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Date : 20120719

Dossier : IMM-8613-11

Référence : 2012 CF 911

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 juillet 2012

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

 

ENTRE :

 

KAI BIN WEI

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), en vue du contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, datée du 11 octobre 2011 (la Décision), qui a rejeté la demande du demandeur, lequel visait à obtenir la qualité de réfugié ou de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

LE CONTEXTE

[2]               Le demandeur, âgé de 22 ans, est citoyen de la République populaire de Chine (la Chine) et originaire de la province du Fujian. C’est un chrétien de confession protestante qui craint d’être persécuté en Chine en raison de ses croyances religieuses.

[3]               Au début de 2009, les parents du demandeur le poussaient à réussir dans ses études. De mauvais résultats à ses examens provoquèrent chez lui une dépression. Alors qu’il rendait visite à son ami, Ze Tao, le père de celui-ci lui fit le récit de la vie de Jésus, lui exposant les enseignements du christianisme. Ze Tao emmena le demandeur dans une église clandestine et bien que le demandeur se soit inquiété de cette clandestinité, les parents de Ze Tao lui dirent de ne pas s’en faire, car ils faisaient en sorte de ne pas être découverts. Après s’être converti au christianisme le 12 avril 2009, le demandeur alla toutes les semaines à l’église.

[4]               Le 14 octobre 2009, le demandeur est arrivé au Canada muni d’un visa d’étudiant et a commencé à fréquenter la Living Stone Assembly, une église pentecôtiste animée par le révérend David Ko.

[5]               Le 23 février 2010, lors d’un appel téléphonique, la mère du demandeur lui apprit que le Bureau de la sécurité publique (le BSP) avait découvert l’église clandestine à laquelle il appartenait en Chine. Le BSP affirma à sa mère qu’il avait arrêté trois membres de l’église, et qu’il savait que le demandeur en faisait partie. Le demandeur essaya, mais sans succès, de communiquer avec Ze Tao et les autres membres de l’église. Il fit part de sa situation aux membres de la Living Stone Assembly, qui lui conseillèrent de demander asile. Le demandeur présenta une demande d’asile le 1er avril 2010. Il affirme que le BSP continue, en Chine, à harceler ses parents.

[6]               La demande d’asile présentée par le demandeur a été entendue par la SPR le 11 octobre 2011. La SPR, après avoir de vive voix exposé ses motifs à l’issue de l’audience, a rejeté sa demande.

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE JUDICIAIRE

[7]               La SPR a rejeté la demande d’asile présentée par le demandeur, estimant que celui-ci n’était pas crédible et n’était, ni en Chine ni au Canada, un véritable chrétien. La SPR a également conclu que, même si le demandeur était un chrétien authentique, il ne risquait pas d’être persécuté dans la province du Fujian.

La crédibilité

                        Les faits qui se sont produits en Chine

[8]               Pour conclure que le demandeur n’était pas un témoin crédible, la SPR s’est fondée sur les contradictions entre le témoignage livré par le demandeur, la preuve documentaire dont elle disposait et les documents présentés par le demandeur à l’appui de sa demande.

[9]               La SPR a, en premier lieu, conclu que le récit qu’il avait fait de la descente policière dans l’église clandestine qu’il fréquentait cadrait mal avec les documents portant sur la situation dans le pays en cause. Selon ces documents, dans la province du Fujian, les risques auxquels sont exposés les chrétiens sont faibles. Cela va à l’encontre du témoignage du demandeur qui affirme que des membres de son église ont été arrêtés et que les agents du BSP se sont rendus chez lui dans l’espoir de l’y trouver. Tirant sur ce point une inférence défavorable, la SPR en a conclu qu’aucun membre de l’église du demandeur n’avait été arrêté en Chine.

[10]           Deuxièmement, le témoignage du demandeur concernant l’intervention des agents du BSP auprès de sa famille ne cadrait pas, là encore, avec les documents portant sur la situation en Chine. Selon la Réponse à une demande d’information (RDI) CHN42444.EF, en général une assignation est remise aux membres de la famille. Selon la preuve documentaire, cela n’est pas toujours le cas, mais la SPR a conclu que le BSP aurait remis à la mère du demandeur une copie de l’assignation si l’on avait effectivement été à sa recherche. Selon le demandeur, sa mère a appris, par quelqu’un qu’elle connaissait, que le BSP recherchait son fils et qu’il avait délivré une assignation. Cependant, les agents du BSP n’ont pas laissé de copie de cette assignation à la mère du demandeur lorsqu’ils sont venus chez elle, alors qu’ils le cherchait.

[11]           Troisièmement, la SPR a tiré une inférence défavorable quant à la crédibilité du demandeur, du fait que celui-ci ne lui avait pas remis une copie de l’assignation en question. Selon le demandeur, une telle assignation avait effectivement été délivrée, mais il n’en a pas fourni de copie à la SPR. Selon la RDI CHN42444.EF, il est possible d’obtenir du BSP une copie d’une assignation. À l’audience, le demandeur a convenu qu’il était possible d’en obtenir une copie, faisant valoir, cependant, qu’il n’aurait pas été raisonnable, ni de sa part, ni de la part de sa famille, de communiquer avec le BSP. La SPR rejeta son explication, rappelant que le formulaire d’examen initial qui lui avait été remis précisait qu’il était important qu’il produise des documents à l’appui de sa demande. La SPR a aussi conclu que le demandeur n’avait fourni, outre l’allégation figurant dans son Formulaire de renseignements personnels (le FRP), aucune preuve convaincante du fait que le BSP était à sa recherche.

