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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20120719


Dossier : IMM-4990-11

Référence : 2012 CF 913

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 juillet 2012

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

 

DORIS YALITH GARAVITO OLAYA

JHON VELOZA ROCHA

NICOLAS ESTEBAN VELOZA GARAVITO

ANDRES FELIPE VELOZA GARAVITO

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), en vue du contrôle judiciaire de la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés (la Commission), datée du 15 juin 2011, dans laquelle on a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention, au titre de l’article 96 de la Loi, ni des personnes à protéger selon la définition qu’en donne le paragraphe 97(1) de la Loi. Pour conclure en ce sens, la Commission a conclu que les demandeurs pouvaient, en Colombie, obtenir de l’État une protection adéquate.

 

[2]               Les demandeurs sollicitent de la Cour l’annulation de la décision de la Commission et le renvoi de l’affaire devant un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision.

 

Le contexte

 

[3]               La demanderesse principale est Doris Yalith Garavito Olaya, le codemandeur étant son mari, Jhon Veloza Rocha. Les deux autres demandeurs sont leurs fils, Nicolas Esteban Veloza Garavito et Andres Felipe Veloza Garavito. Tous sont citoyens de Colombie.

 

[4]               En 2007, la demanderesse principale (ingénieure industrielle) et le codemandeur (un avocat) ont créé l’Alquimaq Garavito, société spécialisée dans les conseils juridiques aux entreprises, gouvernements et petites entités des régions du Sud-Ouest et du Centre-Sud de la Colombie.

 

[5]               En novembre 2009, on a recours à Alquimaq Garavito pour administrer les contrats de construction de la municipalité d’Orito, située dans le Sud de la Colombie. Le travail consistait à analyser les capacités techniques et financières des entreprises qui soumissionnaient pour des contrats municipaux. Alquimaq Garavito transmettait ses recommandations à l’intention de la municipalité, qui se prononçait en dernier ressort sur l’attribution des contrats. En vue de ce travail, les demandeurs quittèrent Bogota pour Orito.

 

[6]               Le demandeur a, en mai 2010, reçu un appel téléphonique d’un homme se disant membre du 7e front des Forces armées révolutionnaires de Colombie (les FARC). L’interlocuteur intima au codemandeur l’ordre d’octroyer les contrats municipaux d’Orito à des entreprises que les FARC désigneraient. L’individu en question prévenait le codemandeur que s’il n’obtempérait pas, malheur lui arriverait, à lui et à sa famille.

 

[7]               Le mois suivant, le codemandeur a reçu un autre appel, du même individu semble-t-il. Celui-ci lui a mentionné le nom d’une entreprise à laquelle les FARC souhaitaient voir accorder le contrat. Le codemandeur répondit à cet individu que le choix de l’entreprise avait déjà été fait et qu’il n’était plus possible de le modifier. L’individu lui demanda alors quelle était la société qui avait été recommandée, mais le codemandeur refusa de lui répondre sur ce point.

 

[8]               Le jour suivant, la demanderesse principale a reçu un appel téléphonique d’un homme se disant sous-commandant du 7e front des FARC. Cet homme la menaça, lui disant que si l’entreprise désignée par les FARC n’obtenait pas le contrat, les demandeurs en subiraient les conséquences.

 

[9]               Le codemandeur a communiqué avec Me Uribe, avocat et conseiller au cabinet du maire, pour lui demander conseil quant à ce qu’il devait faire. Me Uribe lui conseilla de signer une déclaration auprès de l’ombudsman à Orito, puis de prendre contact avec les autorités. Suivant ce conseil, le codemandeur fit une déclaration à l’ombudsman, qui avertit la Commission d’Orito (organisme relevant du Bureau du procureur général). L’ombudsman fit savoir au codemandeur que, bien qu’il y soit admissible en tant que personne déplacée, on ne pouvait, étant donné qu’il n’était pas employé du gouvernement, lui accorder aucune protection particulière.

 

[10]           Aucune protection ne pouvant leur être assurée, les demandeurs décidèrent, le ou vers le 21 juin 2010, de rentrer à Bogota. À Bogota, les demandeurs passèrent une première semaine chez la mère du codemandeur, puis allèrent se cacher chez la mère de la demanderesse principale. Plus tard, le 9 juillet 2010, deux hommes s’introduisirent de force chez la mère du codemandeur. Ils se présentèrent comme membres des FARC, la menaçant et brandissant un pistolet. Les hommes fouillèrent la maison, demandant qu’on leur dise où se trouvaient les demandeurs. La mère du codemandeur se rendit à la police faire une déclaration.

 

[11]           Lorsque les demandeurs apprirent ce qui s’était passé, ils décidèrent de quitter la Colombie et demandèrent des visas pour les États-Unis.

 

[12]           Environ 10 jours plus tard, les contrats municipaux d’Orito furent officiellement accordés à des entreprises autres que celles désignées par les FARC. Le ou vers le 15 août 2010, par un message téléphonique envoyé au bureau d’Alquimaq Garavito, les demandeurs reçurent des menaces de mort pour ne pas avoir accordé les contrats aux entreprises désignées par les FARC.

