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Date : 20120719

Dossier : T‑1068‑92

Référence : 2012 CF 915

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 juillet 2012

En présence de M. le juge Russell

 

ENTRE :

 

LA BANDE DE PEEPEEKISIS, représentée par le CHEF ENOCH POITRAS, DWIGHT PINAY, ARTHUR DESNOMIE, ALLAN BIRD,

JAMES POITRAS, PERRY McLEOD, CLARENCE McNABB et

LAWRENCE DEITER, CHEF ET CONSEILLERS DE LA BANDE DE PEEPEEKISIS no 81

 

 

demandeurs

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, représentée par

LE MINISTRE DES AFFAIRES AUTOCHTONES ET DU DÉVELOPPEMENT DU NORD

 

 

défenderesse

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une requête en jugement sommaire présentée par la défenderesse en vertu du paragraphe 213(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, (les Règles) au motif que l’action des demandeurs est entachée d’un vice fondamental et qu’elle est prescrite. La défenderesse demande également à la Cour de radier la déclaration des demandeurs en vertu de l’alinéa 221(1)f) des Règles au motif qu’elle constitue un abus de procédure.

CONTEXTE

[2]               La bande de Peepeekesis (la Bande) est une bande au sens de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I‑5 (la Loi sur les Indiens) et au sens du traité no 4. Les personnes physiques demanderesses sont des membres de la Bande ainsi que son chef et ses conseillers.

            Déclaration

[3]               Le 29 avril 1992, les demandeurs ont déposé une déclaration dans laquelle ils alléguaient que la défenderesse avait diminué la superficie du territoire de leurs terres de réserve entre 1897 et 1944. Ils allèguent que la défenderesse a loti leur réserve sans avoir obtenu leur consentement éclairé et que les terrains lotis ont été cédés à des membres qui avaient été admis illégalement au sein de la Bande (les nouveaux membres). Ils soutiennent que, contrairement à l’article 140 de la Loi sur les Indiens, la demanderesse a admis les nouveaux membres en question au sein de la Bande sans vote majoritaire de la Bande ou de ses conseillers. À titre subsidiaire, les demandeurs affirment que, si les nouveaux membres ont effectivement été admis par suite d’un vote majoritaire, ce vote a été obtenu par subornation, abus d’influence ou comportement répréhensible équivalant à une fraude par interprétation.

[4]               Les demandeurs affirment qu’en admettant illégalement les nouveaux membres, la défenderesse a dilapidé les biens que les membres initiaux de la bande (les membres initiaux) possédaient avant l’arrivée des nouveaux membres. Aux termes de l’article 140 de la Loi sur les Indiens, le nouveau membre qui est admis au sein d’une bande a le droit de recevoir une quote‑part du capital de la bande dont il était antérieurement membre (les quotes‑parts). La Bande affirme qu’elle n’a pas reçu les quotes‑parts des nouveaux membres au moment de leur admission.

[5]               Les demandeurs affirment également que la défenderesse a manqué à son obligation fiduciaire envers la Bande en aliénant les terres de la Bande aux nouveaux membres, en admettant de nouveaux membres sans avoir d’abord obtenu le consentement éclairé de la Bande, et en soudoyant et en fraudant les membres initiaux et en les influençant indûment. La défenderesse a également manqué à son obligation fiduciaire en n’administrant pas correctement les biens de la Bande et en ne transférant pas les quotes‑parts auxquelles la Bande avait droit en vertu de l’article 140 de la Loi sur les Indiens. La défenderesse a également manqué à son obligation fiduciaire en ne fournissant pas aux membres initiaux des conseils juridiques indépendants au sujet de l’admission de nouveaux membres au sein de la Bande. Enfin, les demandeurs affirment que la défenderesse a manqué à son obligation fiduciaire envers eux en dilapidant leurs biens du fait de l’admission illégale de nouveaux membres.

            Historique procédural

[6]               Le 8 décembre 1998, le juge John Richard a ordonné que la présente affaire soit soustraite à l’article 380 des Règles, ce qui a permis aux demandeurs de poursuivre leur demande par le biais du processus des revendications particulières (le PRP), une procédure de règlement des différends créée par le ministre des Affaires autochtones et du Développement du Nord canadien (le ministre). L’ordonnance du juge Richard devait expirer le 20 septembre 1999. La Cour a prorogé cette ordonnance à plusieurs reprises jusqu’à ce qu’elle expire finalement le 30 septembre 2009.

[7]               Le 28 mai 2004, la Commission des revendications particulières des Indiens – un organisme créé par le ministre dans le cadre du PRP – a recommandé que la demande soit acceptée en vue de faire l’objet de négociations. Le ministre a rejeté cette recommandation parce qu’il croyait que le principe de l’autorité de la chose jugée s’appliquait aux questions soulevées par les demandeurs.

[8]               Le juge en chef de la Cour fédérale a publié un avis d’examen de l’état de l’instance le 20 novembre 2009, après que la défenderesse l’eut informé que les demandeurs avaient décidé de ne pas donner suite à leur demande dans le cadre du PCP. Dans les observations qu’elles ont formulées en réponse à l’avis d’examen de l’état de l’instance, les demandeurs ont réclamé la désignation d’un juge chargé de la gestion de l’instance. La défenderesse ne s’est pas opposée à cette demande et, le 28 janvier 2010, la protonotaire Tabib a ordonné que l’affaire se poursuive à titre d’instance à gestion spéciale. La Cour a désigné la protonotaire Tabib comme juge chargée de la gestion de l’instance le 26 février 2010.

[9]               Les demandeurs ont déposé une déclaration modifiée le 21 juillet 2010 (la déclaration modifiée) et la défenderesse a déposé une défense modifiée (la défense modifiée) le 2 septembre 2010.

[10]           La défenderesse a déposé sa requête en jugement sommaire le 18 novembre 2011 et les demandeurs ont déposé leur dossier de requête en réponse le 30 décembre 2011.

            La déclaration modifiée

[11]           Dans leur déclaration modifiée, les demandeurs ont ajouté l’allégation que l’agent des Indiens qui était chargé de leur réserve en 1896 avait attribué des parcelles de terrain à de nouveaux membres à qui il avait permis de s’établir dans la réserve sans avoir respecté les exigences de la Loi sur les Indiens. Entre 1897 et 1944, la défenderesse a mis en place un plan permettant à d’anciens élèves de l’école indienne Qu’Appelle et d’autres écoles industrielles de s’établir dans la réserve de Peepeekesis sans avoir d’abord obtenu le consentement éclairé de la Bande (le plan de colonisation). Aux termes du plan de colonisation, la réserve de Peepeekesis a fait l’objet d’un arpentage et d’un lotissement et les élèves se sont installés sur certains des terrains lotis. Les élèves ont également été admis comme nouveaux membres de la Bande. Les demandeurs affirment que le plan de colonisation n’a pas été créé à l’avantage de la Bande.

[12]           Les demandeurs affirment en outre qu’en 1910, certains des membres de la Bande se sont opposés à l’admission d’autres nouveaux membres. À l’époque, l’agent des Indiens avait tenté d’obtenir l’assentiment des membres de la Bande en vue de l’admission de 50 nouveaux membres. En 1911, l’agent des Indiens a indiqué qu’une entente en ce sens avait été approuvée par la Bande (l’entente de 1911). Les demandeurs soutiennent que l’entente de 1911 n’a pas été régulièrement approuvée par la Bande.

[13]           Les demandeurs allèguent en outre qu’en 1956, le juge McFadden de la Cour de district de la Saskatchewan (le juge McFadden) a entendu les protestations qui lui avaient été soumises par le registraire des Indiens en vertu du paragraphe 9(4) de la Loi sur les Indiens, LC 1951, c 29. Les demandeurs affirment que le juge McFadden avait en mains une copie de l’entente de 1911, mais qu’on ne lui avait soumis aucun autre renseignement utile. Le juge McFadden a conclu que la défenderesse avait tenu pour acquis que l’entente de 1911 avait été approuvée par un vote majoritaire des membres de la Bande, ce qui accordait à la défenderesse le droit d’admettre de nouveaux membres au sein de la bande.

[14]           Outre les pertes subies par les membres initiaux dont les demandeurs font état dans leur déclaration initiale, les nouveaux membres ont également subi un préjudice en raison du plan de colonisation étant donné qu’ils ont été privés des quotes‑parts de leur bande précédente qui leur revenaient.

[15]           Les demandeurs sollicitent un jugement déclarant que le plan de colonisation est invalide et que la défenderesse a manqué à son obligation fiduciaire en n’agissant pas dans l’intérêt supérieur des demandeurs et en admettant les nouveaux membres au sein de la Bande. Ils réclament également des dommages‑intérêts pour aliénation illégitime de leurs terres et manquements par la défenderesse à son obligation fiduciaire. Les demandeurs réclament également des dommages‑intérêts en raison de la violation par la défenderesse de leurs droits issus de traités et du fait que la défenderesse a mis en œuvre le plan de colonisation en contravention de la Loi sur les Indiens.

            Défense modifiée

[16]           La défenderesse affirme qu’elle n’a jamais aliéné de terre appartenant à la Bande, de sorte qu’aucun manquement à une obligation n’a pu se produire. Les nouveaux membres ont été admis avec le consentement de la Bande. En 1956, le juge McFadden a conclu que les nouveaux membres avaient été admis de façon légale, de sorte que toute contestation de la légitimité de l’admission des nouveaux membres est maintenant chose jugée. L’entente de 1911 n’a pas été conclue à la suite d’incitations irrégulières et elle a bel et bien été approuvée par la majorité des membres de la bande.

[17]           La défenderesse affirme également que les faits générateurs du litige allégués par les demandeurs dans leur déclaration modifiée remontent à plus de dix ans avant l’introduction de leur action, de sorte que leur action est prescrite en vertu de la Limitation of Actions Act, RSS 1978, c L‑15 (la LAA) et de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC 1985, c C‑50.

QUESTIONS EN LITIGE

[18]           La défenderesse soulève les questions suivantes dans la présente requête :

a.                   L’action des demandeurs est‑elle entachée d’un vice fondamental?

b.                  L’action des demandeurs constitue‑t‑elle un abus de procédure?

c.                   L’action des demandeurs est‑elle prescrite?

d.                  Y a‑t‑il lieu de rejeter sommairement l’action?

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[19]           L’article suivant de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 (Loi sur les Cours fédérales) s’applique en l’espèce :

39. (1) Sauf disposition contraire d’une autre loi, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent à toute instance devant la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale dont le fait générateur est survenu dans cette province.

