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Date : 20120704

Dossier : IMM‑8703‑11

Référence : 2012 CF 844

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 juillet 2012

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

MANIVANNAN SABARATNAM

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

demandeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision, datée du 9 novembre 2011, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger, en application des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Pour les motifs qui suivent, la demande est accueillie.

 

Les faits

 

[2]               Le demandeur, Manivannan Sabaratnam, est un Tamoul du Sri Lanka. Il affirme qu’il a été détenu par les forces de sécurité à deux reprises. La première fois a eu lieu en novembre 2007, après que son voisin eut été tué, prétendument parce qu’il était soupçonné de recruter de jeunes hommes pour les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les LTTE). Le demandeur avait alors été mis en état d’arrestation et interrogé. Craignant de subir le même sort que son voisin, il est parti pour Colombo en décembre 2007.

 

[3]               Le demandeur dit que, le 7 janvier 2009, lui et 12 autres jeunes hommes ont été arrêtés par suite d’un attentat à la bombe sur une voie ferrée. Il a été détenu dans une prison à sécurité maximale de Colombo pendant une période de six mois, au cours de laquelle il a été battu. Au bout de six mois, un magistrat a ordonné que lui et les autres jeunes soient relâchés faute de preuve les reliant à l’attentat.

 

[4]               Le demandeur allègue que, en juin ou juillet 2010, un groupe de militants tamouls a voulu le rançonner, puis a tenté de l’enlever quand il leur a dit qu’il n’avait pas d’argent. Il affirme avoir aussi échappé plus tard à des hommes qui avaient tenté de l’enlever en cherchant à le faire monter dans une fourgonnette. Il dit que son oncle l’a aidé à obtenir un passeport et des documents de voyage et a engagé un intermédiaire pour qu’il l’aide à fuir le Sri Lanka. Après avoir traversé d’autres pays, il est arrivé au Canada le 5 février 2011.

 

La décision contrôlée

 

[5]               Après avoir examiné les allégations du demandeur, la Commission a estimé que sa crainte de persécution n’était pas fondée, en raison des doutes qu’elle avait sur sa crédibilité. Elle a estimé subsidiairement que la situation avait évolué au Sri Lanka et que le risque allégué par le demandeur était un risque auquel était exposée la population en général.

 

Crédibilité

 

[6]               La Commission a indiqué que le demandeur avait admis n’avoir eu aucune difficulté à obtenir un certificat de police en 2008 pour se faire délivrer un passeport. Elle a estimé que, si le demandeur avait figuré sur la « liste de surveillance » du gouvernement, il n’aurait pas obtenu de certificat de police et aurait été arrêté. Elle a aussi mentionné que le demandeur n’avait pas été arrêté et n’avait pas rencontré de difficultés au cours des contrôles réguliers effectués par la police de Colombo, et que, selon elle, cela voulait dire qu’aucun mandat d’arrêt n’avait été lancé contre lui et que la police n’était pas à sa recherche.

 

[7]               La Commission a conclu aussi que, si le demandeur avait pu quitter le pays (encore qu’avec l’assistance d’un intermédiaire), cela voulait dire qu’il n’était pas recherché et qu’il ne risquait pas d’être arrêté à son retour au Sri Lanka. Elle a donc conclu que la crainte de persécution alléguée par le demandeur n’était pas fondée.

 

Évolution de la situation

 

[8]               Subsidiairement, la Commission a estimé que, si les doutes sur la crédibilité du demandeur n’étaient pas déterminants, en revanche l’évolution de la situation l’était. Elle a cité l’alinéa 108(1)e) de la LIPR, qui dispose qu’une demande d’asile sera rejetée si les raisons à l’origine de la demande d’asile n’existent plus. Elle a indiqué que la question de savoir si la situation a évolué est une question de fait et qu’il faut se demander si cette évolution est durable, efficace et appréciable. Elle a aussi cité la décision de la Cour d’appel, Fernandopulle c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 91, selon laquelle la persécution passée n’a pas pour effet d’établir une présomption légale de persécution future.

