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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date: 20120615

Dossier : IMM-6395-11

Référence : 2012 CF 764

Ottawa (Ontario), le 15 juin 2012

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

 

ENRIQUE ANDRES TOBAR TOLEDO

 

 

 

Demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

et

 LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

     MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] à l’encontre de la décision d’un agent d’immigration rendue le 16 septembre 2011 suivant laquelle la demande d’asile du demandeur a été déclarée irrecevable aux termes de l’alinéa 101(1)b) de la LIPR.

 

[2]               Dans le cadre de ce pourvoi, le demandeur a signifié un avis de question constitutionnelle au Procureur général du Canada, ainsi qu’aux procureurs généraux de toutes les provinces, en conformité avec l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7. Le demandeur soutient que l’interprétation donnée à l’alinéa 101(1)b) de la LIPR par le défendeur n’est pas conforme aux articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [Charte] et à la Convention relative aux droits de l’enfant, 20 novembre 1989, [1992] RT Can no 3 (entrée en vigueur : 2 septembre 1990) [Convention], et que cette disposition doit en conséquence être déclarée invalide si l’interprétation qui en est faite par le défendeur doit prévaloir. Aucun procureur général n’est intervenu suite à ces avis.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, j’en suis arrivé à la conclusion que le défendeur a erré dans son interprétation de l’alinéa 101(1)b) de la LIPR et que l’admissibilité de la demande d’asile du demandeur doit par conséquent être réévaluée par le défendeur. Partant, il ne m’est pas nécessaire d’examiner la conformité de cette disposition législative avec la Charte ou avec la Convention.

 

I. Les faits

[4]               Les faits ne sont pas contestés et sont relativement simples.

 

[5]               Le demandeur, Enrique Andres Tobar Toledo, est né au Chili le 26 novembre 1984. En 1995, alors qu’il avait 11 ans, son père a présenté une demande d’asile au Canada. Le demandeur, sa mère ainsi que ses deux frères étaient inclus dans cette demande à titre d’accompagnateurs. Le 19 mars 1997, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR) a rejeté cette demande.

 

[6]               Le 28 juillet 2011, le demandeur est arrivé au Canada accompagné de son épouse. Ils ont présenté une demande d’asile le 11 août de la même année, alléguant craindre des gens d’affaire puissants au Chili qui auraient tenté de détruire leur maison et leur terre et porté atteinte à leur intégrité physique.

 

[7]               La demande d’asile de l’épouse du demandeur a été jugée recevable. En revanche, la revendication du demandeur a été jugée irrecevable au motif qu’il avait déjà présenté une demande en 1995 et essuyé un refus. L’agent d’immigration a explicitement mentionné que sa demande était rejetée conformément à l’alinéa 101(1)b) de la LIPR.

 

[8]               Le 26 septembre 2011, l’Agence des services frontaliers du Canada a fait parvenir au demandeur un avis l’informant de la possibilité de présenter une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR).

 

II. Questions en litige

[9]               La principale question soulevée par la présente demande de contrôle judiciaire consiste à déterminer si le défendeur a erré dans son interprétation de l’alinéa 101(1)(b) de la LIPR.

 

[10]           Quant aux questions constitutionnelles soulevées par le demandeur, elles se lisent comme suit (légèrement reformulées) :

L’alinéa 101(1)b) de la LIPR, tel qu’interprété par les défendeurs, viole-t-il l’article 7 de la Charte et, si oui, constitue-t-il une limite raisonnable aux droits du demandeur au sens de l’article 1 de la Charte?

 

L’alinéa 101(1)b) de la LIPR, tel qu’interprété par les défendeurs, viole-t-il l’article 15 de la Charte et, si oui, constitue-t-il une limite raisonnable aux droits du demandeur au sens de l’article 1 de la Charte?

 

 

III. Analyse

 

[11]           Les parties ne s’entendent pas sur la norme de contrôle applicable. Le demandeur a insisté sur le fait que la question à trancher est essentiellement de nature juridique pour conclure que la norme de contrôle devait être celle de la décision correcte. En revanche, le défendeur a soutenu que les décisions d’un agent d’immigration ont plusieurs fois été assujetties à la norme de la décision raisonnable par cette Cour.