 

[13]           Le 26 août 2010, les demandeurs obtinrent des visas de visiteur les autorisant à effectuer un séjour de six mois aux États-Unis. Le 22 septembre 2010, ils quittèrent la Colombie pour les États‑Unis. Comme la demanderesse principale avait une tante au Canada, les demandeurs se rendirent à la frontière et passèrent au Canada le 27 septembre 2010. Le même jour, ils déposèrent une demande d’asile.

 

[14]           Depuis leur départ de Colombie, la mère du codemandeur a reçu de nombreux appels de la part de personnes cherchant à savoir où se trouvaient les demandeurs et proférant envers eux des menaces.

 

[15]           Les demandes d’asile présentées par les demandeurs ont été entendues le 11 avril 2011.

 

La décision de la Commission

 

[16]           La Commission a rendu sa décision le 15 juin 2011. L’avis de décision a été transmis le 8 juillet 2011.

 

[17]           La Commission a pris note du fait que les demandeurs craignaient d’être persécutés par les FARC. Elle a constaté leur identité au vu de la preuve qui lui fut présentée.

 

[18]           La Commission a examiné la crainte subjective dont les demandeurs faisaient état par rapport au fait qu’ils n’avaient pas demandé la protection des autorités américaines. La Commission a fait remarquer que, bien qu’ils aient obtenu des visas de visiteur leur permettant de séjourner six mois aux États‑Unis et qu’ils y aient passé cinq jours avant d’arriver au Canada, ils n’avaient, alors qu’ils se trouvaient aux États-Unis, ni communiqué avec les services de l’immigration, ni demandé l’asile, ni consulté un avocat. Selon la Commission, le fait qu’ils n’aient pas cherché à se renseigner quant à la manière de procéder pour demander l’asile aux États-Unis démontrait chez eux l’absence d’une crainte subjective véritable.

 

[19]           En se fondant sur la preuve documentaire dont elle disposait, la Commission procéda alors à un exposé général de l’activité des groupes de guérillas et des formations paramilitaires en Colombie. La Commission a fait remarquer que la Colombie est depuis longtemps en proie à des conflits armés, conflits qui continuent à faire un nombre considérable de victimes civiles et à entraîner des violations des droits de la personne. En général, les autorités civiles exercent sur les forces de sécurité un contrôle efficace, mais il arrive que ces forces aillent à l’encontre de la politique officielle de l’État.

 

[20]           La Commission a également noté que les FARC faisaient actuellement face à de graves difficultés, plusieurs de leurs principaux dirigeants ayant été tués ou capturés, mais que leur nouveau chef leur avait permis de retrouver leur cohésion interne. Les statistiques gouvernementales témoignent cependant des progrès effectués dans la lutte contre les groupes de guérillas, le nombre d’assassinats et d’enlèvements ayant baissé au cours de ces dernières années. Cela a obligé les FARC à renouer avec une forme plus traditionnelle de guérilla et la sécurité nationale n’est dès lors plus menacée par des groupements armés illégaux, ou des éléments criminels.

 

[21]           La Commission s’est ensuite livrée à une analyse relative à la protection de l’État, question qui, selon elle, était en l’occurrence déterminante. La Commission s’est penchée sur la question de savoir si les demandeurs avaient pris toutes les mesures raisonnables pour se réclamer de la protection de l’État, si l’État est, en Colombie, en mesure d’assurer une protection adéquate et si les demandeurs avaient présenté une preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’État à assurer une protection.

 

[22]           La Commission a fait remarquer qu’avant le mois de novembre 2009, les demandeurs n’avaient jamais eu maille à partir avec les FARC. Puis, elle a résumé ce qui, selon les demandeurs, leur était arrivé à Orito.

 

[23]           La Commission a observé que les demandeurs n’avaient pas signalé à la police les menaces dont ils avaient fait l’objet, car on leur avait dit qu’en portant plainte, ils risqueraient leur vie. La Commission a toutefois rejeté cette explication, et cela pour diverses raisons. D’abord, la Commission s’est demandé pourquoi le codemandeur était allé faire une déclaration à l’ombudsman, sachant qu’il s’exposait à des représailles en signalant les menaces dont il avait fait l’objet. La Commission a ensuite fait remarquer que les demandeurs étaient des gens éduqués. En tant qu’avocat, le codemandeur aurait dû savoir qu’il pouvait communiquer avec les services de police si l’ombudsman ne lui accordait pas la protection dont il avait besoin.

 

[24]           De plus, la Commission a observé que le rapport de l’ombudsman ne faisait pas état du fait que les demandeurs auraient été menacés par les FARC. La Commission a rejeté l’explication du codemandeur qui affirmait que c’était simplement à cause de la manière dont le rapport avait été rédigé. La Commission a plutôt conclu qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que l’ombudsman, qui avait pour mission de consigner les plaintes des citoyens, ait noté les détails de ce qui s’était passé et désigné les auteurs des persécutions.

 

[25]           La Commission a également observé que le rapport de l’ombudsman portait la date du 16 juin 2010, et précisait que les demandeurs [traduction] « [avaient] été obligés d’aller s’établir dans un autre pays ». Cela donne à penser que les demandeurs étaient déjà partis pour l’étranger. Le rapport, pourtant, a été rédigé avant le 24 juin 2010, date de délivrance des passeports des demandeurs, avant, donc, leur départ en septembre 2010. La Commission a par conséquent conclu que, selon la prépondérance des probabilités, les demandeurs n’avaient pas, en juin 2010, fait l’objet de menaces, et que le rapport de l’ombudsman avait été obtenu simplement pour enjoliver leur demande d’asile.