 

[…]

 

39. (1) Except as expressly provided by any other Act, the laws relating to prescription and the limitation of actions in force in a province between subject and subject apply to any proceedings in the Federal Court of Appeal or the Federal Court in respect of any cause of action arising in that province.

 

[…]

[20]           Les dispositions suivantes des Règles des Cours fédérales (1998) s’appliquent à la présente instance :

213. (1) Une partie peut présenter une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire à l’égard de toutes ou d’une partie des questions que soulèvent les actes de procédure. Le cas échéant, elle la présente après le dépôt de la défense du défendeur et avant que les heure, date et lieu de l’instruction soient fixés.

 

[…]

 

221. (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

 

a) qu’il ne révèle aucune cause d’action ou de défense valable;

 

 

[…]

 

f) qu’il constitue autrement un abus de procédure.

 

Elle peut aussi ordonner que l’action soit rejetée ou qu’un jugement soit enregistré en conséquence.

 

213. (1) A party may bring a motion for summary judgment or summary trial on all or some of the issues raised in the pleadings at any time after the defendant has filed a defence but before the time and place for trial have been fixed

 

 

 

 

 

[…]

 

221. (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to mend, on the ground that it

 

 

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

 

[…]

 

(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

 

and may order the action be dismissed or judgment entered  accordingly.

[21]           Les dispositions suivantes de la Loi sur les Indiens, LC 1951, c 29 (Loi sur les Indiens de 1951) s’appliquent également à la présente instance :

5. Est maintenu au ministère un registre des Indiens lequel consiste dans des listes de bande et des listes générales et où doit être consigné le nom de chaque personne ayant droit d’être inscrite comme Indien.

 

 

6. Le nom de chaque personne qui est membre d’une bande et a droit d’être inscrit doit être consigné sur la liste de bande pour la bande en question, et le nom de chaque personne qui n’est pas membre d’une bande et a droit d’être inscrite doit apparaître sur une liste générale.

 

7 (1) Le registraire peut en tout temps ajouter à une liste de bande ou à une liste générale, ou en retrancher, le nom de toute personne qui, d’après les dispositions de la présente loi, a ou n’a pas droit, selon le cas, à l’inclusion de son nom dans cette liste.

 

(2) Le registre des Indiens doit indiquer la date où chaque nom y été ajoute ou en été retranché.

 

8. Dès l’entrée en vigueur de la présente loi, les listes de bandes alors dressées au ministère doivent constituer le registre des Indiens et les listes applicables doivent être affichées à un endroit bien en vue dans le bureau du surintendant que dessert la bande ou les personnes visées par la liste et dans tous les autres endroits où les avis concernant la bande sont ordinairement affichés.

 

9. (1) Dans les six mois de l’affichage d’une liste conformément à l’article huit ou dans les trois mois de l’addition du nom d’une personne à  liste du bande ou à  une liste générale, ou de son retranchement d’une telle liste, en vertu de l’article sept :

 

a) dans le cas d’une liste de bandes, le conseil de la bande, dix électeurs de la bande ou trois électeurs, s’il y en a moins de dix,

 

[…]

 

peuvent, par avis écrit au registraire, renfermant un bref exposé des motifs invoqués à cette fin, protester contre l’inclusion, l’omission, l’addition, ou le retranchement, selon le cas, du nom de cette personne.

 

(2) Lorsqu’une protestation est adressée au registraire, en vertu de présent article, il doit faire tenir enquête sur la question et rendre une décision qui, sous réserve d’un renvoi prévu au paragraphe trois, est définitive et péremptoire.

 

 

(3) Dans les trois mois de la date d’une décision du registraire aux termes de présent article,

 

a) le conseil de la bande que vise la décision du registraire, ou

 

b) la personne qui a fait la protestation ou a l’égard de qui elle a eu lieu,

 

peut, moyennent un avis écrit, demander au registraire de soumettre la décision a un juge, pour révision, et dès lors le registraire doit déférer la décision, avec tous les éléments que le registraire a examinés en rendent sa décision, au juge de la cour de comté ou district du comté ou district ou la bande est située ou dans lequel réside la personne à l’égard de qui la protestation a été faite, ou du tel autre comté ou district que le Ministre peut désigner,

[…]

 

(4) Le juge de la cour de comté, de la cour de district ou de la cour supérieure, selon le cas, doit enquêter sur la justesse de la décision du registraire et, à ces fins, peut exercer tous les pouvoirs d’un commissaire en vertu de la Partie I de la Loi des enquêtes. Le juge doit décider si la personne qui a fait l’objet de la protestation a ou n’a pas droit, selon le cas, d’après les dispositions de la présente loi, à l’inscription de son nom au registre des Indiens, et la décision du juge est définitive et péremptoire.

 

5. An Indian Register shall be maintained in the Department, which shall consist of Band Lists and General Lists and in which shall be recorded the name of every person who is entitled to be registered as an Indian.

 

6. The Name of every person who is a member of a band and is entitled to be registered shall be entered in the Band List for that band, and the name of every person who is not a member of a band and is entitled to be registered shall be entered in a General List.

 

 

7. (1) The Registrar may at any time add to or delete from a Band List or a General List the name of any person who, in accordance with the provisions of this Act, is entitled or not entitled, as the case may be, to have his name included in that lists.

 

(2) The Indian Register shall indicate the date on which each name was added thereto or deleted therefrom.

 

8. Upon the coming into force of this Act, the band lists then in existence in the Department shall constitute the Indian Register, and the applicable lists shall be posted in a conspicuous place in the superintendent’s office that serves the band or persons to whom the list relates and in all other places where band notices are ordinarily displayed.

 

 

9. (1) within six months after a list has been posted in accordance with section eight or within three months after the name of a person has been added to or deleted from a Band List or a General List pursuant to section seven

 

 

(a) in the case of a Band List, the council of the band, any ten electors of the band, or any three electors if there are less than ten electors in the band,

 

[…]

 

may by notice in writing to the Registrar, containing a brief statement of the grounds therefor, protest the inclusion, omission, addition, or deletion, as the case may be, of the name of that person.

 

 

(2) Where a protest is made to the Registrar under this section he shall cause an investigation to be made into the matter and shall render a decision, and subject to a reference under subsection three, the decision of the Registrar is final and conclusive.

 

(3) Within three months from the date of a decision of the Registrar under this section

 

 

(a) the council of the band affected by the Registrar’s decision, or

 

(b) the person by or in respect of whom the protest was made,

 

 

may, by notice in writing, request the Registrar to refer the decision to a judge for review, and thereupon the Registrar shall refer the decision, together with all material considered by the Registrar in making his decision, to the judge of the county or district court of the county or district in which the band is situated or in which the person in respect of whom the protest was made resides, or such other county or district as the Minister may designate […].

 

(4) the judge of the county, district, or Superior Court, as the case may be, shall inquire into the correctness of the Registrar’s decision, and for such purposes may exercise all the powers of a commissioner under Part I of the Inquiries Act; th­e judge shall decide whether the person in respect of whom the protest was made is, in accordance with the provisions of this Act, entitled or not entitled, as the case may be, to have his name included in the Indian Register, and the decision of the judge is final and conclusive.

 

[22]           Les dispositions suivantes de la Public Officers Protection Act, RSS 1978, c P‑40 (la POPA) sont en litige dans la présente instance :

[traduction]

2 (1) Personne ne peut être l’objet d’une action, d’une poursuite ou d’une autre procédure en raison d’un acte commis dans le cadre de l’application effective ou censée telle d’une loi, ou dans l’exercice d’une fonction ou d’un pouvoir public ni en raison d’une prétendue négligence ou d’un prétendu manquement dans l’application de cette loi ou encore dans l’exercice de cette fonction ou de ce pouvoir. La protection prévue ci‑dessus ne s’applique pas si l’action, la poursuite ou toute autre procédure est instituée dans les douze mois qui suivent immédiatement l’acte, la négligence ou le manquement en cause ou dans les douze mois qui suivent immédiatement la fin d’un préjudice, dans le cas où un préjudice aurait subsisté, ou dans le délai supplémentaire que le tribunal ou un de ses juges peut accorder.

 

(2) Si le tribunal estime que le demandeur n’a pas fourni au défendeur une occasion raisonnable de le dédommager avant que ne commence l’instance, il peut accorder les dépens au défendeur sur une base avocat‑client.

 

[23]           Les dispositions suivantes de la LAA sont en litige dans la présente instance :

[traduction]

3 (1)     Les actions suivantes se prescrivent par les délais respectifs indiqués ci‑dessous :

            […]

 

e) l’action pour atteinte ou dommages causés directement ou indirectement à des biens réels ou personnels, que l’action soit le résultat d’un acte illégal ou d’une négligence, ou pour dépossession, conversion ou détention de biens personnels se prescrit par six ans à compter de la naissance de cause d’action;

 

f) l’action en recouvrement d’une somme d’argent, sauf celle relative à une créance grevant un bien‑fonds, que cette somme d’argent soit recouvrable notamment à titre de dette, de dommages‑intérêts ou à un autre titre, ou que cette somme découle d’un engagement, d’un cautionnement, d’un contrat scellé ou non ou d’une convention verbale, expresse ou tacite, se prescrit par six ans à compter de la naissance de la cause d’action; il en est de même de l’action en reddition de comptes ou pour non‑reddition de comptes;

 

g) l’action fondée sur une déclaration volontairement fausse se prescrit par six ans à compter de la découverte de la fraude;

 

h) l’action fondée sur un accident, une erreur ou un autre motif de recours reconnu en equity qui n’est pas régi par les dispositions qui précèdent se prescrit par six ans, à compter de la découverte de la cause d’action;

 

[…]

 

j) toute autre action qui ne fait pas explicitement l’objet d’une disposition de la présente loi ou d’une autre loi se prescrit par six ans à compter de la naissance de la cause d’action.

 

[…]

 

12 (1)   Une procédure en recouvrement :

 

a) soit d’une rente foncière;

 

b) soit d’une somme d’argent garantie par une hypothèque ou grevant de toute autre façon un bien‑fonds ou une rente foncière;

 

c) d’un legs, que celui‑ci grève ou non un bien‑fonds;

 

d) de tout ou partie des biens personnels d’une personne décédée intestat qui sont en la possession de son représentant personnel,

 

se prescrit par dix ans à compter de la date à laquelle le droit immédiat de recouvrer ces sommes ou ces biens échoit à une personne capable d’en donner quittance ou libération, à moins qu’avant l’expiration de cette période de dix ans :

 

e) une partie de la rente foncière ou de la somme d’argent ou des intérêts s’y rattachant ait été payée par la personne tenue ou ayant le droit d’en effectuer le paiement, ou par son représentant, à une personne y ayant droit ou à son représentant;

 

f) une reconnaissance du droit à la rente foncière, à la somme, au legs, à la succession ou à la partie de celle‑ci ait été donnée par écrit et signée par la personne tenue ou ayant le droit d’en effectuer le paiement, ou par son représentant, à une personne y ayant droit ou à son représentant;

 

dans un tel cas, l’action se prescrit par dix ans à compter de la date de ce paiement ou de cette reconnaissance, ou du dernier de ces paiements ou de la dernière de ces reconnaissances, s’il y en a eu plusieurs.

