication 15 du brevet 787 d’Eurocopter était valide, et que Bell l’avait contrefaite en fabriquant et utilisant 21 trains Legacy; elle a en conséquence prononcé une injonction permanente et ordonné la destruction de ces trains d’atterrissage. Quant aux autres revendications (1 à 14 et 16) du même brevet, la Cour les a déclarées invalides et nulles au motif de l’absence d’utilité démontrée (ou de prédiction valable) et/ou de portée excessive. En outre, la Cour a accordé à Eurocopter, au titre de la contrefaçon, des dommages-intérêts ordinaires et punitifs, dont le montant reste à déterminer à une audience ultérieure. Elle a cependant rejeté la demande d’Eurocopter en restitution des profits. Par ailleurs, la Cour a conclu que le train Production ne contrefaisait aucune revendication du brevet 787 d’Eurocopter. Par cette conclusion, elle rejetait l’allégation, avancée par Eurocopter, d’équivalence fonctionnelle entre le train d’atterrissage breveté de celle‑ci et le train Production de Bell.

 

[4]               À la suite de la directive émise par la Cour le 13 février 2012, les parties, n’ayant pu parvenir à s’entendre sur la question des dépens, ont chacune formé une requête en dépens et déposé des conclusions en réponse ou en réplique où elles exposaient en détail leurs propositions pour une ordonnance de notre Cour enjoignant à l’officier taxateur de leur accorder les dépens qu’elles demandaient respectivement, à calculer sur une base partie-partie. Étant donné la complexité particulière des questions de fait et de droit que soulève la présente affaire, ainsi que les conclusions nuancées formulées par la Cour, les parties invoquent toutes deux leur engagement de diverses ressources et leurs parts relatives de succès dans l’instance pour réclamer au moins une fraction importante de leurs dépens.  

[5]               En résumé, Eurocopter demande la totalité de ses dépens, tels que détaillés ci‑dessous, à calculer selon le maximum de la fourchette prévue à la colonne V du tarif B, et soutient à titre subsidiaire qu’elle a droit à une fraction non inférieure à 50 % du total desdits dépens, dont 80 % au moins seraient taxés selon la même colonne du tarif B. Elle estime que Bell n’a droit à aucuns dépens, étant donné qu’elle a eu gain de cause contre cette dernière dans son action principale en contrefaçon, axée sur le train Legacy.

 

[6]               La requête en dépens d’Eurocopter se détaille comme suit :

i.              les honoraires de trois avocats pour l’instance, la préparation de l’instruction, les audiences et les actes de procédure, la préparation des témoins et les interrogatoires préalables;

ii.            les honoraires et débours raisonnables à payer par Eurocopter, y compris les honoraires à verser aux témoins experts pour les services rendus avant et pendant l’instruction (exception faite de M. Murray Wilson);

iii.          les honoraires et débours raisonnables (frais de déplacement, d’hébergement et de subsistance) des avocats pour les interrogatoires préalables effectués à l’étranger;

iv.          les honoraires et débours raisonnables (frais de déplacement, d’hébergement et de subsistance) d’un avocat interne, Me Jean‑Pascal Méo, qui a aussi déposé comme témoin de fait à l’audience, d’un représentant technique, M. Pierre Prud’homme‑Lacroix, et d’autres témoins (de fait et experts) appelés en contre-interrogatoire préalable, au titre de leur préparation et de leur présence à l’instruction et aux procédures préalables à celle‑ci;

v.            les intérêts sur les dépens, courant à partir de la date du présent jugement;

vi.          les dépens de la présente requête, évalués à 5 000,00 $.

 

[7]               Bell réclame 85 % de ses dépens afférents à l’ensemble de l’instance, à taxer selon l’échelon supérieur de la colonne IV du tarif B, arguant qu’Eurocopter n’a pas droit à plus d’une réduction de 15 % de ceux‑ci si l’on considère les questions sur lesquelles cette dernière a obtenu gain de cause dans la présente affaire. À titre subsidiaire, Bell soutient qu’Eurocopter n’a pas droit à plus d’une fraction de 15 % de ses propres dépens, à taxer selon la colonne IV du tarif B et à déduire des dépens qui lui seront à elle-même adjugés.

 

[8]               Les dépens réclamés par Bell se détaillent comme suit :

i.              les honoraires et débours raisonnables (y compris les frais de déplacement, d’hébergement et connexes) d’un premier avocat et d’un second avocat pour l’ensemble des procédures préalables à l’instruction, notamment l’établissement des actes de procédure et des dossiers de requête, la comparution aux audiences des requêtes, la communication préalable de documents, les interrogatoires préalables, l’établissement des rapports d’experts (y compris ceux des experts qui n’ont pas témoigné à l’instruction), la préparation des témoins et la présence aux conférences préparatoires;

ii.            les honoraires et débours raisonnables (y compris les frais de déplacement, d’hébergement et connexes) de deux premiers avocats et d’un second avocat pour l’ensemble de l’instruction et des procédures préalables, notamment la préparation des témoins, la préparation de l’instruction et la comparution à celle‑ci;

iii.          les frais de déplacement, d’hébergement et connexes d’un premier avocat et d’un second avocat pour l’ensemble des procédures préalables à l’instruction;

iv.          les frais de déplacement, d’hébergement et connexes de deux premiers avocats et d’un second avocat pour l’ensemble de l’instruction et des procédures préalables;

v.            les honoraires relatifs à la taxation des dépens;

vi.          la rémunération des services rendus par des stagiaires ou des techniciens judiciaires pendant l’ensemble de l’instance, y compris l’instruction;

vii.        les honoraires et débours raisonnables (frais de déplacement, d’hébergement et connexes) des experts de Bell qui ont témoigné à l’instruction, soit MM. Hodges, Gandhi et Toner;

viii.      les honoraires et débours raisonnables de M. Dowell, expert de Bell qui n’a pas témoigné à l’instruction mais a établi des rapports d’expert;

ix.          les honoraires et débours raisonnables (frais de déplacement, d’hébergement et connexes) de l’avocat interne de Bell qui a comparu à l’instruction;

x.            les débours raisonnables liés à l’utilisation de la technologie Summation, aussi bien dans les procédures préalables à l’instruction que pendant celle‑ci;

xi.          les débours raisonnables liés aux services de recherche informatisés;

xii.        les honoraires et débours raisonnables liés aux réunions qu’ont tenues les avocats et les représentants de Bell pendant le litige.

 

[9]               Je voudrais préciser ici que la Cour a envisagé la possibilité de n’adjuger de dépens à aucune des parties, étant donné leur niveau égal de participation à la présente instance et le succès qu’elles y ont partagé, ainsi que celle de différer sa décision sur les dépens jusqu’à l’épuisement des voies de recours ou l’expiration de tous les délais d’appel. Cependant, attendu que les parties n’ont pu parvenir à une entente et ont insisté pour que la Cour statue sur les dépens dans les meilleurs délais, que les voies de recours peuvent donner lieu à des lenteurs désavantageuses pour les deux parties, et que le paragraphe 400(3) et l’article 420 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles), confèrent à la Cour un large pouvoir discrétionnaire en la matière, j’ai décidé de me prononcer dès maintenant sur les dépens, non sans toutefois me sentir tenu de rappeler que, en général, et plus particulièrement dans les affaires complexes telles que la présente, qui est aujourd’hui en instance d’appel, la taxation des dépens comporte inévitablement un risque d’arbitraire et de justice approximative de la part de la Cour.

 

[10]           Rappelons à ce propos les observations suivantes formulées par la juge Gauthier aux paragraphes 8 et 9 de la décision Eli Lilly c Apotex Inc, 2011 CF 1143 :

[TRADUCTION]

 

Étant donné le nombre des arguments relatifs aux dépens qu’on a avancés au départ dans ce dossier, la Cour, il faut l’avouer, a été tentée de remettre simplement la taxation à la fin du renvoi. Ce serait tellement plus simple, et les juges, après tout, ne sont que des humains.

