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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20120710

Dossier : T-827-11

Référence : 2012 CF 869

Ottawa (Ontario), le 10 juillet 2012

En présence de madame la juge Bédard 

 

ENTRE :

 

RICHARD LEROUX

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Je suis saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue le 9 février 2011 par la section d’appel du Tribunal des anciens combattants Canada (Révision et appel) (le Tribunal) qui a conclu que Richard Leroux (le demandeur) n’avait aucun droit à pension pour sa condition d’arthrose cervicale. Pour les motifs qui suivent, la demande est accueillie.

 

I. Contexte

[2]               Le demandeur a exercé divers métiers au sein des Forces canadiennes au cours de la période de 1985 à 2002. Il a été fantassin de 1985 à 1991, technicien en approvisionnement de 1991 à 2002 et technicien en mouvement à compter de 2002.

 

[3]               Le 1er octobre 2003, il a fait une demande de droit à pension pour des conditions d’arthrose cervicale et de maladie discale lombaire. Sa demande a été refusée par Anciens Combattants Canada (le Ministère) le 23 novembre 2004 et plusieurs décisions subséquentes ont été rendues. Le droit à pension pour la maladie discale lombaire du demandeur a été reconnu par le Tribunal et ne fait donc pas l’objet du présent litige.

 

II. Historique

[4]               Le dossier du demandeur a fait l’objet de plusieurs décisions avant que ne soit rendue celle qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

[5]               Je vais débuter par l’historique des allégations de douleurs cervicales du demandeur et du suivi médical qu’il a reçu.

 

[6]               Le demandeur a commencé à rapporter des malaises à la région cervicale en 1995.

 

[7]               En février 1995, il a rapporté un premier malaise après avoir ressenti un étirement et une douleur au cou après avoir manqué une marche d’une échelle. Les rayons X pris suite à cet événement étaient normaux.

[8]               En 1998, une très petite hernie discale à C5-C6 a été découverte de façon fortuite lors d’un examen de résonnance magnétique (IRM) qui faisait suite à des allégations de douleurs au dos et aux côtes.

 

[9]               En 1999, le demandeur a consulté pour une raideur cervicale après avoir effectué des mouvements répétitifs et transporté des sacs de sable.

 

[10]           En 2001, alors qu’il servait en Bosnie, le demandeur a été traité en physiothérapie pour des douleurs et raideurs au cou qui se sont manifestées après qu’il se soit cogné la tête trois semaines auparavant.

 

[11]           En août 2002, le demandeur a de nouveau consulté pour des douleurs dans la région cervicale. Un rayon X indique ce qui suit :

Colonne cervicale

Pas de cliché antérieur pour comparer.

Les tissus mous pré-vertébraux sont normaux, Légère rectitude du rachis cervical. Il existe des ostéophytes visibles à C5-C6 avec un  début d’ossification du ligament longitudinal antérieur. Début de pincement à l’interligne à ce niveau…

 

[12]           En 2003, le demandeur a de nouveau reçu des traitements de physiothérapie pour sa cervicalgie. Le 16 août 2003, le Dr Jutras a diagnostiqué de l’arthrose cervicale et le 1er octobre 2003, le demandeur a fait sa réclamation pour un droit à pension.

 

[13]           Dans son formulaire de réclamation, le demandeur a décrit comme suit le lien entre sa condition et son service militaire :

Blessure et raideur au cou côté gauche causee par ancien casque d’acier lors d’exercice de combat lorsque j’étais au 3R22R (031) (6 ans) Écraser mon cou car en me levant je me suis cogné la tête et le shock s’est projeter dans mon cou (911 // supply // sur le Hmc&Provider)

 

[Sic pour l’ensemble de la citation] 

 

[14]           La demande était appuyée de divers rapports de consultation et rapports radiologiques.

 

[15]           La réclamation du demandeur a d’abord été rejetée par le Ministère dans une décision datée du 23 novembre 2004. Le Ministère a conclu qu’en l’absence de blessure grave à la région cervicale reliée au service, l’arthrose cervicale du demandeur n’était pas consécutive ni directement rattachée à son service dans les forces régulières. Cette décision a été confirmée le 8 juin 2005 par le Tribunal des anciens combattants Canada (Comité de révision).

 

[16]           Le dossier a ensuite été traité par le Tribunal. Au soutien de son appel, le demandeur a déposé un rapport d’expertise médicale préparé par le Dr Michel Leroux, Chirurgien orthopédiste, en date du 19 décembre 2006. Après avoir fait un résumé des diverses tâches effectuées par le demandeur, le Dr Leroux a fait l’historique de ses allégations de douleurs cervicales. Il a ensuite émis l’opinion suivante :

En plus des définitions transmises pour les deux énoncés qui demandent des capacités physiques et une exigence plus qu’habituelle pour les activités que le patient a fait dans les forces et considérant de plus les nouveaux rayons-X qui démontrent maintenant une ostéoarthrose cervicale et lombaire en plus des différents épisodes de consultation pour les différents problèmes cervicaux et lombaires.

 

Nous devons constater qu’il y a une relation entre l’aggravation au niveau lombaire et la condition cervicale et qu’il y a un lien avec les tâches effectués [sic] durant son service militaire que nous jugerons à 3 sur 5.