[12]           Quatrièmement, le demandeur a soutenu, lors de son témoignage à l’audience, que le BSP, qui le recherchait, était venu perquisitionner son domicile. Il n’avait, pourtant, pas consigné ce détail dans son FRP. Il affirme avoir simplement voulu, dans son FRP, esquisser de manière générale ce qui s’était produit, entendant donner davantage de détails à l’audience. La SPR a cependant rejeté son explication. La SPR a en effet rappelé qu’aux termes mêmes du FRP, le demandeur était précisément tenu de décrire tous les faits importants et toutes les mesures prises par la police, aussi bien contre lui que contre des membres de sa famille. Selon la SPR, s’il y avait effectivement eu perquisition à son domicile, il en aurait fait état dans son FRP.

Les faits qui se sont produits au Canada

[13]           Le demandeur manquait également de crédibilité du fait qu’il n’a pas corroboré, par des documents acceptables, ce qu’il a dit, lors de son témoignage, au sujet de ce qu’il avait fait après être arrivé au Canada. En octobre 2000, le demandeur est arrivé au Canada muni d’un visa étudiant. Il a affirmé, à l’audience, avoir étudié au Collège des Grands Lacs, à Toronto, jusqu’en mars 2010, date à laquelle il a renoncé à ses études. Il affirme avoir été tellement troublé par les faits qui s’étaient produits en Chine, qu’il n’arrivait pas à se concentrer sur ses études. Il a présenté, pour prouver qu’il avait effectué des études au Canada, une photocopie d’un relevé de notes du Collège des Grands Lacs. Or, la SPR a conclu que la photocopie produite par le demandeur n’était pas la copie d’un document authentique. Ce relevé de notes n’était revêtu d’aucun cachet ou sceau officiel, et les caractères d’imprimerie de son nom et de son numéro d’étudiant ne correspondaient pas aux caractères employés dans le reste du document.

[14]           Le demandeur affirme avoir été inscrit au Collège des Grands Lacs jusqu’en mars 2010, mais il a été incapable de produire un reçu de frais de scolarité, ou une carte d’étudiant pour le démontrer. Bien qu’il ait décidé de ne pas poursuivre ses études, il n’a pas demandé de remboursement de ses frais de scolarité. La SPR a relevé qu’il était facile, en Ontario, d’obtenir d’un établissement d’enseignement un relevé des notes, estimant que le fait que le demandeur n’ait pas pu produire l’original d’un tel relevé de notes signifiait qu’il n’était pas crédible. Le demandeur a expliqué que c’est le Collège des Grands Lacs qui lui avait remis la photocopie qu’il a produite devant la SPR, mais celle-ci n’a pas été convaincue par son explication. La SPR a rappelé qu’aux termes du formulaire d’examen initial, le demandeur était tenu de produire les documents démontrant qu’il avait effectué des études au Canada. La SPR a tiré une inférence défavorable du fait qu’il n’avait pas produit de documents satisfaisants. Elle a également mis en doute l’authenticité des motifs avancés par le demandeur pour expliquer sa venue au Canada.

[15]           Lorsque la SPR lui a posé des questions au sujet de certains de ses professeurs au Collège des Grands Lacs, le demandeur a répondu que son professeur d’art dramatique était une femme. Or, en fait, le professeur d’art dramatique était un homme. La SPR a constaté que le demandeur n’avait pas été en mesure d’identifier trois de ses professeurs et elle a conclu que, là encore, cela minait sa crédibilité.

L’identité religieuse

[16]           Selon la SPR, le demandeur n’est pas un chrétien authentique, étant donné qu’il n’a guère pu décrire ce qui se trouve dans la Bible et qu’il n’a pas pu réciter le Notre Père dans son intégralité. Dans son témoignage, le demandeur a affirmé que, depuis qu’il était devenu chrétien, il lisait la Bible plusieurs fois par semaine. Il a également affirmé que c’était le récit des miracles accomplis par Jésus qui l’avait porté à épouser le christianisme et que l’Évangile de Saint-Marc était son préféré. Lorsque la SPR lui a demandé d’expliquer sa préférence pour l’Évangile de Saint-Marc, il a répondu tout simplement que c’était celui qu’il préférait. Lorsqu’il a été interrogé au sujet de l’Évangile de Saint-Matthieu, il a répondu, sans fournir davantage de détails, que cet évangile parlait de la naissance et du baptême de Jésus. La SPR a conclu que, si le demandeur avait effectivement, comme il l’affirmait, lu la Bible, les miracles dont il est fait état dans les évangiles de Saint-Marc et de Saint-Matthieu l’auraient frappé, et il aurait su qu’on y trouvait le récit des miracles accomplis.

[17]           Selon le témoignage du demandeur, il récite le Notre Père depuis sa conversion au christianisme. Or, lorsque la SPR lui a demandé de réciter cette prière, il ne pouvait se souvenir que des trois premières lignes. Il a expliqué son manque de mémoire par sa nervosité, mais la SPR a rejeté son explication sur ce point. Le demandeur avait pu se rappeler sans hésitation les faits, les dates et les époques en cause, et il aurait par conséquent dû se souvenir du Notre Père. Le fait qu’il n’ait pas été en mesure de réciter cette prière dans son intégralité signifiait que le demandeur n’était pas crédible.

[18]           Il a démontré une certaine connaissance du christianisme, mais cela ne veut pas dire que le demandeur soit effectivement un chrétien. Il a affirmé avoir régulièrement fréquenté l’église, assisté à des cours d’étude de la Bible, et lu celle‑ci. Il aurait par conséquent dû avoir une bonne connaissance du christianisme, ce qui n’est pas le cas. Le demandeur avait également produit une lettre du révérend Ko, mais celle-ci ne fait qu’attester sa fréquentation de l’église, et non pas ses raisons pour ce faire. La SPR a conclu que le demandeur n’était pas, lorsqu’il était en Chine, un chrétien pratiquant.