 

[9]               La Commission a reconnu que de nombreux jeunes Tamouls risquaient d’être persécutés par les LTTE, les forces de sécurité sri‑lankaises et les groupes paramilitaires. Elle a estimé que, vu la condition du demandeur et la situation qui a cours aujourd’hui au Sri Lanka, le demandeur n’est pas véritablement exposé à une persécution fondée sur son origine ethnique, et qu’il est peu probable qu’il soit exposé à l’un des risques visés par l’article 97 de la LIPR.

 

[10]           La Commission a fait état de la preuve selon laquelle, vu la nette amélioration de la sécurité au Sri Lanka, les Tamouls n’ont plus besoin d’une protection en tant que groupe, les demandes d’asile devant plutôt être évaluées en fonction de certains profils de risque, par exemple les Tamouls soupçonnés de liens avec les LTTE. Puisque le demandeur ne correspondait pas, selon l’information la plus récente, au profil de ceux qui sont exposés à un risque, la Commission a estimé que l’évolution de la situation était telle que le demandeur n’était pas exposé à un risque.

 

Norme de contrôle et question litigieuse

 

[11]           La question soulevée par la présente demande est celle de savoir si la décision de la Commission est raisonnable : arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190. Il existe un certain désaccord sur la norme de contrôle applicable à cette question, mais le raisonnement suivi par la Cour d’appel dans l’arrêt Yamba c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 457, donne à penser que c’est la norme de la décision correcte. La Commission est tenue de prendre en compte le paragraphe 108(4) dès lors qu’elle conclut à une évolution de la situation en application de l’alinéa 108(1)e). Ainsi, alors qu’une conclusion tirée en vertu du paragraphe 108(4) serait contrôlée d’après la norme de la décision raisonnable, une conclusion portant sur l’application du paragraphe 108(4) n’appellera quant à elle aucune retenue.

 

Analyse

 

[12]           De nombreux arguments ont été avancés par le demandeur, mais, à mon avis, il est possible de statuer sur la demande à partir de l’analyse de la Commission portant sur la question de savoir si l’évolution de la situation au Sri Lanka est telle que les raisons d’accorder une protection n’existent plus, au sens de l’alinéa 108(1)e) de la LIPR.

 

[13]           Le défendeur soutient que c’est la crédibilité du demandeur qui a déterminé l’issue de sa demande d’asile. Cependant, la conclusion de la Commission sur ce point était qu’elle ne croyait pas que le demandeur figurait actuellement sur une liste de surveillance ou qu’il était recherché par les autorités. Comme l’affirme le demandeur, il ne prétendait pas qu’il était actuellement recherché par la police; il craignait plutôt la persécution parce qu’il avait déjà été persécuté par les forces de sécurité et les groupes militants. Nulle part dans ses motifs la Commission n’a écrit qu’elle ne croyait pas le témoignage du demandeur sur sa détention, lequel était étayé par la preuve documentaire. La conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’était pas recherché n’a donc pu être déterminante sans la conclusion accessoire selon laquelle les personnes ayant son profil ne sont plus exposées à un risque en raison d’une évolution de la situation.

 

[14]           Le demandeur soutient que la Commission a appliqué le mauvais critère pour décider si la situation avait évolué au sens de l’alinéa 108(1)e) de la LIPR, et que l’analyse qu’elle a faite de l’évolution de la situation était déficiente. Je crois qu’il n’est pas nécessaire de traiter de ces arguments parce que la Commission a commis une erreur lorsque, après avoir conclu à une évolution de la situation selon l’alinéa 108(1)e), elle n’a pas tenu compte de l’exception des raisons impérieuses dont il est question au paragraphe 108(4) de la LIPR. Les dispositions pertinentes de l’article 108 sont ainsi rédigées :

Rejet

 

108. (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

 

[…]

 

 

e) les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus.

 

[…]

 

 

Exception

 

(4) L’alinéa (1)e) ne s’applique pas si le demandeur prouve qu’il y a des raisons impérieuses, tenant à des persécutions, à la torture ou à des traitements ou peines antérieurs, de refuser de se réclamer de la protection du pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré.

