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Date : 20120629

Dossier : IMM‑9120‑11

Référence : 2012 CF 838

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 juin 2012

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

 

JOSE MANUEL RODRIGUEZ VIEIRA

MARIA FATIMA DOS SANTOS DE RODRIGUEZ

JONATHAN JOSE RODRIGUEZ DOS SANTOS

FATIMA ANDREINA RODRIGUEZ DOS SANTOS

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               José Manuel Rodriguez Vieira et son épouse, Anabella Rodriguez Vieira (les demandeurs principaux), ainsi que leurs deux enfants adultes, Jonathan José Rodriguez Dos Santos et Fatima Andreina Rodriguez Dos Santos, disent craindre la persécution politique au Venezuela. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté leur demande d’asile, estimant qu’ils ont accès à la citoyenneté portugaise par simple formalité et que la famille pourrait vivre en sécurité au Portugal sans craindre la persécution.

 

[2]               Les demandeurs ne contestent pas le fond de la décision de la Commission. Ils ont admis, durant l’audition de leur demande de contrôle judiciaire, qu’ils ont droit à la citoyenneté portugaise. Ils font plutôt valoir que la décision de la Commission devrait être annulée parce que la Commission ne leur a pas donné l’occasion de se faire entendre au sujet de la persécution qu’ils ont connue au Venezuela et des raisons pour lesquelles ils ne peuvent pas vivre au Portugal aujourd’hui.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, les demandeurs ne m’ont pas convaincue que la procédure suivie par la Commission n’a pas été équitable. En conséquence, leur demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

Contexte

[4]               Les demandeurs sont Vénézuéliens. Ils sont arrivés au Canada le 21 janvier 2007, fuyant la persécution politique dont ils étaient victimes au Venezuela en raison de leur rôle au sein du parti Acción Democratica et de leur opposition au régime de Hugo Chavez. Ils ont demandé l’asile peu après leur arrivée, affirmant que, comme propriétaires d’un commerce de nettoyage à sec et de vente au détail d’aliments, ils étaient exposés aux menaces, aux violences et aux exactions des Circulos Bolivarianos, qui sont des coopératives de sécurité et de police subventionnées par le gouvernement vénézuélien. Les incidents auraient commencé en 2000 et se seraient poursuivis jusqu’au début de 2007, lorsque les demandeurs ont finalement fui au Canada.

 

[5]               Les deux demandeurs principaux sont nés au Venezuela de parents portugais. Au cours d’une première audience tenue le 17 mars 2010, la Commission a demandé à l’agent de protection des réfugiés (l’APR) (avec le consentement des demandeurs) de s’informer au sujet de l’admissibilité des demandeurs à la citoyenneté portugaise et de la procédure qu’il leur faudrait suivre pour l’obtenir. L’audience a été suspendue afin de permettre à l’APR de recueillir ces renseignements, que la Commission estimait potentiellement déterminants pour la demande d’asile des demandeurs.

 

[6]               L’audience a repris le 15 septembre 2010 et a porté sur la question de la double citoyenneté. La Commission a alors expliqué que, s’il devenait évident que les demandeurs n’avaient pas en réalité accès à la citoyenneté portugaise, elle convoquerait une nouvelle audience afin d’examiner les allégations formulées par les demandeurs au sujet de la persécution dont ils auraient été victimes au Venezuela.

 

[7]               La correspondance de l’APR avec les autorités consulaires portugaises a révélé que les deux demandeurs principaux et leurs enfants pouvaient obtenir la citoyenneté portugaise en se pliant à une simple formalité. Comme je l’ai dit plus haut, les demandeurs n’ont pas contesté cette conclusion devant la Commission et admettent maintenant que c’est effectivement le cas.

 

[8]               Pour que leur demande d’asile soit accueillie, ils devaient démontrer qu’ils craignaient avec raison d’être persécutés à la fois au Venezuela et au Portugal, et qu’ils ne pouvaient pas ou ne voulaient pas se réclamer de la protection des deux pays : voir l’alinéa 96a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [la LIPR], et Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 126, [2005] 3 R.C.F. 429, par. 27.

