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Date : 20120628

Dossier : T-157-11

Référence : 2012 CF 824

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 juin 2012

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

 

REYNOLDS CONSUMER PRODUCTS, INC.

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

 

P.R.S. MEDITERRANEAN LTD.

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

« Oh! quelle toile enchevêtrée nous tissons, quand nous nous mettons à pratiquer le mensonge! »

Sir Walter Scott (1808)

 

[1]               La demanderesse est l’inscrivante au Canada de la marque de commerce nominale GEOWEB employée en liaison avec les marchandises suivantes : « Feuilles de toilage fort en bandes de plastique pour couche de base de route et de soutien du sol, qui servent à construire des chaussées et à empêcher leur érosion. » L’Office de la propriété intellectuelle du Canada a, par la suite, enregistré la marque de commerce NEOWEB pour un emploi en liaison avec le même type de marchandises.

 

[2]               Il s’agit d’une demande présentée afin que la Cour, conformément à l’article 57 de la Loi sur les marques de commerce, ordonne que l’inscription NOEWEB figurant au registre des marques de commerce soit biffée parce qu’elle « n’exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque », à savoir la défenderesse, P.R.S. Mediterranean Ltd. (P.R.S.).

 

[3]               Selon la demanderesse américaine, que j’appellerai Presto (le nom sous lequel elle commercialise GEOWEB), la défenderesse israélienne, P.R.S., qui a déjà été sa distributrice et qui est maintenant sa concurrente, a délibérément choisi la marque NEOWEB pour créer de la confusion sur le marché et s’est livrée elle‑même ou par l’entremise de ses licenciés à de la publicité fausse et trompeuse de façon à donner l’impression que son produit, NEOWEB, avait déjà été connu sous le nom de GEOWEB. La mauvaise foi est alléguée.

 

LES FAITS

 

[4]               L’activité principale des parties est la fabrication de systèmes de confinement cellulaire, communément appelés géocellules. Selon un article publié sur Wikipédia, auquel on attribue une certaine crédibilité puisqu’il a été joint à l’affidavit de Gary Bach, gestionnaire du service administratif de Presto depuis bon nombre d’années, ces systèmes servent généralement à protéger le sol contre l’érosion, à stabiliser le sol sur des terrains plats et des pentes raides, à renforcer la structure pour supporter des charges et à retenir la terre. Ils consistent habituellement en des bandes de polyéthylène haute densité ou d’alliage soudées par ultrasons qui sont étendues sur le sol de manière à former une structure de type alvéolaire pouvant être remplie de sable, de terre ou de tout autre matériau. La recherche et l’élaboration initiales ont été réalisées par l’United States Army Corps of Engineers, qui mettait à l’épreuve la faisabilité de construire des voies d’approche de pont tactique sur des sols meubles.

 

[5]               Presto a enregistré sa marque nominale GEOWEB au Canada en janvier 2001, faisant valoir qu’elle était employée dans ce pays depuis au moins août 1993. Cette marque avait été enregistrée aux États‑Unis en juillet 1985. P.R.S. a été une licenciée et une distributrice de produits GEOWEB pendant cinq ans à compter de 1996. Un désaccord entre les parties a mené à une action en justice qui a fait l’objet d’un règlement dans le cadre duquel le contrat de licence a été prolongé jusqu’en 2006. Aucune des parties n’a jugé indiqué de produire une copie de la version originale du contrat de licence ou d’une version modifiée de celui‑ci, ni de préciser où l’action avait été intentée ou même si P.R.S. était une licenciée, exclusive ou non, au Canada.

