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Date : 20120730

Dossier : IMM‑8599‑11

Référence : 2012 CF 938

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 juillet 2012

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

SUSAN MERLENE COUDOUGAN

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse, Susan Merlene Coudougan, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision défavorable rendue le 18 novembre 2011 à l’issue d’un examen sur les risques avant renvoi (ERAR). La présente audience a eu lieu en même temps que celle relative à sa demande de contrôle judiciaire de la décision rendue en réponse à sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (dossier IMM‑8600‑11).

 

I.          Contexte

 

[2]               La demanderesse est une citoyenne de Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines (Saint‑Vincent). Elle a présenté sa première demande d’asile au Canada en 2006 en alléguant qu’elle était victime de violence de la part de son ex‑conjoint, Gus Robertson, qui était aussi le père de ses trois enfants les plus âgés. Sa demande a été rejetée, ainsi que la demande d’ERAR qu’elle a présentée par la suite. Elle a été renvoyée à Saint‑Vincent en décembre 2009.

 

[3]               La demanderesse affirme qu’à son retour, elle a été agressée par des membres de la famille de M. Robertson. Elle est rentrée au Canada le 5 octobre 2011. Elle a demandé qu’un ERAR ait lieu en même temps que l’examen de la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire qu’elle avait présentée avant d’être renvoyée du Canada en 2008. Les deux demandes ont été rejetées par le même agent d’immigration supérieur (l’agente). La demanderesse demande maintenant à notre Cour d’examiner la décision rendue en réponse à sa demande d’ERAR.

 

II.        La décision rendue en réponse à la demande d’ERAR

 

[4]               L’agent a évalué le risque que M. Robertson présentait en faisant observer qu’il y avait peu de renseignements lui permettant de conclure qu’il existe une possibilité sérieuse qu’il constitue une menace future pour la demanderesse. Compte tenu des antécédents de la demanderesse et des documents relatifs à Saint‑Vincent qui faisaient état de la violence dont les femmes y sont victimes, l’agent a toutefois accordé le bénéfice du doute à la demanderesse et il a reconnu qu’elle était exposée à un certain niveau de risque de la part de M. Robertson. L’agent a également accepté les éléments de preuve suivant lesquels des membres de la famille de M. Robertson avaient agressé la demanderesse et posaient un certain risque, tout en laissant entendre que ceux‑ci ne cherchaient pas activement à retrouver la demanderesse dans le but de s’en prendre à elle.

 

[5]               Plus important encore, l’agent a conclu que la demanderesse pouvait se prévaloir de la protection de l’État à Saint‑Vincent et qu’elle pouvait raisonnablement compter sur cette protection. La police et l’État étaient disposés à intervenir à la suite des incidents subis par la demanderesse. Elle avait signalé les incidents en question à la police, qui avait déduit que le membre de la famille en cause s’était enfui à Trinidad. On ne pouvait conclure, du fait que les démarches de la police ne s’étaient pas traduites par une condamnation, qu’il n’y avait pas eu d’enquête.

 

[6]               L’agent a examiné la preuve documentaire pertinente. Il a accordé plus de poids aux renseignements indépendants plus récents contenus dans un rapport du Département d’État des États‑Unis sur les droits de la personne dans lequel il était question de la formation donnée aux policiers pour s’occuper des victimes de violence conjugale. Bien que la violence conjugale ne constitue pas un crime à Saint‑Vincent, une protection est offerte par la loi aux les victimes en prévoyant d’autres types d’accusations ainsi que par l’entremise de services gouvernementaux et non gouvernementaux.

 

[7]               L’agent a explicitement reconnu que la protection de l’État n’était pas parfaite. Il a mentionné le manque de maisons d’hébergement et signalé [traduction] « l’inégalité de pouvoir entre les hommes et les femmes, la fréquence et la gravité des cas de violence conjugale et les difficultés entraînées par l’exiguïté du territoire du pays ».

 

III.       Question en litige

 

[8]               La principale question soumise à notre Cour est celle de savoir si la décision de l’agent était raisonnable.

 

IV.       Norme de contrôle

 

[9]               En principe, la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique à l’évaluation faite par l’agent d’ERAR (voir, par exemple, le jugement Hnathusko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 18, [2010] ACF no 21, aux paragraphes 25 et 26). Cette norme vaut pour toute conclusion tirée au sujet de la protection de l’État.

 

V.        Analyse

 

[10]           La demanderesse affirme que l’agent a commis une erreur en négligeant de se concentrer sur la question de savoir si cette protection existait concrètement et pratiquement pour conclure qu’elle pourrait raisonnablement compter sur la protection de l’État. Toutefois, je ne suis pas convaincu que l’agent n’a pas procédé à l’analyse appropriée ou qu’il n’a pas cherché à savoir si la protection de l’État était suffisante en l’espèce. L’agent a examiné les mesures existantes visant à répondre aux plaintes de violence conjugale à Saint‑Vincent, et il a mentionné la formation donnée aux policiers, ainsi que la protection juridique et les services offerts par le Bureau de promotion de l’égalité des sexes du gouvernement. L’agent a par ailleurs explicitement reconnu les failles de la situation actuelle. Dans son analyse, il a tenu compte des connaissances et des compétences limitées en matière de violence conjugale dont il était question dans la preuve, du nombre insuffisant de centres d’hébergement ainsi que de l’inégalité de pouvoir entre les hommes et les femmes et de la fréquence des cas de violence conjugale à Saint‑Vincent.

