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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20120620

Dossier: T-1403-11

Référence : 2012 CF 789

Ottawa (Ontario), le 20 juin 2012

En présence de monsieur le juge Boivin

 

ENTRE :

 

ANNE-MARIE LAMOLINAIRE

 

 

 

Demanderesse

 

et

 

 

BELL CANADA

 

 

 

Défenderesse

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Madame Anne-Marie Lamolinaire (la demanderesse) sollicite le contrôle judiciaire d’une décision datée du 29 juillet 2011 par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a rejeté, en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H-6 [Loi], la plainte de discrimination et de harcèlement que la demanderesse avait déposée à l’encontre de Bell Canada (la défenderesse), son ancien employeur. La demanderesse se représente seule dans la présente cause.

Le contexte factuel

[2]               La demanderesse a commencé à travailler chez la défenderesse en octobre 1999 faisant la transcription de textes pour le service aux malentendants (le Relais). Par la suite, la demanderesse a travaillé aux services interurbains (Bureau Méga) de juin 2001 jusqu’en avril 2004.

 

[3]               Dans le cadre de son emploi, la demanderesse était couverte par la convention collective intervenue entre Bell Canada et le Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP).

 

[4]               La demanderesse a déposé un grief le 17 mai 2004, en vertu de la convention, alléguant avoir été victime de harcèlement et de discrimination au cours de son emploi.

 

[5]               Le 21 octobre 2004, la demanderesse a également déposé une plainte à la Commission. Dans sa plainte, la demanderesse a allégué qu’elle a été défavorisée pendant son emploi chez Bell Canada et qu’elle a subi du harcèlement et de la discrimination en raison de son origine nationale ou ethnique (sa nationalité française) contrairement aux articles 7 et 14 de la Loi.

 

[6]               Un premier rapport en vertu de l’alinéa 41(1)a) de la Loi a été présenté à la Commission lui recommandant de statuer sur la plainte de la demanderesse après qu’elle avait épuisé les autres recours à sa disposition. Cette décision a été communiquée à la demanderesse le 13 avril 2005.

 

[7]               Suite à une enquête, en décembre 2005, le SCEP a déterminé que la demanderesse n’était pas une victime de harcèlement ou de discrimination sur la base de son origine nationale ou ethnique. Le SCEP a décidé de ne pas poursuivre avec le grief de la demanderesse.

 

[8]               En décembre 2005, la demanderesse a déposé une plainte de pratique déloyale en vertu de l’article 37 du Code canadien du travail, LRC 1985, c L-2 (Code), auprès du Conseil canadien des relations industrielles (CCRI). La demanderesse a pris position que son syndicat avait agi de façon arbitraire et de mauvaise foi quant au traitement de son grief.

 

[9]               Le 24 juillet 2009, le CCRI a rejeté la plainte de la demanderesse. Le CCRI a expliqué que la demanderesse n’avait pas établi que le SCEP avait violé l’article 37 du Code et que l’enquête du SCEP n’avait pas été menée de façon superficielle ou inadéquate. Cette décision n’a pas été contestée par la demanderesse.

 

[10]           Vers le mois d’août ou septembre 2009, la demanderesse a avisé la Commission qu’elle avait épuisé la procédure de grief et qu’elle désirait réactiver sa plainte. La Commission a invité les parties de soumettre leurs commentaires sur les allégations de discrimination et de harcèlement avancées par la demanderesse.

 

[11]           La demanderesse et la défenderesse ont soumis des commentaires en décembre 2009 et en janvier 2010.

 

[12]           Le 16 juillet 2010, la Commission a décidé de statuer sur la plainte de la demanderesse en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi et cette décision a été communiquée par lettre datée du 11 août 2010.

 

[13]           La plainte a été transmise à la Direction des enquêtes et l’enquêtrice de la Commission, Mme Pascale Lagacé, a communiqué avec la défenderesse afin d’obtenir sa réponse aux allégations contenues dans la plainte de la demanderesse.