 

 


PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

La défenderesse

 

[24]           Il convient en l’espèce de rejeter sommairement l’action des demandeurs parce qu’elle ne soulève pas de véritable question litigieuse, qu’elle constitue un abus de procédure et qu’elle est prescrite. Rendre un jugement sommaire en l’espère épargnera à la Cour le temps et les frais qu’entraînerait l’instruction d’une demande qui n’a aucune chance de succès. Dans le cas d’une requête en jugement sommaire, le requérant doit démontrer qu’il n’y a aucune véritable question à juger. Toutefois, le juge saisi de la requête peut tirer des inférences de fait en se fondant sur la preuve (Canada (Procureur général) c Lameman, 2008 CSC 14, au paragraphe 10). La Cour doit également s’assurer que les actes de procédure ne constituent pas une tentative de contourner la loi au moyen d’une formulation inappropriée.

[25]           La défenderesse affirme que plusieurs des membres de la bande ont, sous la direction d’Ernest Goforth (le groupe Goforth), demandé à la Couronne de charger une commission royale d’enquêter en 1948 sur les règles d’adhésion de la Bande. En 1952, le groupe Goforth s’est élevé contre l’admission de 25 nouveaux membres à la Bande et, en 1954, la défenderesse a désigné M. Trelenberg pour faire enquête sur cette contestation (l’enquête Trelenberg). M. Trelenberg a rendu compte de ses conclusions au registraire des Indiens et a conclu que 23 des 25 nouveaux membres dont l’admission était contestée avaient le droit d’être membres de la Bande. Ernest Goforth a contesté cette décision et, en 1956, le juge McFadden a conclu que les 25 nouveaux membres dont l’admission était contestée avaient tous le droit d’être enregistrés et que l’entente de 1911 était valide.

            L’action est entachée d’un vice fondamental

[26]           L’action des demandeurs est entachée d’un vice fondamental parce que les biens de la Bande sont détenus collectivement; les membres initiaux et leurs descendants ne possèdent pas de droits dissociables sur les terres de la réserve. Ils détiennent collectivement le droit de détenir et d’occuper les terres de la réserve et aucun membre individuel ne possède de droit dissociable sur les terres de la réserve (Beattie c Canada, [2000] ACF no 1920, aux paragraphes 20 et 24). Peu importe les mesures qu’elle a prises, la défenderesse n’a pas aliéné de terres appartenant à la Bande et aucun bien‑fonds n’a été transféré de façon irrévocable à un membre. Lorsqu’ils se sont joints à la Bande, les nouveaux membres ont acquis le droit de participer aux droits collectifs de la Bande. Le droit aux terres de la réserve découle de l’appartenance à la Bande et non de la filiation, de sorte que seuls les membres en règle possèdent des droits sur les terres de la Bande. Le cadre juridique qui établit le droit collectif de la Bande sur ses terrains fait obstacle à l’action des demandeurs, de sorte qu’il n’y a pas de véritable question litigieuse.

            Abus de procédure

[27]           L’action des demandeurs constitue par ailleurs un abus de procédure parce qu’elle a déjà été jugée sur le fond par un tribunal compétent. Les demandeurs fondent en effet leur demande sur l’admission illégale de nouveaux membres au sein de la Bande entre 1896 et 1944. Or, le juge McFadden a conclu en 1956 que les 25 nouveaux membres qui avaient été admis entre 1896 et 1919 avaient été légalement enregistrés comme membres de la Bande en vertu de la Loi sur les Indiens. Le juge McFadden a examiné les mêmes faits et les mêmes éléments de preuve que ceux sur lesquels les demandeurs se fondent en l’espèce. Si la Cour devait conclure que les nouveaux membres ont été admis de façon illégale, elle contredirait directement la décision du juge McFadden.

            L’action est prescrite

[28]           L’action des demandeurs est par ailleurs prescrite en vertu de la POPA et de la LAA parce que les faits à l’origine de l’action sont bien connus depuis au moins 40 ans. Dans l’arrêt Lameman, précité, la Cour suprême du Canada a jugé, au paragraphe 13 :

La Cour a souligné dans Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2002] 4 R.C.S. 245, 2002 CSC 79, que les règles sur les délais de prescription s’appliquent aux revendications autochtones. Les délais de prescription répondent à la recherche d’un équilibre entre la nécessité de protéger le droit du défendeur, après un certain temps, d’organiser ses affaires sans craindre une poursuite et celle de traiter le demandeur équitablement compte tenu de sa situation. Cela vaut autant pour les revendications autochtones que pour les autres, comme il est précisé au par. 121 de Wewaykum :

 

Des témoins ne sont plus disponibles, des documents historiques ont disparu ou sont difficiles à mettre en contexte et l’idée de ce que constituent des pratiques loyales évolue. En raison de l’évolution des normes de conduite et de l’application de nouvelles normes en matière de responsabilité, il devient inéquitable de juger des actions passées au regard de normes contemporaines.

 

 

                        La Public Officers’ Protection Act

[29]           Aux termes de l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales, les délais de prescription prévus par les lois provinciales s’appliquent aux instances introduites devant la Cour fédérale. La POPA fixe un délai de prescription de 12 mois à compter de l’acte ou du défaut qui a donné naissance à la cause d’action dans le cas de toute poursuite intentée contre un agent public, à moins que le tribunal ou le juge ne proroge le délai d’introduction de l’instance.

[30]           On trouve au paragraphe 50 de l’arrêt Des Champs [Deschamps] c Conseil des écoles séparées catholiques de langue française de Prescott‑Russell, [1999] 3 RCS 281 (QL), le critère suivant en ce qui concerne le délai de prescription prévu par la POPA :

(1) La partie défenderesse est‑elle une autorité publique appartenant à la catégorie des personnes physiques ou entités visées par la protection accordée par le délai de prescription? Même si la plupart des autorités publiques satisfont à cette exigence, l’affaire Schnurr, précitée, illustre le genre de problèmes susceptibles de se présenter.

 

(2) Que faisait l’autorité publique, et dans l’exercice de quel pouvoir ou de quelle fonction? Cette information figure généralement dans les actes de procédure […]

 

(3) Est‑ce que le pouvoir ou la fonction invoqué pour fonder en partie la cause d’action du demandeur peut à juste titre être considéré comme ayant « une connotation ou un aspect public » ou comme ayant plutôt une « connotation d’administration ou de gestion privée ou [comme étant de] par [sa] nature même accessoir[e] » (Berardinelli, le juge Estey, à la p. 283)?

 

(4) Est‑ce que l’activité de la partie défenderesse qui fait l’objet de la plainte est « de nature essentiellement publique » ou plus « de nature interne ou courante et où le caractère privé prédomine » (Berardinelli, le juge Estey, à la p. 284 (italiques omis))?

 

(5) Du point de vue du demandeur, est‑ce que son action ou le droit qu’il invoque peut « être corrélé » avec l’exercice, par la partie défenderesse, d’un pouvoir d’ordre public, se rapporte à un manquement à une fonction d’ordre public, ou reproche une activité à caractère public, compte tenu de la qualification appropriée?

 

[31]           La défenderesse agissait dans le cadre de ses fonctions publiques sous le régime de la Loi sur les Indiens de 1951 lorsqu’elle a loti les terres de la Bande et a admis de nouveaux membres. Le délai de prescription prévu par la POPA a expiré avant que l’action ne soit introduite en 1992, de sorte qu’elle est maintenant prescrite.

[32]           Bien que le paragraphe 2(1) de la POPA permette au Tribunal ou au juge de proroger les délais de prescription, les demandeurs ne satisfont pas au critère minimal pour pouvoir obtenir cette mesure. En effet, pour pouvoir obtenir une prorogation de délai en vertu de cet article, les demandeurs doivent démontrer :

a.                   qu’il y a, à première vue, matière à procès;

b.                  qu’elles peuvent présenter une explication raisonnable pour justifier leur retard à déposer leur demande;

c.                   que le défendeur ne subira aucun préjudice.

 

[33]           Les demandeurs ne satisfont à aucun de ces critères. Il n’y a pas de véritable question litigieuse et il ne peut donc y avoir, à première vue, matière à procès. Les demandeurs n’ont pas fourni d’explications pour justifier leur retard à introduire leur demande. De plus, la défenderesse subira un préjudice en raison de ce délai parce que des documents importants ont été perdus et que d’éventuels témoins sont décédés.

                        La Limitations of Actions Act

[34]           L’action des demandeurs est prescrite depuis 1958 par application de la LAA. À l’époque, les faits essentiels sur lesquels l’action est fondée avaient été découverts ou pouvaient être découverts avec une diligence raisonnable depuis déjà plus d’une dizaine d’années. En 1948, les demandeurs comprenaient clairement tous les faits importants de leur demande. La preuve documentaire démontre que les faits à l’origine des prétentions des demandeurs étaient largement connus. Le délai de prescription le plus long prévu par la LAA est de dix ans et le dernier document établissant la revendication des demandeurs ― une lettre dans laquelle M. Goforth faisait valoir un droit issu de traités et se plaignait de la décision du juge McFadden ― a été produit en 1957.

            La Constitution ne protège pas la revendication

[35]           L’expiration du délai de prescription applicable à l’action des demandeurs en 1958 a mis fin à leur revendication. La Loi constitutionnelle de 1982 ne peut être invoquée pour invalider des actes antérieurs accomplis par des représentants du gouvernement (Papaschase Indian Band No. 136 c Canada (Procureur général), 2004 ABQB 655, au paragraphe 50).

[36]           Bien que les déclarations in rem visant à faire invalider une loi inconstitutionnelle puissent être soustraites aux dispositions législatives relatives aux délais de prescription (Air Canada c Colombie‑Britannique (Procureur général), [1986] 2 RCS 539, à la page 543), les demandeurs ne réclament qu’une réparation in personam. Ils ne peuvent se soustraire aux dispositions législatives applicables en matière de délais de prescription.