 

[6]               Quoi qu’il en soit, P.R.S. est devenue une concurrente de la demanderesse. Ses géocellules, destinées à être utilisées comme couche de base routière et soutènement de terrains, notamment pour les infrastructures routières et ferroviaires, servent également à lutter contre l’érosion et à stabiliser les talus. Sa demande concernant la marque de commerce nominale NEOWEB a été produite au Canada en août 2007 et cette marque a été enregistrée en octobre 2010. Bien que la description de ses marchandises soit plus longue que celle de GEOWEB, elle revient réellement à la même chose : des toiles polymériques tridimensionnelles destinées à la stabilisation du sol et de la terre et servant de systèmes de confinement cellulaire.

 

[7]               Le produit de P.R.S. a peut‑être été amélioré avec le temps, mais il était pratiquement identique à celui de Presto à l’origine.

 

[8]               Presto fait grand état du fait que certains des documents promotionnels de P.R.S. semblent être tirés intégralement des siens, que certains des documents de P.R.S. ou de ses licenciés indiquent que NEOWEB est en fait GEOWEB et que le site Web de P.R.S. a été conçu de façon à créer de la confusion.

 

[9]               Avant d’examiner le fond de la présente demande, il importe d’avoir à l’esprit ce que celle‑ci n’est pas. La présente demande n’est pas une action en commercialisation trompeuse visée à l’article 7 de la Loi, ni une action en contrefaçon d’une marque de commerce. Peut‑être que la défenderesse avait l’intention de tromper, peut‑être qu’elle ne l’avait pas. Son intention est sans importance. Ce qu’il faut déterminer, c’est s’il existe une probabilité de confusion, non si la défenderesse avait l’intention de créer de la confusion. Comme la Cour d’appel fédérale l’a dit dans Toyota Jidosha Kabushiki Kaisha c Lexus Food Inc (CA), [2001] 2 CF 15 au paragraphe 11, 264 NR 158 : « Il n’existe pas de doctrine de mens rea dans le domaine des marques de commerce. »

 

[10]           Par ailleurs, la défenderesse soutient que la marque de commerce GEOWEB a été peu employée au Canada, voire pas du tout. Ce fait, s’il est établi, n’a pas une grande importance car il ne s’agit pas en l’espèce d’une demande visée à l’article 45 de la Loi dans le cadre de laquelle le propriétaire inscrit doit faire la preuve de l’emploi, à défaut de quoi il perdra le bénéfice de l’enregistrement.

 

[11]           La défenderesse fait valoir en outre que son produit est meilleur. C’est peut‑être le cas, mais la qualité de son produit, comparée à la qualité du produit de Presto, n’a aucune incidence en l’espèce pour les motifs exposés plus loin. La présente affaire a trait à la probabilité de confusion, rien de plus, rien de moins.

 

L’INSTANCE

 

[12]           Le 4 février 2011, Presto a déposé un avis de demande afin que la Cour, conformément à l’article 57 de la Loi, ordonne que l’inscription NEOWEB soit biffée parce qu’elle « […] n’exprim[ait] ou ne défini[ssait] pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque ».

 

[13]           Il faut garder les trois dates suivantes à l’esprit :

 

a.       février 2007 : la date de premier emploi de NEOWEB au Canada qui est revendiquée. Presto affirme que, selon les articles 16 et 18 de la Loi, la défenderesse n’avait pas droit à l’enregistrement de NEOWEB parce que cette marque créait alors de la confusion avec GEOWEB, laquelle était déjà employée au Canada;

 

b.      25 octobre 2010 : la date à laquelle la marque de commerce NEOWEB a été enregistrée, parce que cette marque créait de la confusion avec la marque de commerce GEOWEB qui avait déjà été enregistrée (alinéa 18(1)a) de la Loi);

 

c.       4 février 2011 : la date de la présente demande, parce que la marque de commerce n’était pas distinctive au sens de l’article 2 et de l’alinéa 18(1)b) de la Loi à cette date.

 

[14]           Bien qu’il y a ait certaines indications de l’emploi de la marque de commerce NEOWEB au Canada entre 2007 et 2011, je considère qu’il s’agit d’une preuve marginale et de peu de valeur lorsqu’il faut déterminer si cette marque crée de la confusion avec la marque de commerce GEOWEB au sens de l’article 6 de la Loi. Aucune distinction ne doit être relevée en l’espèce entre 2007 et 2011.