 

[26]           La Commission a également observé que la mère du codemandeur avait signalé l’incident à la police. Les demandeurs, par contre, n’avaient jamais signalé les menaces téléphoniques qu’ils avaient reçues en août 2010. La Commission a souligné que les demandeurs n’avaient pourtant fait l’objet que de menaces téléphoniques, alors que la mère du codemandeur avait été agressée avec une arme à feu.

 

[27]           Passant ensuite à la question de l’étendue de la protection de l’État en Colombie, la Commission a noté que :

            la Colombie était une démocratie constitutionnelle qui fonctionnait normalement;

            les élections les plus récentes s’étaient, semble-t-il, déroulées de manière libre et honnête;

            les autorités civiles exerçaient, en général, un contrôle sur les forces de sécurité;

            la police nationale et divers autres organismes veillaient à l’ordre public;

            le Bureau du procureur général administrait un programme de protection des témoins, procédait à des enquêtes en matière criminelle et avait instauré un service chargé spécialement des droits de la personne;

            l’adoption d’un nouveau code de procédure pénale avait eu lieu en 2008, ce qui avait permis d’améliorer le taux de déclarations de culpabilité.

 

[28]           En outre, depuis que les États-Unis consacrent des ressources considérables à la Colombie, pour l’aider à protéger la population contre l’activité de militants, les groupes de guérillas de gauche ainsi que les groupements paramilitaires de droite se sont détachés des groupes traditionnels et cherchent désormais davantage à s’enrichir par l’extorsion et le trafic de stupéfiants. La Commission a donc conclu que les groupes qui subsistaient ne poursuivaient plus une action idéologique, mais réunissaient de simples criminels de droit commun.

 

[29]           La Commission a admis la preuve des demandeurs selon laquelle la Colombie vivait des difficultés que lui créaient des groupes tels que les FARC. Elle a cependant observé que, bien que la violation des droits de la personne demeure un problème sensible, le gouvernement poursuit ses efforts pour y faire face et y mettre fin. La Commission a conclu que la preuve documentaire contenait quelques incohérences, mais que la prépondérance des éléments présentés donnait à penser qu’en Colombie, les victimes d’actes criminels recevaient de l’État une protection adéquate, la police ayant à la fois la volonté et la capacité de protéger les victimes.

 

[30]           Cela étant, la Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas démontré que, s’ils rentraient en Colombie, ils ne pourraient pas raisonnablement s’attendre à ce que l’État les protège, ou qu’il serait objectivement déraisonnable de leur part de tenter de se réclamer d’une telle protection. La Commission a par conséquent conclu que les demandeurs n’étaient pas parvenus à réfuter la présomption de protection de l’État. Puisque la question de la protection se pose également pour les demandes présentées au titre des articles 96 et 97 de la Loi, la Commission a par conséquent rejeté les demandes d’asile présentées par les demandeurs.

 

Les questions en litige

 

[31]           Les demandeurs ont soulevé les points suivants :

            1.         La Commission a commis une violation des principes de justice naturelle et de l’équité procédurale en fondant en partie sa décision sur des éléments de preuve extrinsèques.

            2.         Dans le cadre des conclusions auxquelles elle est parvenue, la Commission a commis un certain nombre d’erreurs qui devraient amener à accueillir la demande.

            3.         En se basant sur le fait que les demandeurs n’avaient pas demandé l’asile aux États‑Unis pour conclure à une absence de crainte subjective, la Commission a commis une erreur de fait et de droit.

            4.         Les conclusions défavorables auxquelles la Commission est parvenue quant à la crédibilité des demandeurs résultent d’erreurs de fait et d’une méconnaissance complète de la preuve, la Commission n’ayant tenu aucun compte d’éléments pertinents et ayant mal interprété les règles de droit applicables.

            5.         En concluant que l’État était en mesure d’accorder une protection adéquate, la Commission a fait fi de certains éléments de preuve, en a mal interprété d’autres, s’est fondée sur des éléments de preuve extrinsèques, et a mal interprété les règles de droit applicables.

            6.         La Commission a commis une erreur de droit en donnant des motifs insuffisants et confus.

 

[32]           Voici en quels termes je reformulerais les questions en litige :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         Était-il déraisonnable, de la part de la Commission, de conclure que les demandeurs n’avaient pas de crainte subjective?

            3.         La Commission a-t-elle commis une erreur dans son analyse relative à la protection de l’État?

 

Les observations écrites des demandeurs

 

[33]           Selon les demandeurs, les questions d’équité procédurale relèvent de la norme de la décision correcte. À l’inverse, les questions mixtes de fait et de droit, ou les erreurs de fait relèvent de la norme de la raisonnabilité.

 

[34]           Les demandeurs font valoir, à titre préliminaire, que la conclusion à laquelle la Commission est parvenue sur la question de la protection de l’État repose sur un document qui ne figurait pas au dossier. Ce document n’ayant pas été produit devant la Commission, les demandeurs n’ont pas eu la possibilité d’y répondre. Cela constituait une atteinte à l’équité procédurale.