[19]           Ayant conclu qu’il n’y avait pas eu d’arrestation d’autres membres de l’église en Chine et que le demandeur n’avait pas été un chrétien authentique dans ce pays, la SPR n’a pas jugé crédible ce qu’il a raconté au sujet de sa fréquentation d’une église clandestine. Le demandeur a inventé cette histoire pour étayer une demande d’asile frauduleuse.

            La demande d’asile sur place

[20]           La SPR s’est également penchée sur la question de savoir si, au Canada, le demandeur pouvait être considéré comme un chrétien authentique. Elle a conclu qu’il aurait bien pu apprendre au Canada tout ce qu’il savait du christianisme. Ses connaissances en ce domaine, bien que limitées, ne permettaient pas de décider si le demandeur était un authentique chrétien, et la SPR n’a donc accordé que peu de poids à ce facteur-là. La SPR a également conclu que sa demande d’asile n’avait pas été présentée de bonne foi. Ce manque de bonne foi est révélé par le fait qu’il a rejoint la Living Stone Assembly pour étayer une demande d’asile frauduleuse. Il n’est pas, au Canada, un authentique chrétien et ne serait pas considéré comme chrétien s’il rentrait en Chine. Il ne risquerait pas, par conséquent, d’y être persécuté.

Les risques auxquels le demandeur serait exposé en Chine

[21]           La SPR a conclu que, même si le demandeur était un chrétien authentique, il pourrait, sans craindre d’être persécuté, pratiquer sa religion dans la province du Fujian.

[22]           Selon la RDI CHN103501.EF, les provinces du Fujian et du Guangdong sont, en Chine, celles qui se montrent les plus libérales envers la religion. Aussi récemment que le 14 juin 2010, un représentant du Hong Kong Christian Council a affirmé que les autorités chinoises faisaient preuve de tolérance envers les chrétiens, y compris envers ceux qui pratiquaient leur religion dans le cadre de groupes qui n’étaient pas enregistrés. Bien que des chrétiens aient effectivement été arrêtés en Chine entre 2005 et 2010, aucune de ces arrestations n’a eu lieu dans la province du Fujian. Selon un document publié par la China Aid Association, intitulé Annual Report of Persecution by the Government on Christian House Churches within Mainland China, 10 chrétiens ont été persécutés dans la province du Fujian, les autorités ayant en outre, en 2010, fermés trois locaux utilisés par des églises. Ce rapport ne précise cependant pas comment ces 10 chrétiens ont été persécutés, ou pourquoi les églises ont été fermées. La SPR n’a accordé que peu de poids à ce rapport.

[23]           Si des chrétiens avaient été arrêtés récemment dans la province du Fujian, leur arrestation aurait été documentée. Plusieurs groupes qui se sont, en effet, donnés pour mission de documenter les actes de persécution commis en Chine, ont fourni des rapports détaillés des persécutions intervenues dans des zones reculées. Ils n’ont, par contre, pas fait état de pareils agissements dans la province du Fujian. Un événement d’une telle gravité, tel que la descente opérée qui, selon le demandeur, a été effectuée chez lui, aurait été rapporté. La China Aid Association affirme ne pas documenter tous les cas de persécution qui avaient lieu en Chine. Dans son rapport intitulé China: International Religious Freedom Report 2010, le Département d’État américain a cependant affirmé que la liberté religieuse variait beaucoup d’une région de la Chine à l’autre. Selon la SPR, la situation qui prévaut à cet égard dans la province du Fujian n’est pas représentative de ce qui peut se passer dans d’autres provinces de Chine où des chrétiens ont effectivement été arrêtés.

[24]           Dans la province du Fujian, les risques de persécution auxquels était exposé le demandeur étaient faibles. Bien que la pratique de la religion chrétienne dans le cadre d’une église non enregistrée soit illicite en Chine, il est important, selon la SPR, de tenir compte de la manière dont est appliquée la loi en ce domaine. Voir Chan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 RCS 593. S’il retournait dans la province du Fujian, le demandeur pourrait pratiquer la religion chrétienne dans l’église de son choix, sans s’exposer à un risque de persécution.

Conclusion

[25]           Le demandeur n’a pas démontré qu’en rentrant dans son pays, il serait exposé à un risque sérieux de persécution, à une menace à sa vie, à des peines cruelles ou inusitées ou à un risque de torture. La SPR a, par conséquent, rejeté sa demande d’asile.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[26]           Le demandeur soulève, dans le cadre de cette demande, les questions suivantes :

a)                  La conclusion de la SPR quant à la crédibilité était‑elle raisonnable?

b)                  La conclusion de la SPR quant aux risques était-elle raisonnable?

c)                  Est-ce à tort que la SPR lui a imposé l’obligation d’agir de bonne foi?

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[27]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a précisé qu’il n’est pas nécessaire de mener à chaque fois une analyse relative à la norme de contrôle. Lorsque la norme de contrôle applicable à une question précise a été bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut simplement l’adopter. Ce n’est que lorsque les recherches à cet égard se révèlent infructueuses que la cour de révision doit procéder à l’examen des quatre facteurs sur lesquels repose l’analyse relative à la norme de contrôle.

[28]           La norme de contrôle applicable aux deux premières questions en l’espèce est la raisonnabilité. Il est de jurisprudence constante que les conclusions de la SPR quant à la crédibilité relèvent de la norme de la raisonnabilité. Voir Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CAF); Elmi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 773, au paragraphe 21; Wu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 929, au paragraphe 17. Selon un principe lui aussi bien établi, les conclusions quant aux risques relèvent de la norme de la raisonnabilité. Voir Sarmis c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 110, au paragraphe 11; Hassan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 613; Qiu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 605, au paragraphe 17.

