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Date: 20120803

Dossier : IMM‑8882‑11

Référence : 2012 CF 969

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 3 août 2012

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

 

GHOLAM REZA SOLTANI REZAGH SARAB

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Gholam Reza Soltani Rezagh Sarab sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent d’immigration a rejeté sa demande de résidence permanente présentée au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire. Pour les motifs exposés ci‑dessous, la décision de l’agent est, selon moi, déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie.

 

Analyse

 

[2]               Les décisions fondées sur des motifs d’ordre humanitaire sont de nature discrétionnaire et concernent une mesure exceptionnelle. Elles commandent en conséquence l’application de la norme de la raisonnabilité : Kisana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, par. 18; [2009] A.C.F. no 713; Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, par. 47, [2008] 1 R.C.S. 190.

 

[3]               Il ressort clairement d’un examen de la décision de l’agent d’immigration que ce dernier a accordé beaucoup de poids aux antécédents de M. Soltani en matière d’immigration, plus précisément au fait qu’il ne s’est pas présenté pour son renvoi en 2004. L’agent a en outre conclu que les difficultés que causerait la séparation de M. Soltani d’avec son épouse n’étaient pas [traduction] « injustifiées » étant donné qu’ils se sont mariés sachant que M. Soltani n’avait pas de statut légal au Canada et qu’il pouvait à tout moment être renvoyé du pays.

 

[4]               Il s’agit sans contredit de considérations importantes dans le contexte d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, autrement dit de considérations susceptibles de se voir accorder un poids considérable. Ainsi, les agents d’immigration peuvent refuser d’exercer leur pouvoir discrétionnaire d’accorder une dispense dans les cas où, bien que l’existence de motifs d’ordre humanitaire ait été établie, les circonstances entourant l’entrée ou le séjour au Canada de la personne concernée « la discréditent ou créent un précédent susceptible d’encourager l’entrée illégale au Canada » : Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, par. 19, [2002] A.C.F. no 457.

 

[5]               Dans de tels cas, les agents peuvent en outre tenir compte du fait que les motifs d’ordre humanitaire invoqués sont le fruit des agissements du demandeur : Legault, précitée, au par. 19; Kessler c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 153 F.T.R. 240 (C.F. 1re inst.), par. 9, [1998] A.C.F. no 1134; Chau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 107, par. 18‑19, 27‑28; Tartchinska c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 185 F.T.R. 161, par. 21‑22, [2000] A.C.F. no 373.

 

[6]               Toutefois, ces facteurs ne sont pas nécessairement décisifs : voir Legault, précitée, aux par. 11‑12; Kawtharani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 162, par. 32, [2006] A.C.F. no 220. Pour déterminer s’il y a lieu ou non d’exercer leur pouvoir discrétionnaire d’accorder une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire, les agents d’immigration doivent se demander si l’obligation d’obtenir un visa d’immigrant hors du Canada causerait des difficultés « inhabituelles et injustifiées » ou « démesurées ».

 

[7]               On entend par « difficultés inhabituelles et injustifiées » des difficultés qui ne sont pas envisagées ou visées par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, et qui découlent de circonstances qui échappent au contrôle du demandeur. Les difficultés peuvent être démesurées si, en raison de la situation de la personne concernée, la forcer à présenter une demande de visa hors du Canada aurait un impact déraisonnable sur elle ou un membre de la famille : IP5 : Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire, aux par. 5.10 et 5.11; Serda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 356, [2006] A.C.F. no 425.

 

[8]               Les circonstances entourant la légalité de l’entrée et du séjour d’un demandeur au Canada sont pertinentes pour apprécier le caractère « inhabituel et injustifié » des difficultés. Les agents doivent toutefois également se demander si la situation particulière cause des difficultés « démesurées ».

 

[9]               En l’espèce, le principal motif invoqué au titre du préjudice concerne les difficultés démesurées que Mme Janvier subirait par suite du renvoi de M. Soltani du Canada.

 

[10]           L’agent d’immigration a reconnu que le mariage du couple était authentique, mais il a conclu que le [traduction] « mariage à lui seul » ne justifiait pas l’octroi d’une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire. Ce faisant, l’agent n’a pas tenu compte de la façon particulière dont Mme Janvier s’appuie sur M. Soltani.

 

[11]           Le dossier dont disposait l’agent fait état du fait que Mme Janvier a eu une vie extrêmement difficile, qu’elle a subi de nombreuses pertes et tragédies ainsi qu’un traumatisme psychologique en raison de celles‑ci.