 

[14]           Le 26 avril 2011, la Commission a envoyé son rapport d’enquête aux parties qui recommandait de rejeter la plainte. Toutefois, l’enquêtrice a de nouveau invité les parties à soumettre leurs commentaires écrits au sujet de leurs observations. Suite à la divulgation du rapport d’enquête, un deuxième témoin a été identifié par la demanderesse, M. Joseph Sohmer. Un complément de son rapport d’enquête a été communiqué, toutefois, l’enquêtrice a déterminé qu’il n’y avait pas lieu de modifier la recommandation initiale à la Commission de rejeter la plainte.

 

[15]           Dans son rapport d’enquête, l’enquêtrice a formulé les conclusions suivantes (Dossier de la Commission, p 14, para 65):

65. Il appert que bien que la plaignante puisse avoir entretenu des relations difficiles avec certains collègues de travail, il ne semble pas que le comportement dont elle se plaint soit lié à un motif de discrimination prohibé. Par ailleurs, il appert que le traitement dont a fait l’objet la plaignante ainsi que la décision de ne pas la réembaucher soient liés à des difficultés de rendement et ne semblent aucunement liée à son origine nationale ou ethnique.

 

[16]           Le 11 mai 2011, la demanderesse a soumis ses commentaires à l’enquêtrice quant au rapport d’enquête. Aussi, le témoin de la demanderesse, Mme Murielle Bouchard, a rédigé une lettre avec ses commentaires que la demanderesse a fait parvenir à la Commission. Ces observations ont été communiquées à la défenderesse, et le 28 juin 2011, la défenderesse a transmis ses commentaires à l’enquêtrice.

 

[17]           La Commission a rendu une décision par lettre datée du 29 juillet 2011 rejetant la plainte.

 

[18]           La demanderesse a déposé la présente demande de contrôle judiciaire le 30 août 2011.

 

La décision visée

[19]           En vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi, la Commission a décidé de rejeter la plainte de la demanderesse et de fermer le dossier traitant de cette plainte pour les raisons suivantes :

·               la preuve n’appuie pas les allégations selon lesquelles la plaignante a été harcelée et/ou défavorisée en cours d’emploi en raison de son origine nationale ou ethnique ;

·               la décision de ne pas réembaucher la plaignante ne semble pas liée à son origine nationale ou ethnique ; et

·               compte tenu de toutes les circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci par le Tribunal canadien des droits de la personne ne semble pas justifié.

 

                                                [Dossier de la défenderesse, onglet 18, p 12]

 

La question en litige

[20]           La Cour estime que la question en litige dans la présente cause est la suivante :

La Commission a-t-elle rendu une décision raisonnable en rejetant la plainte de la demanderesse ?

 

La législation pertinente

[21]           L’article 44 de la Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit que :

PARTIE III

 

ACTES DISCRIMINATOIRES ET

DISPOSITIONS GÉNÉRALES

 

Enquête

 

Rapport

 

44. (1) L’enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l’enquête.

 

 

 

Suite à donner au rapport

 

(2) La Commission renvoie le plaignant à l’autorité compétente dans les cas où, sur réception du rapport, elle est convaincue, selon le cas :

 

a) que le plaignant devrait épuiser les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

 

b) que la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale.

 

 

 

 

 

Idem

 

(3) Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

 

a) peut demander au président du Tribunal de désigner, en application de l’article 49, un membre pour instruire la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue :

 

(i) d’une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci est justifié,

 

(ii) d’autre part, qu’il n’y a pas lieu de renvoyer la plainte en application du paragraphe (2) ni de la rejeter aux termes des alinéas 41c) à e);

 

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

 

 

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifié,

 

(ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l’un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).

 

 

Avis

 

(4) Après réception du rapport, la Commission :

 

a) informe par écrit les parties à la plainte de la décision qu’elle a prise en vertu des paragraphes (2) ou (3);

 

 

b) peut informer toute autre personne, de la manière qu’elle juge indiquée, de la décision qu’elle a prise en vertu des paragraphes (2) ou (3).

PART III

 

DISCRIMINATORY PRACTICES AND GENERAL PROVISIONS

 

Investigation

 

Report

 

44. (1) An investigator shall, as soon as possible after the conclusion of an investigation, submit to the Commission a report of the findings of the investigation.

