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Date : 20120713

Dossier : IMM‑463‑12

Référence : 2012 CF 881

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 juillet 2012

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

 

MBOUDU, ALI

alias MODOU, ADAM ALI

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Aperçu

 

[1]               M. Ali Mboudu craint la persécution politique au Tchad, pays dont il est citoyen. En 2010, il a présenté une demande d’asile au Canada, mais un tribunal de la Commission de l’Immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande pour manque de preuve crédible.

 

[2]               M. Mboudu soutient que les conclusions de la Commission en matière de crédibilité étaient sans fondement et sa décision déraisonnable. Il me demande d’annuler la décision de la Commission et d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience. Je conviens que les conclusions défavorables de la Commission en matière de crédibilité n’étaient pas justifiées compte tenu de la preuve et que sa conclusion était donc déraisonnable. Par conséquent, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[3]               La seule question en litige consiste à savoir si la décision de la Commission était déraisonnable compte tenu des éléments de preuve dont elle disposait.

 

II.        Les allégations de M. Mboudu

 

[4]               M. Mboudu dit qu’en 2009, à son retour d’Égypte, où il avait fait des études, il a été retenu et interrogé à l’aéroport pendant une heure à N’Djamena, la capitale du Tchad. Des membres de l’Agence Nationale de sécurité (ANS) le soupçonnaient d’appartenir à l’Union des Forces pour la démocratie et le développement (UFDD) en raison de son jeune âge, de son origine ethnique (Gorane) et de ses liens avec l’Égypte (où résident de nombreux partisans de l’UFDD).

 

[5]               Une semaine plus tard, l’ANS l’a convoqué pour l’interroger plus en détail. L’Agence le soupçonnait toujours de participer aux activités de l’UFDD.

 

[6]               Environ trois semaines plus tard, l’ANS a convoqué de nouveau M. Mboudu. Craignant le résultat d’un autre interrogatoire, il a refusé d’y aller. Des représentants de l’ANS sont allés chez lui à sa recherche, mais il n’y était pas. Son oncle l’a avisé qu’il faisait l’objet d’un mandat d’arrestation et l’a aidé à quitter le Tchad. M. Mboudu s’est présenté à l’ambassade des États‑Unis avec son oncle et a obtenu un visa. Son oncle a facilité ensuite son départ à l’aéroport, un jour où l’un de ses amis était en service.

 

[7]               M. Mboudu est arrivé aux États‑Unis en septembre 2009 et il s’est ensuite rendu au Canada en février 2010.

 

III.       La décision de la Commission

 

[8]               La Commission a exprimé quatre préoccupations principales quant au récit des événements vécus par M. Mboudu.

 

[9]               Premièrement, la Commission a mis en doute la version donnée par M. Mboudu des démarches pour obtenir son visa à l’ambassade des États‑Unis au Tchad. Lorsqu’il est arrivé au point d’entrée au Canada, il a dit à agent d’immigration qu’on avait pris ses empreintes digitales à l’ambassade, mais qu’il n’avait pas été interrogé. Or, à l’audience, M. Mboudu a rendu un témoignage plutôt contradictoire, mais il a finalement confirmé que les autorités américaines l’avaient interrogé. Il a expliqué les contradictions de son témoignage en disant que l’agent d’immigration ne lui avait pas demandé s’il avait passé une entrevue. La Commission a tiré une inférence défavorable du témoignage de M. Mboudu.

 

[10]           Deuxièmement, la Commission a mis en doute le manque de connaissance de M. Mboudu au sujet d’un dénommé Adoumn Mahamat Dady, dont le nom figurait sur son visa. Au point d’entrée, M. Mboudu a déclaré que son oncle avait demandé à M. Dady de l’aider à quitter le pays. À l’audience, M. Mboudu a témoigné qu’il savait seulement que M. Dady était son agent. La Commission a supposé que M. Mboudu n’avait pas été interrogé à l’ambassade au sujet de M. Dady, étant donné que le visa indiquait qu’il était tenu de voyager avec cette personne. Selon la Commission, au cours de cet interrogatoire, M. Mboudu avait dû fournir suffisamment de renseignements au sujet de M. Dady pour convaincre les autorités américaines, sinon il n’aurait pas pu obtenir un visa. Par conséquent, M. Mboudu doit avoir menti tant au point d’entrée qu’à l’audience lorsqu’il a dit qu’il ne connaissait pas bien M. Dady.

 

[11]           Troisièmement, la Commission n’a pas cru que M. Mboudu pouvait quitter le Tchad en utilisant son propre passeport, alors que l’ANS avait lancé contre lui un mandat d’arrestation. M. Mboudu a déclaré qu’il était passé par l’aéroport un jour où un ami de son oncle était en service. La Commission a toutefois douté que M. Mboudu ait pu si facilement échapper à l’ANS.