 

[35]           Les demandeurs estiment par ailleurs déraisonnable la conclusion de la Commission touchant le fait qu’ils n’ont pas demandé l’asile aux États-Unis. Il appartenait, d’après eux, à la Commission de se pencher sur les circonstances entourant le fait qu’ils n’avaient pas demandé l’asile dans un autre pays, avant de conclure que cela démontrait de leur part un manque de crainte subjective. En l’occurrence, la situation des demandeurs aux États-Unis était régulière (ils avaient des visas en cours de validité), leur séjour avait pour but de leur permettre d’aller au Canada, et ils n’ont séjourné aux États-Unis que cinq jours, car leur intention était d’aller au Canada, où la tante de la demanderesse principale était installée. C’est à tort que la Commission n’a pas pris ces explications en compte.

 

[36]           Selon les demandeurs, la Commission n’a pas explicitement dit qu’elle parvenait à des conclusions défavorables quant à leur crédibilité, mais cela ressort clairement de certaines parties de son analyse de la question de la protection de l’État. Selon les demandeurs, l’ombudsman les avait prévenus qu’il serait dangereux de signaler à la police les incidents en cause, car on ne pouvait pas faire confiance aux policiers. C’est ce que confirme le témoignage des demandeurs, selon qui la police était infiltrée et, à Orito, pour une population de 45 000 habitants, il n’y avait que trois policiers. Il aurait donc été déraisonnable de leur part de se plaindre à la police. C’est à tort que la Commission n’a pas tenu compte de ces témoignages avant de tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité.

 

[37]           Dans son rapport, l’ombudsman ne mentionne pas précisément les FARC, mais il déclare bel et bien que les demandeurs ont été menacés par des groupements armés illégaux. Ce rapport corrobore le fait que, comme l’affirment les demandeurs, ils étaient menacés. Ajoutons qu’à l’audience, l’interprète a traduit oralement le rapport. La traduction de l’interprète fait ressortir une légère erreur dans la traduction originale du document : en effet, au lieu de mentionner que les demandeurs avaient déjà quitté la Colombie, le rapport disait, en fait, qu’en raison des menaces dont ils avaient fait l’objet, ils seraient obligés de quitter le pays. Selon les demandeurs, la Commission n’a tenu aucun compte de cela et a tiré de la traduction initiale du document une conclusion défavorable quant à la crédibilité, au lieu de se baser sur la bonne traduction que l’interprète en avait faite à l’audience.

 

[38]           Les demandeurs affirment en outre que l’on ne sait pas très bien, d’après la décision de la Commission, si elle a cru que des membres des FARC s’étaient rendus chez la mère du codemandeur, si les demandeurs avaient reçu des appels téléphoniques ou si la plainte auprès de l’ombudsman avait uniquement pour objet d’enjoliver leur demande d’asile. Le caractère équivoque des motifs de la Commission résulte en une erreur de droit.

 

[39]           Selon les demandeurs, l’analyse à laquelle la Commission s’est livrée sur la question de la protection de l’État est incomplète. En effet, parmi les éléments de preuve, la Commission a choisi ceux qui appuyaient le mieux sa décision, ne tenant pas compte des éléments qui lui étaient contraires. C’est ainsi qu’en ce qui concerne la preuve relative aux groupes exposés à des risques particuliers, c’est à tort que la Commission n’a pas reconnu que le codemandeur appartenait à deux de ces groupes, d’une part les autorités gouvernementales, locales et régionales, et puis les juges et autres personnes participant à l’administration de la justice. La Commission s’est en outre fondée sur l’absence, dans un rapport de 2008, d’un paragraphe concernant les moyens que les FARC avaient de retrouver leurs victimes, faisant remarquer que ce paragraphe avait figuré dans le rapport précédent de 2005. Mais les auteurs de ces deux rapports sont différents. C’est donc à tort que la Commission a fondé des conclusions sur la différence entre les deux.

 

[40]           Et enfin, les demandeurs citent des extraits des nombreux documents produits devant la Cour, critiquant le degré de protection que l’État est en mesure d’accorder en Colombie. Selon les demandeurs, ils présentent la réalité actuelle en Colombie sous un jour très différent de celui dépeint par la Commission. Selon ces éléments de preuve, l’État ne peut pas leur accorder une protection adéquate. Cela étant, la Commission a commis une erreur en examinant et en interprétant incorrectement la preuve documentaire, ne tenant pas compte de certains éléments de preuve, et faisant état de documents qui n’avaient pas été versés au dossier.

 

Les observations écrites du défendeur

 

[41]           Selon le défendeur, il n’y a eu, en l’occurrence, aucune violation de la justice naturelle. Le défendeur reconnaît que la Commission s’est trompée dans l’année du Cartable national de documentation sur la Colombie (en l’occurrence 2009, au lieu de la bonne date, soit 2010). La Commission s’est cependant livrée au préalable à une analyse approfondie de la documentation la plus récente, et ce n’est qu’après cela qu’elle a évoqué, de manière générale, le cartable de documentation. Il n’y a donc eu aucune violation des principes de justice naturelle.