 

[12]           Il est vrai que les décisions d’un agent d’immigration relativement à la recevabilité d’une demande d’asile font généralement intervenir des questions de fait, ou des questions mixtes de fait et de droit. À ce titre, elles sont indéniablement soumises à la norme de la décision raisonnable (voir Gaspard c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 29 (disponible sur CanLII)).

 

[13]           Dans la présente instance, les questions en litige ne font intervenir aucune discrétion et ne reposent pas sur la détermination des faits. La première en est une d’interprétation législative, tandis que les deux autres soulèvent des questions d’ordre constitutionnel. Conformément à l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, ces questions doivent être tranchées en appliquant la norme de la décision correcte. La première ne soulève pas seulement une question de droit, mais peut être qualifiée de question de compétence, dans la mesure où l’agent détermine si la SPR peut entendre une revendication. Je note d’ailleurs que mon collègue le juge Mosley s’est également dit d’avis que l’interprétation de l’alinéa 101(1)d) de la LIPR soulevait une question qui devait être examinée selon la norme de la décision correcte (Wangden c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1230 au para 18, [2009] 4 RCF 46 conf  par 2009 CAF 344, 398 NR 265; voir aussi Charalampis c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1002 au para 34 (disponible sur CanLII) [Charalampis]). Quant aux deux autres questions, elles portent sur la compatibilité d’un texte législatif avec la loi fondamentale du pays et il ne fait aucun doute qu’aucune erreur ne saurait être tolérée à cet égard.

 

[14]           Le défendeur a fait valoir que l’agent d’immigration n’avait d’autre choix que de déclarer la demande d’asile du demandeur irrecevable aux termes de l’alinéa 101(1)b), dès l’instant où la demande d’asile de son père avait été rejetée par la SPR en 1997. Le défendeur n’a pas beaucoup élaboré sur cette proposition, se contentant de citer l’extrait suivant de la décision rendue par le juge O’Keefe dans l’affaire Charalampis, précité :

39. Le défendeur soulève un autre argument qui est convaincant, à savoir qu’il y a des cas dans la Loi où les enfants subissent les conséquences des déclarations faites par leur tuteur légal ou leurs parents dans le cadre du processus d’immigration. Le défendeur a souligné les cas où les enfants sont exclus du Canada lorsqu’ils ne figurent pas dans une demande de résidence permanente initiale et lorsque des conclusions défavorables quant à la crédibilité des parents dans le cadre de demandes d’asile touchent les enfants. Je souscris à l’affirmation que ces conséquences donnent à penser que le législateur voulait que les enfants constituent une partie intégrante des demandes d’asile des parents et que dissocier les enfants de celles-ci aurait, selon le défendeur, des [TRADUCTION] « conséquences très importantes » et pourrait [TRADUCTION] « créer quelque chose qui serait d’une tout autre nature que celle voulue par le législateur ». Par conséquent, même si j’appréciais la constitutionnalité du paragraphe 99(3) et de l’alinéa 101(1)b) à cet égard, je ne suis pas convaincu qu’il y aurait un argument valable.

 

[15]           Or, l’affaire Charalampis ne dispose pas vraiment de la question soulevée par le demandeur dans le présent dossier. Les demanderesses étaient arrivées au Canada avec leur père et avaient demandé et obtenu l’asile sous de fausses représentations de ce dernier. Après avoir admis avoir inventé le récit à la base de sa demande d’asile, le père ainsi que ses filles ont perdu leur statut de réfugié suite à une décision de la SPR annulant la décision initiale. Alors qu’elles étaient visées par une mesure de renvoi, les deux filles ont présenté une deuxième demande d’asile et ont notamment invoqué l’article 15 de la Charte, se prétendant victime de discrimination du fait qu’elles avaient été tenues responsables des fausses déclarations faites par leur père.

 

[16]           Cette affaire me semble très différente de la question dont je suis saisie. Non seulement le paragraphe cité plus haut répondait-il à un argument subsidiaire du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) et ne traite donc de l’interprétation qu’il faut donner à l’alinéa 101(1)b) que de façon sommaire, mais plus significativement, les demanderesses n’avaient jamais quitté le Canada suite à l’annulation de la décision initiale et il appert donc que leur deuxième revendication ne pouvait être basée que sur les mêmes faits mis en preuve par leur père.