[37]           L’arrêt Ravndahl c Saskatchewan, 2009 CSC 7, établit le principe suivant lequel les délais de prescription s’appliquent aux demandes de réparations personnelles découlant de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Même si les droits des demandeurs étaient protégés en vertu de l’article 35, leur action en réparation personnelle n’en est pas moins prescrite.

Les demandeurs

[38]           Les demandeurs soutiennent que la requête en jugement sommaire de la défenderesse est mal fondée et qu’elle devrait être rejetée.

            Cause d’action valable

[39]           Les demandeurs affirment que la défenderesse a mal interprété la nature de leur demande. Celle‑ci est fondée sur la mise en œuvre illicite, par la défenderesse, d’un plan de colonisation qui a permis à des personnes qui n’avaient aucun droit sur la réserve de la Bande d’être admises au sein de cette dernière. Ce système a permis de manipuler les règles d’admission dans la Bande sans le consentement éclairé de la Bande. En créant le plan de colonisation et en manipulant les règles d’adhésion de la Bande, la défenderesse a manqué à son obligation fiduciaire et aux obligations qui lui étaient imposées par traités. La défenderesse n’a pas prétendu que les moyens tirés de son manquement à son obligation fiduciaire et à ses obligations découlant de traités sont mal fondés. Ces moyens ne devraient donc pas être rejetés.

[40]           Même si la défenderesse affirme n’avoir aliéné aucune des terres de la Bande, les demandeurs affirment que les membres initiaux se sont vus privés de l’usage et du bénéfice des terres de la réserve. Il ressort de la preuve que les membres initiaux ont été forcés de s’installer sur la partie du territoire de la réserve qui n’avait pas été arpentée et que la colonie File Hills a été considérée comme une réserve distincte. En tout état de cause, la question de savoir si des terres de la réserve appartenant aux demandeurs ont été aliénées ou non est une question mixte de fait et de droit qu’il ne convient pas de trancher dans le cadre d’une requête en radiation.

Absence d’abus de procédure

[41]           Les demandeurs affirment également que le juge McFadden n’a pas tranché la question de savoir si la défenderesse avait manqué à son obligation fiduciaire ou à ses obligations découlant de traités ou si elle avait fait défaut de respecter les exigences de la Loi sur les Indiens. Le juge McFadden était uniquement habilité à décider si la décision du registraire d’admettre de nouveaux membres était bien fondée. De plus, la Bande n’était pas partie à l’instance introduite devant le juge McFadden.

[42]           De plus, la procédure suivie devant le juge McFadden était viciée parce que la défenderesse n’a pas fourni les services d’un avocat aux membres initiaux qui contestaient l’admission des nouveaux membres. La défenderesse a également refusé de communiquer des documents importants au cours de cette procédure. Dans sa décision, le juge McFadden explique seulement qu’il n’est pas disposé à annuler la décision du registraire d’admettre un membre dès lors que le nom de ce membre figurait sur la liste des membres de la Bande avant 1951.

[43]           La défenderesse soutient en fait qu’il découle de la décision du juge McFadden que l’action des demandeurs a l’autorité de la chose jugée. Les demandeurs affirment toutefois que les questions soumises au juge McFadden et celles qui sont portées à l’attention de la Cour en l’espèce sont différentes. La présente demande concerne un manquement à une obligation fiduciaire ou le non‑respect d’obligations découlant de traités, des questions qui n’avaient pas été soumises au juge McFadden. Suivant les affaires In the Indian Act Re Joseph Poitras, [1956] SJ no 33 (CBRSK) et In the The Indian Act In re Wilson, [1954] AJ no 52 (CDA), le juge saisi d’un renvoi formulé en vertu du paragraphe 9(4) de la Loi sur les Indiens et portant sur l’admission de personnes au sein d’une bande ne peut trancher les questions relatives à de présumées violations d’obligation découlant de traités ou de manquement à des obligations fiduciaires. Dans l’arrêt Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) c Ranville, [1982] 2 RCS 518, la Cour suprême du Canada a estimé que le juge saisi d’un renvoi formulé en vertu du paragraphe 9(4) de la Loi sur les Indiens siège en tant que juge d’appel.

[44]           Même si les questions soulevées par les demandeurs sont chose jugée, la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire résiduel pour instruire la présente affaire. On trouve dans l’arrêt Danyluk c Ainsworth Technologies Inc, 2001 CSC 44, une série de facteurs dont la Cour peut tenir compte pour décider si elle devrait instruire l’affaire même si les questions soulevées sont chose jugée. Dans le cas qui nous occupe, les facteurs énumérés dans l’arrêt Danyluk permettent de penser que la Cour devrait instruire le dossier des demandeurs.

[45]           De plus, même si les questions soulevées par les demandeurs supposent que l’on rouvre le débat sur des questions qui ont déjà été tranchées, la présente affaire ne constitue pas un abus de procédure. L’arrêt Morel c Canada, 2008 CAF 53, précise, aux paragraphes 33 à 40, une série de circonstances dans lesquelles le fait de débattre de nouveau de certaines questions ne constituera pas un abus de procédure. Dans le cas qui nous occupe, la défenderesse a contrôlé rigoureusement le déroulement de l’instance devant le juge McFadden. La défenderesse a également contrôlé les renseignements soumis au juge McFadden, de sorte que plusieurs documents n’ont jamais été portés à l’attention de ce dernier. Dans ces conditions, le fait de rouvrir le débat aura pour effet d’améliorer l’intégrité du système judiciaire, de sorte que la demande présentée par les demandeurs ne constitue pas un abus de procédure.

Le rejet sommaire n’est pas une mesure appropriée

[46]           Dans l’arrêt Lameman, précité, la Cour suprême du Canada a expliqué que les exigences auxquelles il faut satisfaire pour obtenir un jugement sommaire sont élevées. Dans le cas d’une requête en jugement sommaire, le défendeur est seulement tenu « de présenter une preuve montrant qu’il existe une véritable question litigieuse » (Succession MacNeil c Canada (Affaires indiennes et Nord Canada), 2004 CAF 50, au paragraphe 25). La Cour saisie de la requête ne devrait prononcer le rejet sommaire que si elle est convaincue qu’il n’y a pas de véritable question litigieuse à trancher.

La Public Officers’ Protection Act

[47]           Le délai de prescription prévu au paragraphe 2(1) de la POPA ne s’applique pas à l’action des demandeurs. Le préjudice que les demandeurs ont subi par suite de la mise en œuvre du plan de colonisation de la défenderesse se poursuit toujours, parce que les membres initiaux sont toujours privés de l’usage et du bénéfice des terres de la réserve. Le traité no 4 stipulait que la réserve de Peepeekesis avait été établie au profit des membres initiaux. Le plan de colonisation a transféré le droit de propriété aux nouveaux membres sans que la bande ne reçoive d’indemnité.

[48]           Le traité no 4 indique aussi que « Sa Majesté conserve le droit de s’entendre avec ces colons comme il lui semblera juste, afin de ne pas diminuer l’étendue de terre accordée aux Indiens », ce qui démontre que la défenderesse a l’obligation de protéger la superficie de terre détenue par la Bande en ne permettant pas à d’autres personnes de résider dans la réserve de Peepeekesis. Toutefois, le plan de colonisation permettait à de nouveaux membres de résider dans la réserve, ce qui constituait un manquement à l’obligation de la défenderesse du fait que l’usage et le bénéfice de la réserve de Peepeekesis étaient transférés aux nouveaux membres et à leurs descendants.

[49]           Les délais de prescription prévus par la POPA ne s’appliquent pas non plus dans la présente affaire parce que la mise en œuvre du plan de colonisation constituait un acte privé. Dans la décision A.K. c Canada (Attorney General), 2003 SKQB 46, la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan a conclu que les actes de nature interne ou administrative accomplis relativement aux pensionnats indiens n’étaient pas assujettis au délai de prescription de 12 mois prévu par la POPA (paragraphe 19). Le plan de colonisation s’apparente au mécanisme de gestion interne des pensionnats et le délai de prescription prévu par la POPA ne s’applique donc pas en l’espèce. Même si le plan de colonisation était autorisé par la Loi sur les Indiens, sa mise en œuvre ne constituait pas un acte public auquel la POPA s’applique.

[50]           À titre subsidiaire, les demandeurs affirment que la Cour devrait proroger le délai qui leur est imparti pour déposer une demande en vertu du paragraphe 2(1) de la POPA parce que cette mesure est juste. La défenderesse a commis une fraude reconnue en equity en traitant la Bande de façon déraisonnable et en camouflant de façon frauduleuse l’action des demandeurs. Suivant l’arrêt Guerin c Canada, [1984] 2 RCS 335, le droit ancestral sur des terres est un droit inaliénable sauf s’il est cédé à la défenderesse. Le plan de colonisation exigeait que l’on procède à une telle cession, mais celle‑ci ne s’est jamais produite.

[51]           La défenderesse n’a pas agi d’une manière conforme à l’intégrité de la Couronne. Elle a dissimulé des documents clés au juge McFadden et a négligé de soulever d’importantes questions devant lui. De plus, la défenderesse a contrôlé le déroulement des enquêtes McFadden et Trelenberg et elle n’a pas fourni à la Bande les fonds nécessaires pour lui permettre de retenir les services d’un avocat dans les instances en question. La défenderesse a reconnu qu’elle était responsable de la perte des droits des membres initiaux lorsqu’elle a entamé des négociations pour les indemniser de cette perte. On n’a pu retrouver la transcription des enquêtes McFadden et Trelenberg qu’après que les demandeurs eurent introduit la présente action, ce qui démontre également que la défenderesse contrôlait le déroulement des enquêtes en question. La Cour devrait exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 2(1) de la POPA de manière à proroger le délai imparti aux demandeurs pour introduire leur demande, à défaut de quoi l’application du délai de prescription prévu par la POPA fera subir une injustice aux demandeurs.

La Limitation of Actions Act

[52]           À l’instar de la POPA, la LAA ne rend pas la présente action irrecevable parce que le plan de colonisation constitue une violation permanente du traité no 4. Suivant l’arrêt Roberts c Portage la Prairie, [1971] RCS 481, le délai de prescription prévu par la loi ne s’applique pas lorsque le préjudice est permanent.

[53]           Les demandeurs affirment à titre subsidiaire qu’ils ont introduit leur action dans le délai de prescription applicable. Pour déterminer si l’action est prescrite, la Cour doit analyser trois questions. Premièrement, elle doit déterminer quelle est la loi applicable en ce qui concerne la prescription. La présente action n’était pas éteinte avant l’introduction de la déclaration originale parce que les faits générateurs du litige ne pouvaient être découverts qu’après l’entrée en vigueur de la LAA. La LAA est la loi qui s’applique en ce qui concerne les délais de prescription parce que c’est cette loi qui était en vigueur au moment de l’introduction de la déclaration originale.