 

L’accumulation des micro-traumatismes aurait aggravé les deux affections, soit cervicale et lombaire, ceci étant plus important que le vieillissement normal surtout étant donné l’âge du patient qui n’est que de 43 ans. L’ostéoarthrose est plus importante que ce que nous pouvons avoir pour un vieillissement normal à ce temps. 

 

[17]           Le 28 novembre 2007, le Tribunal a accordé au demandeur un droit à pension pour sa condition lombaire, mais il a refusé le droit à une pension pour sa condition cervicale. La décision du Tribunal est motivée comme suit :

En ce qui concerne l’affection d’arthrose cervicale, le Tribunal ne note aucun traumatisme spécifique au cou de l’appelant et après avoir revu les Lignes directrices sur l’admissibilité au droit à pension d’Anciens Combattants Canada, le Tribunal note que les activités répétitives ou les microtraumatismes ne s’appliquent pas à la colonne cervicale étant donné qu’il s’agit d’une articulation non portante.  

 

[18]           Le demandeur a fait une demande de réexamen de cette décision auprès du Tribunal et il a appuyé sa demande d’un deuxième rapport médical du Dr Leroux, daté du 16 juin 2008, et du rapport d’un médecin militaire, le major Yves Parisot, daté du 25 janvier 2008.

 

[19]           Dans son rapport additionnel, le rapport Leroux a indiqué ce qui suit relativement au lien de causalité entre la condition du demandeur et son service militaire :

Dans la synthèse et discussion, il est bien mentionné que le patient était comme technicien en approvisionnement et dans l’infanterie de 1985 jusqu’en 2002. Il aurait alors déplacé de multiples charges, poussé, tiré régulièrement et de façon répétitive des objets pouvant peser jusqu’à 90 livres comme technicien de mouvement, ainsi que manipulé des charges jusqu’à 80 livres avec mouvements de rotation sur des palettes, en plus de l’entraînement de soldat, soit faire des « PT tests », marche de 13 km avec port d’équipement, arme et casque qui peuvent peser jusqu’à 60 à 70 livres.

 

L’ostéoarthrose cervicale est évidente sur les derniers rayons-X et nettement plus importante chez un homme toujours jeune de 43 ans.

 

Il y a donc une relation entre l’aggravation de la condition cervicale et les tâches effectuées durant son service militaire pour un minimum de 3/5.    

 

L’accumulation de microtraumatismes et de traumatismes aurait aggravé les deux affections, soit cervicale et lombaire, de façon beaucoup plus importante que le vieillissement normal.

 

Donc, nous réitérons qu’il y a une relation entre les activités dans les forces et la pathologie cervicale.

 

[Le passage souligné l’est dans l’original]

   

[20]           Il est également utile de citer l’extrait suivant du rapport du Dr Parisot :

1.         En lien avec une décision du Tribunal d’Anciens Combattants (ACC) concernant une demande d’indemnisation pour un problème d’arthrose cervicale (réf A), il est mentionné que l’admissibilité au droit à l’indemnisation concernant les activités répétitives et les microtraumatismes ne s’applique pas à la colonne cervicale car elle n’est pas considérée comme une articulation portante. Le rapport du Dr Leroux à cet effet (réf. B) argumente en faveur d’un lien de causalité entre le problème actuel d’invalidité au niveau cervical du cplc Leroux et le port du casque dans des conditions, incluant une hernie discale postéro-latérale C5-C6, où ce port du casque vient augmenter substantiellement le risque de détérioration subséquente de la pathologie cervicale. Comme vous le dites, je suis d’accord avec le fait que la colonne cervicale n’est pas une articulation portante; ainsi le port du casque, dont le poids sur une période prolongée est significatif, a été courant et répétitif dans l’exercice des fonctions militaires du cplc Leroux pendant 21 ans de service. De plus, comme le cplc Leroux a progressé dans sa pathologie, ce port du casque, anti-ergonomique pour la colonne cervicale non portante physiologiquement, se fait avec le temps de plus en plus dans des conditions adverses pour ces mêmes articulations déjà hypothéquées. Je pense sincèrement que cet argument devrait être révisé en faveur d’une décision favorable pour la demande d’indemnisation du cplc Leroux concernant son problème d’arthrose cervicale.   

 

[21]           En date du 10 juin 2009, le Tribunal a refusé la demande de réexamen du demandeur. Le Tribunal n’a pas reconnu le rapport du Dr Leroux du 16 juin 2008 comme étant une nouvelle preuve puisqu’il y a vu une répétition en partie de son rapport du 19  décembre 2006. Quant au rapport du Dr Parisot, le Tribunal a jugé qu’il ne s’agissait pas d’une nouvelle preuve donnant ouverture à un réexamen puisque ce rapport aurait pu être présenté auparavant. Le Tribunal a également conclu qu’il était raisonnable de penser que le rapport du Dr Parisot n’aurait pas influé sur une décision éventuelle. Le Tribunal a par ailleurs émis des commentaires quant au contenu du rapport du Dr Parisot en lien avec le port du casque et il a plus particulièrement noté que le médecin n’avait pas expliqué à quel point le port du casque d’acier avait eu un impact sur le développement de la condition d’arthrose cervicale du demandeur. Le Tribunal a ajouté que le Dr Parisot ne précisait pas le type de casque dont il était question ni la fréquence et la durée au cours desquelles le demandeur aurait porté ce casque d’acier.       