 

[12]           Quatrièmement, la Commission n’a pas accepté l’allégation de M. Mboudu portant que son oncle avait été arrêté après qu’il eut quitté le Tchad. Cette allégation était appuyée par une lettre provenant du frère de M. Mboudu. Toutefois, fait étonnant, un blogueur et militant des droits de la personne, qui avait présenté les difficultés éprouvées par M. Mboudu avec l’ANS, n’avait publié aucune information sur son oncle. Étant donné qu’elle n’a pas cru que l’oncle de M. Mboudu avait été arrêté, la Commission a également rejeté l’allégation de M. Mboudu portant que son oncle ne pouvait pas fournir de preuve documentaire corroborante.

 

[13]           La Commission a donc conclu que les allégations de M. Mboudu n’étaient pas crédibles et a rejeté sa demande.

 

IV.       La décision de la Commission était‑elle déraisonnable?

 

[14]           Le ministre fait valoir que les conclusions de la Commission en matière de crédibilité reposaient sur la preuve et qu’elles étaient donc raisonnables. Je ne suis pas d’accord. Dans l’ensemble, ses conclusions n’étaient pas justifiées au vu de la preuve.

 

[15]           Le premier sujet de préoccupation de la Commission semble valide. M. Mboudu a rendu un témoignage contradictoire quant à savoir s’il avait passé une entrevue à l’ambassade des États‑Unis lorsqu’il a présenté sa demande de visa. Ce point revêtait toutefois un intérêt mineur et portait sur une question accessoire.

 

[16]           La conclusion de la Commission au sujet de M. Dady était conjecturale. M. Mboudu avait déclaré que M. Dady était un agent et qu’il le connaissait peu. La Commission a rejeté cette possibilité, compte tenu du fait que M. Mboudu devait avoir donné des renseignements détaillés et fiables aux autorités américaines au sujet de M. Dady afin d’obtenir son visa. Cependant, il n’y avait aucun élément de preuve sur ce qui a été dit à l’ambassade au sujet de M. Dady, par M. Mboudu, son oncle ou M. Dady lui‑même. Le témoignage de M. Mboudu n’était pas à ce point invraisemblable que la Commission puisse le rejeter d’emblée.

 

[17]           En ce qui concerne le départ de M. Mboudu du Tchad, la Commission a encore une fois omis de tenir compte de la preuve. M. Mboudu a témoigné qu’il avait pu passer par l’aéroport sans être repéré avec l’aide d’un ami de son oncle. La Commission a estimé que cela était peu probable. Or, la Commission ne disposait d’aucun élément de preuve au sujet de l’exécution des mandats d’arrestation au Tchad ni sur les mesures de sécurité à l’aéroport. La preuve documentaire confirmait que la corruption est omniprésente au Tchad.

 

[18]           La conclusion de la Commission selon laquelle l’oncle de M. Mboudu n’avait pas été arrêté n’a pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents. La Commission n’a pas mentionné la lettre fournie par West African Refugee and Internally Displaced Persons Network [WARIDPN] qui précisait que l’oncle de M. Mboudu avait été arrêté et placé en détention dans un endroit inconnu du Tchad. En outre, contrairement aux conclusions de la Commission, le blogueur qui avait écrit sur la détention de M. Mboudu a signalé également qu’on ignorait où se trouvait son oncle.

 

[19]           Selon le ministre, la Commission était en droit d’ignorer la lettre de WARIDPN parce que le blogueur figurait parmi les sources de cette organisation et qu’elle avait des réserves quant à sa crédibilité en raison d’un certain nombre de contradictions (non précisées) dans son compte rendu de la détention de M. Mboudu. En fait, vu que la Commission n’a pas expliqué son raisonnement, nous ne savons pas pourquoi elle a ignoré cet élément de preuve.

 

[20]           En conséquence, la plupart des conclusions défavorables de la Commission en matière de crédibilité n’étaient pas étayées par la preuve. Je souligne également qu’aucune de ces conclusions ne touchait en fait au cœur de l’allégation de M. Mboudu selon laquelle il était exposé à un risque au Tchad du fait qu’il était soupçonné de participer aux activités de l’UFDD. Par conséquent, je conclus que la décision de la Commission ne constitue pas une issue justifiable au regard des faits et du droit. La décision était déraisonnable.

 

V.        Conclusion et décision

 

[21]           La plupart des conclusions défavorables de la Commission en matière de crédibilité n’étaient pas étayées par la preuve. De plus, ces conclusions se rapportaient à des aspects de la preuve qui n’étaient pas au cœur de la demande de M. Mboudu. Par conséquent, je conclus que la décision de la Commission était déraisonnable, et je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner la tenue d’une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué. Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question de portée générale à certifier et aucune n’est énoncée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à la Commission pour nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué.

 

2.         Aucune question de portée générale n’est énoncée.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑463‑12

 

 

INTITULÉ :                                                  ALI MBOUDU (ALIAS MODU, ADAM ALI) c
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 3 juillet 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                 Le 13 juillet 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Howard P. Eisenberg

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John Loncar

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Eisenberg & Young LLP

Avocats

Hamilton (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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