 

Action on receipt of report

 

(2) If, on receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission is satisfied

 

 

 

(a) that the complainant ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available, or

 

 

(b) that the complaint could more appropriately be dealt with, initially or completely, by means of a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act, it shall refer the complainant to the appropriate authority.

 

 

 

Idem

 

(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

 

(a) may request the Chairperson of the Tribunal to institute an inquiry under section 49 into the complaint to which the report relates if the Commission is satisfied

 

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is warranted, and

 

(ii) that the complaint to which the report relates should not be referred pursuant to subsection (2) or dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e); or

 

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

 

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

 

(ii) that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e).

 

Notice

 

(4) After receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

(a) shall notify in writing the complainant and the person against whom the complaint was made of its action under subsection (2) or (3); and

 

(b) may, in such manner as it sees fit, notify any other person whom it considers necessary to notify of its action under subsection (2) or (3).

 

La norme de contrôle applicable

[22]           La Cour note que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la raisonnabilité (Gerrard c Canada (Procureur général), 2010 CF 1152 au para 24, [2010] ACF no 1436 [Gerrard]; Balogun c Canada (Ministre de la Défense nationale), 2009 CF 407, [2009] ACF n526, conf. par 2010 CAF 29 [Balogun]; Ibrahim c Shaw Cablesystems G.P., 2010 CF 1220 au para 16, [2010] ACF no 1525). Réitérant les commentaires du juge de Montigny dans l’affaire Gerrard au para 24, la Cour note que « la raisonnabilité est une norme axée sur la déférence à l'égard du décideur, et tient "à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit" : Nouveau-Brunswick c Dunsmuir, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 au paragraphe 47 ».

 

La position de la demanderesse

[23]           De façon générale, la demanderesse prétend qu’elle a été victime de harcèlement et de discrimination alors qu’elle était à l’emploi de la défenderesse. Elle soutient qu’elle a subi des remarques discriminatoires, des commentaires désobligeants, des conditions de travail insupportables et déstabilisantes, des menaces de licenciement et de la torture psychologique. En outre, la demanderesse soutient qu’elle a perdu sept années de rentes du Québec imputables aux actions de la défenderesse.

 

[24]           La demanderesse prétend que la décision de la Commission n’était pas raisonnable puisqu’il y a eu une absence d’enquête approfondie. Plus spécifiquement, la demanderesse avance que l’enquêtrice de la Commission n’a pas fait son enquête de façon adéquate puisqu’elle a omis de rapporter plusieurs faits – notamment ceux présentés par les témoins de la demanderesse, Mme Murielle Bouchard et M. Joseph Sohmer. Elle reproche à la Commission d’avoir préféré la version des faits de Mme Claire Ouellette, la représentante du SCEP choisie par la défenderesse, malgré le fait que Mme Ouellette avait enfreint les droits de la demanderesse et le fait que sa crédibilité avait été remise en question. Aussi, la demanderesse reproche à l’enquêtrice d’avoir pris en compte la décision erronée du CCRI. De plus, la demanderesse affirme que la Commission a ignoré des preuves essentielles et a tenu compte de certaines preuves qu’elle allègue être falsifiées, plus particulièrement, les feuilles syndicales de la demanderesse.

 

La position de la défenderesse

[25]           La défenderesse soutient que l’enquêtrice nommée par la Commission a mené son enquête de façon neutre, impartiale et rigoureuse (voir Balogun, ci-dessus, et Slattery c Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (1re inst), [1994] 2 CF 574, [1994] ACF no 181, confirmé, 2005 NR 383, [1996] ACF no 385 [Slattery]). La défenderesse prétend que la décision de la Commission est raisonnable, justifiée et dans les limites de son champ de compétence en vertu de l’alinéa 44(3) de la Loi. La défenderesse soutient que la Commission a rejeté la plainte de la demanderesse à la lumière des conclusions du rapport d’enquête et des preuves soumises par la demanderesse. La défenderesse rappelle que l’enquêtrice a tenu compte des commentaires et des observations de chaque partie et a interrogé des témoins suggérés par les parties, spécifiquement Mme Ouellette, Mme Bouchard et M. Sohmer. La défenderesse soutient que la Commission n’a pas ignoré d’éléments importants soumis par la demanderesse et ses témoins.