 

[22]           Cette décision a fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire et a été cassée par le Juge Martineau (dossier T-1523-09). Le juge Martineau a renvoyé le dossier pour que la demande de réexamen soit redéterminée par un autre panel. Il a entre autres estimé qu’il était déraisonnable de la part du Tribunal d’avoir conclu que le rapport du Dr Parisot aurait pu être présenté avant sans avoir considéré les explications fournies par le demandeur et l’ensemble des circonstances de son dossier. Le juge Martineau a également jugé qu’il était déraisonnable de conclure que le rapport du Dr Parisot, si on y ajoutait foi, avec les autres éléments de preuve produits auparavant, ne pourrait influer sur le résultat de la demande. Le juge Martineau a estimé que cette assertion était contraire au contenu même du rapport et à la preuve au dossier. Le juge a également considéré que le Tribunal d’appel avait omis de considérer les règles de preuve mentionnées à l’article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), LC 1995, ch 18 [Loi sur le TAC]. Il a enfin indiqué que le Tribunal d’appel aurait pu convoquer une audition et interroger le Dr Parisot ou lui demander qu’il réponde par écrit s’il avait des interrogations quant à l’impact du port du casque d’acier. 

 

III. La décision contestée

[23]           Le 9 février 2011, le Tribunal a de nouveau rejeté la demande de réexamen du demandeur. Contrairement à la décision du 10 juin 2009, le Tribunal d’appel a accepté d’examiner le rapport additionnel du Dr Leroux de juin 2008 et celui du Dr Parisot et il s’est prononcé sur le mérite de la demande de droit à pension du demandeur. Le Tribunal n’a toutefois pas accordé foi à la preuve médicale présentée par les Drs Leroux et Parisot et a jugé que leurs rapports n’étaient pas crédibles.

 

[24]           Le Tribunal a d’abord indiqué que la preuve ne démontrait pas que le demandeur avait subi un traumatisme significatif qui aurait entraîné une continuité des plaintes. Le Tribunal a également noté que l’incident du coup de fouet de 1995 n’avait donné lieu à aucune continuité de plainte ni aucune mention historique par la suite.

 

[25]           Le Tribunal a ensuite précisé qu’il devait essayer d’évaluer « le rôle possible des microtraumatismes sur l’affection d’arthrose cervicale de l’appelant ».

 

[26]           Le Tribunal a noté qu’il n’avait reçu aucune littérature médicale scientifique qui faisait état du rôle des microtraumatismes, de facteurs causals ou de facteurs d’aggravation de l’affection d’arthrose cervicale. Il a ajouté qu’il n’avait pas non plus reçu d’étude statistique qui permettrait de conclure que l’arthrose cervicale du demandeur pouvait avoir été causée ou aggravée par le port du casque d’acier. Le Tribunal a ajouté à cet égard que le port du casque n’avait pas entraîné de plainte de douleur de la part du demandeur et que la seule plainte à cet égard était celle relevée dans le rapport du Dr Leroux et qui fait référence au port de son casque de moto. Le Tribunal en a inféré que le demandeur ne portait pas un casque exclusivement dans le cadre de son service militaire. Le Tribunal a également noté qu’il n’y a pas de plainte documentée de douleur au cou avec le port d’une charge.

 

[27]           Le Tribunal a ensuite jugé que le rapport du Dr Leroux de 2006 n’était pas crédible. Il a estimé que :

a.       l’opinion du Dr Leroux reposait davantage sur des facteurs qui relèvent de la maladie discale lombaire que de l’affection d’arthrose cervicale et que dans la section du rapport « Synthèse et discussion », le Dr Leroux faisait plus état de facteurs qui s’appliquent à la maladie discale lombaire qu’à l’arthrose cervicale;

b.      pour qu’une opinion médicale soit crédible, le médecin doit indiquer comment il arrive à sa conclusion. Il a noté que « [la] conclusion doit indiquer l’ensemble des facteurs causant l’affection en cause et indiquer la preuve qui supporte la relation qu’il fait avec le service »;   

c.       le Dr Leroux n’a pas expliqué « d’une manière limpide et rationnelle comment il arrive à sa conclusion » de relation entre la condition cervicale et les tâches que le demandeur a effectuées durant son service militaire;

d.      bien que le Dr Leroux parle de microtraumatismes qui auraient aggravé les deux conditions du demandeur, il lui était impossible de comprendre la base factuelle et scientifique de cette affirmation. Il a noté que sous la section « Synthèse et discussion » de son rapport, le Dr Leroux n’avait fait aucune référence au port du casque d’acier ni au rôle précis de celui-ci en terme de microtraumatismes. 

