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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20120711

Dossier : IMM-8429-11

Référence : 2012 CF 875

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 juillet 2012

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

ROMAN CEBAN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, monsieur Roman Ceban, demande le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 21 octobre 2011 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission a conclu qu’il n’était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger et a rejeté sa demande.

 

I.          Les faits

 

[2]               Citoyen de la Moldavie, le demandeur a commencé à participer activement à la Fédération de taekwondo en 1994. Son entraîneur a été remplacé en 2004 par un homme du nom de Oleg Vasile Sclifos. Alors qu’il prenait part à des compétitions internationales en Moldavie et en Ukraine, le demandeur a remarqué que certains des meilleurs combattants de son équipe perdaient des combats contre des opposants de calibre inférieur. Lorsqu’il a demandé ce qui se passait, son entraîneur a répondu [traduction] « nous verrons quand ce sera ton tour ».

 

[3]               En février 2008, l’entraîneur du demandeur lui a dit de perdre le prochain combat, car il y avait beaucoup d’argent en jeu. Le demandeur a refusé et a remporté le combat. Son entraîneur était en colère contre lui et lui a clairement dit que de nombreuses personnes, notamment des policiers, avaient perdu de l’argent après avoir misé sur le combat. Il a également dit au demandeur qu’il devait verser un montant de 12 000 $US afin de régler ses dettes.

 

[4]               Le demandeur a confié à un coéquipier qu’il ne participerait pas à un combat arrangé. Il a par la suite été agressé par trois autres coéquipiers. Le demandeur a affirmé que, selon lui, il ne pouvait pas s’adresser à la police en raison du fait que son entraîneur lui avait dit que des policiers prenaient des paris et en raison de ce qu’il avait constaté lors des séances d’entraînement et lors des combats.

 

[5]               Dans le but de quitter la Moldavie, le demandeur, en 2008, a présenté, en vain, une demande de visa pour les États-Unis. Soumis à une pression constante de la part de l’entraîneur, le demandeur a répondu à une offre d’emploi au Canada dans laquelle on cherchait une personne ayant de l’expérience dans le domaine de l’industrie de la restauration rapide. Il a obtenu un permis de travail canadien le 24 novembre 2008.

 

[6]               Après avoir quitté la Moldavie, l’entraîneur et ses amis truands ont commencé à extorquer de l’argent aux parents du demandeur. En novembre 2009, le père du demandeur a subi une raclée après avoir refusé d’acquiescer à leurs demandes. Par conséquent, le demandeur a demandé l’asile au Canada le 23 novembre 2009.

 

II.        La décision faisant l’objet du présent contrôle

 

[7]               La Commission a estimé que le demandeur « était généralement un témoin crédible quant au fondement de sa demande d’asile, basé sur son expérience personnelle ». Elle a néanmoins conclu que parce que le fait qu’il craignait d’être victime d’un acte criminel ne faisait pas de lui un membre d’un groupe social et que cette crainte n’avait aucun lien avec l’un des motifs de l’article 96 prévus par la Convention.

 

[8]               La Commission a estimé que la protection de l’État était la question déterminante. Elle a reconnu que la Moldavie était une démocratie fragile dotée d’un régime parlementaire. Néanmoins, la Commission a reconnu que la corruption policière constituait un problème.

 

[9]               La Commission a examiné la prétention du demandeur selon laquelle la police moldave est corrompue et était de connivence avec l’entraîneur. Quoi qu'il en soit, le commissaire a conclu ce qui suit : « Lorsque j’ai demandé au demandeur d’asile s’il avait vu ces policiers faire des paris aux compétitions, il ne pouvait pas le confirmer. Je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, la croyance du demandeur d’asile selon laquelle des policiers corrompus travaillent directement avec son entraîneur est fondée sur des suppositions ». La Commission a également conclu qu’il « aurait cependant été raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur d’asile fasse de plus grands efforts pour faire part de ses préoccupations aux hauts représentants de la fédération sportive ou quitte la fédération sportive elle-même si sa sécurité et sa vie étaient menacées à cause de ces demandes d’extorsion ».

 

[10]           La Commission a accordé peu de poids à une lettre émanant du père du demandeur concernant les tentatives d’extorsion dans laquelle il affirmait avoir été battu par la police après avoir porté plainte et que la police était complice. Son père avait un intérêt dans le dossier et n’a pas été appelé comme témoin en contre-interrogatoire.

 

[11]           La commission a finalement conclu que le demandeur « n’a[vait] pas présenté d’éléments de preuve clairs et convaincants démontrant l’incapacité de l’État à le protéger afin de réfuter la présomption selon laquelle la Moldavie est capable d’offrir une protection ».

 

III.       La question en litige

 

[12]           Le demandeur ne soulève qu’une seule question :

 

a)         La Commission a-t-elle commis une erreur dans son analyse de la protection de l’État en concluant que la croyance du demandeur selon laquelle des policiers corrompus étaient de mèche avec son entraîneur était fondée sur des suppositions?