 

[11]           Je suis d’avis que l’agent était conscient des éléments de preuve contradictoires portant sur les difficultés d’ordre pratique que pose la lutte contre la violence conjugale et que, compte tenu des renseignements portés à sa connaissance au sujet des mesures prises pour s’attaquer au problème et du fait qu’il a tenu compte des preuves négatives pertinentes, sa conclusion que la demanderesse pouvait raisonnablement compter sur la protection de l’État était suffisamment étayée. Certes, la demanderesse aurait préféré une appréciation plus favorable des éléments de preuve en question, mais il ne s’ensuit pas pour autant que l’analyse de l’agent était déraisonnable dans les circonstances. Le demandeur doit présenter des éléments de preuve clairs et convaincants pour démontrer qu’il ne pourrait raisonnablement compter sur la protection de l’État ou que celle‑ci serait insuffisante (Carillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] ACF no 399, au paragraphe 38).

 

[12]           Dans le même ordre d’idées, la demanderesse reproche à l’agent d’avoir cité des extraits de certains rapports en omettant toutefois de faire mention d’autres rapports dans lesquels il était question de l’ampleur du problème de la violence conjugale au pays. Je tiens à souligner que l’agent est présumé avoir tenu compte de tous les éléments de preuve portés à sa connaissance et qu’il n’a pas à faire mention de chacun des éléments de preuve dont il dispose (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598); Hassan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 NR 317, [1992] ACF no 946 (CAF)). En règle générale, les motifs exposés par l’agent en l’espèce démontrent qu’il a dûment tenu compte du caractère généralisé et de la gravité de la violence conjugale à Saint‑Vincent.

 

[13]           L’agent a également le droit d’accorder aux éléments de preuve la valeur qu’il juge appropriée en tenant compte de facteurs, tel le fait qu’ils soient récents, comme il l’a fait dans son appréciation du rapport du Département d’État des États‑Unis au regard des autres renseignements existants. Contrairement à ce que prétend la demanderesse et ainsi que l’intimée l’a fait observer, l’agent a explicitement tenu compte de l’avis juridique relatif à la question de la violence conjugale à Saint‑Vincent soumis à son attention. L’agent a mentionné que l’auteur de cette opinion est d’avis que les victimes ne peuvent compter sur une protection de l’État suffisante, qui présente diverses lacunes. L’agent a expressément examiné ces renseignements contradictoires d’une façon relativement détaillée avant d’arriver à la conclusion que la demanderesse pourrait néanmoins compter sur la protection de l’État.

 

[14]           La demanderesse reproche également à l’agent d’avoir conclu que la police et l’État étaient disposés à prendre des mesures à la suite des incidents dont elle avait été victime. Elle soutient qu’il n’y a pas eu d’intervention rapide adéquate en réponse à l’agression dont elle avait été victime près du poste de police où les policiers dormaient et que rien n’a été fait pour retrouver les auteurs de son agression. Malgré ces renseignements, l’agent a relevé que la demanderesse avait pu signaler l’incident et faire un suivi auprès de la police. Le défendeur signale des éléments de preuve montrant qu’à la suite d’une autre agression, les policiers s’étaient présentés à l’hôpital pour recueillir des éléments de preuve. L’agent a pris acte du fait que la réaction de la police n’était pas adéquate aux yeux de la demanderesse mais, compte tenu de l’ensemble des éléments de preuve présentés, il a estimé que la police avait réagi de façon satisfaisante à la situation de la demanderesse et a fait observer que le fait qu’il n’y ait pas eu d’arrestation ne signifiait pas que la police n’avait pas ouvert d’enquête ou pris d’autres mesures. De l’avis de la demanderesse l’agent aurait dû se concentrer uniquement sur les aspects négatifs des renseignements relatifs à la réponse des policiers, or l’analyse et la conclusion de l’agent étaient raisonnables étant donné qu’elles s’accordaient avec l’ensemble de la preuve présentée à l’appui de la demande d’ERAR.

 

VI.       Dispositif

 

[15]           Étant donné que j’estime que la conclusion tirée par l’agent au sujet de l’existence de la protection de l’État était raisonnable en l’espèce, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑8599‑11

 

INTITULÉ :                                                  SUSAN MERLENE COUDOUGAN c MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 28 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 30 juillet 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Anthony P. Navaneelan

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Jane Stewart

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Anthony P. Navaneelan

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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