 

[28]           Le Tribunal n’a pas accordé plus de crédibilité au rapport additionnel que le Dr Leroux a préparé en 2008. Il a notamment noté que le Dr Leroux parlait des derniers rayons X qui font état d’une arthrose plus importante chez un homme de 43 ans, mais que les rayons X les plus récents dataient de 2002 et qu’ils ne permettaient pas de conclure que la détérioration était plus importante compte tenue de l’âge du demandeur. Le Tribunal a également noté que le Dr Leroux n’avait pas indiqué comment il était arrivé à établir une proportion de trois cinquièmes comme étant la proportion de la condition qui était attribuable au service militaire. Le Tribunal a réitéré qu’il « n’[avait] reçu aucune information médicale scientifique qui indiquerait que le soulèvement de charges et de manipulation de charges peuvent jouer un rôle sur l’aggravation de l’arthrose cervicale ».

 

[29]           Le Tribunal n’a pas non plus accordé de crédibilité à l’opinion du Dr Parisot, et ce pour les motifs suivants :

a.       le Dr Parisot a parlé d’une hernie discale postéro latérale à C5-C6 mais les derniers rapports radiologiques ne font pas état d’une hernie discale, mais plutôt d’ostéophytes et d’un début de pincement;

b.      le Tribunal ne comprend pas d’où vient l’affirmation que le port du casque est « anti‑ergonomique pour la colonne cervicale non portante physiologiquement. »

c.       le Tribunal ne comprend pas l’affirmation du médecin que les articulations du demandeur étaient « déjà hypothéquées »;

d.      l’affirmation que le demandeur a porté le casque d’acier pendant 21 ans est inappropriée puisque le casque n’est porté que dans des circonstances particulières, soit en exercice;

e.        l’affirmation du Dr Parisot relative au risque de détérioration de la pathologie cervicale découlant du port du casque d’acier n’est supportée par aucune étude statistique ni littérature médicale scientifique. 

 

[30]           Le Tribunal a conclu sa décision avec les commentaires suivants :

Le Tribunal tient à préciser qu’il ne veut absolument pas avoir une approche négative à la demande de l’appelant, mais considère qu’il est de son devoir de rendre une décision basée sur des éléments de preuve crédibles et non sur des expertises médicales qui ne se contentent que de réaffirmer la prétention de l’appelant sans ajouter d’expertise médicale ou sans que l’opinion exprimée ne soit corroborée factuellement ou par une preuve médicale scientifique supportant cette opinion. Si cette preuve existe, le Tribunal sera heureux de revoir cette décision, mais selon la preuve médicale au dossier, le Tribunal ne peut considérer les opinions des Dr Leroux et Dr Parisot comme étant crédibles dans les circonstances.  

 

IV. La question en litige

[31]           La seule question en litige dans le présent dossier a trait au caractère raisonnable de la décision du Tribunal. De façon plus précise, la cour doit déterminer s’il était raisonnable pour le Tribunal de ne pas accorder de crédibilité aux rapports médicaux des Drs Leroux et Parisot.

 

V. La norme de contrôle

[32]           Les deux parties ont soumis, et je suis d’accord avec elles, que la décision du Tribunal devait être révisée selon la norme de la décision raisonnable. La décision prise par le Tribunal en était une qui, à mon avis, était une question mixte de fait et de droit qui implique l’appréciation de la preuve médicale, ce qui relève de son mandat. Or, il est bien établi que l’appréciation de la preuve médicale et du lien de causalité entre une blessure ou une maladie et le service militaire est révisable suivant la norme de la décision raisonnable (Wannamaker c Canada (Procureur général), 2007 CAF 126 aux para 12 et 13, 156 ACWS (3d) 929 [Wannamaker]; Goldsworthy c Canada (Procureur général), 2008 CF 380 aux para 10-14 (disponible sur CanLII) et Boisvert c Canada (Procureur général), 2009 CF 735 aux para 33-36 (disponible sur CanLII) [Boisvert]; Gillis c Canada (Procureur général), 2009 CF 504 au para 17 (disponible sur CanLII); Acreman c Canada (Procureur général), 2010 CF 1331 au para 18, 381 FTR 139 [Acreman]; Armstrong c Canada (Procureur général), 2010 CF 91 au para 33, 361 FTR 91 [Armstrong]; Beauchene c Canada (Procureur général), 2010 CF 980, 375 FTR 13.

 

[33]           Comme cette jurisprudence a établi de façon satisfaisante la norme de contrôle applicable, j’estime qu’il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse de la norme de contrôle.

 

VI. La position des parties

A. Position du demandeur

[34]           Le demandeur soutient que la décision du Tribunal est déraisonnable au regard de la preuve médicale au dossier et qu’il était déraisonnable de sa part de n’accorder aucune crédibilité aux opinions des Drs Leroux et Parisot. Le demandeur invoque qu’au départ le Tribunal s’est mépris sur la question qu’il devait trancher lorsqu’il a posé la question suivante :

Est-ce que la preuve médicale au soutien de la demande de l’appelant est crédible dans les circonstances et/ou suffisante pour soulever un doute raisonnable dans l’esprit du Tribunal?

 

Le demandeur insiste que le fardeau applicable est celui de la prépondérance des probabilités et qu’il n’est pas opportun de se demander si la preuve soulève un doute raisonnable.