[29]           Lors du contrôle d’une décision au regard de la norme de la raisonnabilité, l’analyse s’intéresse à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable dans le sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

[30]           La troisième question, elle, relève de la norme de contrôle de la décision correcte. Dans Huang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2012 CF 205, le juge Russel Zinn a décidé, au paragraphe 21, que l’imposition d’une exigence relative à la bonne foi entraîne comme conséquence que l’élément « sur place » de la demande d’asile relève de la norme de la décision correcte. Cette question est donc susceptible de contrôle suivant la norme de la décision correcte. Je suis du même avis. Ainsi que le juge Michael Phelan en a décidé, au paragraphe 7 de Sahota c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 739, les questions concernant le critère juridique applicable relèvent de la norme de la décision correcte. Voir également Garcia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 677, au paragraphe 7, et Markis c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 428, au paragraphe 19.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[31]           Voici les dispositions de la Loi applicables en l’espèce :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

[…]

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

[…]

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political

opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries;

 

[…]

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care

 

 

[…]

 

LES ARGUMENTS

Le demandeur

            La conclusion quant à la crédibilité était déraisonnable

[32]           La conclusion de la SPR quant à la crédibilité était déraisonnable, étant donné qu’elle a incorrectement interprété les preuves concernant la pratique chinoise en matière d’assignation.

[33]           Selon la SPR, le demandeur n’est pas crédible, car le récit qu’il a fait de la rencontre entre les agents du BSP et sa mère ne cadre pas avec les renseignements figurant dans les documents relatifs aux conditions dans le pays en cause. La RDI CHN42444.EF, sur laquelle s’est fondée la SPR pour conclure que la pratique veut qu’une assignation soit remise à un membre de la famille, montre en fait qu’il est contraire à la procédure normale de remettre une assignation à un des membres de la famille. Ce document montre aussi que l’application de la loi en Chine est inégale et arbitraire. Selon des renseignements plus récents, il arrive que les autorités détiennent et punissent des gens selon des pratiques que la loi n’autorise pas. La conclusion de la SPR selon laquelle une assignation aurait pu être remise aux parents du demandeur ne se fonde sur aucun élément de preuve. Sa conclusion quant à la crédibilité reposait sur cette erreur et elle est déraisonnable.

[34]           Il était aussi déraisonnable, pour la SPR, de juger que le demandeur n’était pas crédible, simplement parce qu’il n’avait pas pu produire une copie de l’assignation délivrée par le BSP. Il était abusif, de la part de la SPR, de conclure que le demandeur ou des membres de sa famille auraient dû communiquer avec le BSP afin de se procurer une preuve confirmant les actes de persécution. Le fait de communiquer avec le BSP pour obtenir une copie de l’assignation aurait mis en danger le demandeur ou sa famille.

L’obligation de bonne foi

[35]           Il était également déraisonnable, de la part de la SPR, d’imposer, dans le cadre de l’examen de sa demande d’asile sur place, une obligation de « bonne foi ». En imposant au demandeur une telle obligation, la SPR s’est fondée sur des précédents surannés et sur une jurisprudence étrangère. La SPR n’a pas tenu compte de la jurisprudence voulant que, pour établir le bien-fondé d’une demande d’asile sur place, le demandeur ne soit aucunement tenu d’agir de bonne foi. Dans Ghasemian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1266, la juge Johanne Gauthier a convenu que les demandeurs opportunistes sont néanmoins protégés s’ils réussissent à établir qu’ils craignent d’être persécutés pour un des motifs prévus par la Convention.

 

La conclusion quant aux risques était déraisonnable

[36]           En estimant que le demandeur ne court aucun risque d’être persécuté dans la province du Fujian, la SPR est parvenue à une conclusion déraisonnable, car contraire à la jurisprudence de la Cour. Cette conclusion n’était pas appuyée par la preuve documentaire dont disposait la SPR.

[37]           Dans Zheng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1359, le juge Richard Mosley a déclaré ce qui suit, aux paragraphes 11 à 13 :

En l’espèce, les réserves de la Commission portaient principalement sur le traitement des chrétiens dans la province d’origine du demandeur. L’ancien document présentait de façon plus favorable la situation dans cette province que le rapport de 2010.

 

L’argument du défendeur selon lequel le document de 2005 ne constituait pas [traduction] « l’élément fondamental » de la décision n’est pas convaincant vu que la Commission s’est fondée sur le tableau plus favorable de la situation que ce document brossait. Je ne suis pas non plus convaincu, après lecture de la transcription de l’audience, que l’avocate du demandeur était au courant du contenu de ce document. Il ressort clairement de la transcription que l’avocate a fait des observations en lien avec la question générale quant à savoir si la province du Fujian avait une politique plus libérale, mais l’avocate n’a aucunement renvoyé aux commentaires précis se trouvant dans les documents de 2005 et de 2010.

 

Dans les circonstances, je conclus que le fait que la Commission s’est fondée sur l’ancien document constituait un manquement à l’équité procédurale. Je ne peux souscrire à l’allégation du demandeur selon laquelle les modifications apportées dans le document de 2010 sont si négligeables que je devrais conclure que le décideur aurait tiré la même conclusion s’il n’y avait pas eu manquement.

 

[38]           La décision Zheng interdit à la SPR de conclure que la province du Fujian est la plus tolérante à l’égard du christianisme.

[39]           En ce qui concerne les risques, la SPR a fondé sa conclusion sur des informations périmées, sans analyser des données plus récentes. La RDI CHN103500.EF, datée du 30 juin 2010, cite le passage suivant d’une lettre envoyée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié par la China Aid Association :

[traduction]

 

[s]i l’on considère précisément le Fujian et le Guangdong, il est totalement incorrect de conclure que la liberté de culte est respectée dans ces provinces […]. [L]es persécutions sont sporadiques et ne sont pas entièrement prévisibles, mais elles se produisent encore. Même les menaces de répression par le gouvernement constituent un moyen de persécution. À tout moment, les maisons-églises du Fujian et du Guangdong, comme toutes les autres en Chine, sont exposées au risque terrifiant d’être fermées, ou de voir leurs membres subir des sanctions. Il est certain que la liberté de culte n’est pas respectée dans ces provinces, étant donné qu’elle ne l’est pas dans le reste du pays.