 

[12]           Le rapport psychologique du Dr Aubé indique que Mme Janvier a souffert d’un trouble de stress post‑traumatique de type 2 ainsi que d’anxiété et de dépression. Le rapport explique le rôle central que M. Soltani a joué dans le rétablissement de Mme Janvier, et la mesure dans laquelle sa présence au Canada est importante pour assurer la stabilité mentale de cette dernière. Selon le rapport du Dr Aubé, la séparation de Mme Janvier d’avec M. Soltani serait [traduction] « plus que tragique » pour Mme Janvier.

 

[13]           L’agent d’immigration a rejeté le rapport du DAubé au motif qu’il n’expliquait pas ce que la phrase « plus que tragique » signifie et ce que cela suppose pour Mme Janvier. J’estime que cette conclusion est déraisonnable.

 

[14]           Le rapport du Dr Aubé fait état d’une manière détaillée des antécédents personnels de Mme Janvier, des difficultés qu’elle a rencontrées dans sa vie, ainsi que de ses antécédents d’état de stress post‑traumatique de type 2, d’anxiété et de dépression. Le rapport décrit les symptômes observés chez Mme Janvier au fil des ans en raison de son état mental, et fait état de la façon dont la stabilité de sa relation avec M. Soltani a contribué à améliorer sa santé mentale.

 

[15]           C’est après avoir examiné tous ces facteurs en détail que le Dr Aubé a conclu [traduction] qu’« il semble clair sur le plan clinique que le renvoi de son mari serait plus que tragique pour Mme Janvier ». Le Dr Aubé précise ensuite que [traduction] « [c]ela constituerait une perte tragique de plus, une répétition de son passé, une autre difficulté ». Le Dr Aubé a ensuite dit être d’avis qu’[traduction] « en raison du fait que cela lui ferait revivre son passé, il était très probable que l’état de santé émotionnelle de Mme Janvier se détériore ».

 

[16]           Lorsque ces déclarations sont lues dans le contexte de l’ensemble du rapport, on comprend bien ce que le Dr Aubé dit. Le fait que l’agent d’immigration n’ait pas apprécié ce qu’impliquait l’opinion du Dr Aubé et tenu compte de celle‑ci rend la décision déraisonnable.

 

[17]           Je suis en outre d’avis que la conclusion de l’agent selon laquelle Mme Janvier sera en mesure de réorganiser sa vie après le renvoi de M. Soltani a été tirée sans tenir compte des éléments de preuve dont il disposait.

 

[18]           L’agent émet l’hypothèse que d’autres aspects positifs de la vie de Mme Janvier, dont sa famille et ses amis ainsi que sa carrière, lui procureraient stabilité et bonheur après le renvoi de M. Soltani. Toutefois, la preuve au dossier n’appuie pas cette conclusion.

 

[19]           Il ressort à l’évidence du témoignage de Mme Janvier et du rapport du Dr Aubé qu’avant de rencontrer M. Soltani Mme Janvier éprouvait depuis longtemps des difficultés émotionnelles en dépit de sa carrière, de ses amis et de sa famille. Bien qu’elle ait suivi des thérapies et pris des médicaments pendant des années, elle a continué à subir les effets psychologiques de son passé.

 

[20]           Il ressort du dossier que c’est la relation de Mme Janvier avec M. Soltani qui a permis à Mme Janvier de faire face à ses traumatismes. D’ailleurs, le Dr Aubé croit que Mme Janvier réussira avec le temps à surmonter les traumatismes de son enfance et qu’elle continuera à augmenter sa stabilité émotionnelle [traduction] « si [elle] peut maintenir la stabilité de sa relation avec son mari ».

 

[21]           À la lumière des éléments de preuve susmentionnés, il était déraisonnable que l’agent d’immigration conclue que les récompenses qu’offre à Mme Janvier sa carrière ainsi que le soutien de ses amis et des membres de sa famille en Saskatchewan puissent contrebalancer l’absence, à Vancouver, de M. Soltani.

 

Conclusion

 

[22]           Pour les motifs exposés ci‑dessous, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Je conviens avec les parties que la demande ne soulève aucune question à certifier.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que

 

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration pour qu’il procède à un nouvel examen en conformité avec les présents motifs.

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑8882‑11

 

 

INTITULÉ :                                                  GHOLAM REZA SOLTANI REZAGH SARAB c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Vancouver (C.‑B.).

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 1er août 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 3 août 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Warren Puddicombe

 

POUR LE DEMANDEUR

 

François Paradis

 

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Elgin, Cannon & Associates

Droit de l’immigration, des réfugiés
et de la citoyenneté

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR L’INTIMÉ

 

 

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