 

[17]           Dans la présente affaire, le demandeur a quitté le Canada avec ses parents il y a maintenant plus de quinze ans, suite au refus de la SPR de leur reconnaître le statut de réfugié. Le demandeur n’avait que 11 ans à l’époque, et dit ignorer les motifs sur lesquels était basée la demande d’asile présentée par son père.

 

[18]           Il est vrai que l’alinéa 101(1)b) de la LIPR ne distingue pas selon qu’une demande d’asile est fondée sur les mêmes faits qui ont été à l’origine d’un rejet antérieur ou sur des faits différents. Il faut donc présumer, comme le soutient le défendeur, qu’une personne ne pourra demander l’asile à plus d’une reprise, même si les faits allégués au soutien d’une deuxième demande sont différents de ceux qui avaient été invoqués la première fois. Lorsqu’un demandeur d’asile a déjà été débouté, il pourra soumettre une demande d’ERAR ou une demande de résidence permanente pour motifs humanitaires et de compassion, mais ne sera pas autorisé à présenter une seconde demande à titre de réfugié.

 

[19]           En va-t-il de même, cependant, lorsque le demandeur d’asile n’est pas la personne même dont une première demande a été rejetée, mais plutôt le fils ou la fille de la personne dont la demande d’asile a déjà été rejetée? À ce chapitre, la loi n’apporte pas de réponse claire.

 

[20]           Le défendeur soutient que l’agent d’immigration n’avait d’autre choix que de considérer la demande du demandeur irrecevable, puisqu’il avait présenté une demande d’asile en 1995, même si c’est son père qui l’avait déposée pour lui. Il est vrai que, d’un point de vue formel, les enfants mineurs sont considérés comme faisant partie intégrante de la demande présentée par leurs parents et que le sort de cette demande emporte pour eux les mêmes conséquences. Mais, doit‑on pour autant réserver aux enfants le même traitement qu’à leurs parents en toutes circonstances et pour toutes les fins prévues par la loi? Rien n’est moins sûr.

 

[21]           Le texte même de l’alinéa 101(1)b) suscite un premier doute. Tandis que la version française déclare irrecevable une demande dans le cas d’un rejet antérieur de la demande d’asile par la Commission, la version anglaise semble un peu plus précise en stipulant qu’une demande est irrecevable si « a claim for refugee protection by the claimant » a été rejetée par la SPR [Je souligne]. Même si les enfants mineurs sont visés par la demande de leurs parents, on ne peut pas vraiment dire que ce sont eux qui présentent la revendication. À vrai dire, ils n’auraient souvent pas la capacité de faire une telle demande, et c’est la raison pour laquelle leurs intérêts sont représentés par l’un ou l’autre des parents. Sans doute un enfant mineur peut-il lui-même présenter une demande d’asile en son propre nom, mais telle n’est pas la situation ici.

 

[22]           D’autre part, le demandeur a raison de faire valoir que le législateur ne traite pas toujours les enfants mineurs accompagnant les demandeurs d’asile de la même façon que ces derniers. Tandis que la personne adulte qui se voit refuser le statut de réfugié et fait l’objet d’une mesure de renvoi doit demander l’autorisation du ministre pour revenir au Canada, l’enfant de cette personne n’aura pas à obtenir une telle autorisation. C’est ce que prévoient les alinéas 42(b) de la LIPR et l’article 226 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, qui se lisent comme suit :

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

Inadmissibilité familiale

42. Emportent, sauf pour le résident permanent ou une personne protégée, interdiction de territoire pour inadmissibilité familiale les faits suivants :

b) accompagner, pour un membre de sa famille, un interdit de territoire.

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

                                            Inadmissible family member

42. A foreign national, other than a protected person, is inadmissible on grounds of an inadmissible family member if

 

(b) they are an accompanying family member of an inadmissible person.

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

 

Mesure d’expulsion

226. (1) Pour l’application du paragraphe 52(1) de la Loi, mais sous réserve du paragraphe (2), la mesure d’expulsion oblige l’étranger à obtenir une autorisation écrite pour revenir au Canada à quelque moment que ce soit après l’exécution de la mesure.