[54]           Deuxièmement, la Cour doit établir le délai de prescription applicable. Le délai de prescription de dix ans prévu au paragraphe 12(1) de la LAA s’applique dans le cas qui nous occupe. Suivant le plan de colonisation, certains des nouveaux membres occupaient des terres agricoles avant que leur droit d’appartenir à la bande ne soit contesté. Les demandeurs réclament des dommages‑intérêts pour aliénation illégale de leurs terres. Ces dommages‑intérêts s’apparentent à une indemnité pour loyer d’occupation, étant donné que les terres ont été occupées par les nouveaux membres en vertu du plan de colonisation.

[55]           Troisièmement, la Cour doit déterminer à quand remontent les faits générateurs du litige. Bien que les agissements de la défenderesse que les demandeurs contestent se soient produits entre 1897 et 1944, la cause d’action n’a pris naissance en l’espèce que beaucoup plus tard. Les demandeurs ne pouvaient être conscients qu’ils avaient un droit de recours avant de prendre connaissance de divers faits par suite des recherches qu’ils ont effectuées après avoir introduit leur première demande. Ce n’est qu’après avoir obtenu la transcription des enquêtes Trelenberg et McFadden qu’ils pouvaient savoir qu’ils avaient des chances raisonnables d’obtenir gain de cause. Le délai de prescription n’a donc commencé à courir qu’après l’introduction de la déclaration originale.

[56]           Bien que les demandeurs affirment qu’Ernest Goforth a présenté les mêmes arguments au juge McFadden dans les années 1940, M. Goforth n’agissait pas comme représentant de la Bande. Il contestait seulement le droit des nouveaux membres d’être admis au sein de la Bande. Il n’était pas question de violations de traités ou de manquements à des obligations fiduciaires. De plus, les idées et les connaissances de M. Goforth ne sont pas celles de la Bande. D’autres personnes au sein de la Bande se sont opposées aux démarches qu’il a entreprises pour contester leur droit d’appartenir à la Bande et M. Goforth disposait de peu de moyens pour découvrir les faits nécessaires pour obtenir les conseils appropriés et pour conclure qu’il avait des chances raisonnables d’obtenir gain de cause.

ANALYSE

[57]           Je crois qu’il ressort immédiatement du contexte historique complexe du présent litige, de la qualification contradictoire des questions en litige et des allégations de comportement inique de la Couronne (comportement remontant à de nombreuses années, mais ayant toujours des répercussions sur les membres de la Bande) que la Cour ne peut statuer sur le fond de la demande de manière sommaire.

Article 221 des Règles – Requête en radiation

[58]           La défenderesse demande à la Cour de radier la déclaration au motif que :

a.                   la demande ne révèle aucune cause d’action valable. Elle est entachée d’un vice fondamental et est formulée sur le fondement d’une proposition qui contredit directement des principes juridiques bien établis;

b.                  la demande constitue un abus de procédure étant donné que le droit licite d’appartenir à la bande est une question qui a été tranchée de façon définitive par un tribunal compétent en 1956 et que le délai de prescription s’applique.

[59]           La requête est fondée sur les alinéas 221(1)a) et 221(1)f) des Règles.

Règle 221(1)a) – Absence de cause d’action valable

[60]           Les principes généraux qui s’appliquent à ce type de requête en radiation ne sont pas contestés en l’espèce. Le critère fondamental est celui de savoir s’il est évident et manifeste que la demande ne révèle aucune cause d’action valable (Hunt c Carey Canada Inc., [1990] 2 RCS 959). Il est également clair que, lorsqu’elle est saisie d’une requête en radiation, la Cour doit se contenter de trancher la question préliminaire de savoir s’il existe une véritable question litigieuse en ce qui a trait aux faits essentiels à trancher, et que toutes les allégations de fait doivent être tenues pour avérées sauf si elles sont manifestement ridicules ou impossibles à prouver (Edell c Canada (Agence du revenu), 2010 CAF 26). Il incombe au défendeur qui réclame le rejet sommaire de l’action de démontrer qu’il n’existe pas de question véritable à trancher (arrêt Edell, précité) et le fardeau qui incombe au défendeur est lourd (Apotex Inc. c Syntex Pharmaceuticals International Ltd., 2005 CF 1310).

[61]           À mon avis, la défenderesse ne s’est pas acquittée de la charge qui lui incombait en l’espèce. La défenderesse propose une interprétation de la demande qui contredit celle des demandeurs. Les demandeurs affirment essentiellement que la défenderesse et ses représentants ont mis au point de façon illicite un système qui a permis à des personnes autres que celles pour lesquelles la réserve de la Bande avait été créée aux termes du Traité no 4 de bénéficier des avantages de la réserve. Les répercussions du plan de colonisation n’ont jamais été expliquées aux membres initiaux. La manipulation des règles d’adhésion à la Bande constituait un aspect essentiel du plan de colonisation et elle a eu lieu sans le consentement volontaire ou éclairé des membres de la Bande ou, si ce consentement a été obtenu, il l’a été par influence indue ou  incitation ou dans des circonstances douteuses, de sorte que ces agissements constituaient un manquement, par la défenderesse, à ses obligations fiduciaires et à ses obligations découlant de traités.

[62]           À mon avis, on ne peut se prononcer sur toutes les répercussions du plan de colonisation, sur la façon dont il a été mis en œuvre et sur les répercussions qu’en subissent encore les membres de la Bande en partant simplement du principe que [traduction] « les terres de réserve sont un bien collectif » comme l’affirme la défenderesse. Cette situation s’explique par le fait que les demandeurs invoquent également un manquement à une obligation fiduciaire, une violation d’obligations découlant de traités et une violation de la Loi sur les Indiens par suite de la mise en œuvre du plan de colonisation. Il s’agit de questions qui ne sont pas nécessairement liées à celles de savoir si les terres de la réserve constituent ou non un bien collectif. Pour répondre à ces questions, il faut tenir compte de questions complexes de fait et de droit et le dossier qui m’a été soumis ne me permet pas d’affirmer qu’il est clair et évident qu’il n’y a pas de véritable question à juger.

Alinéa 221(1)f) des Règles – Abus de procédure

[63]           Bien que le fait de plaider de nouveau les mêmes questions puisse constituer un abus de procédure, j’estime que les demandeurs ne cherchent pas à rouvrir le débat sur les questions tranchées par le juge McFadden en 1956. Les questions relatives à la qualité de membre de la Bande sont sans doute pertinentes pour la demande, mais, le statut actuel, la portée et l’application de la décision du juge McFadden aux faits et aux points litigieux soulevés dans la demande se prêtent encore amplement à un débat, de sorte qu’on ne peut affirmer qu’il y a abus de procédure ou qu’il n’y a aucune question à juger sur ce fondement.

Article 221 – Délais de prescription

[64]           La défenderesse affirme également que [traduction] « les demandeurs n’ont aucune question véritable à faire juger parce que le délai de prescription applicable à leur demande est depuis longtemps expiré ». Je vais revenir sur cette question lorsque j’examinerai le rejet sommaire.

Article 215 des règles – Rejet sommaire

[65]           La défenderesse demande, en vertu de l’article 215 des Règles, que la demande soit rejetée sommairement parce que le délai de prescription applicable à la demande est depuis longtemps expiré. À mon avis, il s’agit là de la question déterminante dans le cadre de la présente requête.

[66]           Là encore, les principes juridiques généraux applicables à cet aspect de la requête ne semblent pas être contestés.

Principes applicables aux jugements sommaires

[67]           La défenderesse affirme que l’action des demandeurs devrait être rejetée sommairement parce qu’elle a été introduite après l’expiration du délai de prescription applicable. La défenderesse invoque sur la POPA et la LAA, qui ont depuis été abrogées, pour invoquer les délais de prescription qui rendent l’action des demandeurs irrecevable.

[68]           Avant de se pencher sur la question de savoir si l’action des demandeurs est prescrite, il est nécessaire d’examiner les principes régissant le rejet sommaire d’une action. Dans la décision Granville Shipping Co. c Pegasus Lines Ltd., 1996 ACF no 481, au paragraphe 8, la juge Danièle Tremblay‑Lamer a résumé comme suit les principes applicables :

1. ces dispositions ont pour but d’autoriser la Cour à se prononcer par voie sommaire sur les affaires qu’elle n’estime pas nécessaire d’instruire parce qu’elles ne soulèvent aucune question sérieuse à instruire;

2. il n’existe pas de critère absolu […], mais le juge Stone, J.C.A. semble avoir fait siens les motifs prononcés par le juge Henry dans le jugement Pizza Pizza Ltd. c. Gillespie4. Il ne s’agit pas de savoir si une partie a des chances d’obtenir gain de cause au procès, mais plutôt de déterminer si le succès de la demande est tellement douteux que celle‑ci ne mérite pas d’être examinée par le juge des faits dans le cadre d’un éventuel procès;

3. chaque affaire devrait être interprétée dans le contexte qui est le sien […];

4. les règles de pratique provinciales (spécialement la Règle 20 des Règles [de procédure civile] de l’Ontario [R.R.O. 1990, Règl. 194]) peuvent faciliter l’interprétation […];

5. saisie d’une requête en jugement sommaire, notre Cour peut trancher des questions de fait et des questions de droit si les éléments portés à sa connaissance lui permettent de le faire (ce principe est plus large que celui qui est posé à la Règle 20 des Règles de procédure civile de l’Ontario) […]6. le tribunal ne peut pas rendre le jugement sommaire demandé si l’ensemble de la preuve ne comporte pas les faits nécessaires pour lui permettre de trancher les questions de fait ou s’il estime injuste de trancher ces questions dans le cadre de la requête en jugement sommaire […];7. lorsqu’une question sérieuse est soulevée au sujet de la crédibilité, le tribunal devrait instruire l’affaire, parce que les parties devraient être contre‑interrogées devant le juge du procès […]. L’existence d’une apparente contradiction de preuves n’empêche pas en soi le tribunal de prononcer un jugement sommaire; le tribunal doit « se pencher de près » sur le fond de l’affaire et décider s’il y a des questions de crédibilité à trancher.

[Renvois omis]

 

 

[69]           Ces principes ont récemment été analysés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Lameman, dans lequel la Cour a précisé que « les exigences auxquelles il faut satisfaire pour obtenir un jugement sommaire sont élevées ».