 

[42]           Selon le défendeur, il était raisonnable, de la part de la Commission, de décider que le fait que les demandeurs n’avaient pas sollicité l’asile aux États-Unis ébranlait la thèse de leur peur subjective. Il est de droit constant que le fait que des personnes qui se rendent au Canada en passant par un pays signataire de la Convention sur les réfugiés sans solliciter, dans ce pays, le statut de réfugié, peut être pris en compte pour rejeter leur demande d’asile.

 

[43]           Selon le défendeur, les conclusions de fait auxquelles la Commission est parvenue au sujet des menaces que les demandeurs affirment avoir reçues, et le fait qu’ils n’aient pas essayé, en Colombie, de se réclamer de la protection de l’État, étaient raisonnables. Il était raisonnable, de la part de la Commission, de se demander pourquoi le codemandeur, étant donné qu’il prétend avoir craint de s’en ouvrir à la police, a signalé la situation à l’ombudsman. Ajoutons que, le codemandeur étant avocat, la Commission pouvait raisonnablement conclure qu’il aurait dû savoir comment prendre contact avec la police nationale de Colombie, et pas seulement avec la police d’Orito. Il peut lui être d’autant plus reproché de ne pas avoir porté sa situation à l’attention de la police que la mère de la demanderesse principale a, elle, signalé à la police la visite que lui avaient rendue les membres des FARC. Ajoutons que, le rapport de l’ombudsman étant si peu détaillé, la Commission pouvait raisonnablement conclure que ce rapport avait été obtenu pour enjoliver ou soutenir les demandes d’asile présentées par les demandeurs.

 

[44]           Selon le défendeur, la conclusion à laquelle la Commission est parvenue sur la question de la protection de l’État était raisonnable. Les demandeurs avaient produit, à l’appui de leur position, un résumé détaillé de la preuve documentaire, mais ils n’ont pu faire état d’aucune jurisprudence voulant que la Commission soit tenue d’aller aussi loin dans le détail.

 

[45]           En outre, l’argument avancé par les demandeurs, qui soutiennent que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte d’éléments de preuve qui allaient à l’encontre de ses conclusions, est insoutenable. Le défendeur rappelle que la Commission est un tribunal indépendant et impartial, et qu’en l’absence de bonnes raisons de croire le contraire, il est à présumer qu’il a tenu compte de l’ensemble de la preuve produite. Il n’y a, en plus, aucune raison de croire que les documents cités par les demandeurs dans leurs observations n’ont pas été pris en compte par la Commission lorsqu’elle s’est prononcée sur leur demande. La Commission a, au contraire, expressément reconnu que la Colombie continuait à faire face à des défis, concluant cependant, au vu d’éléments de preuve convaincants, que le pays faisait de sérieux efforts pour régler les problèmes qui subsistaient. Cela étant, la question essentielle en l’espèce concerne la pondération des éléments de preuve et le point de savoir si la décision en cause fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits. Le défendeur soutient que la Commission pouvait, en l’occurrence, raisonnablement conclure qu’à l’heure actuelle, la protection que l’État est en mesure d’assurer en Colombie est adéquate, bien qu’imparfaite.

 

[46]           Et enfin, en réponse à l’argument des demandeurs voulant que la Commission ait confondu les organismes auteurs d’un rapport de 2005 et d’un rapport de 2008 sur la Colombie, le défendeur fait valoir qu’à elle seule, cette confusion ne rend pas déraisonnable la décision de la Commission. Il s’agit d’une erreur sans importance.

 

Analyse et décision

 

[47]           Première question

            Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Lorsque la jurisprudence a déjà arrêté la norme de contrôle devant s’appliquer à une question, la cour de révision peut simplement l’adopter (voir Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57).

 

[48]           Les décisions de la Commission concernant la pondération des éléments de preuve, leur interprétation et leur appréciation relèvent de la norme de la décision raisonnable (voir NOO c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1045, [2009] ACF no 1286, au paragraphe 38).

 

[49]           Les conclusions concernant la protection de l’État soulèvent des questions mixtes de fait et de droit qui, elles aussi, relèvent de la norme de la décision raisonnable (voir Hughey c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, [2007] ACF no 584, au paragraphe 38; Gaymes c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 801, au paragraphe 9; James c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 546, [2010] ACF no 650, au paragraphe 16).

 

[50]           Se penchant sur la décision de la Commission suivant la norme de la décision raisonnable, la Cour ne devrait pas intervenir, à moins que la Commission soit parvenue à une conclusion qui manque de justification, de transparence et d’intelligibilité et qui ne fait pas partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard de la preuve produite (voir Dunsmuir précité, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] CSC no 12, au paragraphe 59). Ainsi que la Cour suprême en a décidé dans l’arrêt Khosa précité, il n’appartient pas à la cour de révision de substituer la solution qu’elle juge préférable, et il ne lui appartient pas non plus de soupeser à nouveau les éléments de preuve (aux paragraphes 59 et 61).

 

[51]           Deuxième question

            Était-il déraisonnable, de la part de la Commission, de conclure que les demandeurs n’avaient pas de crainte subjective?