 

[35]           Le demandeur invoque également que la décision va à l’encontre des directives claires du Juge Martineau quant à la crédibilité de la preuve médicale.

 

[36]           Le demandeur insiste aussi sur le fait que le Dr Leroux est un médecin spécialiste qui a une expertise précise, qui a rencontré le demandeur et qui s’est enquis des tâches qu’il a effectuées au cours de sa carrière militaire. Le demandeur plaide que si le Tribunal avait des questions à poser ou des clarifications à demander aux médecins, il pouvait, en vertu de l’article 38 de la Loi sur le TAC, convoquer une audience ou demander que des précisions lui soient fournies par écrit. Le demandeur soutient également que le Tribunal a omis de considérer l’article 2 de la Loi sur les pensions, LRC, 1985, ch P-6 [Loi sur les pensions] et les articles 3 et 39 de la Loi sur le TAC.

 

[37]           Le demandeur invoque également que la preuve médicale démontre clairement que l’arthrose du demandeur est plus sévère que l’arthrose que l’on retrouve habituellement chez une personne de son âge, qu’il s’est plaint de douleurs cervicales et a consulté à plusieurs reprises et que la preuve médicale établit un lien de causalité entre sa condition et les tâches qu’il a accomplies durant son service militaire.

 

[38]           Le demandeur plaide que le Tribunal n’est pas composé de médecins et qu’il aurait dû retenir la preuve médicale qui est étayée, crédible et non contredite. Lors de l’audience, le demandeur a aussi soulevé le fait que le Tribunal a jugé que l’opinion du Dr Leroux n’était pas suffisamment étayée, mais que le même Tribunal s’en était satisfait pour accepter la relation avec sa condition lombaire. Le demandeur soulève également que la preuve médicale était fondée sur plusieurs éléments et non seulement sur le port du casque qui semble être le seul élément sur lequel le Tribunal s’est attardé pour rejeter sa demande.

 

[39]           Compte tenu de l’historique du dossier et des nombreuses décisions déjà rendues par le Tribunal d’appel dans le dossier, le demandeur a demandé à la Cour de rendre la décision que le Tribunal aurait dû rendre ou de retourner le dossier avec des directives claires et précises.  

 

B. Position du défendeur

[40]           Le défendeur, pour sa part, soutient que la décision du Tribunal est raisonnable et qu’il a fait une appréciation raisonnable de la preuve médicale. Le défendeur plaide que le fardeau appartenait au demandeur et qu’il n’a pas établi, suivant la prépondérance des probabilités, que son service militaire était la cause directe de sa condition d’arthrose comme l’exige le paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions pour justifier un droit à une compensation.

 

[41]           Le défendeur ne remet pas en question la condition d’arthrose cervicale du demandeur, mais insiste que la preuve était insuffisante pour établir que cette condition était consécutive ou rattachée à son service militaire. Le défendeur reconnaît que l’article 39 de la Loi sur le TAC impose au Tribunal qu’il accepte tout élément de preuve non contredit « qui lui semble vraisemblable ». Cette disposition ne dispense toutefois par le demandeur de son devoir de prouver un lien de causalité entre sa condition et son service militaire et il appartient au Tribunal de déterminer si une preuve, bien que non contredite, est crédible et d’apprécier la valeur probante qu’elle doit recevoir.

 

[42]           Le demandeur soutient également que le Tribunal a fait une analyse exhaustive de la preuve médicale et que sa décision est motivée et bien articulée; il a expliqué de façon détaillée pourquoi il a rejeté les rapports des Drs Leroux et Parisot. Le défendeur soutient de plus que le Dr Leroux n’a pas expliqué dans son rapport les prémisses qu’il a suivies ni le fondement de son opinion quant à l’existence d’un lien de causalité. De plus, les conclusions du Dr Leroux ne sont appuyées d’aucune assise médicale. Le défendeur insiste sur le fait que le seul élément de preuve relatif au port de casque se limite au récit du demandeur. Le Dr Leroux a également commis une erreur, dans son rapport de 2008, en renvoyant à de supposés nouveaux rayons X, alors que les derniers rayons X remontent à 2002.

 

[43]           Quant au Dr Parisot, le défendeur soutient qu’il n’a fourni aucune assise médicale pour conclure que l’arthrose cervicale du demandeur avait été causée par le port du casque. Il invoque que le Dr Parisot n’explique pas comment et dans quelle mesure le port du casque a pu contribuer à la condition du demandeur. Bref, les trois rapports médicaux n’étaient pas suffisamment étayés et l’appréciation que le Tribunal en a faite est raisonnable.

 

[44]           Quant aux mesures de redressement recherchées par le demandeur, le défendeur soutient que si la Cour accueille la demande de contrôle judiciaire, elle devrait renvoyer le dossier au Tribunal pour un nouvel examen et non rendre la décision qui, à son avis, aurait dû être rendue. Quant à l’émission de directives précises, le défendeur soutient que la Cour devrait s’en abstenir puisque le pouvoir d’émettre des directives de la nature d’un verdict devrait être exercé  uniquement dans les cas les plus clairs (Rafuse c Canada (Ministre du développement des ressources humaines), 2002 CAF 31 au para 14, 222 FTR 160).