 

[15]           Il faut déterminer si, aux termes de l’article 6 de la Loi, l’emploi des deux marques de commerce serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale. Les marchandises sont de la même catégorie générale en l’espèce.

 

[16]           Le paragraphe 6(5) de la Loi prévoit les facteurs dont il faut tenir compte en l’espèce :

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

 

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

 

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

 

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

 

d) la nature du commerce;

 

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

 

(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

 

 

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

 

 

 

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

 

 

(c) the nature of the wares, services or business;

 

(d) the nature of the trade; and

 

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

 

[17]           Trois arrêts récents de la Cour suprême du Canada, qui nous rappellent que le rôle traditionnel des marques de commerce est de différencier les marchandises d’un propriétaire de celles d’un autre, nous éclairent en l’espèce : Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22, [2006] 1 RCS 772, Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, [2006] 1 RCS 824, et Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc, 2011 CSC 27, [2011] 2 RCS 387.

 

[18]           Le juge Rothstein a dit ce qui suit au sujet de la confusion au paragraphe 40 de Masterpiece :

Il est utile, en commençant l’analyse relative à la confusion, de se rappeler le critère prévu dans la Loi. Dans Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, [2006] 1 R.C.S. 824, par. 20, le juge Binnie a reformulé la démarche traditionnelle de la façon suivante :

Le critère applicable est celui de la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé la vue [de la marque], alors qu’il n’a qu’un vague souvenir des marques de commerce [antérieures] et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques.

 

Le juge Binnie renvoie avec approbation aux propos tenus par le juge Pigeon dans Benson & Hedges (Canada) Ltd. c. St. Regis Tobacco Corp., [1969] R.C.S. 192, p. 202, pour faire ressortir ce qu’il ne faut pas faire, à savoir un examen minutieux des marques concurrentes ou une comparaison côte à côte.

 

[19]           Ces arrêts nous indiquent qu’il faut établir un équilibre en tenant compte du consommateur qui pourrait être intéressé par les marchandises en question et la qualité des marchandises en tant que telles. L’équilibre en question ressemble à la philosophie d’Aristote, de Thomas d’Aquin et de John Locke selon laquelle la vertu est la recherche du juste milieu ou, si vous préférez, au porridge de Boucle d’Or qui n’était ni trop chaud ni trop froid. Comme la Cour suprême du Canada l’a indiqué dans Mattel, aux paragraphes 56 à 58, nous ne devrions pas, à l’égard de la confusion, adopter le point de vue de l’acheteur prudent et diligent, ni celui du « crétin pressé ». Il faut accorder une certaine confiance au consommateur moyen et comprendre qu’il ne prend pas chacune de ses décisions d’achat avec le même degré d’attention. Ainsi, il prend plus de précautions lorsqu’il achète une voiture que lorsqu’il achète un tube de dentifrice.

 

[20]           Au paragraphe 67 de Masterpiece, le juge Rothstein a confirmé que, bien que les consommateurs qui sont à la recherche de biens onéreux soient moins susceptibles de confondre des marques de commerce, le critère demeure celui de la « première impression ». Il a poursuivi au paragraphe 70 :

Cette question porte principalement sur l’attitude du consommateur qui s’apprête à faire un achat. Or, l’examen convenable de la nature des marchandises, des services ou de l’entreprise en cause doit tenir compte du fait que la probabilité que des marques de commerce créent de la confusion peut être moins grande lorsque le consommateur est à la recherche de marchandises ou de services importants ou onéreux. Il n’en demeure pas moins que cette probabilité moins grande est toujours fondée sur la première impression du consommateur lorsqu’il voit les marques en question. Le consommateur à la recherche de marchandises ou de services onéreux pourra n’avoir qu’un vague souvenir d’une marque de commerce qu’il a déjà vue, et il portera probablement un peu plus attention à la marque de commerce qui identifie les marchandises ou services qu’il est en train d’examiner, notamment quant aux similitudes ou différences entre cette marque et celle déjà vue. Comme l’a affirmé le juge Binnie dans Mattel, les marques de commerce sont des raccourcis offerts aux consommateurs. Cette affirmation s’applique peu importe que les consommateurs soient à la recherche de marchandises ou de services plus ou moins onéreux.