 

Cependant, le paragraphe 400(3) et l’article 420 des Règles confèrent à la Cour (plus particulièrement au juge du fond) un large pouvoir discrétionnaire parce qu’il y a lieu de penser que, ayant instruit le fond de l’affaire, elle sera bien au fait de tout ce qui s’est produit dans la salle d’audience et hors de celle‑ci pendant l’instruction, ainsi qu’aux conférences de gestion de l’instance. Le juge du fond sera en outre vraisemblablement bien placé pour évaluer l’effet des actes respectifs des parties sur la durée et la complexité de l’instruction.

 

 

[11]           La Cour a aussi songé à considérer, pour plus de précision, l’action en contrefaçon et la demande reconventionnelle en invalidité comme deux instances distinctes, et à ordonner la taxation des dépens pour chacune en fonction des facteurs les plus pertinents. Cependant, comme l’action et la demande reconventionnelle sont assez étroitement liées, en particulier pour ce qui concerne le train Legacy, j’ai décidé d’examiner l’affaire globalement, conformément aux observations des parties.

 

[12]           Par suite, les présents motifs traitent des dépens selon les chefs distingués respectivement par les parties dans leurs conclusions écrites. Cependant, avant d’aborder l’analyse des moyens des parties, il ne serait pas inutile de récapituler certaines des règles générales de droit et de jurisprudence qui régissent l’adjudication des dépens, même si les parties ne semblent pas beaucoup diverger sur ce point. Deux questions, cependant, les opposent radicalement : leurs parts respectives de succès dans l’issue de l’affaire et l’application à l’espèce de chacune des règles régissant l’adjudication des dépens.

 

LES PRINCIPES RÉGISSANT L’ADJUDICATION DES DÉPENS

[13]           La règle générale veut que les dépens suivent le sort du principal, c’est‑à‑dire qu’ils sont en principe à la charge de la partie qui succombe, sauf ordonnance contraire. Cependant, dans les affaires complexes comme la présente, il arrive très souvent qu’aucune des parties ne succombe absolument ou n’ait absolument gain de cause. Lorsque le succès est ainsi partagé, d’autres facteurs entrent en jeu, par exemple la conduite des parties tout au long de l’instance, la complexité de l’affaire, ainsi que la quantité de travail qu’ont dû fournir les deux camps et le montant des dépenses que le litige a exigées d’elles.

 

[14]           Il est largement admis que l’adjudication des dépens à la partie gagnante a deux objets : i) décourager l’engagement de procédures judiciaires non fondées, et ii) chose plus importante, indemniser partiellement la partie qui a gain de cause des dépenses qu’elle a engagées dans la poursuite ou la contestation de l’action, selon le cas. En fait, selon la jurisprudence, « l’allocation de dépens représente un compromis entre l’indemnisation de la partie qui a gain de cause et la non‑imposition d’une charge excessive à la partie qui succombe » voir Apotex Inc c Wellcome Foundation Ltd, (1998) 159 FTR 233 (CF 1re inst.) [Wellcome Foundation Ltd], conf. par (2001) 199 FTR 320; Aird c Country Park Village Property (Mainland) Ltd, 2004 CF 945, paragraphe 6 (CAF) ; et Johnson & Johnson Inc c Boston Scientific Ltd, 2008 CF 817, paragraphe 3, [2008] ACF 1022 [Johnson & Johnson Inc]) –; et « [l]e principe fondamental des dépens entre parties veut que ces dépens soient accordés par la loi à titre d’indemnité à la personne qui y a droit; ils ne sont ni imposés comme une pénalité à la partie qui les paie, ni accordés à titre de prime à la partie qui les reçoit » : Kenney c Cape York (Le), [1989] 3 CF 35, paragraphe 20, [1989] ACF 253. C’est pourquoi chacune des parties est tenue de justifier en fonction des facteurs énumérés au paragraphe 400(3) des Règles tout droit à dépens qu’elle revendique.

 

[15]           Par exemple, il est important de noter que, suivant la jurisprudence, tous ces facteurs « ont trait au déroulement de la poursuite et non à ce qui a précédé le début de l’action » (La Reine c Anton J Pongratz, [1983] 1 CF 77, paragraphes 8 et 9), ce qui, en un sens, revient à dire que l’octroi de dommages-intérêts de quelque nature qu’ils soient dans une action ne doit pas nécessairement amener le tribunal à adjuger aussi les dépens de cette action à la partie qui a gain de cause, encore que les sommes recouvrables par cette dernière [alinéa 400(3)b) des Règles] et le partage de la responsabilité [alinéa 400(3)d) des Règles] puissent être des facteurs pertinents. Pour ce qui concerne les affaires de brevet, notre Cour a conclu qu’« il n’y a aucun principe général selon lequel la contrefaçon délibérée d’un brevet devrait être punie par l’adjudication de dépens plus élevés » (Monsanto Canada Inc c Rivett, 2009 CF 717, paragraphe 16 [Monsanto]).

 

[16]           Le paragraphe 400(1) des Règles confère à la Cour « le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer », et leur paragraphe 400(3) donne une liste non exhaustive de facteurs qu’elle peut prendre en considération à ces fins :

(3) Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe (1), la Cour peut tenir compte de l’un ou l’autre des facteurs suivants :

 

a) le résultat de l’instance;

 

 

b) les sommes réclamées et les sommes recouvrées;

 

c) l’importance et la complexité des questions en litige;

 

d) le partage de la responsabilité;

 

e) toute offre écrite de règlement;

 

f) toute offre de contribution faite en vertu de la règle 421;

 

g) la charge de travail;

 

h) le fait que l’intérêt public dans la résolution judiciaire de l’instance justifie une adjudication particulière des dépens;

 

i) la conduite d’une partie qui a eu pour effet d’abréger ou de prolonger inutilement la durée de l’instance;

 

j) le défaut de la part d’une partie de signifier une demande visée à la règle 255 ou de reconnaître ce qui aurait dû être admis;

 

k) la question de savoir si une mesure prise au cours de l’instance, selon le cas :

 

(i) était inappropriée, vexatoire ou inutile,

 

(ii) a été entreprise de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection;

 

l) la question de savoir si plus d’un mémoire de dépens devrait être accordé lorsque deux ou plusieurs parties sont représentées par différents avocats ou lorsque, étant représentées par le même avocat, elles ont scindé inutilement leur défense;

 

m) la question de savoir si deux ou plusieurs parties représentées par le même avocat ont engagé inutilement des instances distinctes;

 

 

n) la question de savoir si la partie qui a eu gain de cause dans une action a exagéré le montant de sa réclamation, notamment celle indiquée dans la demande reconventionnelle ou la mise en cause, pour éviter l’application des règles 292 à 299;

 

n.1) la question de savoir si les dépenses engagées pour la déposition d’un témoin expert étaient justifiées compte tenu de l’un ou l’autre des facteurs suivants :

 

(i) la nature du litige, son importance pour le public et la nécessité de clarifier le droit,

 

(ii) le nombre, la complexité ou la nature technique des questions en litige,

 

(iii) la somme en litige;

 

 

o) toute autre question qu’elle juge pertinente.