 

[40]           Les informations que la SPR a elle-même réunies démontrent que, dans la province du Fujian, les chrétiens sont en permanence exposés au risque de châtiments. La RDI CHN103500.EF ne dit plus que la province du Fujian a « la politique la plus libérale en matière de religion en Chine », ce qui montre bien que cela n’est plus vrai. Or, dans sa décision, la SPR n’a pas tenu compte de cela.

[41]           Bien que la province du Fujian fasse peut-être, à l’égard du christianisme, preuve d’une plus grande tolérance que les autres régions de Chine, cela ne veut pas dire que les chrétiens puissent y exercer librement leur religion. Selon la RDI CHN102491.EF, les églises non enregistrées demeurent illégales et les chrétiens s’exposent à de nombreuses sanctions. Dans Liang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 65, le juge Michel Shore a jugé que, compte tenu de la preuve démontrant que des maisons‑églises avaient été détruites par les autorités dans la province du Fujian, il était déraisonnable, de la part de la SPR, de conclure que la demanderesse n’était exposée à aucun risque d’être persécutée. Il se peut qu’aucune preuve ne démontre que, dans la province du Fujian, des arrestations ont récemment eu lieu, mais il existe des éléments de preuve de persécution et de destruction de maisons‑églises.

[42]           La SPR disposait d’une preuve claire et convaincante que la pratique du christianisme n’était pas autorisée en Chine. La SPR ne s’est même pas penchée sur la question de savoir comment il se pourrait qu’un régime permanent de sanctions ne soit pas considéré comme de la persécution. Voir Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] ACF no 118. La SPR n’a pas pris en compte l’intégralité de la preuve, laquelle démontre que les restrictions imposées à la pratique du christianisme dans la province du Fujian équivalent à de la persécution.

[43]           C’est également à tort que la SPR a conclu que le demandeur n’était exposé à aucun risque, étant donné que les autorités chinoises n’avaient aucunement l’intention d’arrêter les membres de petites églises clandestines. Une telle conclusion repose sur l’hypothèse non étayée voulant que le demandeur entende continuer à pratiquer sa religion dans le cadre d’une petite église clandestine. Il se peut qu’à l’avenir, son église prenne de l’ampleur, au point où elle attirera l’attention du BSP. Par ailleurs, le fait que le demandeur soit obligé de confiner sa pratique religieuse à de petites églises montre bien les limites imposées à sa liberté religieuse. La décision Liang, précitée, montre que les autorités chinoises continuent à effectuer des descentes dans des églises, quelle que soit leur taille, et il était par conséquent déraisonnable, de la part de la SPR, de s’appuyer sur la faible taille de l’église du demandeur.

Le défendeur

            La conclusion quant à la crédibilité était raisonnable.

[44]           La conclusion défavorable à laquelle la SPR est parvenue quant à la crédibilité était raisonnable, car elle se fondait sur les erreurs, omissions et contradictions suivantes relevées dans le témoignage du demandeur :

a)                  Dans son FRP, le demandeur n’a pas fait état de la perquisition que le BSP aurait effectuée chez lui;

b)                  Il n’a pas documenté de manière satisfaisante les études qu’il aurait effectuées au Canada;

c)                  Il n’a pas pu identifier correctement ses professeurs;

d)                 Il n’a pas pu expliquer de manière convaincante pourquoi l’Évangile de Saint-Marc était son préféré;

e)                  Il n’a pas pu donner suffisamment de détails sur la teneur de l’Évangile de Saint-Matthieu;

f)                   Il s’est révélé incapable de réciter intégralement le Notre Père, bien qu’on lui ait donné davantage de temps pour le faire;

g)                  Il n’a qu’une connaissance limitée du christianisme.

 

[45]           Chacune de ces conclusions subsidiaires est étayée par la transcription de l’audience. Il était loisible à la SPR de conclure qu’en Chine, le demandeur n’était pas un chrétien et qu’il n’est pas non plus un chrétien au Canada. Il n’a contesté aucune de ces conclusions, et il faut par conséquent présumer qu’elles demeurent valables.

[46]           Il était également raisonnable, de la part de la SPR, de juger peu crédible le récit fait par le demandeur, étant donné que ce récit ne cadrait pas avec la preuve documentaire. La SPR avait en main des éléments de preuve concernant les conditions dans le pays en cause, lesquels indiquaient que, ces derniers temps, aucun chrétien n’avait été arrêté dans la province du Fujian. Il était raisonnable, de la part de la SPR, de conclure que les éventuels actes de persécution auraient été documentés, étant donné que les arrestations et les persécutions étaient documentées dans des régions plus reculées que la province du Fujian.

[47]           Le demandeur ayant affirmé que des agents du BSP s’étaient à plusieurs reprises rendus chez lui et que sa mère lui avait dit que le BSP avait délivré une assignation, il était raisonnable, de la part de la SPR, de trouver le demandeur peu crédible, étant donné qu’il n’avait pas présenté, à l’appui de ses dires, de copie de cette assignation. Dans Zhang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 654, le juge Michael Kelen a conclu ceci : « Il est loisible à la Commission d’apprécier la preuve documentaire en regard du témoignage du demandeur, et de conclure que cette preuve étaye une conclusion contraire à ce témoignage. » Voir le paragraphe 23.

[48]           Bien que, selon les règles de procédure applicables en Chine, le BSP n’ait pas à remettre aux membres de la famille une copie de l’assignation, les documents concernant les conditions dans ce pays montrent que cela se fait souvent. Il était raisonnable, de la part de la SPR, de conclure que l’absence d’une telle assignation démontrait que le demandeur n’était pas crédible.