            Selon la Commission, le fait que les demandeurs n’aient pas, avant leur arrivée au Canada, effectué de démarches auprès des services américains d’immigration, ni demandé l’asile dans ce pays, indique qu’ils n’ont pas de crainte subjective. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une conclusion déterminante, les demandeurs la critiquent, car ils estiment qu’elle ne tient pas compte de la situation particulière dans laquelle ils se trouvent. Cela comprend notamment le fait que leur séjour aux États-Unis était parfaitement régulier (ils avaient des visas en cours de validité) et bref (cinq jours). Ils n’ont jamais eu l’intention d’y demeurer, mais, au contraire, ont toujours eu l’intention de venir au Canada, où vit un de leurs parents.

 

[52]           Soutenant la conclusion à laquelle la Commission est parvenue sur ce point, le défendeur affirme qu’il est bien établi que le fait de ne pas demander l’asile dans un pays signataire de la Convention et par lequel un requérant transite en se rendant au Canada, peut être pris en compte pour rejeter une demande d’asile. L’argument se justifie au regard de la jurisprudence (voir Gilgorri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 559, [2006] ACF no 701, aux paragraphes 24 à 27). Une des décisions citées avec approbation par le juge Michel Shore, dans le jugement Gilgorri, c’est Pissareva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 11 Imm LR (3d) 233, [2000] ACF no 2001. Dans la décision Pissareva, le juge en chef Edmond Blanchard explique (au paragraphe 29) :

En ce qui a trait à l’omission par la demanderesse de revendiquer le statut de réfugiée aux États-Unis, où elle a résidé pendant près d’un mois avant de fouler le sol canadien; notre Cour a réitéré maintes fois que la section du statut se doit de tenir compte du comportement des demanderesses. Le fait d’être de passage dans un pays signataire de la Convention sans toutefois revendiquer le statut de réfugié dans les plus brefs délais peut être un facteur dans l’appréciation des facteurs subjectifs de sa revendication. [Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[53]           Plus récemment, la Cour a conclu que, lorsqu’une personne n’est pas en mesure de justifier sa lenteur à présenter une demande d’asile, celle‑ci peut être déclarée irrecevable, même si les déclarations de son auteur sont jugées par ailleurs crédibles (voir Velez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 923, [2010] ACF no 1138, au paragraphe 28).

 

[54]           Il est à remarquer en l’espèce que les demandeurs sont demeurés aux États-Unis moins d’une semaine. Ils étaient pourtant en possession de visas de visiteur autorisant un séjour de six mois. Aucun obstacle juridique ne s’opposait à un plus long séjour ou ne les empêchait d’y présenter une demande d’asile. Par ailleurs, le simple fait que les demandeurs aient un parent installé au Canada ne permet pas de passer sur le fait qu’ils n’ont pas, aux États-Unis, demandé l’asile « dans les plus brefs délais » (voir Pissareva, précité, au paragraphe 29).

 

[55]           La Commission n’ayant, en définitive, pas basé sa décision sur ce point, je ne saurais lui reprocher d’avoir tiré une conclusion défavorable du fait que les demandeurs n’ont pas déposé une demande d’asile aux États-Unis. Pour apprécier les aspects subjectifs de leur demande, il était légitime pour la Commission de tenir compte du fait qu’ils n’avaient pas demandé l’asile aux États‑Unis. Compte tenu de la preuve dont elle disposait, la Commission pouvait raisonnablement conclure en ce sens.

 

[56]           Troisième question

            La Commission a-t-elle commis une erreur dans son analyse relative à la protection de l’État?

            C’est en l’occurrence la question de la protection de l’État qui était déterminante. Pour se prononcer sur cette question, la Commission a d’abord procédé à un large exposé de l’activité, en Colombie, des guérillas et des formations paramilitaires. Cet exposé faisait notamment état des problèmes auxquels la Colombie est confrontée depuis longtemps, des lourdes conséquences que cela entraîne pour la population civile, certains groupes étant particulièrement exposés à des risques de persécution. La Commission a également fait remarquer qu’il continuait d’y avoir des violations des droits de la personne, bien que le gouvernement fasse des efforts pour lutter contre ce genre d’abus. Précisons que les FARC sont présentes surtout dans le Sud-Est du pays et que les groupes de rebelles se sont repliés sur les zones frontalières.

 

[57]           La Commission s’est ensuite penchée sur les allégations des demandeurs. Pour apprécier la question de savoir si ceux-ci avaient pris toutes les mesures raisonnables pour se réclamer, en Colombie, de la protection de l’État, la Commission a tiré des faits suivants des inférences défavorables :

            Bien que le codemandeur ait fait part à l’ombudsman, des menaces dont il avait fait l’objet, il affirme avoir craint de les déclarer à la police;

            Le codemandeur, en tant qu’avocat, aurait dû savoir que, comme l’ombudsman ne lui offrait pas de protection, il lui fallait communiquer avec la police colombienne;

            Selon le rapport de l’ombudsman, rédigé avant le départ des demandeurs, ceux-ci avaient déjà été obligés d’aller s’installer à l’étranger;

            Le rapport de l’ombudsman ne cite pas les FARC comme auteur des persécutions;

            La mère de la demanderesse principale a signalé à la police l’attaque dont, à Bogota, elle avait fait l’objet de la part des FARC, mais les demandeurs n’ont pas signalé à la police les menaces téléphoniques qu’ils avaient reçues lorsqu’ils étaient à Bogota.