(3) In exercising its discretion under subsection (1), the Court may consider

 

 

 

 

(a) the result of the proceeding;

 

(b) the amounts claimed and the amounts recovered;

 

(c) the importance and complexity of the issues;

 

 

(d) the apportionment of liability;

 

(e) any written offer to settle;

 

 

(f) any offer to contribute made under rule 421;

 

(g) the amount of work;

 

(h) whether the public interest in having the proceeding litigated justifies a particular award of costs;

 

 

(i) any conduct of a party that tended to shorten or unnecessarily lengthen the duration of the proceeding;

 

(j) the failure by a party to admit anything that should have been admitted or to serve a request to admit;

 

 

(k) whether any step in the proceeding was

 

 

(i) improper, vexatious or unnecessary, or

 

(ii) taken through negligence, mistake or excessive caution;

 

 

(l) whether more than one set of costs should be allowed, where two or more parties were represented by different solicitors or were represented by the same solicitor but separated their defence unnecessarily;

 

 

(m) whether two or more parties, represented by the same solicitor, initiated separate proceedings unnecessarily;

 

 

(n) whether a party who was successful in an action exaggerated a claim, including a counterclaim or third party claim, to avoid the operation of rules 292 to 299;

 

 

 

 

(n.1) whether the expense required to have an expert witness give evidence was justified given

 

 

 

(i) the nature of the litigation, its public significance and any need to clarify the law,

 

(ii) the number, complexity or technical nature of the issues in dispute, or

 

(iii) the amount in dispute in the proceeding; and

 

(o) any other matter that it considers relevant.

 

 

 

[17]           J’ai pris en compte, étant donné les faits particuliers de la présente espèce, un certain nombre d’autres questions pertinentes en plus des autres facteurs énumérés, ainsi que le permet l’alinéa 400(3)o) des Règles. Les paragraphes 400(4) à (6) de celles‑ci précisent la définition du pouvoir discrétionnaire de la Cour, qu’ils autorisent à taxer les dépens selon une colonne déterminée ou une combinaison de colonnes du tableau du tarif B, et/ou à adjuger une somme globale, et/ou à adjuger ou refuser les dépens suivant diverses modalités.

 

[18]           Avant de passer à l’examen des facteurs pertinents pour la répartition des dépens dans la présente affaire, je dois rejeter l’objection de Bell selon laquelle certaines affirmations formulées par Eurocopter dans sa requête en dépens ne sont étayées par aucun élément de preuve, affidavit ou référence explicite au dossier de la Cour et ne devraient donc pas être prises en considération. Bell soutient que, selon l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Sa Majesté la Reine et al c Gerlando Lagiorgia, 87 DTC 5378, [1987] 2 CTC 251 (CAF) [Lagiorgia], toute requête en directives spéciales touchant la répartition des dépens doit s’appuyer sur une preuve par affidavit ou renvoyer à des pièces qui se trouvent déjà au dossier de la Cour.

 

[19]           Cependant, je pense comme Eurocopter que le principe formulé par le juge Hugessen au dernier paragraphe de l’arrêt Lagiorgia ne s’applique qu’aux cas où l’une des parties sollicite l’adjudication d’une somme globale à titre de dépens, et certainement pas lorsque toutes deux demandent à la Cour d’émettre des directives à l’intention de l’officier taxateur – surtout si, en pratique, elles demandent ces directives au juge qui a statué sur le fond de l’affaire. En effet, ainsi que notre Cour l’expliquait au paragraphe 11 de Wellcome Foundation Ltd, précitée :

Comme dans toute autre action où les dépens sont demandés par la partie qui a en fin de compte gain de cause, les plaidoiries relatives aux dépens peuvent être examinées sans preuve par affidavit dans la mesure où elles sont fondées sur des éléments de preuve qui ont par ailleurs été présentés à l’instruction. En l’espèce, la Cour agit conformément à la règle 400 sans qu’il soit nécessaire de présenter une requête formelle additionnelle et, à mon avis, la Cour peut donner des directives à l’officier taxateur, en se fondant sur les prétentions des parties et sur l’appréciation du juge, telle qu’elle résulte de l’instruction de l’action et du renvoi. Je ne suis pas convaincu que, comme la défenderesse le soutient, il est nécessaire de présenter une preuve par affidavit au sujet du temps consacré à l’affaire, des frais engagés ou des taux exigés, à l’égard des articles pour lesquels des directives sont demandées, lorsque la Cour indique, comme cela a été fait en l’espèce, qu’elle tiendrait compte des observations présentées au sujet des directives spéciales demandées à l’égard des dépens.

 

 

LA RÉPARTITION DES DÉPENS DE L’ACTION EN CONTREFAÇON ET DE LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE EN INVALIDITÉ

 

L’échelle des dépens

[20]           L’importance et la complexité de l’affaire et la somme de travail qu’elle a exigée (alinéas 400(3)c) et g) des Règles) peuvent souvent trancher la question de l’échelle des dépens (voir Apotex Inc c Sanofi‑Aventis, 2012 CF 318, paragraphes 5 à 8, [2012] ACF 435 [Apotex]). En fait, l’article 407 des Règles dispose que, sauf ordonnance contraire de la Cour, les dépens, ainsi que certains honoraires et débours additionnels, doivent être taxés selon l’échelon médian de la colonne III du tableau du tarif B. Le tarif B « représente un compromis entre l’indemnisation de la partie qui a gain de cause et la non-imposition d’une charge excessive à la partie qui succombe », et il « est formulé en fonction du principe général que les frais entre parties devraient raisonnablement correspondre aux dépens réels d’un litige, sans qu’il soit porté atteinte au pouvoir discrétionnaire accordé à la Cour et à l’officier taxateur par les règles » : Wellcome Foundation Ltd, précitée, paragraphes 5 et 7. La jurisprudence consacre aussi le principe formulé dans les termes suivants au paragraphe 12 de Dimplex North America Ltd c CFM Corp, 2006 CF 1403 : « Lorsqu’une majoration des dépens est justifiée, la Cour doit d’abord décider s’il est possible d’adjuger des dépens raisonnables en s’en tenant au tarif B. Ce n’est que lorsque le résultat est déraisonnable ou insatisfaisant que la Cour doit envisager l’adjudication d’un montant supérieur aux valeurs du tarif. »

 

[21]           Dans la présente requête, les parties conviennent que la durée inhabituelle de l’instance, le nombre des questions mises en litige, la multitude des pièces produites, l’importance quantitative des témoignages de fait et d’experts, et la somme de travail qu’ont exigée l’action en contrefaçon aussi bien que la demande reconventionnelle en invalidité justifient le nombre des avocats mis à contribution et montrent la nécessité de dépasser les valeurs du barème par défaut de la colonne III du tarif B. Cependant, Eurocopter réclame la totalité de ses dépens, calculés selon le maximum de la fourchette prévue à la colonne V du tarif B, tandis que Bell voudrait voir taxer ses dépens selon l’échelon supérieur de la colonne IV du même tarif.

 

[22]           La présente instance est une affaire de brevet typique par sa durée et sa complexité, qui a exigé 29 jours d’audience et 14 jours d’interrogatoires préalables, qui a entraîné la production de quelque 540 pièces à conviction en recueil conjoint, ainsi que d’éléments de preuve supplémentaires à l’instruction, et qui a mobilisé quatre avocats du côté d’Eurocopter, deux du côté de Bell, et trois témoins experts dans chaque camp. En outre, Bell a appelé cinq témoins de fait, et Eurocopter en a fait entendre trois, pour définir le contexte factuel et expliquer la considérable preuve documentaire contenue dans le recueil conjoint. La jurisprudence, si je l’interprète bien, paraît généralement taxer les dépens suivant l’échelon supérieur de la colonne IV dans les litiges de brevets de longue durée et chaudement disputés tels que celui qui nous occupe – voir Apotex, précitée, paragraphe 9; Novopharm, précitée, paragraphes 7 et 8; Sanofi I, précitée, paragraphe 14; Sanofi‑Aventis Canada Inc c Novopharm Limitée, 2009 CF 1139, paragraphe 13 [Sanofi II]; Johnson, précitée, paragraphe 15; Adir c Apotex Inc, 2008 CF 1070, paragraphe 16 [Adir]; Janssen‑Ortho Inc c Novopharm Ltd, 2006 CF 1333, paragraphe 11; et Merck & Co Inc c Apotex Inc, 2006 CF 631, paragraphes 11 et 12 –, et Eurocopter ne m’a pas convaincu qu’il conviendrait de s’écarter de cette jurisprudence dans la présente requête. En conséquence, les dépens d’Eurocopter et/ou de Bell, le cas échéant, seront taxés seulement suivant l’échelon supérieur de la colonne IV du tarif B.