[49]           Le demandeur a affirmé que la RDI CHN42444.EF était périmée et qu’elle n’appuyait pas les conclusions de la SPR. Il invoque également la RDI CHN103501.EF, plus récente, et affirme que ce document va à l’encontre des conclusions de la SPR. Selon le défendeur, pourtant, la RDI CHN103501.EF étaye la conclusion de la SPR. Cette RDI démontre qu’une assignation peut être remise à un membre adulte de la famille si la personne recherchée n’est pas là, et elle ne contient rien qui indique qu’il serait rare ou contraire aux règles de procédure de remettre à un membre de la famille une assignation. La RDI CHN103501.EF montre par ailleurs qu’il est possible d’obtenir du BSP une copie d’une assignation. Aucun élément de preuve produit devant la SPR n’indique qu’en demandant une copie de l’assignation, le demandeur ou sa famille se serait exposé à un risque, et il était donc raisonnable, de la part de la SPR, de s’attendre à ce que le demandeur produise une copie du document en question. Même si la conclusion que la SPR a tirée du fait que l’assignation n’avait pas été produite est déraisonnable, les autres conclusions quant à la crédibilité du demandeur impliquent que cette conclusion n’était pas déterminante.

La demande d’asile sur place

[50]           Selon la preuve dont elle disposait, il était raisonnable pour la SPR de conclure que le demandeur n’était pas, au Canada, un chrétien authentique, et qu’il ne serait pas considéré comme tel s’il rentrait en Chine. Même si la SPR a eu tort d’imposer au demandeur une obligation de bonne foi, elle a fait une analyse complète du bien-fondé de la demande d’asile sur place et elle a conclu que le demandeur n’était pas un chrétien authentique. Ayant conclu que le demandeur n’était pas un chrétien authentique, la SPR n’avait pas à se pencher sur la question de savoir s’il risquait d’être persécuté en Chine.

La conclusion quant aux risques était raisonnable

[51]           Il était raisonnable pour la SPR de conclure que le demandeur n’était exposé à aucun risque en Chine, puisque cette conclusion se fondait sur une appréciation complète de la preuve concernant les conditions prévalant dans le pays en cause, eu égard à la situation particulière du demandeur. Le demandeur soutient qu’il y avait au dossier des éléments de preuve démontrant que des chrétiens étaient persécutés en Chine, mais il n’a pas démontré que la SPR n’en avait pas tenu compte. La SPR a évoqué la preuve établissant que des chrétiens sont actuellement persécutés en Chine, citant les déclarations de la China Aid Association qui affirme ne pas avoir documenté tous les actes de persécution. En même temps, la SPR n’était saisie d’aucune preuve que des chrétiens avaient récemment été arrêtés dans la province du Fujian. Aucun élément de preuve ne contredisait spécifiquement la conclusion de la SPR sur ce point.

[52]           En outre, la SPR pouvait raisonnablement conclure que le demandeur pouvait, dans la province du Fujian, pratiquer sa religion dans l’église de son choix. Le demandeur n’a pas démontré que la taille de son église avait constitué un facteur déterminant dans l’analyse du risque à laquelle s’est livrée la SPR, et il ne peut pas, par conséquent, utilement invoquer la décision Liang, précitée. Selon He c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1199, la décision Liang ne permet pas d’affirmer que toutes les demandes d’asile fondées sur les risques de persécution religieuse dans la province du Fujian devraient être accueillies. Chaque affaire doit être tranchée en fonction des faits qui lui sont propres.

[53]           Le demandeur soutient que, selon la décision Zheng, précitée, la preuve documentaire ne permet pas de conclure que la province du Fujian est plus tolérante à l’égard du christianisme. Mais les conclusions de fait doivent se fonder, non pas sur la jurisprudence de la Cour, mais sur la preuve produite. La SPR a relevé, dans la RDI CHN103501.EF, des éléments de preuve qui indiquent qu’au Fujian et au Guangdong, les autorités font preuve d’une plus grande tolérance que dans d’autres provinces. Contrairement à l’affaire Zheng, précitée, les renseignements à jour ne s’écartent pas substantiellement des renseignements sur lesquels la SPR a fondé sa conclusion, au point de porter à une conclusion différente.

[54]           La SPR a reconnu que la liberté de culte consentie aux chrétiens varie beaucoup en Chine. La SPR pouvait raisonnablement conclure que le demandeur pouvait pratiquer la religion chrétienne dans la province du Fujian, sans être persécuté.

[55]           Même si la Cour ne souscrivait pas à la conclusion à laquelle la SPR est parvenue sur la question du risque, la Décision pourrait être maintenue, car la conclusion de la SPR quant à la crédibilité était raisonnable.

ANALYSE

[56]           La Décision est fondée sur deux motifs différents. D’abord, la SPR a conclu que le demandeur avait forgé sa demande d’asile et qu’il n’était « pas un chrétien pratiquant authentique et qu’il ne serait pas non plus perçu comme tel en Chine ». La SPR a conclu subsidiairement que, même s’il était un chrétien pratiquant

[…] selon la prépondérance des probabilités, le demandeur d’asile serait en mesure de pratiquer sa religion dans n’importe quelle église de la province du Fujian s’il devait retourner chez lui, dans la province chinoise du Fujian, et qu’il n’existe pas de possibilité sérieuse qu’il soit persécuté s’il le faisait.