Application de l’alinéa 42b) de la Loi

(2) Pour l’application du paragraphe 52(1) de la Loi, le fait que l’étranger soit visé par une mesure d’expulsion en raison de son interdiction de territoire au titre de l’alinéa 42b) de la Loi constitue un cas dans lequel l’étranger est dispensé de l’obligation d’obtenir une autorisation pour revenir au Canada.

Mesure de renvoi — certificat

(3) Pour l’application du paragraphe 52(1) de la Loi, la mesure de renvoi visée à l’article 81 de la Loi oblige l’étranger à obtenir une autorisation écrite pour revenir au Canada à quelque moment que ce soit après l’exécution de la mesure.

Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002-227

 

Deportation order

226. (1) For the purposes of subsection 52(1) of the Act, and subject to subsection (2), a deportation order obliges the foreign national to obtain a written authorization in order to return to Canada at any time after the deportation order was enforced.

Application of par. 42(b) of the Act

(2) For the purposes of subsection 52(1) of the Act, the making of a deportation order against a foreign national on the basis of inadmissibility under paragraph 42(b) of the Act is a circumstance in which the foreign national is exempt from the requirement to obtain an authorization in order to return to Canada.

                                           Removal order — certificate

(3) For the purposes of subsection 52(1) of the Act, a removal order referred to in paragraph 81(b) of the Act obliges the foreign national to obtain a written authorization in order to return to Canada at any time after the removal order was enforced.

 

[23]           Enfin, il est bien établi que l’interprétation d’une disposition législative nécessite une analyse du sens ordinaire de la disposition ainsi que de son contexte législatif. En effet, la Cour suprême du Canada a fait siens les propos du professeur Elmer Driedger dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27 au para 21 (disponible sur CanLII):

 [TRADUCTION] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

 

 

[24]           Le paragraphe 46.01 de l’ancienne Loi sur l’immigration, LRC 1985 c I-2 (mod par LC 1992, c 49) prévoyait la possibilité de présenter plusieurs demandes d’asile. Un revendicateur débouté pouvait en effet présenter une nouvelle demande à condition d’avoir séjourné à l’extérieur du pays pour une période minimale de 90 jours. Les dispositions pertinentes de cette loi étaient à l’effet suivant :

46.01 (1) La revendication de statut n’est pas recevable par la section du statut si l’intéressé se trouve dans l’une ou l’autre des situations suivantes :

 

c) depuis sa venue au Canada, il a fait l’objet :

 

(i) soit d’une décision de la section du statut lui refusant le statut de réfugié au sens de la Convention ou établissant le désistement de sa revendication,

 

(ii) soit d’une décision d’irrecevabilité de sa revendication par un agent principal;

 

Séjour à l’étranger

 

(5) La rentrée au Canada de l’intéressé après un séjour à l’étranger d’au plus quatre-vingt-dix jours n’est pas, pour l’application de l’alinéa (1)c), prise en compte pour la détermination de la date de la dernière venue au Canada de celui-ci.

46.01(1) A person who claims to be a Convention refugee is not eligible to have the claim determined by the Refugee Division if the person

 

c) has, since last coming into Canada, been determined

 

(i) by the Refugee Division not to be a Convention refugee or to have abandoned the claim, or

 

 

 

(ii) by a senior immigration officer not to be eligible to have the claim determined by the Refugee Division;

 

Last coming to Canada

 

(5) A person who goes to another country and returns to Canada within ninety days shall not, for the purposes of paragraph (1)(c), to be considered as coming into Canada on that return.

 

[25]           Il ne fait aucun doute, à la lumière des débats parlementaires qui ont entouré l’adoption de la LIPR, que l’objectif visé par l’alinéa 101(1)b) de la LIPR était de mettre un terme aux revendications abusives et aux abus qu’avaient fait naître la possibilité de présenter plus d’une demande d’asile (voir les débats du Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration du 17 mai 2001, pièce « A » de l’affidavit souscrit par Dominique Toillon au soutien du mémoire du défendeur). Lors de l’analyse de l’article 101, cet objectif est ressorti on ne peut plus clairement :

La loi actuelle renferme un grand nombre de ces règles concernant la recevabilité, mais le projet de loi C-11 clarifie et renforce certains aspects (…) De nombreux demandeurs non authentiques ont abusé de cette disposition, et plutôt que de retourner dans leur pays d’origine, sont partis aux États-Unis pendant la période de 90 jours et sont revenus pour présenter une nouvelle demande, sans que leur situation n’ait changé.