 

Les facteurs déterminants

1)      Le résultat de l’instance

[23]           Comme je le disais plus haut, la partie qui a gain de cause a droit à ses dépens. Étant donné ce principe général, le résultat de l’instance est un facteur d’importance particulière pour la répartition des dépens entre les parties. Lorsqu’elle estime que le succès – pour ce qui concerne le résultat final et global de l’instance [alinéa 400(3)a) des Règles], et/ou les sommes recouvrables par la partie qui a gain de cause [alinéa 400(3)b)], et/ou la responsabilité [alinéa 400(3)d)] – est véritablement partagé entre les parties ou se limite à certaines questions, la Cour peut 1) réduire les dépens adjugés à la partie qui a remporté le plus de succès, 2) accorder à l’une ou l’autre des parties ou aux deux une fraction de leurs dépens, ou 3) simplement n’adjuger de dépens à aucune des parties, surtout si le résultat leur est également défavorable. Une autre méthode de calcul est la répartition proportionnelle au succès; elle consiste à diviser les dépens entre les parties selon leurs pourcentages respectifs de succès ou d’échec sur les questions tranchées dans une action. On peut aussi, lorsque la responsabilité est partagée, additionner les dépens des parties et en diviser la somme suivant les parts de responsabilité qu’on leur a respectivement attribuées; voir Mark M. Orkin, The Law of Costs, 2e éd., feuilles mobiles, Aurora, Canada Law Book, 2011, paragraphes 210 et 211. Comme je le disais plus haut, et pour les motifs exposés ci‑dessous, j’ai décidé d’accorder ses dépens à Eurocopter, parce que le résultat de l’instance lui est plus favorable qu’à son adversaire, mais de les fixer à un montant inférieur à celui qu’elle réclame afin de prendre en compte, avec d’autres facteurs pertinents, le succès partiel que Bell a indiscutablement remporté dans la défense de son train d’atterrissage Production et la décision d’Eurocopter de poursuivre à l’encontre de ce dispositif une action où elle a finalement succombé.

 

[24]           Des difficultés surgissent souvent lorsqu’il s’agit de décider ce qui constitue une véritable « question litigieuse » et en quoi consiste le « succès ». La jurisprudence a établi que ce sont le résultat final pratique de l’instance et son effet sur les parties que la Cour doit prendre en considération, plutôt que le nombre des arguments juridiques dont chacun des deux camps est parvenu à faire admettre le bien-fondé. Les tribunaux estiment en général déraisonnable d’imposer des dépens à une partie pour avoir avancé des moyens valables que, en fin de compte, elle a abandonnés ou n’a pu faire accueillir; voir Johnson & Johnson Inc, précitée, paragraphes 3 et 4 [Johnson]; GlaxoSmithKline Inc c Pharmascience Inc, 2008 CF 849, paragraphe 4; Sanofi‑Aventis Canada Inc c Apotex Inc, 2009 CF 1138, paragraphes 8 à 10 [Sanofi I]; et Novopharm Ltd c Eli Lilly and Co, 2010 CF 1154, paragraphe 7, conf. par [2011] ACF 1028 [Novopharm].

 

[25]           Dans l’arrêt souvent cité Sunrise Co Ltd c Le navire « Lake Winnipeg » (1988), 96 NR 310 (CAF) [Sunrise Co Ltd], la Cour d’appel fédérale a bien précisé que, « [à] moins qu’il n’y ait eu emploi abusif des procédures de la Cour, [...] le demandeur qui a obtenu gain de cause [...] ne devrait pas être puni simplement parce que ses arguments n’ont pas tous été accueillis favorablement par le tribunal ». Donc, c’est le succès des parties quant aux principales questions en litige qu’il faut prendre en considération, plutôt que le résultat obtenu à propos de chaque point contesté; voir Canada c IPSCO Recycling Inc, 2004 CF 1083, paragraphes 35 à 38 [IPSCO]; et Balfour c Nation crie de Norway House, 2006 CF 616, paragraphe 16 [Balfour]). Par conséquent, lorsqu’il y a demande reconventionnelle, comme c’est le cas ici, le résultat pratique des deux instances pour les parties est un facteur pertinent à prendre en considération dans la taxation des dépens.

 

[26]           À ce propos, j’aimerais faire remarquer qu’une grande part des conclusions présentées par les deux parties dans la présente requête ne me paraît être rien de plus qu’une habile déconstruction du jugement en fonction du succès de chacun des moyens qu’elles ont respectivement avancés ou plaidés. Or ce n’est pas là le critère que définit la jurisprudence. Encore une fois, c’est le résultat général et pratique de l’action qui compte, et toutes exceptions justifiées doivent se déterminer à partir de ce principe.

L’action en contrefaçon

[27]           Les deux parties estiment avoir eu – partiellement ou complètement – gain de cause dans l’action en contrefaçon. Eurocopter soutient qu’il n’y a pas ici de succès partagé, au motif que la première version de sa déclaration concernait le train Legacy en tant qu’il contrefaisait le brevet 787 (question qui se situait au cœur du présent litige selon elle), et que c’est seulement après que Bell, se voyant actionnée en contrefaçon, eut mis au point le train Production qu’elle a modifié la déclaration pour y inclure ce dernier. Eurocopter ajoute que, parce que la conduite de Bell l’a en quelque sorte obligée à intenter la présente action et qu’elle a réussi à obtenir contre cette société l’injonction permanente demandée, ainsi que des dommages-intérêts ordinaires et punitifs, au titre des 21 trains Legacy, elle a eu pour l’essentiel gain de cause et a droit à ses dépens.

 

[28]           Bell soutient pour sa part qu’elle a globalement obtenu gain de cause dans l’action en contrefaçon pour ce qui concerne aussi bien le résultat pratique que les ressources affectées à l’instruction, étant donné que le train Production, avec lequel elle commercialise son hélicoptère porte-drapeau, a été déclaré non contrefaisant et a survécu à cette action. Elle fait en outre valoir qu’elle n’a jamais contesté que le train Legacy réalisait des éléments essentiels des revendications 15 ou 1 du brevet 787, mais qu’elle a plutôt nié contrefaire ce brevet en invoquant la défense Gillette et l’exception d’expérimentation ou d’utilisation réglementaire.

 

[29]           Plus précisément, Bell soutient qu’une part importante des ressources affectées aux interrogatoires préalables et à l’instruction ont été mobilisées pour répondre aux tentatives infructueuses d’Eurocopter de prouver la contrefaçon du brevet par le train Production, question qui selon Bell a exigé beaucoup plus de temps que la question de la contrefaçon par le train Legacy et la mise en œuvre de ses divers moyens de défense à cet égard. Ces efforts de Bell auraient notamment visé à déjouer : 1) la tentative d’Eurocopter de donner une interprétation excessivement large des revendications du brevet 787 afin de faire entrer le train Production dans leur champ, et 2) sa tentative malencontreuse de prouver le caractère contrefaisant du train Production en invoquant l’« équivalence fonctionnelle », manœuvres qui ont toutes deux échoué. Bell soutient qu’elle a consacré une grande part de ses ressources d’expertise et autres à réfuter l’interprétation excessivement large donnée aux revendications par Eurocopter et à débattre d’autres questions litigieuses de l’action en contrefaçon intentée par celle‑ci relativement au train Production, par exemple la signification et le caractère essentiel ou non des termes « à l’avant », « double courbure » et « traverse avant intégrée », et plus généralement l’argument fondé sur l’« équivalence fonctionnelle » avancé par Eurocopter, qui ont exigé des communications préalables et des requêtes en conséquence – notamment pour ce qui concerne les documents relatifs aux assertions formulées par Bell devant Transports Canada, et les documents internes portant sur les travaux de développement et les essais dont les trains Legacy et Production ont fait l’objet aux fins d’homologation –, ainsi que l’intervention de l’inventeur du brevet 787. Bell conteste également l’affirmation d’Eurocopter selon laquelle les experts de Bell se seraient occupés en grande partie d’allégations d’antériorité et d’évidence, et soutient que ses experts aussi bien que ceux d’Eurocopter ont consacré un temps et des ressources considérables à traiter les questions de l’utilité, de la prédiction valable et de la portée excessive, sur lesquelles Bell a en fin de compte obtenu gain de cause, même si la Cour a confirmé la validité de la revendication 15 du brevet 787 (paragraphe 333 du jugement).