 

L’analyse

[26]           Dans l’affaire Canada (Procureur général) c Davis, 2009 CF 1104, [2009] ACF no 1346 [Davis], le juge Harrington a fait les observations suivantes concernant l’objet de la Loi canadienne des droits de la personne et le processus de traitement des plaintes :

[15] La Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP) vise à donner effet, pour ce qui est des domaines relevant du fédéral, au principe suivant lequel tous les individus doivent pouvoir s'épanouir indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe ou d'autres facteurs. […]

 

[16] Sur réception d'une plainte, la Commission peut effectuer un certain nombre d'actions. Conformément à l'article 41 et suivants de la LCDP, la Commission peut refuser de traiter une plainte si, par exemple, la plainte pourrait avantageusement être instruite selon des procédures prévues par une autre loi fédérale, elle n'est pas de sa compétence (c'est-à-dire qu'il ne s'agit pas d'une question qui relève du fédéral), elle est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi ou elle a été déposée après l'expiration d'un délai d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée.

 

[…]

 

[20] La Commission a alors nommé son propre enquêteur. La LCDP prévoit qu'à la fin de l'enquête, après avoir examiné le rapport, la Commission peut soit renvoyer la plainte au Tribunal ou la rejeter si elle est « [...] convaincue [...] que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié », selon le cas.

 

[27]           Conformément à la norme de contrôle de la décision raisonnable, la Cour doit faire preuve de déférence envers la Commission. Toutefois, lorsque la décision de la Commission ne respecte pas l’équité procédurale ou fait preuve d’un manque de neutralité ou de rigueur, la Cour peut intervenir. Dans l’affaire Slattery, ci-dessus, au para 56, cette Cour a énoncé « [qu’il] faut faire montre de retenue judiciaire à l'égard des organismes décisionnels administratifs qui doivent évaluer la valeur probante de la preuve et décider de poursuivre ou non les enquêtes. Ce n'est que lorsque des omissions déraisonnables se sont produites, par exemple lorsqu'un enquêteur n'a pas examiné une preuve manifestement importante, qu'un contrôle judiciaire s'impose. …».

 

[28]           En l’espèce, la demanderesse met en doute la neutralité et la rigueur de l’enquête menée par l’enquêtrice de la Commission. Toutefois, après lecture faite du dossier, la Cour n’est pas convaincue du bien-fondé des arguments de la demanderesse et ne peut accepter ses prétentions.

 

[29]           D’une part, en ce qui concerne la question de l’équité procédurale, la Cour estime que chacune des parties a eu plusieurs occasions de soumettre des observations et faire part de ses arguments quant aux allégations de discrimination et de harcèlement avancées par la demanderesse. La Cour note que la demanderesse a déposé ses observations à la Commission le 5 décembre 2009 et le 20 janvier 2010. En parallèle, la défenderesse a soumis ses commentaires le 15 décembre 2009 et le 29 janvier 2010. Après réception du rapport d’enquête, la demanderesse a eu l’opportunité de communiquer de nouveau avec la Commission le 11 mai 2011. Elle a ensuite soumis ses commentaires à l’enquêtrice quant au rapport d’enquête. De même, le témoin de la demanderesse, Mme Bouchard, a signé une lettre avec ses commentaires qui a été envoyé à la Commission. En somme, la Cour constate que la demanderesse a eu plusieurs occasions de participer au processus décisionnel et conséquemment, la Cour ne peut conclure qu’il y a eu manque d’équité procédurale.

 

[30]           D’autre part, pour ce qui est de la question de la neutralité et de la rigueur, les arguments de la demanderesse doivent également être rejetés.