 

 

[57]           Le demandeur allègue que ces deux motifs de décision sont entachés d’une erreur susceptible de contrôle. Il fait valoir que sur la question de la crédibilité, la SPR a incorrectement interprété la preuve concernant les assignations, et que la documentation n’étaye pas la conclusion de la SPR voulant que, lorsque la police convoque quelqu’un, elle laisse généralement l’assignation à la famille, ou du moins la leur montre. Il fait état de documents plus récents indiquant que l’administration jouit, dans l’ensemble du pays, d’un large pouvoir discrétionnaire et [traduction] « qu’il est possible que l’intéressé ne reçoive pas une copie de l’assignation, à moins d’en faire expressément la demande ». Dans la Décision, on reconnaît qu’une assignation n’est pas toujours remise, ajoutant, cependant, qu’on peut raisonnablement déduire qu’en l’occurrence, une telle assignation aurait été délivrée, étant donné que le demandeur « a allégué que des représentants du PSB [s’étaient] rendus chez lui six fois et qu’ils [avaient] indiqué qu’ils avaient l’intention de l’arrêter ». Sa crédibilité a été mise en doute, parce que « le demandeur d’asile n’a fourni aucun élément de preuve convaincant pour établir qu’il était recherché par le PSB ».

[58]           J’estime que la documentation plus récente citée par le demandeur ne contredit pas nécessairement le document antérieur, ou les conclusions de la SPR. Même si, cependant, la SPR est, sur ce point précis, allée trop loin, la conclusion quant à la crédibilité repose sur tout un ensemble de constatations que le demandeur ne conteste pas.

[59]           Le demandeur n’était pas un témoin crédible. Il n’a pas pu établir qu’il faisait des études au Canada, et n’a produit aucune preuve digne de foi de son inscription dans un établissement scolaire. Il n’a pas été capable d’identifier ses professeurs. Dans son FRP, il n’avait même pas signalé le fait que des agents du BSP auraient perquisitionné chez lui. Ainsi que le juge Pinard l’a clairement démontré dans Jin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 595, au paragraphe 11, il est loisible à la SPR de tirer des inférences défavorables des omissions dans le FRP d’un demandeur :

De plus, la Commission a examiné les explications du demandeur relativement à son omission, mais a choisi de les rejeter, comme elle l’a indiqué dans sa décision et était en droit de le faire (décision Jones, précitée, au paragraphe 27). La Commission a également clairement expliqué les raisons pour lesquelles elle estimait que le demandeur n’était pas crédible : il avait omis de mentionner un fait important dans son formulaire de renseignements personnels (le FRP) (voir Armson c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] A.C.F. no 800 (C.A.F.) (QL), 101 N.R. 372) et Dong c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 55, au paragraphe 15 [Dong]). Le demandeur était tenu d’inclure tous les faits pertinents dans son FRP et le demandeur ne peut se contenter d’affirmer que ce qu’il a dit dans son témoignage oral était plus détaillé (Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 536 (C.F.) (QL), au paragraphe 9; Basseghi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1867, au paragraphe 33 (C.F. 1re inst.) (QL)). L’omission du demandeur de mentionner l’existence d’un mandat d’arrestation dans son FRP vise un événement important et ce fait aurait dû être mentionné au départ. Ainsi, l’inférence défavorable de la Commission était justifiée.

 

 

[60]           En ce qui concerne la question de l’assignation, la SPR s’est fondée sur une preuve documentaire indiquant qu’il est possible d’obtenir une copie de l’assignation. Or, bien que la mère du demandeur ait suivi de près la situation et qu’elle ait aidé le demandeur, elle ne lui a pas procuré de copie de l’assignation. Selon le demandeur, il était [traduction] « abusif », de la part de la SPR, de s’attendre à ce que sa famille se mette en danger en demandant une copie de l’assignation. Pourtant, le demandeur n’a produit aucune preuve indiquant qu’en Chine, on s’expose à un risque en demandant une copie d’une assignation au nom d’un membre de la famille qui se trouve à l’étranger. Ainsi que le juge Mosley l’a souligné dans Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 671, IMM-7565-11 (non publié), au paragraphe 10 :

[traduction]


Si la Commission a tiré de l’absence d’assignation une inférence défavorable, c’est en partie parce que le demandeur affirmait que le BSP s’était, à neuf reprises, rendu chez lui. Compte tenu de la preuve démontrant un manque d’uniformité dans la manière de procéder du BSP, cela était peut-être déraisonnable (voir Weng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 422, aux paragraphes 16 à 18). L’inférence tirée sur ce point n’était cependant pas déterminante et ne permet pas à elle seule de dire que la décision dans son ensemble est déraisonnable.

 

 

[61]           La conclusion quant à la crédibilité repose sur une accumulation de contradictions, que le demandeur ne conteste d’ailleurs pas. Il est évident, au vu de cet ensemble de doutes touchant la crédibilité, que, même si la SPR s’était trompée sur la question de l’assignation (ce qui, d’après moi, n’est pas le cas), elle avait de fortes raisons de conclure que le demandeur n’était pas un chrétien authentique, que les motifs l’ayant porté à venir au Canada étaient discutables et qu’il ne serait pas considéré comme chrétien s’il rentrait en Chine.

[62]           Le demandeur n’a produit aucune preuve objective de ce qui était arrivé à son église, en Chine. Il n’a produit aucun affidavit émanant d’autres membres de l’église et n’a pas expliqué ce qui était arrivé aux trois membres qui avaient été arrêtés. Il n’y avait aucun écrit de sa mère qui, pourtant, était censée l’avoir tenu au courant de ce qui se passait en Chine. Il n’y avait simplement pas la moindre preuve corroborante, ni d’explication satisfaisante de ce défaut de preuve. Quelle que soit la situation générale dans la province du Fujian, le demandeur n’a pas été en mesure d’en faire un récit convaincant, ni d’établir un lien entre lui et les problèmes auxquels pouvaient être confrontés les chrétiens.