 

[30]           Eurocopter réplique qu’il ne conviendrait pas de récompenser Bell d’avoir réduit sa responsabilité en modifiant son train d’atterrissage par suite de l’introduction de l’action en contrefaçon. En outre, Eurocopter soutient que, contrairement à ce qu’elle affirme dans la présente requête en dépens, Bell a systématiquement refusé d’admettre que les trains d’atterrissage Legacy contreferaient l’une quelconque des revendications, et que c’est seulement deux semaines après le début de l’instruction que l’un des experts de Bell, M. Hodges, a explicitement admis ce fait, au moins pour ce qui concerne la revendication 1.

 

[31]           Je conviens avec Eurocopter que ce sont les 21 trains Legacy qui ont déterminé son action en contrefaçon, puisqu’elle ne l’aurait pas intentée si Bell n’avait pas d’abord produit ces dispositifs. De plus, il n’y a aucun doute que Bell voulait obtenir l’homologation du train Legacy et qu’elle en a fait la promotion auprès des acheteurs éventuels de l’hélicoptère Bell 429. Cependant, il faut également mettre en contexte le succès d’Eurocopter dans l’action en contrefaçon; en effet, le fait qu’une part importante des questions de contrefaçon plaidées et tranchées dans la présente affaire concernait le train Production n’est pas négligeable sur le plan pratique, indépendamment du point de savoir auquel des deux dispositifs visés par cette action on a consacré le plus de ressources dans les procédures préparatoires et à l’instruction (question qu’il est aussi très difficile, voire impossible, de décider à l’étape actuelle). En outre, je conviens avec Bell que, du point de vue pratique, le train Production était pour elle d’une plus grande importance commerciale, et qu’Eurocopter devrait subir les conséquences de sa décision de poursuivre son action en contrefaçon à cet égard et de son échec dans cette voie.   

 

[32]           Bell a obtenu gain de cause relativement au train Production en tant que question indépendante. Il serait donc déraisonnable de l’obliger à payer la totalité des dépens afférents à l’action en contrefaçon. De plus, je conclus qu’Eurocopter a invoqué à tort les décisions Balfour et IPSCO, précitées, étant donné que ce ne sont pas ses moyens qui ont échoué en partie, mais l’action en contrefaçon elle-même. Par conséquent, la Cour ne peut prononcer ici dans le même sens qu’elle l’a fait dans ces affaires, où elle avait constaté l’existence d’une seule question principale et globale.

 

[33]           De même, la Cour d’appel fédérale n’avait qu’une seule question à trancher dans Sunrise Co Ltd, précité : elle a adjugé les frais de l’appel aux appelantes parce qu’elle avait réduit en appel le montant des réparations auxquelles le juge de première instance les avait condamnées. Ayant décidé l’appel sur la base d’une stricte question de droit, la Cour d’appel a rejeté la réclamation de dépens que les intimés avaient présentée en invoquant leur succès sur la question de la responsabilité.

 

[34]           Toutefois, c’est Eurocopter qui me paraît avoir remporté la plus grande part de succès dans la présente affaire, et elle devrait par conséquent se voir accorder une fraction de ses dépens. Du point de vue pratique, l’accueil partiel de la demande reconventionnelle de Bell et la conclusion déclaratoire d’invalidité prononcée par la Cour n’ont absolument aucun effet sur la revendication 15, qui a été contrefaite et sur laquelle Eurocopter a principalement fondé l’action en contrefaçon. Même s’il faut reconnaître que Bell n’a pas mis en discussion l’allégation d’Eurocopter selon laquelle le train Legacy contrefaisait des éléments essentiels du brevet 787 ni produit d’éléments de preuve tendant à contester que ce train d’atterrissage entrait dans le champ d’application des revendications du brevet – fait auquel Eurocopter attache une grande importance –, il n’en reste pas moins que la Cour a rejeté en totalité les divers moyens de défense avancés par Bell, notamment la défense Gillette, les allégations d’antériorité et l’exception d’expérimentation ou d’utilisation réglementaire, de sorte que le résultat est nettement en faveur d’Eurocopter. Nous avons là une part importante des principales questions mises en litige dans la présente affaire, part où Bell ne peut faire état d’aucun succès. Qui plus est, la jurisprudence n’étaye pas son argument comme quoi il conviendrait de pénaliser Eurocopter d’avoir visé haut dans son interprétation des revendications du brevet 787 afin de prouver le caractère contrefaisant du train Production.

 

[35]           Par ailleurs, contrairement à la prétention de Bell, l’action en contrefaçon intentée par Eurocopter à l’égard du train Production n’était pas frivole, étant donné l’existence d’au moins un certain fondement probatoire sur lequel elle pouvait être accueillie. Ainsi que Bell le reconnaît elle‑même et comme c’est souvent le cas dans les actions en contrefaçon, l’interprétation des revendications du brevet (en l’occurrence des 16 revendications du brevet 787) a occupé une grande part du temps d’instruction de la présente affaire. L’interprétation de ces revendications concernait non seulement le train Production, mais aussi le train Legacy, et la Cour ne peut conclure que la quantité des ressources consacrées aux questions d’interprétation des revendications ferait en soi pencher la balance en faveur de l’une plus que de l’autre des parties à la présente requête.

 

[36]           Enfin, s’il est vrai que la question de l’équivalence fonctionnelle du train Production au train breveté a exigé la production d’éléments de preuve qui n’auraient pas sans cela été nécessaires à l’instruction (concernant les analyses par la méthode des éléments finis, les similarités de fréquences et de dynamique, la distribution des contraintes et les conditions d’homologation), j’estime, conformément à la jurisprudence constante précitée, qu’il ne convient pas de pénaliser Eurocopter d’avoir invoqué le moyen de l’équivalence fonctionnelle en dépit du fait que la Cour ne l’ait pas accueilli (paragraphe 253 du jugement).

Les mesures de réparation

[37]           Il apparaît donc que les deux camps ont obtenu en partie gain de cause dans l’action en contrefaçon. Concernant le facteur de l’alinéa 400(3)b) des Règles – les sommes réclamées par rapport aux sommes recouvrées –, Bell soutient qu’il joue plutôt en sa faveur puisque la Cour n’a pas accordé à Eurocopter de réparation pécuniaire en ce qui a trait à la fabrication, à l’utilisation et à la vente du train Production. En outre, Eurocopter s’est fait reconnaître le droit à des dommages‑intérêts généraux, mais pas à la restitution des profits de Bell, et le montant des dommages‑intérêts relatifs au train Legacy reste à fixer.