 

[9]               Les demandeurs ont fait valoir devant la Commission qu’ils étaient exposés à un risque de persécution au Portugal. La fille adulte des demandeurs, Fatima Andreina, est aveugle et sourde. Elle requiert un programme d’éducation spécialisée qui est offert au Canada, mais non au Portugal. Les demandeurs ont prétendu que le fait de nier ces services spécialisés à Fatima Andreina porterait atteinte à son droit à l’éducation et constituerait une discrimination équivalant à de la persécution.

 

[10]           La Commission a rejeté cependant cet argument, concluant que l’absence au Portugal d’établissements scolaires publics destinés aux étudiants qui sont à la fois sourds et aveugles n’équivalait pas à de la persécution. Elle a donc rejeté la demande d’asile.

 

Analyse

[11]           Comme je l’ai déjà expliqué, les demandeurs ne contestent pas le fond des conclusions de la Commission, notamment celle selon laquelle Fatima Andreina ne risque pas d’être persécutée au Portugal. Cependant, ils affirment qu’ils ont été traités injustement au cours de l’audience tenue devant la Commission. Ils disent qu’ils n’ont pas pu présenter correctement leur preuve quant à leur crainte d’être persécutés au Venezuela et aux raisons pour lesquelles ils ne peuvent pas vivre au Portugal. Ils soutiennent aussi que la Commission leur a refusé la possibilité de dissiper ses doutes, d’une manière qui témoignait son antipathie, son agacement et son insensibilité.

 

[12]           Lorsque se posent des questions d’équité procédurale, il appartient à la Cour de déterminer si la procédure suivie par la Commission a atteint le niveau d’équité requis en l’occurrence : voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, par. 43. Si la procédure suivie est jugée inéquitable, la Cour n’acquiescera pas à la décision de la Commission, elle l’annulera : Cardinal c. Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, p. 661.

 

[13]           J’ai examiné attentivement la transcription de l’audience du 15 septembre 2010 en tenant compte des conclusions écrites et orales des parties, ainsi que de l’affidavit de M. Rodriguez déposé au soutien de la présente demande de contrôle judiciaire. Je reconnais que, dans certains cas, le fait pour un commissaire de faire preuve d’intimidation, de harcèlement ou d’insensibilité peut susciter une crainte raisonnable de partialité ou rendre l’audience inéquitable, mais la transcription ne révèle pas l’existence d’un tel comportement ou de telles interventions dans la présente affaire. Il est manifeste que la Commission est effectivement intervenue plusieurs fois à l’audience, mais elle l’a fait pour s’assurer que les demandeurs répondaient aux questions qui leur étaient posées et pour encourager leur avocate à limiter ses questions aux aspects qui concernaient la demande d’asile. Selon moi, il n’y avait rien d’inapproprié dans la manière dont la Commission a tenu l’audience.

 

[14]           La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est un tribunal spécialisé, maître de sa propre procédure. Dans la mesure où elle respecte les règles de l’équité, la Commission peut contrôler sa propre procédure : voir Prassad c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 R.C.S. 560, [1989] A.C.S. n° 25 (QL), par. 16. Ce principe se reflète dans les articles 68, 69 et 70 des Règles de la section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228, qui confèrent à la Commission la marge de manœuvre requise pour décider de la conduite à tenir dans un cas donné. L’article 68, en particulier, est ainsi rédigé :

68. Dans le cas où les présentes règles ne contiennent pas de dispositions permettant de régler une question qui survient dans le cadre d’une affaire, la Section peut prendre toute mesure nécessaire pour régler la question.

68. In the absence of a provision in these Rules dealing with a matter raised during the proceedings, the Division may do whatever is necessary to deal with the matter.

 

 

 

Il appartient donc à la Commission de décider des questions à considérer en priorité pour faire en sorte que la demande d’asile dont elle est saisie soit traitée de la manière la plus juste, la plus équitable et la plus rapide possible.