[70]           De plus, dans l’arrêt Succession MacNeil, précité, au paragraphe 25, la Cour d’appel fédérale a clairement indiqué que la partie qui répond à une requête en jugement sommaire est uniquement tenue « de présenter une preuve montrant qu’il existe une véritable question litigieuse ». La Cour s’est également penchée sur la question de savoir comment évaluer les éléments de preuve présentés dans le cas d’une requête en jugement sommaire. Elle a conclu qu’il suffisait qu’un affidavit soulève une question à trancher et a ajouté que la crédibilité du témoin était une question qui devait être examinée au procès (paragraphe 32). La Cour d’appel fédérale a également clairement déclaré dans l’arrêt Succession MacNeil que le tribunal ne devait pas rejeter sommairement une action trop facilement et qu’il devait être clair aux yeux du juge saisi de la requête qu’il convient de priver le demandeur de son droit à un procès (voir paragraphe 38 et l’arrêt Aguonie c Galion Solid Waste Material Inc., [1998] OJ no 459 (CAO)).

[71]           Dans le cas qui nous occupe, la Cour doit être convaincue qu’il n’existe pas de question sérieuse à trancher en ce qui concerne la question de savoir si l’action des demandeurs est prescrite.

[72]           Il me semble que la défenderesse a démontré que la présente action est prescrite tant par la POPA que par la LAA.

Dates applicables

[73]           Pour examiner correctement le délai de prescription applicable à la présente demande, il est nécessaire de préciser le moment auquel on doit présumer que les demandeurs étaient au courant de la demande.

[74]           Comme nous l’avons déjà signalé, lorsqu’elle est saisie d’une requête en jugement sommaire, la Cour doit tenir pour avérés tous les faits plaidés à l’appui de la demande. Dans leur déclaration modifiée, les demandeurs affirment que les droits que possédaient les membres initiaux sur les terres de la réserve ont été diminués par suite de l’ajout de nouveaux membres entre 1897 et 1944 ou 1945. Il me semble donc qu’au cours de cette période, les membres initiaux auraient dû être au courant que de nouveaux membres avaient été admis au sein de la réserve. À titre d’exemple, dans son affidavit, Freda Koochicum déclare ceci : [traduction] « le grand‑père et la grand‑mère de mon mari, Charlie et Minnie Koochicum, étaient deux membres initiaux qui ont été forcés de quitter leur maison située dans la partie de la réserve qui a arpentée et lotie ».

[75]           En 1956, le juge McFadden a rendu sa décision en réponse à la contestation des règles d’admission des membres. Voici ce qu’il dit au sujet de l’entente de 1911 :

[traduction] Bien que je n’aie pas réussi à trouver de disposition précise dans la Loi sur les Indiens, dans sa rédaction en vigueur à l’époque, qui autorise un accord de ce genre, il semble que l’accord a été considéré, ou plutôt, je présume qu’il a été considéré par le Ministère comme un vote général de la majorité des membres de la Bande ayant pour effet de déléguer au surintendant général le droit de désigner, de choisir ou de nommer les finissants de l’école qu’il souhaitait placer ou devenir membres de la Bande de Peepeekesis. Je regrette que le Ministère n’ait pas pris les dispositions nécessaires pour qu’un avocat comparaisse devant moi dans le cadre du présent contrôle pour parler plus particulièrement de l’entente de 1911 et, de façon générale, des autres questions qui ont été soulevées au cours de l’audience.

 

 

[76]           La décision que le juge McFadden a rendue à la suite de ce qui semble être un conflit notoire au sujet de la qualité de membre de la Bande démontre clairement que la défenderesse s’est fondée sur l’entente de 1911 pour démontrer que la Bande avait consenti à l’admission de nouveaux membres après 1911. Les demandeurs ont contesté l’entente de 1911 dans leur déclaration modifiée en faisant valoir qu’elle avait été signée sans le consentement des membres initiaux ou encore en affirmant que leur consentement avait été obtenu par fraude. Il semble évident que les membres initiaux auraient su qu’ils n’avaient pas été consultés ou qu’ils auraient été au courant des mesures qui avaient été prises pour les forcer à adhérer à l’entente de 1911. À la suite de la décision que le juge McFadden a rendue, en 1956, en tenant compte de l’ensemble du contexte du différend, les membres de la Bande devaient savoir, en raison de l’existence de ce document public, que la défenderesse se fondait sur l’entente de 1911 pour affirmer qu’ils avaient consenti à l’admission des nouveaux membres. J’estime qu’au plus tard en 1956, les éléments essentiels des prétentions des demandeurs pouvaient raisonnablement être découverts. Il ressort de la preuve que les faits à l’origine de l’action des demandeurs étaient généralement connus au sein de la communauté des demandeurs et parmi les membres de la Bande, de sorte que les demandeurs savaient de toute évidence ou auraient dû savoir au plus tard en 1956 qu’ils avaient un droit de recours.

Application des délais de prescription

[77]           Je ne crois pas qu’il soit contestable que les délais de prescription s’appliquent aux revendications autochtones (arrêt Lameman, précité, au paragraphe 13).

La POPA

[78]           L’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales dispose :

Sauf disposition contraire d’une autre loi, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent à toute instance devant la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale dont le fait générateur est survenu dans cette province.

Except as expressly provided by any other Act, the laws relating to prescription and the limitation of actions in force in a province between subject and subject apply to any proceedings in the Federal Court of Appeal or the Federal Court in respect of any cause of action arising in that province.

 

[79]           La POPA a été édictée en 1923 et est demeurée en vigueur jusqu’en 2005. À mon avis, la POPA s’applique à l’action introduite par les demandeurs.

[80]           L’article 2 de la POPA dispose :

[traduction] Personne ne peut être l’objet d’une action, d’une poursuite ou d’une autre procédure en raison d’un acte commis dans le cadre de l’application effective ou censée telle d’une loi, ou dans l’exercice d’une fonction ou d’un pouvoir public ni en raison d’une prétendue négligence ou d’un prétendu manquement dans l’application de cette loi ou encore dans l’exercice de cette fonction ou de ce pouvoir. La protection prévue ci‑dessus ne s’applique pas si l’action, la poursuite ou toute autre procédure est instituée dans les douze mois qui suivent immédiatement l’acte, la négligence ou le manquement en cause ou dans les douze mois qui suivent immédiatement la fin d’un préjudice, dans le cas où un préjudice aurait subsisté, ou dans le délai supplémentaire que le tribunal ou un de ses juges peut accorder.  

 

 

[81]           Ainsi que la défenderesse le souligne, les critères énoncés dans l’arrêt Des Champs, précité, doivent être pris en compte lorsqu’il s’agit d’analyser la POPA :

1.            La partie défenderesse est‑elle une autorité publique appartenant à la catégorie des personnes physiques ou entités visées par la protection accordée par le délai de prescription?

2.            Que faisait l’autorité publique, et dans l’exercice de quel pouvoir ou de quelle fonction? Cette information figure généralement dans les actes de procédure.

3.                  Est‑ce que le pouvoir ou la fonction invoqué pour fonder en partie la cause d’action du demandeur peut à juste titre être considéré comme ayant « une connotation ou un aspect public » ?

4.                  Est‑ce que l’activité de la partie défenderesse qui fait l’objet de la plainte est «de nature essentiellement publique» ?

5.                  Du point de vue du demandeur, est‑ce que son action ou le droit qu’il invoque peut « être corrélé » avec l’exercice, par la partie défenderesse, d’un pouvoir d’ordre public, ou avec une fonction d’ordre public?

À mon avis, l’action des demandeurs suppose, dans le cas qui nous occupe, l’exercice, par la défenderesse, d’un pouvoir ou d’une fonction d’ordre public.

[82]           La Couronne fédérale peut se prévaloir de la protection de la POPA. Il n’y a rien dans le libellé de l’article 2 qui empêche la Couronne fédérale de se réclamer de la protection de la loi. La POPA protège « un acte accompli dans l’exercice ou en vue de l’exercice d’une fonction ou d’un pouvoir prévus par la loi ou d’ordre public », ce qui est suffisamment large pour viser la Couronne fédérale.

[83]           Les demandeurs affirment que la défenderesse a manqué à son obligation fiduciaire et qu’elle a contrevenu à la Loi sur les Indiens en aliénant la réserve en procédant à un lotissement illégal en violation des articles 15 et 16 de la Loi sur les Indiens. De plus, la réserve a été aliénée par suite du fait que des personnes ont été admises illégalement au sein de la Bande, en violation de l’article 140, ainsi qu’il est prévu à l’article 8 de l’Acte ayant pour objet de modifier de nouveau l’Acte des Sauvages, SC 1895, c 35, modifiant la Loi sur les Indiens.

 

[84]           À mon avis, l’action des demandeurs est fondée sur l’ajout illicite de nouveaux membres à la liste de la Bande. À l’époque en cause, l’article 5 de la Loi sur les Indiens prévoyait ce qui suit :

Est maintenu au ministère un registre des Indiens lequel consiste dans des listes de bande et des listes générales et où doit être consigné le nom de chaque personne ayant droit d’être inscrite comme Indien.

An Indian Register shall be maintained in the Department, which shall consist of Band Lists and General Lists and in which shall be recorded the name of every person who is entitled to be registered as an Indian.

 

[85]           Indépendamment de la question de savoir si l’ajout des nouveaux membres à la liste de Bande a eu lieu d’une manière qui constituait un manquement aux obligations fiduciaires ou aux obligations découlant de traités de la défenderesse ou d’une manière qui violait les obligations que lui impose la Loi sur les Indiens, la défenderesse s’acquittait de son devoir public de gérer et d’administrer la réserve et de dresser la liste de la Bande et de la tenir à jour. Ainsi qu’il a été établi dans l’arrêt Deschamps, précité :

L’expression « dans l’exercice ou en vue de l’exercice d’une fonction ou d’un pouvoir prévu par la loi ou d’ordre public » (je souligne) a pour effet de limiter la protection aux pouvoirs et fonctions de nature publique et permet de conclure, par inférence, qu’une autorité publique peut fort bien avoir d’autres fonctions ou pouvoirs qui sont essentiellement de nature privée. Pour distinguer ces éléments publics et privés, il faut, suivant le principe général, interpréter strictement le texte de l’art. 7 à l’encontre de la partie qui invoque la protection spéciale de cette disposition. Pour ce faire, le tribunal est inévitablement appelé à tracer une ligne de démarcation, ce qui l’oblige à examiner la nature du pouvoir ou de la fonction confiés par la loi à l’autorité publique poursuivie, ainsi que la nature du comportement dont se plaint le demandeur.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[86]           À mon avis, lorsqu’ils ont créé et administré la Colonie File Hills, les représentants fédéraux agissaient conformément à la Loi sur les Indiens ou encore à leurs obligations publiques. La Colonie File Hills a été créée dans le but d’y offrir la formation déjà dispensée dans les écoles industrielles et les pensionnats et d’améliorer les conditions de vie dans la réserve.