 

[38]           La Cour considère ce facteur comme neutre dans la présente instance, puisqu’il coïncide en grande partie avec le résultat de l’action, au moins jusqu’à ce que le juge du fond ou un arbitre détermine le montant des dommages‑intérêts afférents à la contrefaçon à l’issue d’une audience ultérieure qui suivra l’épuisement des voies de recours. Si la fixation du montant des dommages‑intérêts a été remise à plus tard, la Cour a reconnu à Eurocopter le droit à des dommages-intérêts punitifs aussi bien qu’ordinaires. Par conséquent, le succès global des parties sous le rapport des mesures de réparation obtenues en principe est aussi partagé à l’avantage d’Eurocopter, pour ce qui concerne l’action en contrefaçon partiellement accueillie.

La demande reconventionnelle en invalidité

[39]           Touchant le moyen de défense de Bell fondé sur l’invalidité, Eurocopter fait valoir que, la revendication 15 étant la principale des 16 revendications du brevet 787, la déclaration de sa validité suffit à faire d’elle la partie gagnante et de Bell la partie perdante. En outre, ajoute Eurocopter, les arguments d’invalidité avancés par Bell reposaient principalement sur l’évidence et l’antériorité, questions sur lesquelles plusieurs rapports d’experts ont été produits, alors que la Cour a en fin de compte basé ses conclusions sur l’absence d’utilité démontrée ou de prédiction valable et/ou sur la portée excessive.

 

[40]           Bell fait valoir quant à elle qu’Eurocopter s’est trouvée incapable d’établir la validité de 15 des 16 revendications de son brevet et a donc en général échoué dans sa contestation de la demande reconventionnelle en invalidité. Elle met en discussion l’allégation d’Eurocopter selon laquelle seule la revendication 15 devrait être prise en considération dans la taxation des dépens, arguant qu’aucun élément des conclusions d’Eurocopter, des déclarations de ses experts ou du jugement de la Cour ne donne à penser qu’il conviendrait d’attribuer à cette revendication plus de poids qu’à la revendication 1 (qui est la seule revendication indépendante du brevet 787 et, selon Bell, la plus importante). De substantielles ressources, ajoute Bell, ont été consacrées à la question de l’invalidité, notamment pour les rapports de témoins experts, les interrogatoires et les contre‑interrogatoires. Qui plus est, les experts et les témoins de fait d’Eurocopter ont aussi traité les questions d’invalidité soulevées par Bell, y compris celle de l’absence d’utilité et de prédiction valable.

 

[41]           Le brevet 787 ayant été déclaré valide sur la base suffisante de l’une de ses revendications, je ne vois aucune raison de conclure que Bell partagerait le succès d’Eurocopter dans la demande reconventionnelle en invalidité. Le fait que la Cour ait rejeté certains motifs d’invalidité avancés par Bell et ait statué sur les seuls fondements de l’inutilité et de la portée excessive est en principe, il est vrai, dénué de pertinence, mais il reste que le résultat de la contre-attaque de Bell basée sur l’invalidité est juridiquement et pratiquement favorable à Eurocopter. La seule raison pour laquelle j’attribue à Bell une part de succès est qu’Eurocopter n’a pu prouver que tous les éléments essentiels de la revendication indépendante fussent présents dans le train Production et que cela a suffi à justifier le rejet de l’allégation de contrefaçon des revendications dépendantes.

[42]           En outre, je ne puis souscrire aux arguments de Bell voulant que le nombre des revendications en litige du brevet considéré ait été cause de complexité excessive dans la présente affaire ou qu’il convienne d’attribuer plus de poids à la revendication 1 qu’à la revendication 15. Il n’existe aucune règle générale selon laquelle une revendication indépendante (y compris de type Jepson) serait plus importante qu’une revendication dépendante dans le contexte d’une action en invalidité. L’interprétation des revendications suit plutôt en général l’ordre qui va de la portée la plus large à la portée la plus restreinte, mouvement qui correspond d’habitude à un gain de précision. De plus, comme le précisent les motifs de la Cour, les revendications 2 à 14 ne divulguaient aucun élément nouveau par rapport à la revendication 1. En outre, la seule différence entre les revendications 15 et 16 consistait dans le fait que celle‑ci s’appliquait à la variante selon laquelle la traverse avant intégrée était décalée vers l’arrière par rapport à la délimitation avant du plan de contact des plages longitudinales d’appui des patins sur le sol, tandis que la revendication 15 portait sur la variante selon laquelle la traverse avant intégrée était décalée vers l’avant (paragraphes 295 et 297 du jugement).

[43]           Par conséquent, le nombre des revendications invalidées n’est pas un facteur aussi pertinent que le résultat pur et simple selon lequel la Cour a conclu à la validité du brevet 787 et à sa contrefaçon par Bell. La Cour a déclaré la revendication 15 valide au motif qu’elle portait sur une traverse avant décalée vers l’avant dont l’utilité était démontrée, tandis que les autres revendications, notamment la revendication 16, avaient pour objet une traverse avant décalée vers l’arrière dont l’utilité n’était ni démontrée ni valablement prédite. Pourtant, n’importe laquelle de ces revendications, n’eût été la traverse avant décalée vers l’arrière qui leur donnait une portée excessive, aurait pu sauver le brevet 787, et il n’y a aucune raison de conclure que l’une fût plus « importante » que l’autre. Qui plus est, la déclaration de l’invalidité de certaines des revendications du brevet 787 ne conférait aucun avantage pratique à Bell, si bien que, en fin de compte, elle ne l’a emporté que sous le rapport de ses moyens et non du résultat pratique de sa demande reconventionnelle.

 

[44]           La revendication 15 est une réalisation préférée. La déclaration de l’invalidité de cette revendication aurait été très profitable à Bell. Étant donné ses avantages opérationnels (par exemple la plus grande simplicité de sa conception et son poids inférieur) et financiers (par exemple le coût moindre de sa fabrication), le train Legacy retient la préférence de Bell, qui a donc un indiscutable intérêt commercial à essayer de faire invalider la revendication 15 par un tribunal judiciaire compétent, que ce soit au Canada ou ailleurs. Au bout du compte, à en juger par le résultat pratique général de l’action et de la demande reconventionnelle, Bell me paraît être la partie qui a succombé dans la présente affaire, de sorte qu’Eurocopter ne devrait pas avoir à lui payer de dépens. Bell doit supporter les conséquences de sa contrefaçon et du rejet de sa demande reconventionnelle, dont elle est seule responsable.

 

[45]           Il est également important de se rappeler que, par ordonnance en date du 12 juillet 2011, la Cour a communiqué aux parties ses motifs confidentiels sur la contrefaçon et la validité, et a suspendu l’instance jusqu’en janvier 2012, avec leur accord, afin de leur permettre de transiger. La Cour n’a prononcé le jugement et les motifs du jugement du 30 janvier 2012 qu’après avoir constaté l’échec de négociations qui duraient depuis plusieurs mois. Par suite, malgré son succès relatif, Eurocopter devra plaider la question des dommages-intérêts devant notre Cour une fois épuisée la voie d’appel (seule Bell s’en est pourvue).

 

2)      La conduite des parties ayant eu pour effet d’abréger ou de prolonger inutilement la durée de l’instance

 

[46]           J’aimerais préciser ici que j’ai examiné dans le détail les conclusions respectives des parties touchant les facteurs explicitement énumérés au paragraphe 400(3), même ceux qui ne se révèlent pas déterminants en dernière analyse, étant donné les faits particuliers de l’espèce et en vertu du pouvoir discrétionnaire général de la Cour en matière de dépens. À mon humble avis, il ne convient ni d’adjuger de dépens à Bell au motif de la conduite d’Eurocopter dans l’instance, ni d’adjuger la totalité (100 %) de ses dépens à Eurocopter en raison de la conduite que Bell y a suivie.