Rejection

 

108. (1) A claim for refugee protection shall be rejected, and a person is not a Convention refugee or a person in need of protection, in any of the following circumstances:

 

[…]

 

(e) the reasons for which the person sought refugee protection have ceased to exist.

 

[…]

 

Exception

 

(4) Paragraph (1)(e) does not apply to a person who establishes that there are compelling reasons arising out of previous persecution, torture, treatment or punishment for refusing to avail themselves of the protection of the country which they left, or outside of which they remained, due to such previous persecution, torture, treatment or punishment.

 

 

[15]           La Commission a clairement conclu que les raisons pour lesquelles le demandeur demandait l’asile n’existaient plus au sens de l’alinéa 108(1)e). Par conséquent, comme le prescrivait la Cour d’appel dans l’arrêt Yamba, elle était tenue, en application du paragraphe 108(4) (ou du paragraphe 2(3) de l’ancienne loi) de se demander s’il y avait des « raisons impérieuses » de ne pas appliquer l’alinéa 108(1)e), en raison des persécutions et de la torture qu’avait déjà subies le demandeur. La Cour d’appel a dit ce qui suit dans l’arrêt Yamba, au paragraphe 6 :

En bref, lorsqu’elle conclut qu’un demandeur de statut a déjà été persécuté, mais qu’il y a eu un changement de situation dans le pays en question conformément à l’alinéa 2(2)e), la Section du statut de réfugié a, en vertu du paragraphe 2(3), l’obligation de se demander si les éléments de preuve soumis établissent l’existence de « raisons impérieuses ». Elle est soumise à cette obligation, que le demandeur de statut invoque ou non expressément le paragraphe 2(3). Cela étant dit, il incombe toujours au demandeur de statut de présenter les éléments de preuve nécessaires pour établir qu’il est fondé à invoquer cette disposition.

 

 

[16]           L’obligation de prendre en compte l’exception des « raisons impérieuses » prend donc naissance chaque fois qu’il est établi qu’un demandeur d’asile a déjà été victime de persécution, ce qu’a reconnu la Commission dans la présente affaire puisqu’elle n’a pas dit clairement qu’elle ne croyait pas le témoignage du demandeur selon lequel il avait été détenu et battu. La Commission a donc commis une erreur en ne tenant pas compte du paragraphe 108(4) de la LIPR.

 

[17]           Mentionnons que la Cour a conclu dans certains cas que le fait pour la Commission de ne pas tenir compte du paragraphe 108(4) ne constituera une erreur que s’il existe une preuve prima facie de persécution passée pouvant être qualifiée d’« épouvantable » ou d’« atroce », étant donné que cette exception n’est censée s’appliquer qu’à des situations extraordinaires : Alfaka Alharazim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1044, par 49. Cependant, le raisonnement appliqué dans cette jurisprudence n’a pas été suivi dans la décision Kumarasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 290.

 

[18]           Je suis d’avis cependant que l’apparente contradiction entre la décision Yamba et la décision Alfaka Alharazim ne modifie pas l’issue de la présente demande de contrôle judiciaire. Le demandeur a témoigné avoir été torturé au cours de la période de six mois pendant laquelle il a été détenu, et la Commission n’a tiré de ce témoignage aucune conclusion défavorable quant à sa crédibilité. Ainsi, même si la preuve prima facie d’une persécution passée épouvantable ou atroce est requise, le demandeur satisfait à cette norme, et la Commission a donc commis une erreur en ne tenant pas compte du paragraphe 108(4) de la LIPR. La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie.


JUGEMENT

LA COUR STATUE QUE la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour qu’elle procède à un nouvel examen devant un autre commissaire de la Section de la protection des réfugiés. Aucune question à certifier n’a été proposée et la Cour estime que l’affaire n’en soulève aucune.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑8703‑11

 

 

INTITULÉ :                                                  MANIVANNAN SABARATNAM c 
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 6 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 4 juillet 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Manuel Jesudasan

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Ildiko Eredi

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Manuel Jesudasan

Avocat
Scarborough (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan,

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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