 

[58]           Et enfin, la Commission a examiné la preuve documentaire touchant la question de savoir si, en Colombie, l’État était en mesure d’accorder aux demandeurs une protection adéquate. Après avoir souligné les principaux points, la Commission a reconnu qu’il y avait des incohérences dans la preuve. Elle a néanmoins conclu que, selon la prépondérance de la preuve, la protection que l’État pouvait accorder en Colombie aux victimes d’actes criminels était adéquate, bien qu’imparfaite.

 

[59]           Les demandeurs contestent sur plusieurs points la manière dont la Commission a analysé la question de la protection de l’État.

 

[60]           Les demandeurs font d’abord valoir que la Commission a eu tort de fonder son analyse sur le Cartable national de documentation (le CND) de 2009, ce document n’ayant pas été versé au dossier. Selon les demandeurs, cela est une atteinte à l’équité procédurale. Lorsqu’un décideur se fonde sur un document dont les demandeurs n’ont pas eu connaissance, n’ayant pas par conséquent, la possibilité d’y répondre, il se peut que la décision soit jugée entachée d’une violation à l’équité procédurale (voir Bokhari c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 354, [2011] ACF no 462, aux paragraphes 9, 13 et 23).

 

[61]           Ainsi que l’a fait remarquer le défendeur, cependant, la Commission n’a, dans ses motifs, commis en l’occurrence, qu’une simple erreur d’écriture. Elle s’est, en fait, basée sur le CND de 2010, et non sur le CND de 2009. Or, le Cartable de 2010 avait été remis aux demandeurs et faisait partie de leur dossier. Le premier document de la liste contenue dans le dossier des demandeurs, après le CND de 2010, est le rapport de 2009 du Département d’État américain sur les droits de la personne en Colombie. Ce document confirme le résumé qui figure au paragraphe 30 de la décision de la Commission. Je suis par conséquent d’accord avec le défendeur que cette erreur de citation ne suffit pas à entraîner l’annulation de la décision. Contrairement à ce qu’il en était dans l’affaire Bokhari précitée, je considère qu’en l’occurrence, la Commission ne s’est pas fondée sur une preuve extrinsèque dont les demandeurs n’avaient pas eu connaissance. Cela étant, les demandeurs ne se sont pas vu refuser l’occasion de répondre, et, sur ce point, la décision ne résulte pas d’une violation de l’équité procédurale.

 

[62]           Les demandeurs ont également critiqué le fait que la Commission leur ait reproché de ne pas avoir signalé à la police les menaces dont ils avaient fait l’objet. Selon moi, cependant, il était raisonnable, de la part de la Commission, de tirer une inférence défavorable du fait que les demandeurs avaient exercé un recours (devant l’ombudsman), mais pas l’autre (une démarche auprès de la police).

 

[63]           En outre, et c’est peut-être le plus important, les demandeurs n’ont pas demandé l’aide de la police après avoir, au mois d’août, une fois revenus à Bogota, reçu les appels en question. Les demandeurs affirment avoir douté de l’efficacité de la police d’Orito. Cette crainte se justifie au vu de la preuve documentaire citée par la Commission, selon laquelle les FARC sont surtout présentes dans le Sud de la Colombie. Les demandeurs n’ont, par contre, pas expliqué pourquoi ils ne pouvaient pas demander à la police de les protéger une fois rentrés à Bogota. Ce fait est d’autant plus grave que la mère de la demanderesse principale a pu, elle, obtenir à Bogota, une telle protection. Les témoignages livrés à l’audience permettent de constater le manque de clarté et le défaut d’explication dans les raisons que le codemandeur donne pour ne pas avoir demandé à Bogota la protection de la police :

[traduction]

 

LE PRÉSIDENT : Mais pourquoi ne pas vous être adressé à la police? Votre mère a communiqué avec la police pour leur dire que les FARC vous cherchaient.

 

LE CODEMANDEUR : Les menaces de mort me visaient moi et ma famille. Elle n’était pas menacée, elle. C’était moi et ma famille.

 

LE PRÉSIDENT : Mais, monsieur, vous n’avez toujours pas répondu à la question. Votre mère a communiqué avec la police, et leur a signalé le fait que les FARC vous cherchaient. Pourquoi n’aviez-vous pas communiqué avec la police?

 

LE CODEMANDEUR : Parce que je me trouvais en ville et qu’on ne m’avait offert aucune protection à Orito, où j’étais une personne connue et respectée. Je ne pouvais pas prendre le risque de porter plainte à Bogota, car je savais qu’on ne m’accorderait aucune protection.

 

 

 

[64]           Selon moi, ce témoignage permet à lui seul à la Commission de conclure que les demandeurs n’ont pas cherché en Colombie à se réclamer de la protection de l’État, surtout après avoir quitté Orito, et être rentrés à Bogota. Il n’y a eu, outre la brève allégation du demandeur, rien qui indiquait qu’à Bogota, la police n’était pas en mesure de les protéger.