 

[21]           En ce qui concerne le paragraphe 6(5) de la Loi, on peut éliminer sans risque, à mon avis, les alinéas b), c) et d) en l’espèce.

 

[22]           Outre la revendication contenue dans la demande relative à GEOWEB considérée à première vue, il n’y a aucune preuve d’emploi au Canada. Le président de P.R.S., M. Erez, a déclaré dans son témoignage que la société n’avait jamais vendu un seul produit GEOWEB au Canada. Toutefois, comme il a été indiqué précédemment, il n’est pas clair qu’elle était autorisée par une licence à vendre des produits GEOWEB au Canada, ou si elle l’était, si elle était une simple distributrice de ces produits. Certains éléments de preuve établissent par contre l’emploi de la marque NEOWEB. Il y a eu une expédition de produits NEOWEB, cette marque était présente lors de salons professionnels et d’autres activités de ce genre. NEOWEB a tout au plus un léger avantage.

 

[23]           Les marchandises, l’entreprise et le commerce des deux sociétés sont similaires. P.R.S. prétend que la dernière version de son produit est meilleure, mais la preuve n’indique pas que ce produit est destiné à des consommateurs différents et mieux informés, ou qu’il coûte plus cher.

 

[24]           À mon avis, le test en matière de confusion se limite dans la présente affaire aux circonstances de l’espèce, y compris les alinéas 6(5)a) et e). Mon examen ne porte, en ce qui concerne l’alinéa 6(5)a), que sur « le caractère distinctif inhérent des marques de commerce », car je ne suis pas convaincu qu’il a été établi que GEOWEB ou NEOWEB était mieux connue que l’autre.

 

LE CARACTÈRE DISTINCTIF ET LA RESSEMBLANCE

 

[25]           En ce qui concerne le caractère distinctif inhérent et la ressemblance, les marques GEOWEB et NEOWEB sont formées d’un seul mot composé d’un préfixe et d’un suffixe. Les suffixes sont identiques dans les deux cas : « web ». La seule différence dans le préfixe de trois lettres est le fait que l’un commence par « G » et l’autre par « N ».

 

[26]           Il n’est pas contesté que le préfixe « geo » renvoie à la terre. En fait, selon le Canadian Oxford Dictionary, ce préfixe trouve son origine dans le mot grec signifiant « terre ». Il n’est pas contesté non plus que le mot « neo », qui vient aussi du grec, signifie « nouveau ». Le terme « web » peut être employé dans plusieurs contextes. Ce terme anglais désigne la toile tissée par une araignée pour capturer sa proie. Il est employé aussi dans des expressions comme « World Wide Web » et dans l’expression anglaise « web of deceit » (tissu de mensonges).

 

[27]           Aucun n’est un mot créé par ordinateur, comme Exxon, et, en tant que marque, ne peut être considéré comme ayant une force particulière étant donné qu’il peut être employé dans un grand nombre de contextes.

 

[28]           J’estime qu’aucune des deux marques de commerce n’a un caractère distinctif inhérent. Comme les deux ont le même suffixe, nous devons nous intéresser au préfixe. Il a été mentionné précédemment cependant qu’aucun préfixe n’est particulièrement distinctif lorsqu’il est employé avec le mot « web ». Le juge Cattanach a souligné dans Conde Nast Publications Inc c Union des Éditions Modernes (1979), 46 CPR (2d) 183, au paragraphe 34, [1979] 3 ACWS 320 : « Il est évident que le premier mot ou la première syllabe d’une marque de commerce est celui ou celle qui sert le plus à établir son caractère distinctif. » Voir aussi Ratiopharm Inc c Laboratoires Riva Inc, 2006 CF 889, 297 FTR 219.