 

[15]           Il était tout à fait raisonnable pour la Commission dans la présente affaire d’examiner d’abord la question de la citoyenneté portugaise avant de s’intéresser à la persécution que les demandeurs disaient craindre au Venezuela, puisque la question de la citoyenneté pouvait être déterminante pour l’issue de la demande d’asile. En droit canadien, « lorsque la citoyenneté d’un autre pays peut être réclamée, le demandeur est censé entreprendre des démarches pour l’obtenir, et il se verra refuser la qualité de réfugié s’il est démontré qu’il était en son pouvoir d’acquérir cette autre citoyenneté » : Williams, précité, par. 27. Il serait absurde de consacrer une demi‑journée d’audience à l’examen des questions portant sur la crédibilité, sur la crainte objective et sur la protection offerte par l’État au Venezuela, si la double nationalité des demandeurs les empêchait au départ de demander l’asile au Canada.

 

[16]           J’aimerais également mentionner que, au cours de l’audience du 15 septembre 2010, la Commission a expliqué pourquoi elle estimait que la question de la citoyenneté portugaise pouvait être déterminante pour la demande d’asile. Comme je l’ai déjà dit, la Commission avait aussi informé les demandeurs que, s’il devenait évident qu’ils n’avaient pas droit à la citoyenneté portugaise, elle tiendrait une autre audience afin de statuer sur l’allégation concernant la persécution dont ils auraient été l’objet au Venezuela.

 

[17]           À l’audience tenue le 15 septembre 2010, la Commission n’avait pas à l’évidence tous les renseignements nécessaires pour statuer sur le bien‑fondé de la crainte des demandeurs d’être persécutés au Venezuela. Elle n’a toutefois pas commis d’erreur en laissant l’audience suivre son cours malgré l’absence de tels renseignements, ceux‑ci n’étant pas pertinents pour la question de la citoyenneté qu’elle était appelée à trancher.

 

[18]           Par ailleurs, les demandeurs ont confirmé au cours de l’audition de leur demande de contrôle judiciaire qu’on ne les avait pas empêchés de soumettre à la Commission tout renseignement pertinent concernant la question de leur citoyenneté portugaise. Bien qu’ils aient également souligné la brièveté de l’audience du 15 septembre 2010, ils ont quand même pu traiter en détail de cette question devant la Commission. Après avoir examiné leurs conclusions, la Commission a expliqué pourquoi elle était convaincue qu’ils pourraient vivre en sécurité au Portugal sans craindre la persécution. Les demandeurs n’ont pas contesté ces conclusions, et je ne vois aucune raison de les modifier.

 

[19]           Je crois comprendre que les demandeurs sont contrariés par le fait que la Commission a rejeté leur demande d’asile sans les entendre à propos de la persécution qu’ils disent avoir subie au Venezuela, surtout que la Commission a accepté par le passé certaines demandes d’asile présentées par des proches. Je comprends également leur crainte que la famille et leur fille soient privés de soutien familial au Portugal. Cependant, ce sont là des considérations humanitaires qui n’intéressent pas la question que devait trancher la Commission à l’audience relative au statut de réfugié. Je compatis aux difficultés des demandeurs, mais je suis néanmoins d’avis que leur droit d’être entendu a été respecté dans la présente affaire.

 

[20]           Enfin, même si je devais admettre (ce qui n’est pas le cas) l’argument des demandeurs selon lequel la manière dont la Commission a tenu l’audience a rendu celle‑ci inéquitable, il serait vain de renvoyer leur demande d’asile à la Commission pour qu’elle rende une nouvelle décision. Il en est ainsi parce que, d’un point de vue juridique, l’issue de leur demande d’asile est inéluctable : Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada‑Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, p. 228; Cartier c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 384, [2003] 2 C.F. 317, par. 31; Yassine c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 27 Imm. L.R. (2d) 135, 172 N.R. 308 (C.A.F.).

 

[21]           Les demandeurs reconnaissent qu’ils ont droit à la citoyenneté portugaise et n’ont pas contesté la conclusion selon laquelle ils ne risqueraient pas d’être persécutés au Portugal. En conséquence, la Commission serait tenue en droit de rejeter leur demande de protection auxiliaire au Canada.

 

Décision

[22]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune des parties n’a proposé une question à certifier, et la présente affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑9120‑11

 

INTITULÉ :                                                  JOSE MANUEL RODRIGUEZ VIEIRA ET AL c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 21 juin 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LA JUGE MACTAVISH

 

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 29 juin 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Diana S. Willard

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Melissa Mathieu

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cabinet de Diana S. Willard

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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