 

[47]           Chacune des parties reproche à l’autre d’avoir agi de manière à compliquer et prolonger inutilement l’instance. Eurocopter attaque la conduite suivie par Bell depuis le début du litige, notamment sa tentative de faire radier l’action en contrefaçon en 2008, l’opposition  qu’elle a formée en 2009 à la modification de la première déclaration d’Eurocopter tendant à intégrer le train Production dans cette action, et les recours qu’elle a exercés contre des ordonnances interlocutoires dans la phase préalable à l’instruction. Eurocopter fait aussi valoir que la prononciation de dommages-intérêts punitifs ou exemplaires contre Bell atteste le caractère répréhensible de sa conduite, et elle attire l’attention sur son refus systématique d’admettre avoir délibérément contrefait le brevet 787, ainsi que sur la production de deux rapports d’experts (par MM. Dowell et Hodges) qui n’ont pas été invoqués à l’instruction.

 

[48]           Aucun des alinéas 400(3)i), j) et k des Règles ne vise à pénaliser une partie d’avoir mis en œuvre des moyens juridiques raisonnables pour établir le bien-fondé de sa cause, même s’ils ont eu pour effet de prolonger ou de compliquer l’instance. La conduite en question doit être inutile et abusive. Or aucun des faits qu’invoque ici Eurocopter pour justifier l’adjudication de dépens plus élevés en sa faveur n’entre dans cette catégorie. De même, les dommages-intérêts punitifs que la Cour a accordés en principe à Eurocopter ne lui confèrent pas le droit à des dépens plus élevés (voir Monsanto, précitée, paragraphe 16). Alors que les dépens ont en partie pour objet de décourager les comportements abusifs dans le cours même des procédures judiciaires (Air Canada c Thibodeau, 2007 CAF 115, paragraphe 24; et Glaxo Group Ltd c Novopharm Ltd, [1999] ACF 1595, paragraphe 24), l’objet des dommages-intérêts punitifs est de sanctionner avec effet dissuasif toute conduite malveillante, opprimante, abusive ou choquante ayant conduit à l’introduction d’une telle procédure, et Eurocopter n’a cité ni jurisprudence ni doctrine qui laisseraient supposer l’existence d’un lien entre ces deux objets.

[49]           Pour ce qui concerne le refus par Bell d’admettre la contrefaçon délibérée du brevet 787, je souscris à son argument selon lequel la conclusion de la Cour touchant le train Legacy n’est pas exclusivement attribuable à l’aveu fait par M. Hodge à l’instruction, mais reposait principalement sur la propre analyse du juge. Cependant, on ne peut guère contester que Bell a effectivement nié des faits susceptibles d’établir la contrefaçon, que ce soit par le train Production ou par le train Legacy, jusqu’à la franche déposition de M. Hodge sur cette question à l’instruction. Si Bell avait déclaré sans ambiguïté que sa réponse à l’action en contrefaçon se limitait à ses moyens de défense relatifs à la responsabilité, comme elle le fait maintenant, elle aurait épargné à la Cour la tâche aussi longue que technique d’établir la contrefaçon par le train Legacy. Je conclus donc que Bell a prolongé inutilement la durée de l’instance en n’admettant pas des faits qu’elle aurait dû admettre [alinéas 400(3)i) et j) des Règles], et qu’il est juste qu’elle supporte les conséquences de sa stratégie. Cette conclusion vient à l’appui du point établi plus haut selon lequel Bell n’a droit à aucuns dépens dans la présente affaire, mais plutôt à une réduction des dépens raisonnables et justifiés d’Eurocopter.

 

[50]           Bell soutient quant à elle que les efforts déployés par Eurocopter pour prouver la contrefaçon par l’équivalence fonctionnelle entre le train Production et le train breveté ont exigé des ressources importantes alors qu’une telle équivalence ne prouve pas juridiquement la contrefaçon. Cependant, étant donné les circonstances de l’espèce et le fait que Bell a modifié le train Legacy très peu de temps après qu’Eurocopter eut introduit contre elle sa première action en contrefaçon, l’action visant le train Production n’était ni inappropriée ni vexatoire, et l’on ne peut dire qu’Eurocopter ait suivi une conduite répréhensible qui aurait eu pour effet de prolonger inutilement la durée de l’instance, au sens des alinéas 400(3)i), j) ou k) des Règles, en essayant de prouver la contrefaçon par tous les moyens juridiques possibles. On ne peut raisonnablement attendre d’une partie qu’elle admette des faits litigieux avant que le tribunal ne statue sur eux, encore que le choix d’Eurocopter ait en fin de compte eu pour effet un succès partiel de Bell. En fait, malgré la conclusion de la Cour, Bell ne peut maintenant soutenir que le moyen de l’équivalence fonctionnelle ne valait pas d’être avancé, surtout si l’on considère que les parties ont toutes deux investi temps et ressources dans l’argumentation juridique et les études d’experts afin de faire trancher cette question.

 

[51]           La Cour refuse également de souscrire à l’affirmation de Bell selon laquelle Eurocopter aurait inutilement compliqué la preuve et prolongé la durée de l’instance en retirant son aveu judiciaire touchant le caractère essentiel de la « double courbure » comme élément des trains d’atterrissage. Bell soutient que le retrait par Eurocopter de son aveu judiciaire – aveu qui a été en fin de compte confirmé par les conclusions de la Cour –, ainsi que la preuve d’expert qu’a présentée M. Logan sur la question du caractère essentiel de la « double courbure », entrent dans le champ d’application de l’alinéa 400(3)i) des Règles. Cependant, comme le montre l’ordonnance du protonotaire Morneau en date du 8 juin 2009, la modification apportée par Eurocopter à la première version de sa déclaration, que la Cour a autorisée et que Bell reproche maintenant à son adversaire, ne portait pas sur un aveu judiciaire, mais sur une description factuelle du train d’atterrissage faisant l’objet du brevet 787, description qui ne dépendait pas d’un fondement probatoire.

3)      Les honoraires et débours d’experts et d’avocats qui peuvent être accordés

[52]           En ce qui a trait aux frais d’avocats, Eurocopter demande les dépens afférents à trois avocats, au titre des travaux préparatoires (conclusions écrites, et interrogatoires et communication préalables) et de la comparution à l’instruction, y compris un montant raisonnable pour les honoraires et débours – frais de déplacement, d’hébergement et de subsistance – relatifs aux interrogatoires préalables effectués à l’étranger. Eurocopter demande aussi des dépens au titre des frais de déplacement, d’hébergement et de subsistance d’un avocat interne et témoin de fait (Me Jean‑Pascal Méo), d’un représentant technique (M. Pierre Prud’homme‑Lacroix) qui a éclairé les avocats sur les aspects techniques de l’affaire, ainsi que de ses trois témoins experts (MM. Andrew Logan, Edward Roberts Wood et François Malburet) et de ses trois témoins de fait (MM. Pierre Prud’homme‑Lacroix et Bernard Certain, et Me Jean‑Pascal Méo). Eurocopter réclame en outre des débours raisonnables au titre des honoraires de ses trois témoins experts pour leur présence à l’instruction et leurs travaux préalables à celle‑ci.

 

[53]           Pour ce qui concerne les honoraires d’experts, la Cour a en général conclu à l’admissibilité et à la pertinence de la preuve présentée par les experts, encore que les contributions les plus complètes et les plus utiles sous ce rapport se soient révélées être celles de M. Logan pour Eurocopter et de M. Hodges pour Bell. Cette dernière ne conteste pas l’utilité des témoignages des experts d’Eurocopoter pour la décision de la Cour, mais elle soutient que la preuve présentée par ses propres témoins experts présents à l’instruction (MM. Hodges, Gandhi et Toner) s’est avérée tout aussi utile et justifiée, et a tout autant été prise en compte dans le jugement de la Cour, et elle réclame la totalité des honoraires et des débours raisonnables (frais de déplacement, d’hébergement et connexes) de ses témoins, y compris M. Dowell, qui a signifié des rapports d’expert touchant la contrefaçon et l’invalidité, mais n’était pas présent pour témoigner à l’instruction. Cependant, sans vouloir remettre en question l’utilité de la preuve qu’ont présentée les experts de Bell (en particulier MM. Hodges et Toner), je ferai observer que la jurisprudence citée par cette dernière concerne des affaires où une action en contrefaçon a été rejetée intégralement et qu’elle est donc inapplicable à la présente espèce.