 

[65]           Les demandeurs affirment par ailleurs que la Commission a commis une erreur en tirant une inférence défavorable de leur date de départ de Colombie, telle qu’elle ressortait de la traduction initiale du rapport de l’ombudsman. Il est clair que la Commission a eu tort de se fonder sur la traduction initiale, au lieu de retenir la traduction révisée qui a été faite à l’audience. Ce n’est, cependant, pas uniquement sur cela que la Commission a fondé sa conclusion définitive quant à la protection de l’État. Je conclus que, pris dans leur ensemble, les autres motifs énumérés plus haut justifient la conclusion à laquelle la Commission est parvenue quant aux efforts que les demandeurs avaient faits pour se réclamer de la protection de l’État.

 

[66]           Les demandeurs ont ensuite insisté sur la conclusion de la Commission voulant que l’absence, dans le rapport 2008, d’un passage qui se trouvait dans le rapport 2005, concernant les moyens que les insurgés armés avaient de retrouver leurs victimes en Colombie, voulait dire que cela n’était plus vrai. Les deux rapports émanent d’organismes différents, bien que désignés par des sigles similaires. Dans Diaz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 797, [2010] ACF no 979, la Commission a fondé sur une divergence analogue (au paragraphe 12), sa conclusion quant à la possibilité de refuge intérieur. M. le juge Russel Zinn s’est expliqué en ces termes sur les problèmes auxquels donne lieu une telle approche (au paragraphe 31) :

Les rapports auxquels la Commission a renvoyé n’émanaient pas des mêmes organismes. Le rapport de 2005 venait de l’UNHCR. Le rapport de 2008 venait de l’UNHCHR. Il s’agit d’organismes distincts œuvrant dans le cadre de mandats différents. L’erreur de la Commission fait en sorte que sa conclusion selon laquelle le paragraphe a été « retiré » parce qu’il ne s’appliquait plus désormais est abusive. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[67]           Le fait que la Commission a retenu la divergence entre deux rapports émanant d’organismes différents pose problème, mais il ne suffit pas, en l’espèce, à entacher d’erreur l’ensemble de la décision. Comme l’a dit le défendeur, il ne s’agit pas, de la part de la Commission, d’une erreur importante. La situation est plutôt comparable à celle de Velez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1114, [2010] ACF no 1468, où le juge Yvon Pinard effectue une distinction par rapport à la décision Diaz, précitée, bien que la Commission ait, dans les deux affaires, commis la même erreur. Le juge Pinard explique qu’une distinction peut effectivement être opérée entre les deux affaires, car, dans l’affaire Velez, précitée, la conclusion de la Commission se fondait également sur d’autres éléments de preuve (au paragraphe 13). De même, la décision de la Commission repose aussi, en l’espèce, sur une autre preuve.

 

[68]           Je conclus que, pris dans leur ensemble, les arguments avancés par les demandeurs concernent davantage l’appréciation de la preuve, question à l’égard de laquelle la Commission dispose d’un large pouvoir discrétionnaire (voir Velychko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 264, [2010] ACF no 298, au paragraphe 26). Il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve (voir Zrig c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 178, [2003] ACF no 565, au paragraphe 42). Ainsi que l’a rappelé la juge Carolyn Layden‑Stevenson dans Augusto c Canada (solliciteur général), 2005 CF 673, [2005] ACF no 850 (au paragraphe 9) :

[…] À moins qu’il ait omis de prendre en considération des facteurs pertinents ou ait tenu compte de facteurs non pertinents, l’appréciation de la preuve relève de l’agent chargé de l’examen et n’est normalement pas sujette à un contrôle judiciaire. […]

 

 

 

[69]           En l’espèce, la Commission s’est livrée à un examen complet de la preuve, reconnaissant l’existence d’un certain nombre de contradictions. Elle a conclu que la prépondérance de la preuve indiquait, cependant, qu’en Colombie, l’État assurait une protection adéquate aux victimes d’actes criminels. Voici en quels termes j’ai résumé la question dans Guevara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 242, [2011] ACF no 447 (au paragraphe 41) :

[…] Les commissaires sont présumés avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve dont ils disposaient (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. no 1425 (C.F. 1re inst.) (QL)). Il n’est pas nécessaire que la Commission résume tous les éléments de preuve dans sa décision dès lors qu’elle tient compte de ceux qui sont susceptibles de contredire sa conclusion et que sa décision appartient aux issues raisonnables (Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.).

 

 

 

[70]           Je conclus, en l’espèce, que la Commission s’est livrée à une appréciation raisonnable des faits, au vu de la preuve présentée. Cela étant, je considère que la décision à laquelle elle a abouti est raisonnable. Sa conclusion concernant le caractère adéquat de la protection de l’État fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La présente demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée.

 

[71]           Ni l’une ni l’autre des parties ne m’a proposé de question grave de portée générale à certifier.

 

[72]           La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE QUE la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


ANNEXE

 

Les dispositions législatives pertinentes

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4990-11

 

INTITULÉ :                                      DORIS YALITH GARAVITO OLAYA

                                                            JHON VELOZA ROCHA

                                                            NICOLAS ESTEBAN VELOZA GARAVITO

                                                            ANDRES FELIPE VELOZA GARAVITO

 

                                                            - et -

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 7 février 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 19 juillet 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Howard P. Eisenberg

 

POUR LES DEMANDEURS

 

John Provart

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Howard P. Eisenberg

Hamilton (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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