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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20120712

Dossier : T-1034-11

Référence : 2012 CF 879

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CONFORME, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 juillet 2012

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

ANDREW SCOTT REID

 

 

 

demandeur   

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire concerne une décision du 12 mai 2011 de la Section d’appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles (la Section d’appel) confirmant la décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles de révoquer la libération conditionnelle totale accordée à Andrew Scott Reid (le demandeur ).

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

 

I.          Contexte

 

[3]               Le demandeur     purge une peine d’emprisonnement à perpétuité pour meurtre non qualifié.  Il a été mis en liberté conditionnelle totale le 25 mars 2010, sous réserve des quatre conditions spéciales  suivantes :

[traduction]

 

(i)         Éviter certaines personnes – Éviter d’avoir un contact direct ou indirect avec des personnes âgées de moins de 18 ans sans permission préalable écrite de votre agent de libération conditionnelle;

 

(ii)        S’abstenir de consommer de l’alcool – S’abstenir d’acheter, de posséder ou de consommer de l’alcool;

 

(iii)       Counseling psychologique – Dispositions devant être prises par votre superviseur afin de vous aider à assurer votre propre gestion, vous aider en ce qui concerne les comportements sexuels inappropriés, l’attitude envers la supervision, les antécédents de victimisation, les problèmes de stress et de réintégration;

 

(iv)       Autre – Signaler de façon immédiate et complète à votre agent de libération conditionnelle tout type de relation avec les femmes, dès qu’elle prend naissance, ainsi que tout changement dans le cadre de ces relations, dès qu’il se produit.

 

[4]               Selon son plan de libération, le demandeur devait résider avec sa partenaire, Mme Bates.  Son agent de libération conditionnelle a appris par la suite par une annonce du demandeur publiée sur Internet que ce dernier cherchait un appartement meublé. À la suite d’un interrogatoire du demandeur au sujet de l’annonce, il a été décidé de suspendre sa libération conditionnelle totale pour violation de la quatrième condition, soit celle en vertu de laquelle il devait signaler tout changement dans ses relations avec les femmes.

 

[5]               Une audience portant sur l’examen de la suspension a d’abord été tenue le 16 septembre 2010, mais elle s’est conclue par une décision partagée et une nouvelle audience a été fixée au 5 octobre 2010. Au moment de finalement révoquer sa libération conditionnelle totale parce que son risque de récidive était devenu ingérable, la Commission nationale des libérations conditionnelles (ou la Commission) concluait :

[traduction]

En dépit de votre tentative de feindre l’ignorance et de votre déclaration, selon laquelle vous indiquiez « Je ne peux faire mieux que ce que j’ai fait », il est évident que vous avez sciemment contrevenu à votre condition spéciale et que le motif justifiant la suspension dépendait entièrement de votre volonté. Il est clair que vous avez choisi de ne pas faire part de vos difficultés qui se sont transformées en sources importantes de stress dans votre relation, et cela en dépit des nombreuses occasions où vous auriez pu le faire dans le contexte du soutien professionnel dont vous disposiez. 

 

[6]               La Section d’appel a confirmé cette décision. La conduite de la Commission a été jugée compatible avec son obligation d’agir équitablement.  On a fait remarquer que :

[traduction]

À notre avis, vous n’avez soumis aucun renseignement qui justifie votre allégation selon laquelle le comité de membres a fait montre de partialité totale dans le traitement de votre dossier. Ni sa conduite lors de l’audience ni le fait qu’il n’a pas été permis à votre partenaire d’assister à l’audience à titre d’observateur n’appuient votre prétention.