[87]           Je suis d’accord avec la défenderesse pour dire que l’on peut à juste titre considérer que le pouvoir ou le devoir du Canada de gérer et d’administrer la réserve comporte « des aspects ou une connotation publique » par opposition à une entreprise privée. Les activités en question ne pourraient être exécutées par des particuliers. Si l’on se place du point de vue des demandeurs, l’action concerne directement la présumée violation d’une obligation publique par le Canada. L’activité découlait directement du mandat que la loi confie au Canada de gérer et d’administrer la réserve, la liste des bandes et les biens de la réserve.

[88]           Il s’ensuit donc que la POPA rend l’action des demandeurs irrecevable à moins que ces derniers puissent se prévaloir de l’exception prévue au paragraphe 2(1) de la POPA.

[89]           Pour se prévaloir de l’exception prévue au paragraphe 2(1), il incombe aux demandeurs de démontrer :

1.                  qu’il y a, à première vue, matière à procès,

2.                  qu’ils peuvent fournir une explication raisonnable pour justifier le retard;

3.                  que la défenderesse ne subira aucun préjudice si le tribunal permet à la demande de suivre son cours.

[90]           La défenderesse affirme que les demandeurs n’ont aucune question véritable à juger et que, par conséquent, il n’y a pas, à première vue, matière à procès.

[91]           La défenderesse affirme également que les demandeurs n’ont présenté aucune explication raisonnable pour justifier le retard qu’ils ont mis à introduire leur action, ajoutant que la défenderesse subit un préjudice en raison de l’écoulement du temps, de la perte des documents pertinents et du décès d’éventuels témoins. Plus d’une centaine d’années se sont écoulées depuis que le premier des faits à l’origine du litige s’est produit. Des documents, tels que la pétition à l’origine du deuxième vote à l’issue duquel la Bande a consenti à la signature de l’entente de 1911, ne peuvent être retrouvés. Tous les témoins sont décédés.

[92]           En plus d’affirmer que les actes en question n’ont pas été accomplis dans le but de réaliser les objectifs d’une loi, ou pour accomplir une obligation ou un pouvoir public, les demandeurs affirment que :

a.                   le délai de prescription légal prévu au paragraphe 2(1) de la POPA ne s’applique pas à la présente action, étant donné que le préjudice ou les dommages dont les demandeurs se plaignent existent toujours. L’action est fondée sur l’élaboration et la mise en œuvre du plan de colonisation en vertu duquel les membres initiaux de la Bande ont été privés de l’utilisation et du bénéfice de la réserve qui avait été créée à leur profit, et, dans le cas des membres que l’on a installés dans la réserve, à la privation de leur droit d’utiliser de jouir de la réserve originale ainsi que des avantages notamment d’ordre culturel que leur procurait leur appartenance à leurs bandes d’origine;

b.                  à titre subsidiaire, le délai imparti pour introduire la demande devrait être prorogé jusqu’à la date à laquelle la déclaration a été déposée, conformément à le paragraphe 2(1) de la POPA;

c.                   le délai imparti pour introduire l’action devrait être prorogé étant donné que la défenderesse s’est livrée à un comportement qui équivaut à une fraude en equity et qu’elle a agi de façon déraisonnable dans la façon dont elle a traité la Bande au point de dissimuler de façon frauduleuse l’existence du droit de recours des demandeurs.

Violation continue

[93]           Si les arguments invoqués par les demandeurs au sujet de la violation continue étaient acceptés en l’espèce, il n’y aurait à mon avis aucune limite en ce qui concerne le moment où ils pourraient introduire leur demande et le concept de la prescription perdrait tout son sens.

[94]           Je crois que la Cour suprême du Canada a traité du genre d’argument que soulèvent les demandeurs pour affirmer qu’il y a violation continue dans l’arrêt Bande indienne Wewaykum c Canada, [2002] 4 RCS 245, au paragraphes 134 à 137 :

Les appelantes affirment que, chaque jour où une bande est privée de la possession de la réserve de l’autre, un nouveau manquement est commis, lequel fait naître une nouvelle cause d’action. Il s’ensuivrait que leur action respective n’est pas encore prescrite (et ne pourra jamais l’être). Par exemple, on peut lire ceci au par. 111 du mémoire de la bande de Campbell River :

 

[traduction] Le fait que la bande de Campbell River a légalement droit à la réserve Quinsam depuis 1938, au plus tard, lui confère un droit qu’elle peut aujourd’hui demander aux tribunaux de faire respecter. Deux autres conséquences découlent de ce fait : (1) l’obligation de fiduciaire qu’a la Couronne de protéger contre l’aliénation le droit de la bande de Campbell River sur sa réserve a également subsisté depuis l’adoption des dispositions législatives; (2) la bande de Cape Mudge commet une intrusion permanente depuis qu’elle a pris possession de la réserve Quinsam. Les deux fautes se répètent chaque jour, causant chaque fois un nouveau préjudice.

 

La bande de Cape Mudge avance des arguments analogues au par. 98 de son mémoire.

 

Il va de soi que l’objet poursuivi par le législateur en fixant des délais de prescription serait forcément contrecarré si cette thèse était retenue. Les fiduciaires, en particulier, ne connaîtraient jamais la tranquillité d’esprit. À mon avis, un tel résultat n’est pas compatible avec l’intention du législateur. Le paragraphe 3(4) cité plus tôt vise [traduction] « [t]oute autre action non expressément régie » et précise qu’elle se prescrit par six ans « à compter de la date à laquelle a pris naissance le droit de l’intenter ». Les deux bandes devaient intenter leur action au plus tard en 1943, date à laquelle le ministère des Affaires indiennes a finalement modifié le répertoire des réserves pertinent. Après cette date, aucun acte prétendument préjudiciable ne s’est répété. Le dommage (si dommage il y a eu) était fait. Il n’y a, dans les circonstances de la présente affaire, rien qui ait pour effet de relever les appelantes de l’obligation générale qui incombe à tous les plaideurs d’ester en justice au moment pertinent ou de se taire à jamais.

 

De même, le « délai ultime de prescription » édicté au par. 8(1) court [traduction] « à compter de la date à laquelle a pris naissance le droit [d’intenter l’action] ». Tous les éléments nécessaires des causes d’action invoquées en l’espèce auraient pu être plaidés plus de 30 ans avant la date à laquelle les actions ont finalement été intentées. Le juge de première instance a conclu qu’aucune nouvelle cause d’action n’avait pris naissance au cours de la période de 30 ans. Comme aucune des exceptions prévues par la loi n’est applicable, c’est le « délai ultime de prescription » de 30 ans qui s’applique en raison de son incorporation au droit fédéral.

 

Cette conclusion concorde avec les décisions rendues sur ce point dans les affaires Bande indienne de Semiahmoo c. Canada, [1998] 1 C.F. 3 (C.A.), le juge en chef Isaac, par. 63; Costigan c. Ruzicka, (1984), 13 D.L.R. (4th) 368 (C.A. Alb.), p. 373‑374; Bande indienne de Lower Kootenay c. Canada, (1991), 42 F.T.R. 241; Première nation de Fairford c. Canada (Procureur général), [1999] 2 C.F. 48 (1re inst.), par. 295‑299.

 

 

[95]           Des questions semblables ont également été examinées dans l’affaire McCallum c Canada (Attorney General), 2010 SKQB 42, [2010] SJ no 112, aux paragraphes 28 à 49. Je vais revenir à cette décision plus loin lors de mon examen de la LAA.

Acte privé et non public

[96]           Comme je l’ai déjà expliqué, je ne crois pas que la preuve appuie l’argument des demandeurs suivant lequel les présumés agissements de la Couronne étaient intrinsèquement de nature privée et non de nature publique. Il ne s’agissait pas d’actes [traduction] « à caractère administratif ou interne » au sens de la décision AK c Canada (Attorney General), [2003] SJ no 49 (paragraphe 18). Il s’agit en l’espèce de fonctionnaires (en particulier de M. Graham) agissant en leur qualité officielle et cherchant à installer de nouveaux membres dans la réserve des demandeurs et qui devaient recourir à des moyens juridiques et officiels pour procéder à la réinstallation des nouveaux membres. À mon avis, ces actes ne peuvent être dissociés du mandat public des fonctionnaires (AK, paragraphe 19, et Deschamps, paragraphe 56).

Fraude reconnue en equity

[97]           Je ne crois pas que les demandeurs ont établi le bien‑fondé de leur moyen tiré de la fraude en equity et du comportement inique de manière à obtenir la prorogation du délai qui leur est imparti pour introduire leur demande en vertu de le paragraphe 2(1) de la POPA.

[98]           Pour commencer, je crois que l’arrêt Authorson (Litigation Administrator of) c Canada (Attorney General), 2007 ONCA 501, de la Cour d’appel de l’Ontario donne des pistes utiles au sujet du fardeau dont il faut s’acquitter pour établir l’existence d’une fraude reconnue en equity dans le contexte d’une relation fiduciaire :

[traduction] En principe, il incombe à quiconque avance une proposition d’en établir le bien‑fondé et, dans le contexte de la règle de la possibilité de découvrir le dommage, il incombe au demandeur de démontrer que la cause d’action ne pouvait être découverte (Mikisew Cree Band c. Canada, [2002] A.J. no 596 (C.A.) au paragraphe 83). Nous ne connaissons aucun précédent qui appuie la proposition que la charge de la preuve est inversée lorsque la question de la possibilité de découvrir le dommage se pose dans le cadre d’une relation fiduciaire. Affirmer que la norme de diligence exigée de la personne « lésée » peut être atténuée dans les cas où cette personne a le droit de se fier à un tiers – comme le juge Southey l’a affirmé dans Public Trustee c. Mortimer – ne revient pas au même. Bien qu’il soit logique de s’ajuster au degré de preuve auquel le demandeur est astreint, selon les circonstances, pour s’acquitter du fardeau de la preuve en ce qui concerne la règle de la possibilité de découvrir le préjudice, l’inversion du fardeau de la preuve n’est pas justifiée. S’agissant d’une question comme celle de la possibilité de découvrir le préjudice – suivant laquelle on se demande ce que le demandeur savait au sujet de la réclamation, à quel moment il l’a su et quelles mesures il a pris pour y donner suite –, il serait pour le moins difficile pour celui qui fait l’objet de l’inversion du fardeau d’établir ces facteurs, voire peu probable qu’il réussisse à le faire. Le fait qu’un fiduciaire a l’obligation de tenir le bénéficiaire informé n’a aucune incidence sur cette question.