 

[29]           Les parties ont aussi produit une preuve démontrant que « geo » et « web » sont employés par d’autres dans la même industrie. À mon avis, on ne peut pas démontrer qu’un consommateur désireux d’acheter des marchandises GEOWEB penserait que les marchandises NEOWEB proviennent de la même source. Dans Kellogg Salada Canada Inc c Canada (Registraire des marques de commerce) (CA), [1992] 3 CF 442, 43 CPR (3d) 349, il était question d’une opposition à l’enregistrement de la marque « Nutri‑Vite » employée en liaison avec des produits céréaliers et des produits alimentaires à base de légumes destinés à être utilisés comme aliment pour le petit déjeuner et pour le goûter. Les opposants se fondaient sur leurs enregistrements des marques Nutri‑Max et Nutri‑Fibre pour des aliments de santé. S’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale, le juge Stone a dit ce qui suit à la page 455 :

On a jugé que la présence d’un élément commun dans les marques de commerce a une grande incidence sur la question de la confusion, comme l’a exprimé le Contrôleur général dans l’affaire Re Harrods Ltds. Appl’n, précitée, à la page 70 :

 

[traduction] C’est maintenant un principe reconnu, dont il faut tenir compte pour déterminer la possibilité de confusion entre deux marques de commerce seulement, que lorsque ces deux marques de commerce comportent un élément commun qui est également compris dans un certain nombre d’autres marques de commerce employées dans le même marché, cet emploi commun dans le marché incite les acheteurs à porter une plus grande attention aux autres traits des marques de commerce respectives et à les distinguer les unes des autres au moyen de ces autres traits.

 

Il a ajouté à la page 456 :

 

[…] Je pense qu’on peut déduire que les consommateurs de ces produits sont habitués à établir de fines distinctions entre les diverses marques de commerce « Nutri » dans le marché, en portant une plus grande attention aux moindres petites différences entre les marques. J’accueille la prétention de l’appelante selon laquelle les marques de l’intimée sont faibles parce qu’elles incorporent un mot qui est employé généralement dans le commerce.

 

[30]           À mon avis, les marques de commerce sont distinctives et ne se ressemblent pas au point où leur emploi serait susceptible de faire conclure que les produits GEOWEB et NEOWEB sont fabriqués ou vendus par la même personne. Cela nous amène aux autres circonstances de l’espèce. Aux termes de l’article 2 de la version anglaise de la Loi, la confusion doit découler de l’emploi de marques de commerce. Or, ce n’est pas l’emploi de la marque de commerce NEOWEB qui pourrait créer de la confusion, mais plutôt la publicité qui y est associée. Peu importe le redressement qui pourrait être accordé, celui‑ci ne peut consister à biffer la marque de commerce en vertu de l’article 57 de la Loi.

 

LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

 

[31]           Les circonstances de l’espèce suivantes ont été alléguées par l’une ou l’autre des parties :

a.       pratiques commerciales trompeuses de la part de P.R.S.;

b.      confusion réelle;

c.       traitement des marques de commerce dans d’autres administrations;

d.      famille de marques;

e.       avis de l’examinateur de marques de commerce.

 

a. Les pratiques commerciales

 

[32]           Comme il a été mentionné précédemment, il est fort possible que P.R.S. ait cherché à bénéficier de l’achalandage, le cas échéant, que Presto pouvait avoir relativement à la marque de commerce GEOWEB. Cependant, le redressement approprié en l’espèce ne consiste pas à biffer l’inscription de la marque de commerce NEOWEB. Comme je l’ai laissé entendre pendant l’audience, si la marque de commerce de P.R.S. était quelque chose comme « roadnet », il n’y aurait absolument aucune possibilité de confusion. Par contre, il pourrait fort bien y avoir confusion si P.R.S. écrivait dans sa publicité que « roadbed » était [traduction] « auparavant geoweb ».

