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Date : 20120720

Dossier : IMM-149-12

Référence : 2012 CF 920

 Ottawa (Ontario), le 20 juillet 2012

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

 

LULZIM GORQAJ

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Monsieur Gorqaj est d’ethnie albanaise. Avec le démembrement de la Yougoslavie, il devient citoyen du Kosovo, où il dit avoir été persécuté par des espions serbes et des extrémistes albanais. La présente demande de contrôle judiciaire porte sur des allégations de persécution de la part de l’Armée nationale albanaise (AKSh), considérée comme une organisation terroriste. Monsieur Gorqaj, ainsi que son père et d’autres membres de sa famille, travaillent à la résolution pacifique des conflits au Kosovo. Plus spécifiquement, monsieur Gorqaj est membre de la Ligue démocratique du Kosovo. Dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), il allègue divers événements qui, s’ils sont véridiques, suggèrent fortement qu’il a fait l’objet de persécution dans ce pays.

 

[2]               Il quitte le Kosovo en 2006 et revendique, sans succès, l’asile aux États-Unis. Par la suite, il entre clandestinement au Canada et y dépose une demande d’asile fondée sur des motifs politiques. La Section de la protection des réfugiés (SPR), de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, l’interroge, entre autres, quant à la décision des autorités d’immigration américaines de rejeter sa demande d’asile. Il réplique qu’il y a eu un manquement de la part de son avocat. Quoiqu’il en soit, en l’espèce, vu l’état actuel du droit canadien, le fait que sa demande a échoué aux États-Unis est sans conséquence.

 

[3]               La SPR rejette sa demande d’asile pour deux motifs. Le commissaire détermine que monsieur Gorqaj manque de crédibilité. Toutefois, il est d’avis que même si son histoire était crédible, il n’a pas réussi à réfuter la présomption de la protection de l’État.

 

[4]               En l’espèce, monsieur Gorqaj soutient que les conclusions de la SPR quant à sa crédibilité et la protection étatique sont déraisonnables. De plus, il prétend que le commissaire a fait preuve de partialité à son égard.

 

DÉCISION

 

[5]               Je vais accueillir cette demande de contrôle judiciaire. À mon avis, les conclusions quant à la crédibilité de monsieur Gorqaj sont déraisonnables. En ce qui a trait à la protection de l’État, ce dernier n’a pas eu une possibilité raisonnable d’établir le bien-fondé de sa cause, produisant ainsi un résultat contraire à l’équité procédurale. Quant à l’allégation de partialité, le commissaire a procédé à un contre-interrogatoire quelque peu agressif de monsieur Gorqaj, et l’a interrompu et lui a coupé la parole à maintes reprises alors qu’il tentait de répondre. La Cour ayant déterminé que monsieur Gorqaj a été victime d’un manque d’équité procédurale, il ne m’est pas nécessaire d’examiner l’autre aspect de la justice naturelle, soit le droit d’être entendu par un décideur impartial. De toute façon, monsieur Gorqaj a été représenté par une avocate à l’audience, et aucune objection n’a été soulevée quant à l’approche adoptée par le commissaire. Il est bien établi que ce genre de préoccupations doit être soulevé à la première occasion (Abedalaziz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1066, [2011] ACF no 1271 (QL) et Acuna c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 FC 1222, [2006] ACF no 1557 (QL)).

 

DISCUSSION

 

I. Crédibilité

 

[6]               En l’espèce, il s’agit d’un exemple classique d’analyse microscopique. La SPR ne doit pas concentrer son analyse sur quelques incohérences mineures ou secondaires au point de « couper les cheveux en quatre » (Joseph c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1515, [2011] ACF no 1804 (QL) et Shaheen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 FCT 670, [2001] ACF no 993 (QL)).

 

[7]               Trois attaques ont particulièrement préoccupé le commissaire :

 

[8]               Lors de son témoignage, monsieur Gorqaj a donné une mauvaise date par rapport à l’une des attaques, mais l’a immédiatement corrigé par la suite. Le commissaire n’aurait pas dû en tirer une inférence négative, surtout si l’on considère que son agressivité a agité et déconcentré monsieur Gorqaj, et qu’il a agi de manière à suggérer que le demandeur avait peur de son propre ombre.