                       

                        Affidavit de Dominique Toillon, pièce « C », p 151.

 

[26]           Il est évident que la situation du demandeur ne correspond aucunement, du moins à première vue, au genre d’abus que le législateur tentait d’éradiquer par le biais de l’alinéa 101(1)b). Le demandeur n’avait que 11 ans à l’époque où son père a fait une demande d’asile, il a quitté le Canada lorsque cette demande a été rejetée, et n’est revenu que près de quinze ans plus tard. Au surplus, il semble que sa revendication n’a aucun rapport avec celle qu’avait présentée son père, bien que le dossier ne contienne que peu d’information à cet égard étant donné que sa demande a été jugé irrecevable.

 

[27]           En conclusion, j’estime que l’agent d’immigration a erré en déterminant que la demande d’asile du demandeur était irrecevable du seul fait que la demande d’asile de son père, dans laquelle il était inclus, avait été rejetée en 1997. Ni le texte de l’alinéa 101(1)b) ni l’intention du législateur en l’adoptant ne permettent de donner une telle ampleur à cette disposition. Sans doute en irait-il autrement si la demande du demandeur était essentiellement fondée sur les mêmes faits que celle de son père; dans ce cas, la lettre et l’esprit de l’alinéa 101(1)b) justifieraient que l’on écarte sa revendication et qu’on la déclare irrecevable. Mais pour pouvoir faire ce constat, il faut à tout le moins examiner la revendication du demandeur à sa face même; si elle ne semble pas reposer sur les mêmes circonstances que celles de son père, elle doit être référée à la SPR aux fins de décider si le statut de réfugié peut lui être conféré.

 

[28]           Compte tenu de l’interprétation que me semble devoir recevoir l’alinéa 101(1)b), il n’est pas nécessaire de trancher les questions constitutionnelles soulevées par le demandeur.

 

[29]           Les parties ont été invitées à proposer des questions pour fins de certification, et le demandeur s’est même vu accordé quelques jours pour ce faire, mais aucune question n’a été soumise. La Cour n’est cependant pas liée par la position des parties à cet égard et l’alinéa 74(d) de la LIPR précise clairement qu’un juge peut certifier une question d’importance générale de façon à ce que la Cour d’appel puisse en être saisie. En l’occurrence, je suis d’avis que la demande de contrôle judiciaire déposée par le demandeur soulève une question grave de portée générale qui permettrait de régler l’appel (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Zazai, 2004 CAF 89 au para 11, 318 NR 365; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Liyanagamage (1994), 176 NR 4 au para 4, 51 ACWS (3d) 910 (CAF)).

 

[30]           Je certifierais donc la question suivante :

 

Le rejet d’une demande d’asile présentée par des parents accompagnés d’enfants mineurs emporte-t-il nécessairement l’irrecevabilité d’une demande ultérieure présentée en leur propre nom par l’un de ces enfants devenus majeurs, aux termes de l’alinéa 101(1)b) de la LIPR, peu importe que les faits sur lesquels repose la deuxième demande d’asile soient différents de ceux qui étaient à l’origine de la première demande présentée par les parents?


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La question suivante est certifiée :

 Le rejet d’une demande d’asile présentée par des parents accompagnés d’enfants mineurs emporte-t-il nécessairement l’irrecevabilité d’une demande ultérieure présentée en leur propre nom par l’un de ces enfants devenus majeurs, aux termes de l’alinéa 101(1)b) de la LIPR, peu importe que les faits sur lesquels repose la deuxième demande d’asile soient différents de ceux qui étaient à l’origine de la première demande présentée par les parents?

 

 

 

 

« Yves de Montigny »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6395-11

 

INTITULÉ :                                      ENRIQUE ANDRES TOBAR TOLEDO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 8 février 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 15 juin 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Claudia Andrea Molina

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Michel Pépin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cabinet Molina Inc.

Montréal, Québec

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal, Québec

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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