 

VII. Analyse

A. Remarque préliminaire

[45]           Le défendeur ne soutient pas que le Tribunal a erré en acceptant de considérer le rapport de 2008 du Dr Leroux et le rapport du Dr Parisot dans le cadre de son réexamen de la demande du demandeur. Je ne crois donc pas nécessaire de revenir sur les paramètres applicables pour justifier un réexamen. Je tiens par ailleurs à souligner que j’estime que la preuve additionnelle présentée par le demandeur au soutien de sa demande de réexamen répondait aux paramètres établis dans Palmer c La Reine, [1980] 1 RCS 759, 106 DLR (3d) 212, à la page 224.  

 

[46]           En l’espèce, le Tribunal a jugé que la preuve médicale, dans son entièreté, ne justifiait pas de faire droit à la demande parce qu’elle n’était pas crédible. C’est à cet aspect que je vais m’attarder.

 

B. Le cadre juridique

[47]           La source du droit à pension réclamé par le demandeur provient du paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions qui se lit comme suit :

(2) En ce qui concerne le service militaire accompli dans la milice active non permanente ou dans l’armée de réserve pendant la Seconde Guerre mondiale ou le service militaire en temps de paix :

 

a) des pensions sont, sur demande, accordées aux membres des forces ou à leur égard, conformément aux taux prévus à l’annexe I pour les pensions de base ou supplémentaires, en cas d’invalidité causée par une blessure ou maladie — ou son aggravation — consécutive ou rattachée directement au service militaire;

 

[…]

 

(2) In respect of military service rendered in the non-permanent active militia or in the reserve army during World War II and in respect of military service in peace time,

 

 

(a) where a member of the forces suffers disability resulting from an injury or disease or an aggravation thereof that arose out of or was directly connected with such military service, a pension shall, on application, be awarded to or in respect of the member in accordance with the rates for basic and additional pension set out in Schedule I;

 

[…]

 

[48]           Il n’est pas contesté que le fardeau de preuve appartient au demandeur. La jurisprudence de notre Cour a établi que pour satisfaire à son fardeau, le demandeur devait démontrer que le service militaire est la cause principale de sa blessure ou de sa maladie et qu’il lui revient d’établir ce lien de causalité. (King c Canada (Tribunal des anciens combattants, révision et appel), 2001 CFPI 535 au para 65, 205 FTR 204 [King]; Leclerc c Canada (Procureur général) (1996), 126 FTR 94 aux para 18-21, 70 ACWS (3d) 916 (CF 1re inst.); Boisvert, précité au para 26). 

 

[49]           Dans son examen du dossier du demandeur et de la preuve au dossier, le Tribunal doit par ailleurs tenir compte de la règle d’interprétation prévue à l’article 2 de la Loi sur les pensions :

2. Les dispositions de la présente loi s’interprètent d’une façon libérale afin de donner effet à l’obligation reconnue du peuple canadien et du gouvernement du Canada d’indemniser les membres des forces qui sont devenus invalides ou sont décédés par suite de leur service militaire, ainsi que les personnes à leur charge.

2. The provisions of this Act shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to provide compensation to those members of the forces who have been disabled or have died as a result of military service, and to their dependants, may be fulfilled.

 

[50]           Le Tribunal d’appel doit également considérer les articles 3 et 39 de la Loi sur le TAC qui prévoient des règles favorables quant à l’appréciation de la preuve :

3. Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s’interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l’égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.

3. The provisions of this Act and of any other Act of Parliament or of any regulations made under this or any other Act of Parliament conferring or imposing jurisdiction, powers, duties or functions on the Board shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to those who have served their country so well and to their dependants may be fulfilled.

 

[51]           Comme l’a mentionné le juge Teitelbaum dans Mackay c Canada (Procureur général) (1997), 129 FTR 286 au para 24, 71 ACWS (3d) 270 (CF 1re inst.): « l'article 3 crée donc certaines directives libérales et intentionnelles pour l'étude des demandes de pension d'anciens combattants au vu de l'énorme dette morale de la nation à l'égard de ceux qui ont servi leur pays ».

 

[52]           L’article 39 fixe des lignes directrices quant au traitement de la preuve :

39. Le Tribunal applique, à l’égard du demandeur ou de l’appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

 

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

 

 

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;

 

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

39. In all proceedings under this Act, the Board shall

 

 

 

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

 

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

 

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

 

 

[53]           Il est par ailleurs reconnu que ces règles ne dispensent pas le demandeur de son fardeau de preuve ni n’obligent le Tribunal à accepter aveuglément toute preuve, même non contredite. L’article 39 de la Loi sur le TAC précise bien que le Tribunal doit accepter toute preuve qui lui « semble vraisemblable ». La Cour d’appel a bien résumé l’impact et les limites de l’article 39 dans Wannamaker aux para 5 et 6, où la juge Sharlow, qui s’exprimait au nom de la Cour, a écrit ce qui suit :

L'article 39 assure que la preuve au soutien de la demande de pension est examinée sous le jour lui étant le plus favorable possible. Toutefois, l'article 39 ne dispense le demandeur de la charge d'établir par prépondérance de la preuve les faits nécessaires pour ouvrir droit à une pension : Wood c. Canada (Procureur général) (2001), 199 F.T.R. 133 (C.F. 1re inst.), Cundell c. Canada (Procureur général) (2000), 180 F.T.R. 193 (C.F. 1re inst.).