 

[9]               Dans son FRP, il a indiqué qu’en mars 2004, un groupe armé portant des insignes de l’AKSh avait ouvert le feu sur sa voiture.

 

[10]           Il a témoigné à propos d’un autre événement en octobre 2004, et a dit que le 28 novembre 2005, quatre hommes masqués l’ont détenu et menacé de mort. Ensuite, il a témoigné avoir été appelé quelques mois plus tard par une personne se présentant comme le chef de l’AKSh. Le commissaire a critiqué monsieur Gorqaj de ne pas avoir indiqué dans son FRP que ces hommes portaient des insignes de l’AKSh, conformément à son témoignage. Cependant, à la lecture de son récit, il est parfaitement évident qu’il s’agissait de membres de l’AKSh.

 

[11]           Le commissaire l’a aussi critiqué pour avoir dit que ces hommes l’ont menacé de mort, bien que ces menaces n‘ont pas été nécessairement verbalisées. Lorsque des agresseurs ouvrent le feu sur la voiture d’une personne et lui tire également un projectile dans la poitrine, il est certainement possible d’inférer à juste titre qu’ils ont l’intention de la tuer.

 

[12]           En fait, le commissaire a fait une observation absolument illogique à cet égard :

Did they say anything with regards to killing you if you do -- because that threat is if they say if you do “x” or you don’t do [“y”], here is the consequences, we will kill you. And that’s a death threat. It has to depend on something you do or you don’t do and the consequences are death. From what you testified, nothing implies there is a death threat there. So why is there not a consistency between your written version which speaks of death threat and what you testified?

 

[13]           Pour conclure sur ce point, il ne me revient pas de me prononcer sur la question de la crédibilité de monsieur Gorgaj. Il s’agit plutôt de déterminer si les conclusions du commissaire sont exclues du cadre des possibilités raisonnables (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190). Je suis d’avis qu’elles le sont.

 

II. Protection de l’État

 

[14]           L’avocate de monsieur Gorqaj présente deux arguments à cet égard. Premièrement, elle prétend que, bien que monsieur Gorqaj n’ait pas personnellement tenté d’obtenir la protection du Kosovo, ce dernier a tout de même tenté d’expliquer au commissaire son motif à cet égard en référant à la situation de son père. Cependant, le commissaire lui a coupé la parole et l’a interdit de parler. La transcription de l’audience est révélatrice :

BY PRESIDING MEMBER (to claimant): Did you ever ask for any state protection from any authorities whatsoever; yes or no?

 

BY CLAIMANT (to presiding member): Personally, no, my father.

 

BY PRESIDING MEMBER (to claimant): So you never made any written nor oral complaints?

 

BY CLAIMANT (to presiding member): My father was personally.

 

BY PRESIDING MEMBER (to claimant): I am not asking about your father. I’m asking about you.

 

BY CLAIMANT (to presiding member): I couldn’t ever go to declare to the police about what was happening.

 

BY PRESIDING MEMBER (to claimant): That’s part of the explanation. I’m asking you for an answer. I’ll ask the same question for the third time. It’s a yes or no answer. Did you make --

 

BY CLAIMANT (to presiding member): Personally, no.

 

 

[15]           Monsieur Gorqaj n’a pas eu l’occasion d’expliquer son action à cet égard à la lumière, particulièrement, de l’expérience de son père, et ce malgré le fait que le commissaire semble avoir accepté que la situation de son père faisait effectivement partie de son explication.

 

[16]           Deuxièmement, elle prétend que le commissaire a procédé à une analyse sélective des rapports portant sur la situation au Kosovo. Dans les circonstances, il ne m’est pas nécessaire d’examiner ce point.


ORDONNANCE

 

POUR LES MOTIFS SUSMENTIONNÉS;

LA COUR ORDONNE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire soit accueillie.

2.                  L’affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés, de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, afin que celui-ci procède à une nouvelle audition et statue à nouveau sur l’affaire.

3.                  Il n’y a aucune question grave d’importance générale à certifier.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-149-12

 

INTITULÉ :                                      GORQAJ c MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 12 JUILLET 2012

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE:                       HARRINGTON J.

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 20 JUILLET 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Jessica Lipes

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Daniel Baum

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jessica Lipes

Avocate

Services juridiques et de médiation à Montréal

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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