 

b. La confusion réelle

 

[33]           Presto allègue un seul cas de confusion réelle. Le président de P.R.S., M. Erez, a déclaré, dans le cadre de son contre‑interrogatoire, qu’il n’était au courant d’aucun cas de confusion. Les recherches qu’il a effectuées à cet égard étaient toutefois insuffisantes.

 

[34]           Le seul cas de confusion réelle allégué ressort d’un courriel envoyé par une société inconnue dans une administration inconnue. Il indique :

[traduction] Nous sommes une société florissante dans le domaine de la stabilisation du sol et des infrastructures.

 

Nous connaissons bien les produits NeoWeb de PRS et nous avons supposé que neoweb était la nouvelle génération de géocellules GeoWeb.

 

Pouvez‑vous me dire ce qu’il en est?

- Y a-t-il un lien entre PRS et Presto?

- La différence entre Geoweb et Neoweb.

 

[35]           Je ne suis pas convaincu qu’un seul cas de confusion possible décrit par une partie inconnue dans une administration inconnue en janvier 2010 constitue de la confusion. Le courriel est joint à un affidavit de Patricia Stelter, la gestionnaire de Presto responsable du marketing et des affaires. Elle affirme que le courriel provient d’un client de Presto, mais rien dans le courriel lui‑même ne l’indique.

 

c. Les autres administrations

 

[36]           P.R.S. a produit une preuve démontrant que les marques de commerce GEOWEB et NEOWEB sont toutes deux enregistrées dans trois autres administrations. Une recherche de marques de commerce a été effectuée dans 31 administrations. Elle a révélé que les deux marques sont enregistrées en Australie, au Japon et en Corée du Sud. Aucune preuve relative au droit des marques de commerce en vigueur dans ces pays n’a cependant été présentée.

 

[37]           Presto a produit une décision de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (Marques, dessins et modèles) – division de l’opposition, opposition no B 1 302 530, datée du 27 février 2012. Il s’agissait d’une opposition fondée sur l’enregistrement de GEOWEB dans les pays du Benelux, en République tchèque, en Grèce, en Hongrie, en Irlande, en Italie, en Pologne, en Slovaquie, au Danemark, en France, en Allemagne, en Espagne et au Royaume-Uni.

 

[38]           Le test relatif à la probabilité de confusion décrit dans la décision est quelque peu semblable au paragraphe 6(5) de notre loi. La décision traite des termes employés dans différentes administrations. On a conclu que l’opposition était bien fondée en partie.

 

[39]           Le passage le plus important de la décision se trouve aux pages 13 et 14 :

[traduction] Les marchandises sont partiellement identiques, partiellement similaires et partiellement différentes. Le caractère distinctif des marques antérieures, dans l’ensemble, est normal et les marques ont la même longueur et comportent les mêmes voyelles, placées dans le même ordre; seules leurs premières lettres respectives sont différentes. En outre, les marques sont composées de préfixes semblables sur le plan visuel et sur le plan oral (GEO et NEO), suivis du même mot (WEB). Ainsi, indépendamment des préfixes différents et du fait qu’une partie du public pourrait penser que le suffixe WEB fait allusion à la forme des marchandises, l’impression générale laissée par les marques est très semblable. Le public intéressé (les professionnels de l’industrie de la construction) pourrait, en dépit d’une plus grande attention, confondre directement les marques ou même penser que les marchandises portant la marque contestée sont une nouvelle gamme de produits améliorés de l’opposante.

 

[40]           Il semble que cette décision soit actuellement en appel.