 

[54]           Il est de jurisprudence constante que, en principe, les honoraires des experts de la partie gagnante qui ont comparu à l’instruction ou qui ont aidé les avocats dans l’examen et l’interprétation des opinions d’experts sont justifiés et devraient être recouvrés : Sanofi II, précitée, paragraphes 17 et 18; et Adir, précitée, paragraphes 21 et 22. La jurisprudence dit aussi qu’on ne devrait pas refuser d’accorder ni réduire les dépens de cette nature simplement parce que l’expert en question est un avocat salarié de la partie : Kirkbi AG c Ritvik Holdings Inc, [2002] ACF 1474, paragraphe 14. Par conséquent, en plus des dépens afférents aux témoins experts d’Eurocopter, je suis d’avis de lui accorder ceux qu’elle demande au titre de l’avocat interne et du représentant technique, dont la Cour a estimé les témoignages pertinents. Je n’adjugerai cependant pas de dépens au titre des témoins de fait d’Eurocopter, dont deux remplissaient pour elle d’autres fonctions, l’un celle d’avocat interne et l’autre celle de représentant technique.

 

[55]           Bell ne trouve rien à redire aux honoraires d’avocats demandés par Eurocopter et je ne vois aucune raison de ne pas faire droit à cette réclamation. Étant donné la nature de l’affaire, la charge de travail et la preuve considérables qui se sont révélées nécessaires, le nombre des questions en litige, et la durée des procédures préalables à l’instruction et de l’instance, la mobilisation de trois avocats pendant toute la période considérée n’a rien d’excessif ni d’inutile à en juger d’après la jurisprudence la plus récente de notre Cour : Apotex, précitée, paragraphes 18 et 19; Novopharm, précitée, paragraphe 8; et Adir, précitée, paragraphe 16. Par conséquent, en vertu du paragraphe 400(4) des Règles, la Cour est disposée à accorder à Eurocopter un montant raisonnable pour les honoraires d’instruction d’un avocat principal agissant comme premier avocat et de deux avocats adjoints agissant comme seconds avocats (au titre des articles 13, 14 et 15 du tarif B). Pour ce qui concerne les procédures préalables à l’instruction, la Cour autorise Eurocopter à recouvrer les honoraires et débours raisonnables afférents à l’ensemble de ces procédures (y compris les frais de déplacement, d’hébergement et de subsistance) pour un avocat principal agissant comme premier avocat et deux avocats adjoints agissant comme seconds avocats (au titre des articles 1 à 12 du tarif B).

 

CONCLUSION

[56]           Au vu de ce qui précède et du pouvoir discrétionnaire dont je dispose, et après un examen attentif des premières conclusions des parties, de leurs écritures en réponse ou en réplique et de tous les facteurs pertinents, j’ai décidé de ne pas accorder de dépens à Bell et d’en accorder à Eurocopter. Cependant, étant donné les parts de succès respectives des parties et toutes les autres questions pertinentes examinées plus haut dans les présents motifs, j’estime juste et équitable, eu égard aux circonstances de l’espèce, de réduire de 50 % les dépens et débours d’Eurocopter, à calculer selon les modalités exposées plus loin.

 

[57]           En conséquence, attendu que l’adjudication des dépens est une mesure de nature approximative laissée à la discrétion de la Cour et compte tenu de tous les facteurs pertinents, j’accorde à Eurocopter cinquante pour cent (50 %) des dépens et débours qu’elle a engagés avant, pendant et après l’instruction, à calculer selon les modalités ci‑dessous :

-          Les dépens suivants seront taxés selon l’échelon supérieur de la colonne IV du tarif B en faveur d’Eurocopter :

-          les honoraires raisonnables d’un avocat principal agissant comme premier avocat et de deux avocats adjoints agissant comme seconds avocats, pour la préparation de l’instruction, la comparution à celle‑ci, ainsi que l’établissement et le dépôt de conclusions écrites, au titre des éléments applicables des articles 13, 14 et 15 du tarif B;

-          les honoraires raisonnables d’un avocat principal agissant comme premier avocat et de deux avocats adjoints agissant comme seconds avocats, pour l’ensemble des procédures préalables à l’instruction, y compris les frais de déplacement, d’hébergement et de subsistance afférents à la préparation des témoins et à la conduite des interrogatoires préalables au Canada et à l’étranger, au titre des éléments applicables des articles 1 à 12 du tarif B;

-          les honoraires et débours raisonnables des témoins experts, soit MM. Andrew Logan, Edward Roberts Wood et François Malburet;

-          les honoraires et débours raisonnables de l’avocat interne, Me Jean‑Pascal Méo, et du représentant technique, M. Pierre Prud’homme‑Lacroix;

-          les intérêts sur les dépens, courant à partir de la date du présent jugement;

-          tous les autres dépens et débours taxables engagés avant, pendant et après l’instruction.

 

[58]           Il ne sera pas adjugé de dépens au titre de la présente requête.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que Bell Helicopter Textron Canada Ltée est tenue de payer à Eurocopter cinquante pour cent (50 %) de ses dépens, tels que détaillés ci‑dessous et à taxer selon l’échelon supérieur de la colonne IV du tarif B :

         les honoraires raisonnables d’un avocat principal agissant comme premier avocat et de deux avocats adjoints agissant comme seconds avocats, pour la préparation de l’instruction, la comparution à celle‑ci, ainsi que l’établissement et le dépôt de conclusions écrites, au titre des éléments applicables des articles 13, 14 et 15 du tarif B;

         les honoraires raisonnables d’un avocat principal agissant comme premier avocat et de deux avocats adjoints agissant comme seconds avocats, pour l’ensemble des procédures préalables à l’instruction, y compris les frais de déplacement, d’hébergement et de subsistance afférents à la préparation des témoins et à la conduite des interrogatoires préalables au Canada et à l’étranger, au titre des éléments applicables des articles 1 à 12 du tarif B;

         les honoraires et débours raisonnables des témoins experts, soit MM. Andrew Logan, Edward Roberts Wood et François Malburet;

         les honoraires et débours raisonnables de l’avocat interne, Me Jean‑Pascal Méo, et du représentant technique, M. Pierre Prud’homme‑Lacroix;

         les intérêts sur les dépens, courant à partir de la date du présent jugement;

         tous les autres dépens et débours taxables engagés avant, pendant et après l’instruction.

 

 

« Luc Martineau »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                          T‑737‑08

 

INTITULÉ :                                         EUROCOPTER (SOCIÉTÉ PAR ACTIONS SIMPLIFIÉE) c

                                                               BELL HELICOPTER TEXTRON CANADA LIMITÉE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Montréal (Québec)

 

DATES DE L’AUDIENCE :            Les 17, 18, 19, 20, 21, 24, 25, 26, 27, 28 et 31 janvier 2011;

                                                              les 1er, 2, 3, 4, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 14, 15, 16, 17, 24 et 25 février 2011; et

                                                              les 11 et 12 janvier 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 3 juillet 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Marek Nitoslawski

Julie Desrosiers

David Turgeon

Chloé Latulippe

Joanie Lapalme

 

 

 

POUR LA DEMANDERESSE /

DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

Judith Robinson

Joanne Chriqui

 

POUR LA DÉFENDERESSE /

DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE /

DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

Norton Rose

Montréal (Québec)

 

POUR LA DÉFENDERESSE /

DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

 

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