 

L'article 39 n'oblige pas non plus le Tribunal à admettre toute la preuve présentée par le demandeur. Le Tribunal n'a pas l'obligation d'accepter des éléments de preuve présentés par le demandeur s'il conclut qu'ils ne sont pas crédibles, et ce, même s'ils ne sont pas contredits. Par contre, il se peut que le Tribunal doive expliquer la raison pour laquelle il conclut que les éléments de preuve ne sont pas crédibles : MacDonald c. Canada (Procureur général) (1999), 164 F.T.R. 42, aux paragraphes 22 et 29. La preuve est crédible si elle est plausible, fiable et logiquement capable d'établir la preuve du fait en question.

 

(Voir également King, au para 39)

 

[54]           L’évaluation que fait le Tribunal de la « vraisemblance » de la preuve médicale doit toutefois être raisonnable et tenir compte des lignes directrices émises aux articles 2 de la Loi sur les pensions et 3 de la Loi sur le TAC. En l’espèce, je considère que l’appréciation que le Tribunal a faite de la preuve médicale, et plus particulièrement des opinions émises par les Drs Leroux et Parisot, était déraisonnable.

 

[55]           D’abord, bien que cet élément ne soit pas déterminant, il est utile de noter que la preuve médicale composée des rapports des Drs Leroux et Parisot n’était pas contredite et que le Tribunal n’a pas jugé nécessaire d’obtenir de la preuve médicale additionnelle par le biais de l’article 38 de la Loi sur le TAC. Bien que le Tribunal n’ait pas l’obligation de requérir de la preuve additionnelle, il peut se prévaloir de cette possibilité lorsqu’il a des doutes sur la crédibilité de la preuve présentée par un demandeur.

 

[56]           De plus, le Tribunal ne possède pas d’expertise particulière en médecine. À mon avis, les principes énoncés par le juge Harrington dans Armstrong aux para 36-38, s’appliquent au dossier en l’espèce :

[37]      Rien ne permet de tenir pour acquis que le Tribunal possède lui-même une expertise médicale. L'article 38 de la Loi l'autorise à demander l'avis d'un expert médical. C'est ce qui a amené le juge Nadon, maintenant juge à la Cour d'appel, à conclure, dans Rivard c. Procureur général du Canada, 2001 CFPI 704, 209 F.T.R. 43, que le Tribunal ne possédait aucune expertise inhérente dans ce domaine.

 

 

[57]           D’autre part, il est curieux de constater que le Tribunal a considéré que le rapport de 2006 du Dr Leroux était crédible pour la condition lombaire du demandeur, mais qu’il ne l’était pas relativement à sa condition cervicale. Or, dans son rapport qui fait huit pages, le Dr Leroux traite, à mon avis, des deux conditions du demandeur et du lien de causalité, et ce avec autant d’attention au regard de chacune des affections.

 

[58]           Il est vrai que le Dr Leroux ne fait pas référence à des études statistiques ou à de la littérature médicale pour appuyer son opinion quant au lien de causalité, mais à mon avis, ceci est insuffisant pour déclarer que son opinion n’est pas crédible. 

 

[59]           D’abord, le Dr Leroux est un chirurgien orthopédiste qui possède l’expertise et qui a toutes les qualités requises pour se prononcer sur la condition du demandeur et sur le lien de causalité entre sa condition et les tâches qu’il a effectuées durant son service militaire. Il n’est pas nécessaire, à mon avis, qu’un médecin spécialiste appuie, en toutes circonstances, ses conclusions sur de la littérature médicale ou sur des statistiques. En l’espèce, on peut imaginer que les questions posées au Dr Leroux relevaient clairement de son champ d’expertise et de ses connaissances médicales. D’autre part, ses rapports sont loin d’être des feuilles de chou, des rapports sommaires ou des rapports que l’on pourrait qualifier de « rapports de complaisance ». Le Dr Leroux a rencontré le demandeur, il l’a questionné sur les fonctions qu’il a occupées et sur les tâches qu’il a effectuées et il a procédé à un examen physique du demandeur. Rien dans le dossier ne permet de remettre en doute la véracité ou la conformité des informations transmises au Dr Leroux par le demandeur. Le Dr Leroux fait un exposé détaillé des tâches effectuées par le demandeur au cours de sa carrière et rien ne permet de douter de l’exactitude de ce résumé. Comme l’a mentionné le juge Mandamin dans Acreman : « l’avis d’un médecin spécialiste […], et en particulier d’un médecin qui a examiné le patient, devrait être considéré attentivement ».