 

[41]           Quoi qu’il en soit, le raisonnement, bien qu’intéressant, ne correspond pas à celui exposé dans la jurisprudence que j’ai citée en ce qui a trait au caractère unique des mots, à l’importance de la première syllabe et à l’attention portée aux petites différences dans le cas de marques de commerce faibles.

 

d. La famille de marques

 

[42]           Presto possède une autre marque de commerce se terminant par les lettres WEB, AGRIWEB, un nom choisi pour promouvoir son produit dans le milieu agricole. Pour sa part, P.R.S. emploie NEOLOY dans le domaine de la construction des routes et dans d’autres secteurs de ce genre. Les produits seraient meilleurs que ceux de la première génération portant la marque NEOWEB.

 

[43]           Aucune des sociétés n’est cependant en mesure de revendiquer l’emploi exclusif de « geo » ou « neo » en liaison avec le mot « web ». La Cour d’appel fédérale a statué dans Glenora Distillers International Ltd c The Scotch Whisky Association, 2009 CAF 16, [2010] 1 RCF 195, une affaire qui concernait cependant des dispositions différentes de la Loi, que l’Association ne pouvait pas revendiquer l’emploi du mot « Glen » en liaison avec du whisky écossais.

 

e. L’avis de l’examinateur de marques de commerce

 

[44]           Les examinateurs de marques de commerce agissent au nom du registraire des marques de commerce selon l’article 37 de la Loi. L’examinateur a soulevé la question de la confusion lorsque la demande d’enregistrement de la marque NEOWEB a été produite, mais il a déterminé qu’il n’y avait aucune confusion. L’arrêt Masterpiece nous enseigne que, même dans un cas comme celui‑ci, qui n’est ni un appel, ni un contrôle judiciaire d’une décision rendue au nom du registraire, cette décision constitue une circonstance de l’espèce pertinente sous le régime du paragraphe 6(5). Le juge Rothstein a dit au paragraphe 112 :

Bien que, au début de ses motifs, le juge de première instance ait fait état du rejet des demandes de Masterpiece Inc., rien n’indique qu’il en a tenu compte dans son analyse relative à la confusion. Il est vrai qu’il n’était pas en train d’instruire un appel ou de procéder à un contrôle judiciaire en ce qui concerne le caractère raisonnable de la décision du registraire, qu’il n’avait pas à faire preuve de retenue à l’égard de cette décision, et qu’il n’était certainement pas lié par celle‑ci. Toutefois, comme il s’agissait d’une circonstance de l’espèce pertinente visée au par. 6(5), j’estime que le juge aurait dû, dans l’appréciation de la preuve dont il disposait, prendre acte de la conclusion du registraire, laquelle était diamétralement opposée à la sienne. En fait, la décision du registraire étaye la conclusion qu’il existe une probabilité de confusion entre la marque de commerce d’Alavida et le nom commercial de Masterpiece Inc. et, partant, la marque de commerce « Masterpiece the Art of Living ».

 

[45]           Étant donné l’expertise des examinateurs de marques de commerce, il s’agit clairement d’un facteur qui est favorable à P.R.S.

 

CONCLUSION

 

[46]           Ayant examiné la preuve ainsi que les prétentions orales et écrites des parties, j’estime que l’emploi des marques de commerce GEOWEB et NEOWEB au Canada ne serait pas susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques ont été fabriquées ou vendues par la même personne.

 


ORDONNANCE

 

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS CI‑DESSUS,

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Le tout avec dépens.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-157-11

 

INTITULÉ :                                      REYNOLDS CONSUMER PRODUCTS, INC c

                                                            P.R.S. MEDITERRANEAN LTD

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 12 juin 2012

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 28 juin 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Anthony Prenol

 

                            POUR LA DEMANDERESSE

Stephen P. Shoshan

 

                            POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Blake, Cassels & Graydon LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

                            POUR LA DEMANDERESSE

Piasetzki Nenniger Kvas LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

                            POUR LA DÉFENDERESSE

 

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