 

IV.       La norme de contrôle

 

[13]           La norme de contrôle applicable en matière d’évaluation de la protection de l’État est celle de la raisonnabilité (Mendez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 584, [2008] ACF no 771, aux paragraphes 12-13). Cela signifie que la Cour n’interviendra que lorsque la décision est dépourvue de justification, de transparence et d’intelligibilité ou n'appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59).

 

V.        L’analyse

 

[14]           Le demandeur affirme que la Commission a mal interprété ou a fait fi d’une preuve contredisant sa conclusion selon laquelle la croyance du demandeur que des policiers corrompus travaillaient directement avec son entraîneur était fondée sur des suppositions. Il attire l’attention de la Cour sur les parties pertinentes de la transcription de son témoignage. Le demandeur prétend qu’il a reconnu des policiers alors qu’il s’entraînait et qu’il les a vus prendre des paris au cours de combats et qu’ils entretenaient des relations amicales avec son entraîneur. Il a estimé donc que la conclusion de la Commission est déraisonnable, surtout compte tenu qu’il a été reconnu comme étant un témoin crédible.

 

[15]           Le défendeur prétend, et je partage son opinion, que les motifs de la Commission traitent explicitement du témoignage du demandeur selon lequel la police était de connivence. La Commission a examiné tous les éléments de preuve pertinents et a conclu que le demandeur n’a pas pu confirmer qu’il avait vu des policiers prendre des paris lors du combat, car c’était son entraîneur qui lui avait dit cela.

 

[16]           En effet, la Commission a fait un résumé relativement clair et détaillé du témoignage du demandeur au paragraphe 31 de ses motifs :

Le demandeur d’asile a indiqué que, pendant qu’il habitait en Moldavie, il n’a jamais porté plainte à la police, car il croyait que cette dernière était de connivence avec son entraîneur et que la police était généralement corrompue en Moldavie. Lorsque je lui ai demandé pourquoi il croyait que la police était directement impliquée avec son entraîneur, il a déclaré que son entraîneur le lui avait dit. De plus, il a affirmé avoir vu des policiers en uniforme lors des matchs d’entraînement et que ces policiers assistaient aussi aux compétitions en civil. Lorsque j’ai demandé au demandeur d’asile s’il avait vu ces policiers faire des paris aux compétitions, il ne pouvait pas le confirmer. Je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, la croyance du demandeur d’asile selon laquelle des policiers corrompus travaillent directement avec son entraîneur est fondée sur des suppositions.

 

[17]           Ce résumé traduit raisonnablement bien le témoignage du demandeur. Celui-ci a souligné que la police était corrompue et a affirmé avoir vu des policiers lors des séances d’entraînement et lors des combats. Toutefois, lorsqu’on a insisté pour savoir comment il avait remarqué que les policiers prenaient des paris, le demandeur a déclaré ce qui suit : [traduction] « [d]onc, en février 2008, j’ai vu durant la compétition comment ils pariaient et l’entraîneur m’a dit que, en fait, la police était impliquée en l’espèce ». Comme il ressort de ses motifs, la Commission était préoccupée par le fait que le demandeur était incapable de confirmer et qu’il n’était pas certain qu’il avait vu les policiers en cause prendre des paris sur l’issue de la compétition.

 

[18]           La Cour a souligné par le passé que la croyance subjective des demandeurs qu’ils ne pouvaient pas se prévaloir de la protection de l’État est insuffisante. Le critère applicable à la question de savoir si la protection de l'État « aurait pu raisonnablement être assurée » est objectif (voir, par exemple, Judge c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1089, [2004] ACF no 1321, au paragraphe 13; Castaneda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 393, [2010] ACF no 437, au paragraphe 26).

 

[19]           La Commission a examiné le témoignage du demandeur mais a encore conclu qu’il n’était pas évident que la police était impliquée. Compte tenu de la preuve présentée, cette conclusion était raisonnable, même si le demandeur ne souscrit pas à l’évaluation globale de la Commission. En outre, il ne s’agit pas tant d’un commentaire sur la crédibilité du demandeur que de la nécessité de démontrer l’existence d’un fondement objectif à sa croyance selon laquelle la police ne le protégerait pas parce qu’elle était directement impliquée dans les activités de combat arrangé de l’entraîneur. Le demandeur avait toujours l’obligation de communiquer avec la police ou de chercher d’autres possibilités de protection, donnant ainsi à l’État l’occasion de répondre (voir Castro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 332, [2006] ACF no 418, aux paragraphes 19-20). Subsidiairement, la Commission a également affirmé que le demandeur aurait pu faire davantage pour faire part de ses préoccupations aux dirigeants de la fédération sportive.

 

VI.       Conclusion

 

[20]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8429-11

 

INTITULÉ :                                      ROMAN CEBAN c MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              OTTAWA PAR VIDÉOCONFÉRENCE AVEC VANCOUVER

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 29 JUIN 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     LE 11 JUILLET 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Roger S. Bhatti

 

POUR LE DEMANDEUR

Sarah-Dawn Norris

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Roger S. Bhatti

Avocat

Surrey (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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