 

[31]           La preuve démontre en effet que l’enquêtrice a interrogé la demanderesse et les témoins suggérés par la demanderesse, spécifiquement Mme Murielle Bouchard et M. Joseph Sohmer. L’enquêtrice a également analysé les documents et la preuve fournis par la demanderesse. Quoique la demanderesse reproche à l’enquêtrice d’avoir préféré la version des événements entourant son grief qui a été relaté par Mme Ouellette, la Cour ne peut accepter que cela ait porté atteinte à la neutralité et à la rigueur du processus. La Cour rappelle qu’il est du ressort de l’enquêtrice et à la Commission d’évaluer la valeur probante de la preuve et en tirer des conclusions. En l’espèce, la demanderesse reproche à la Commission d’avoir préféré certaines preuves à d’autres. Dans ce contexte, la Cour fait sien les commentaires du juge Harrington dans l’affaire Davis, ci-dessus, au para 56 : « [d]e toute façon, la plupart des commentaires étaient argumentatifs et insistaient pour que l'enquêteur préfère un ensemble de preuves à l'autre. Ce n'est pas le rôle de l'enquêteur, ni de la Commission, de rendre une décision sur la crédibilité, mais plutôt de simplement déterminer s'il existe des preuves qui, si on leur ajoute foi, justifient la plainte. … ».

 

[32]           Ainsi, la Cour estime que l’enquêtrice n’a pas traité les faits de façon sélective et n’a pas omis d’examiner une preuve manifestement importante. La majorité des arguments de la demanderesse étaient axés sur le traitement de son grief par le syndicat et le CCRI ainsi que les preuves déposées dans ce contexte, spécifiquement les feuilles syndicales. Toutefois, la Cour rappelle qu’elle ne peut réexaminer ce processus en matière du droit du travail et qu’elle est uniquement saisie dans la présente du contrôle judiciaire de la décision de la Commission. Aussi, la Cour note que la décision du CCRI n’a pas été contestée par la demanderesse et il était donc raisonnable dans les circonstances que l’enquêtrice accepte certaines preuves et documents connexes.

 

[33]           Il importe finalement de souligner que la Commission avait le mandat de déterminer s’il y avait des éléments de preuve qui permettaient de conclure que la demanderesse avait subi du harcèlement ou de la discrimination dans le cadre de son emploi en raison de son origine nationale ou ethnique et si la non-réembauche de cette dernière était l’accumulation du harcèlement et de cette discrimination. Essentiellement, l’enquêtrice a déterminé que la preuve recueillie n’appuyait pas les allégations de harcèlement et de discrimination sur la base de l’origine nationale ou ethnique de la demanderesse.

 

[34]           L’enquêtrice a observé que la demanderesse ne pouvait fournir les noms et/ou des détails précis concernant ses allégations. L’enquêtrice a aussi conclu que Mme Bouchard, un témoin de la demanderesse, avait soulevé un seul commentaire comme preuve de harcèlement, mais que Mme Bouchard avait admis qu’elle ignorait dans quel contexte le commentaire avait été fait. L’enquêtrice a aussi observé que ni Mme Bouchard ni M. Sohmer ne pouvaient démontrer que la demanderesse avait été victime de harcèlement ou de discrimination en raison de son origine nationale ou ethnique. Plutôt, l’enquêtrice a conclu que la demanderesse a fait preuve de difficultés de rendement comme employée chez la défenderesse. La demanderesse n’a pas convaincu la Cour que les conclusions de la Commission étaient déraisonnables.

 

[35]           La Cour sympathise avec la situation de la demanderesse, mais, à la lumière des arguments des parties, de la preuve au dossier et des paramètres établis par la jurisprudence, la Cour est d’avis que la décision de la Commission est raisonnable. L'enquête a été menée de façon équitable, neutre et impartiale et l'enquêtrice a tiré des conclusions raisonnables. En conséquence, la Cour conclut qu’il était raisonnable pour la Commission de souscrire aux recommandations de l'enquêtrice et de rejeter la plainte de la demanderesse (Gerrard, ci-dessus, au para 28; Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404 au para 37, [2005] ACF no 2056).

 

[36]           Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Lors de l’audience devant cette Cour, les parties se sont entendues afin d’assumer leurs propres dépens.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

2.                  Chaque partie assume ses propres dépens relativement à cette demande.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1403-11

 

INTITULÉ :                                      Anne-Marie Lamolinaire

                                                            c Bell Canada

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 8 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 20 juin 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Anne-Marie Lamolinaire

 

POUR LA DEMANDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Me Mireille Bergeron

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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