 

[60]           D’autre part, le Dr Leroux a émis une opinion non équivoque quant au lien de causalité entre la condition du demandeur et les tâches qu’il a exercées. Il a indiqué que les microtraumatismes avaient aggravé les deux conditions du demandeur. Il a également noté que l’ostéoarthrose du demandeur était plus importante que ce que l’on devrait retrouver chez quelqu’un de son âge. Le fait que son opinion soit basée sur les rayons X de 2002 n’y change absolument rien, au contraire. En 2002, le demandeur était encore plus jeune et il aurait normalement dû avoir encore moins d’arthrose que ce qui a été constaté. Dans son rapport additionnel du 16 juin 2008, le Dr Leroux a réitéré les principales tâches qui ont été effectuées par le demandeur et qui l’ont amené à conclure à un lien de causalité :

Dans la synthèse et discussion, il est bien mentionné que le patient était comme technicien en approvisionnement et dans l’infanterie de 1985 jusqu’en 2002. Il aurait alors déplacé de multiples charges, poussé, tiré régulièrement et de façon répétitive des objets pouvant peser jusqu’à 90 livres comme technicien de mouvement, ainsi que manipulé des charges jusqu’à 80 livres avec mouvements de rotation sur des palettes, en plus de l’entraînement de soldat, soit faire des « PT tests », marche de 13 km avec port d’équipement, arme et casque qui peuvent peser jusqu’à 60 à 70 livres.

 

[Le passage souligné l’est dans l’original]

 

[61]           Le Dr Leroux a indiqué de façon claire qu’il y avait à son avis une relation entre l’aggravation de la condition du demandeur et les tâches qu’il a accomplies durant son service militaire dans une proportion minimale de 3/5.

 

[62]           Je considère donc, à la lumière des deux rapports du Dr Leroux, qu’il était déraisonnable pour le Tribunal de conclure que le rapport de 2006 reposait davantage sur les facteurs qui relèvent de la maladie discale que de l’affection cervicale. Je considère également qu’une lecture complète des deux rapports permet de conclure que le Dr Leroux a estimé que les différentes tâches effectuées par le demandeur, et plus particulièrement celles qu’il a réitérées dans son deuxième rapport, ont entraîné des microtraumatismes pour la région cervicale. Le Tribunal indique que le rapport radiologique de 2002 n’indique pas que le demandeur a une arthrose plus sévère que celle attendue d’une personne de son âge. Le rapport radiologique n’émet tout simplement pas d’opinion sur cette question et ne fait que décrire la « photo » de la région cervicale du demandeur. Toutefois, le Dr Leroux possède toute l’expertise nécessaire pour émettre une opinion sur l’ampleur de la condition du demandeur et son opinion n’est absolument pas contredite. De plus, le fait que les lignes directrices sur les microtraumatismes ne s’appliquent qu’aux articulations portantes n’exclut pas la possibilité que des microtraumatismes puissent causer ou aggraver une affection à la région cervicale qui n’est pas une articulation portante puisqu’elle n’a justement pas comme fonction de supporter les autres. Le port du casque est un bon exemple. Il n’est pas invraisemblable de penser que la marche avec port d’équipement, arme et casque pouvant peser de 60 à 70 livres puisse entraîner des microtraumatismes à la région cervicale qui n’est pas une articulation portante. C’est d’ailleurs ce que je comprends du rapport du Dr Parisot lorsqu’il mentionne que le port du casque est « anti-ergonomique pour la colonne cervicale non portante physiologiquement ».

 

[63]           Je trouve, par ailleurs, que la lecture que le Tribunal a faite du rapport du Dr Parisot est injuste et déraisonnable. D'abord, il discrédite le Dr Parisot qui parle d’une hernie. Or, l’IRM de 1998 parlait d’une hernie discale. Le fait que le rapport radiologique de 2002 ne l’ait pas vu n’y change rien. D’autre part, lorsque le Dr Parisot parle des articulations « déjà hypothéquées », il est évident qu’il parle des épisodes de cervicalgie du demandeur, de son arthrose plus avancée et des trouvailles radiologiques. Il est également possible d’inférer que, comme médecin militaire, le Dr Parisot est bien au fait des caractéristiques des casques d’acier portés par les fantassins.    

 

[64]           Je considère donc que, dans l’ensemble, les rapports du Dr Leroux sont suffisamment étayés pour que j’en comprenne les assises et les éléments qui sous-tendent son opinion. Il en est de même du rapport du Dr Parisot qui, comme médecin militaire, doit avoir une bonne connaissance des fonctions exercées par le demandeur et des équipements qu’il a utilisés et qui appuie l’opinion du Dr Leroux.

 

[65]           Pour tous ces motifs, je considère qu’il était déraisonnable en l’espèce d’écarter les deux rapports du Dr Leroux et celui du Dr Parisot et de ne leur accorder aucune crédibilité. Je considère qu’à la lumière de la preuve médicale au dossier, la décision du Tribunal n’a pas respecté les paramètres émis dans les articles 2 de la Loi sur les pensions et 3 et 39 de la Loi sur le TAC et que l’intervention de la Cour est justifiée.

 

[66]           Le dossier est retourné devant un autre panel du Tribunal pour qu’il réexamine le dossier du demandeur à la lumière des conclusions du présent jugement. 


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision du Tribunal du 9 février 2011 est cassée et le dossier est retourné pour que la demande de réexamen du demandeur soit étudiée par un nouveau panel à la lumière du présent jugement. Le tout avec dépens.

 

 

« Marie-Josée Bédard »

Juge

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