 

[7]               Dans son analyse du caractère raisonnable de la décision de la Commission, la Section d’appel a en outre conclu :

[traduction]

Comme la Commission l’a correctement pris en compte, vous n’avez pas divulgué à votre agent de libération conditionnelle (ALC) le fait que vous cherchiez un endroit pour vous loger. Contrairement à ce que vous soutenez, nous estimons que votre situation conjugale représentait un changement important dans votre relation que vous étiez tenu de signaler, compte tenu particulièrement du fait que vous aviez été interrogé par votre ALC à ce moment-là. Vu la nature et la gravité de l’infraction à l’origine de votre peine, soit l’étranglement d’une personne avec qui vous aviez des rapports intimes, nous convenons qu’il n’était pas déraisonnable pour les membres de la Commission de présumer que les circonstances ayant mené à votre suspension étaient sous votre contrôle, et d’avoir été très prudents dans l’appréciation du risque que vous représentiez pour le public.

 

[8]               Le demandeur     sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel.

 

II.        Questions en litige

 

[9]               Les questions soumises à la Cour sont les suivantes :

 

a)         La Section d’appel a-t-elle commis une erreur en concluant que la conduite de la Commission était compatible avec son obligation d’agir équitablement et qu’il n’y avait aucune crainte raisonnable de partialité?

 

b)         La Section d’appel a-t-elle commis une erreur en concluant que la décision de la Commission était raisonnable?

 

III.       Norme de contrôle

 

[10]           Les questions d’équité procédurale doivent être examinées selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au par. 43).

 

[11]           Étant donné son expertise, la Section d’appel a cependant droit à la déférence et à un contrôle de sa décision fondé sur la norme de la raisonnabilité en ce qui concerne les questions de fait, les questions mixtes de fait et de droit et celles d’interprétation législative (voir Latimer c Canada (Procureure général), 2010 CF 806, [2010] ACF no 970, au par. 18; Sychuk c Canada (Procureur général), 2009 CF 105, [2009] ACF no 136; Canada (Procureur général) c Coscia, 2005 CAF 132, [2005] ACF no 607, au par. 46).

 

[12]           L’analyse du caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au par. 47).

 

IV.       Analyse

 

A.        Équité et crainte raisonnable de partialité

 

[13]           Le demandeur soutient que la Commission a manqué à son obligation d’agir équitablement ou qu’elle a été partiale lorsque sa partenaire, Mme Bates, n’a pas été autorisée à assister à l’audience et qu’il a été incapable de présenter une demande de remise.

 

[14]           Je suis toutefois d’accord avec le défendeur pour dire que la Commission a agi équitablement dans les circonstances comme l’a conclu la Section d’appel dans ses motifs.  Malgré les allégations du demandeur, la Commission était justifiée de ne pas admettre Mme Bates à titre d’observatrice en raison de ses échecs répétés du test ionique, un élément du dispositif de détection des drogues, lequel indiquait des niveaux élevés de marijuana à son entrée dans l’établissement le jour de l’audience et lors de visites antérieures.  Le demandeur n’a pas subi de préjudice, comme il le soutient, en raison de son absence ni du fait que la Commission a examiné de près leur relation parce que la Commission disposait d’une lettre de Mme Bates.  De façon plus générale, le demandeur a pleinement eu l’occasion de formuler des observations.

 

[15]           En aucun moment le demandeur n’a-t-il demandé de façon officielle une remise, bien qu’il avait le droit de le faire. La Commission n’était tenue à aucune obligation positive de lui faire connaître ses options. Il a été assisté par son avocat qui était présent lors de l’audience.

 

[16]           Le demandeur fait en outre valoir que l’interrogatoire mené par la Commission durant l’audience a donné naissance à une crainte raisonnable de partialité.  Sa compréhension des conditions spéciales a fait l’objet d’hypothèses fondées sur les décennies pendant lesquelles le demandeur a été aux prises avec le système.  Il conteste également la façon dont la Commission avait qualifié l’évaluation psychologique réalisée par M. Altrows.

 

[17]           Bien que je reconnaisse que M. Altrows n’a pas précisément employé les mots « tromperie » et « supercherie », comme ils l’ont été durant l’interrogatoire et dans la décision définitive, il ressort clairement de son rapport qu’il appuyait la suspension de la libération conditionnelle du Demandeur     parce qu’il était d’avis que ses difficultés relationnelles auraient dû lui être divulguées. La conclusion générale tirée par la Commission et appuyée par la Section d’appel reflète l’appréciation de la situation faite par M. Altrows.