 

 

[99]           Je suis d’accord avec la défenderesse pour dire que la fraude reconnue en equity signifie dans le cas qui nous occupe qu’il existe une cause d’action du fait que des renseignements ont été dissimulés. La Cour suprême du Canada s’est penchée sur la question du type de dissimulation frauduleuse exigé. Dans l’arrêt Guerin c Canada, [1984] 2 RCS 335, la Cour déclare, à la page 390 :

Il est bien établi qu’en cas de dissimulation frauduleuse de l’existence d’une cause d’action, le délai de prescription ne commence à courir qu’à partir du moment où le demandeur découvre la fraude, ou du moment où, en faisant preuve de diligence raisonnable, il aurait dû la découvrir. Il n’est pas nécessaire que la dissimulation frauduleuse requise pour interrompre ou suspendre l’application de la loi constitue une tromperie ou une fraude de common law. Il suffit qu’il y ait fraude d’equity qui est définie, dans la décision Kitchen v. Royal Air Force Association, [1958] 1 W.L.R. 563, comme [traduction] « une conduite qui, compte tenu de la relation spéciale qui existe entre les parties concernées, est fort peu scrupuleuse de la part de l’une envers l’autre ». Je partage l’avis du juge de première instance selon lequel la conduite de la direction des Affaires indiennes à l’égard de la bande équivaut à une fraude d’equity. Même si les fonctionnaires de la Direction n’ont pas agi de façon malhonnête ou blâmable en cachant à la bande les conditions du bail, j’estime néanmoins que leur conduite a été peu scrupuleuse, compte tenu du rapport fiduciaire qui existe entre la Direction et la bande. Par conséquent, le délai de prescription n’a commencé à courir qu’à partir de mars 1970. Il s’ensuit que, lorsqu’elle a été intentée le 22 décembre 1975, l’action n’était pas prescrite.

[100]       Le concept de la fraude reconnue en equity dans le contexte des délais de prescription a par ailleurs été examiné par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Bande indienne de Semiahmoo c Canada, [1998] 1 CF 3, au paragraphe 72:

Je n’accepte pas l’argument des appelants selon lequel chaque fois qu’elle a omis de répondre franchement à une demande de renseignements présentée par la bande, l’intimée a commis une nouvelle fraude en equity, laquelle donnait lieu à une nouvelle cause d’action. On ne peut pas examiner séparément la question de la fraude en equity et celle de l’application appropriée des délais de prescription. À mon avis, interpréter chaque interaction entre la Couronne et la bande comme une fraude distincte commise par la Couronne créerait une réalité incohérente. Il s’agit d’une tentative en vue de donner indirectement effet au concept du manquement continu à une obligation fiduciaire et de contourner complètement la question des délais de prescription. La question de la juste application des délais de prescription dans les circonstances de la présente espèce doit plutôt être examinée de front. Par conséquent, compte tenu de la relation spéciale qui existe entre la Couronne et la bande et de la conduite de la Couronne, il s’agit de savoir à quel moment la bande aurait dû être en mesure d’invoquer une cause d’action. Il s’agit d’un critère objectif qui est particulièrement pertinent dans le contexte du paragraphe 6(3) de la Limitation Act de la Colombie‑Britannique. 

 

 

[101]       Il importe par ailleurs, en l’espèce, de tenir compte de la mise en garde formulée par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Authorson, précité, au paragraphe 134 :

[traduction] À notre avis, rien de tout cela n’équivaut à une dissimulation suffisamment grave pour faire jouer l’exception relative à la fraude reconnue en equity eu égard aux circonstances de l’espèce. On ne peut assurer de façon efficace l’ordre public que si l’on permet aux représentants du gouvernement de tenir compte de toutes les options légitimes s’offrant à eux dans le cadre d’un débat ouvert et non restreint. Les tribunaux ne doivent pas conclure que le gouvernement a mal agi simplement en raison des fluctuations des échanges que des fonctionnaires publics ont entre eux au sujet de questions légitimes de politique.

 

 

[102]       Après avoir examiné les éléments de preuve présentés par les demandeurs au sujet de la fraude reconnue en equity et de la dissimulation, j’estime qu’un nombre important des allégations qu’ils formulent ne sont tout simplement pas appuyées par un fondement factuel convaincant. Ainsi que la défenderesse l’affirme, il existe de nombreux éléments de preuve documentaire démontrant que les faits à l’origine de l’action des demandeurs étaient généralement connus au sein de la collectivité des demandeurs et parmi les membres de la Bande, de sorte que les demandeurs savaient de toute évidence, ou auraient raisonnablement dû savoir, qu’ils pouvaient exercer un recours dès 1944, et certainement à partir de 1956. Aucune explication raisonnable n’a été fournie pour expliquer le retard.

[103]       J’accepte également que la défenderesse subira un préjudice en raison de l’écoulement du temps. Le témoignage des membres initiaux décédés aurait été très utile pour répondre aux moyens invoqués par les demandeurs, en particulier ceux ayant trait au consentement qu’ils ont donné à l’entente de 1911. Même si ces éléments de preuve auraient pu être présentés par d’autres moyens, la défenderesse ne peut contre‑interroger les témoins en question. Dans l’ensemble, je ne suis pas convaincu que je devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire de manière à proroger le délai imparti pour introduire la demande en vertu du paragraphe 2(1) de la POPA.

[104]       Le fondement de l’action des demandeurs pouvait, au plus tard, être découvert en 1956, comme nous l’avons déjà expliqué. Si l’on accorde aux demandeurs l’avantage du délai de prescription le plus long prévu par la POPA, force est de conclure, vu l’ensemble des faits portés à l’attention de la Cour, que leur action était prescrite au plus tard en 1958.

La Limitations of Actions Act

[105]       On peut dire à peu près la même chose de la LAA. Les demandeurs affirment qu’en se fondant sur la décision Bande indienne de Semiahmoo, précitée, et sur le comportement de la défenderesse, ils ne pouvaient connaître le fondement de leur action en justice tant qu’ils n’étaient pas mis au courant des divers faits identifiés au cours des recherches qu’ils ont menées après avoir soumis leur demande initiale et probablement pas avant de pouvoir se procurer des copies de la transcription des enquêtes Trelenberg et McFadden. Les demandeurs soutiennent que ce n’est qu’à ce moment‑là que l’on pouvait affirmer qu’ils étaient en mesure de considérer que la demande de la bande avait « une chance raisonnable d’être accueillie ».

[106]       Je ne crois tout simplement pas que la preuve appuie cette position. Comme je l’ai déjà expliqué, l’action des demandeurs et toutes ses répercussions pouvaient être découverts au plus tard en 1956.

[107]       Les alinéas 3(1)e), f), g), h), j) et l’article 12 de la LAA s’appliquent éventuellement à l’action des demandeurs selon la façon dont elle est formulée. Le délai de prescription le plus long prévu par ces dispositions est de dix ans. Une cause d’action prend naissance, aux fins de la prescription, lorsque les faits importants sur lesquels repose cette cause d’action ont été découverts par le demandeur ou auraient dû l’être s’il avait fait preuve de diligence raisonnable. À mon avis, il ressort de la preuve que les demandeurs comprenaient clairement ou auraient dû comprendre, en faisant preuve de diligence raisonnable, les faits importants à l’appui de leur cause en 1948 ou en 1956 au plus tard.

[108]       On s’attend à ce que les demandeurs agissent avec diligence et ne « tardent pas à faire valoir leurs droits » (M(K) c M(H), [1992] 3 RCS 6 (QL), au paragraphe 24). Le moment le plus tardif où les demandeurs auraient dû introduire leur demande remonte en 1966, en supposant que c’est le délai de prescription de dix ans prévu au paragraphe 12(1) de la LAA qui s’applique à leur cas. Le délai de prescription de dix ans prévu à l’article 12 est le délai le plus long prévu par la LAA, de sorte que même si c’est un autre article de la LAA qui s’applique dans leur cas, leur action sera quand même prescrite.

Dispositif

[109]       J’en arrive à la conclusion que, même si elle n’a pas démontré le bien‑fondé de sa requête en radiation de la demande fondée sur l’article 221, la défenderesse a réussi à démontrer qu’il y avait lieu de prononcer le rejet sommaire de l’action en vertu de l’article 215 des Règles étant donné que, comme l’action est prescrite en vertu de la POPA et/ou de la LAA, il n’y a aucune véritable question litigieuse. Les demandeurs n’ont pas démontré que je devrais exercer le pouvoir discrétionnaire que me confère le paragraphe 2(1) de la POPA de manière à proroger le délai imparti pour déposer leur demande et je refuse donc de prendre cette mesure.


JUGEMENT

 

LA COUR :

 

1.                  ORDONNE que la défense modifiée soit de nouveau modifiée de manière à ajouter comme moyen de défense à l’action le paragraphe 2(1) de la Public Officers’ Protection Act et l’alinéa 3(1)j) de la Limitation of Actions Act;

2.                  REJETTE l’action de manière sommaire au motif que les délais de prescription applicables à la présente action sont depuis longtemps expirés en vertu de la Public Officers’ Protection Act et/ou de la Limitation of Actions Act;

3.                  ADJUGE les dépens de la présente requête et de l’action à la défenderesse.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1068‑92

 

INTITULÉ :                                                  LA BANDE DE PEEPEEKISIS, représentée par le CHEF ENOCH POITRAS, DWIGHT PINAY, ARTHUR DESNOMIE, ALLAN BIRD, JAMES POITRAS, PERRY McLEOD, CLARENCE McNABB et LAWRENCE DEITER, CHEF ET CONSEILLERS DE LA BANDE DE PEEPEEKISIS no 81

 

                                                                        ‑ et ‑

 

                                                                        SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, représentée par LE MINISTRE DES AFFAIRES AUTOCHTONES ET DU DÉVELOPPEMENT DU NORD CANADIEN

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Saskatoon (Saskatchewan)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 18 avril 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 19 juillet 2012

 

 

ONT COMPARU :

 

Thomas J. Waller

POUR LES DEMANDEURS

 

Karen Jones

Sarah Jane Harvey

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Olive Waller Zinkhan & Waller LLP

Avocats

Regina (Saskatchewan)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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