[63]           Au lieu de faire face aux constatations ayant porté la SPR à mettre en doute sa crédibilité, le demandeur se borne à affirmer que la SPR a commis une erreur susceptible de contrôle en lui imposant une obligation de « bonne foi ». Sur ce point, le demandeur invoque la décision Ghasemian, précitée, aux paragraphes 29 à 31 :

Selon Mme Ghasemian, la Commission a également commis une erreur lorsqu’elle a examiné les motifs qui l’avaient poussée à se convertir et qu’elle n’a pas appliqué le bon critère en rejetant sa revendication au motif qu’elle n’avait pas été faite de bonne foi, c’est-à-dire qu’elle ne s’était pas convertie pour des raisons purement religieuses. Elle se fonde sur l’arrêt rendu par la Cour d’appel d’Angleterre dans l’affaire Danian c. Secretary of State for the Home Department, [1999] E.W.J. No. 5459 (en ligne QL).

 

Dans cet arrêt, la Cour d’appel d’Angleterre a jugé que, malgré le fait que la revendication présentée par M. Danian en qualité de « réfugié sur place » reposait sur des opinions politiques clairement exprimées qui auraient été formulées dans le seul but d’étayer sa revendication, le tribunal était quand même tenu de décider si M. Danian s’exposerait à la persécution s’il retournait dans son pays d’origine.

 

Bien que notre Cour ne soit pas liée par l’arrêt Danian, précité, je trouve son raisonnement fort convaincant et je conviens que les revendicateurs opportunistes sont toujours protégés par la Convention s’ils réussissent à établir qu’ils craignent véritablement et avec raison d’être persécutés pour un des motifs prévus par la Convention.

 

 

[64]           Selon moi, le demandeur n’est tout simplement pas parvenu à établir, à la satisfaction de la SPR, qu’il était effectivement chrétien et qu’il serait considéré comme tel en Chine. Il ne sait pas grand-chose du christianisme, et n’a pas été capable de réciter le Notre Père, même après avoir eu une deuxième occasion de le faire. Le demandeur reproche à la SPR de s’être essentiellement intéressée à ses motifs, et de lui avoir imposé, à tort, une obligation de « bonne foi ». Au vu de la Décision prise dans son ensemble, cependant, la SPR s’est penchée sur la pratique religieuse du demandeur au Canada, et a soigneusement sondé sa connaissance du christianisme. Le demandeur ne conteste pas les conclusions auxquelles la SPR est parvenue sur ce point. La situation ressemble beaucoup à celle en cause dans Jin, précitée, où, aux paragraphes 18 à 20, le juge Pinard a conclu ce qui suit :

En dernier lieu, le demandeur soutient que la Commission a en outre commis une erreur dans son appréciation de sa demande d’asile sur place, omettant d’appliquer le critère approprié et mêlant ses conclusions en ce qui concerne la pratique religieuse du demandeur en Chine et au Canada, comme dans l’affaire Yin, précitée.

 

Chaque cas est un cas d’espèce (décision Chen, précitée, au paragraphe 25). Lors de l’examen d’une demande d’asile sur place, le fait qu’un demandeur n’était pas un véritable chrétien pratiquant en Chine ne signifie pas qu’il n’est pas un chrétien sincère et pratiquant au Canada (décision Yin, précitée, au paragraphe 94). Par conséquent, la Commission était tenue d’examiner la pratique religieuse du demandeur au Canada, ce qu’elle a fait, examinant expressément les documents discutés précédemment, comme cela a été déclaré dans la décision Ejtehadian, précitée, au paragraphe 11 :

 

[...] la preuve crédible des activités d’un demandeur au Canada susceptibles d’attester le risque d’un préjudice dès son retour doit être expressément prise en considération par la CISR, même si la motivation derrière ces activités n’est pas sincère [...]

 

La Commission n’a pas appliqué le mauvais critère juridique, pas plus qu’elle ne s’est concentrée sur les motifs de la conversion du demandeur au christianisme. Elle a plutôt examiné la question de savoir si le demandeur était un chrétien authentique susceptible d’être persécuté en Chine en raison de ses croyances. Étant donné que le demandeur n’était pas considéré comme un chrétien pratiquant authentique, il n’était pas nécessaire que la Commission cherche à savoir si le demandeur serait exposé à un risque de persécution religieuse en Chine. Ainsi, il ne s’agit pas d’une affaire dans laquelle les activités religieuses du demandeur au Canada pourraient donner lieu à une réaction défavorable de la part des autorités chinoises s’il était forcé de retourner en Chine (voir Girmaeyesus c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 53, au paragraphe 28). De plus, le défendeur déclare avec raison qu’il serait absurde d’accueillir une demande d’asile sur place chaque fois qu’un pasteur fournit une lettre attestant l’adhésion d’un demandeur à son église.

 

[65]           Que sa demande soit faite ou non de bonne foi, le demandeur d’asile doit démontrer le risque auquel il serait exposé. La SPR a conclu, raisonnablement, que le demandeur n’était pas un chrétien et qu’en Chine, les autorités ne le considéreraient pas comme chrétien.

[66]           La Décision était raisonnable en ce qui concerne la crédibilité du demandeur et sa demande d’asile sur place, et il n’y a par conséquent aucune raison d’examiner la conclusion subsidiaire de la SPR selon laquelle, si le demandeur était un chrétien authentique, il serait libre de pratiquer sa religion dans la province du Fujian. Cela dit, je considère que l’appréciation que la SPR a faite sur ce point était raisonnable. Elle a pris en compte l’ensemble de la situation dans la province du Fujian, a reconnu l’existence d’éléments de preuve contradictoires et est parvenue, selon moi, à une conclusion raisonnable.

[67]           Les avocats des parties conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier, et c’est aussi l’avis de la Cour.


JUGEMENT

LA COUR STATUE

 

1.                  que la demande est rejetée;

2.                  qu’il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8613-11

 

INTITULÉ :                                     KAI BIN WEI

 

                                                            -   et   -

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 28 juin 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 19 juillet 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Korman                                                                     POUR LE DEMANDEUR

 

Samantha Reynolds                                                                POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

OTIS & KORMAN                                                                POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Toronto (ON)

 

Myles J. Kirvan, c.r.                                                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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