 

[18]           Je ne peux accepter la proposition du demandeur selon laquelle la Commission avait déjà d’une certaine manière tiré des conclusions avant d’avoir pris en compte la preuve, et selon laquelle une personne ordinaire étudiant la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, arriverait à la conclusion qu’il y a une probabilité de partialité en l’espèce  (Committee for Justice and Liberty c Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 RCS 369).

 

B.        Le caractère raisonnable de la décision de la Commission

 

[19]           Le demandeur considère qu’il est déraisonnable pour la Commission de lui imputer le manquement à une condition qui ne définit pas clairement ce qui constitue un « changement » dans le cadre d’une relation. Il insiste également sur le fait que la Commission n’aurait pas dû prendre en compte sa conduite antérieure concernant en particulier son ancien emploi en vue de  rendre sa décision. Selon le demandeur, ces renseignements étaient erronés.  

 

[20]           À mon avis, il n’y a rien de déraisonnable ni dans l’interprétation faite par la Commission de la quatrième condition s’appliquant à la libération conditionnelle du demandeur ni dans le fait de lui imputer la violation de cette condition.  Il n’est pas ambigu de laisser entendre qu’il doive signaler tout changement dans sa relation, tel que des difficultés liées aux conditions de vie ou, de façon plus générale, à des tensions. Si le demandeur n’était pas certain de la nature de la condition, il aurait dû demander des éclaircissements additionnels (voir par exemple Canada (Procureur général) c Franchi, 2011CAF 136, [2011] ACF no 962, au par. 30).

 

[21]           En outre, bien que cela ne puisse constituer le seul fondement d’une suspension, la Commission ne commet pas d'erreur lorsqu'elle tient indirectement compte de la conduite du Demandeur     avant sa libération conditionnelle pour justifier sa décision. (comme le laisse entendre la Cour dans Strachan c Canada (Procureur général), 2006 CF 155, [2006] ACF no 216, au par. 45).  La prise en compte par la Commission de l’emploi qu’il avait occupé avant sa libération conditionnelle totale ne constituait qu’une simple partie du contexte entourant la décision. Sa conduite avait également soulevé des questions à la suite de sa libération conditionnelle totale au moment de justifier les conclusions générales ayant été tirées au sujet de la crédibilité du demandeur.

 

[22]           Je réitère la mise en garde qui a déjà été vivement recommandée par notre Cour dans Coscia, ci-dessus, lorsqu’il s’agit de contrôler « l'exercice par la Commission de son large pouvoir discrétionnaire, de crainte de mettre en péril la capacité de la Commission de s'acquitter du mandat que lui confie la loi ».  Les motifs de la Commission ne peuvent être analysés avec une trop grande minutie parce qu’« [e]n raison de son expertise, l'évaluation qu'elle fait du risque de récidive posé par un requérant commande la plus grande déférence ».

 

[23]           En gardant présent à l’esprit ce principe directeur, je suis disposé à accepter que la décision de la Commission était justifiée, transparente et intelligible dans les circonstances (Dunsmuir, ci-dessus, au par. 47).  Il n’y a rien de déraisonnable à ce que la Commission applique les conditions de la façon dont elles ont été rédigées ni à faire référence à certains autres comportements antérieurs du demandeur.

 

V.        Conclusion

 

[24]           Étant donné l’absence de manquement au principe de l’équité procédurale et de crainte de partialité, et étant donné que je considère comme raisonnable la décision de la Commission qui a été confirmée par la Section d’appel, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

«  D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme.

 

Jean-Jacques Goulet, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1034-11

 

INTITULÉ :                                      ANDREW SCOTT REID c PGC

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              OTTAWA

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE  19 JUIN 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE NEAR

 

DATE :                                              LE 12 JUILLET 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

R. Michael Rodé

 

POUR LE DEMANDEUR   

Craig Collins-Williams

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

R. Michael Rodé

Avocat

Kingston (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR     

Craig Collins-Williams

Ministère de la Justice

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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