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Date : 20120615

Dossier : IMM‑6711‑11

Référence : 2012 CF 760

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 juin 2012

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

FRANCIS OJO OGUNRINDE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE;

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (la Loi), visant la décision datée du 30 août 2011 (la décision) d’une agente principale (l’agente), par laquelle la demande d’évaluation des risques avant renvoi (ERAR) du demandeur a été rejetée.

LE CONTEXTE

[2]               Le demandeur est un citoyen du Nigéria, âgé de 40 ans. Il vit au Canada depuis octobre 2007.

[3]               Le demandeur est arrivé au Canada à titre de revendicateur du statut de réfugié. Il a demandé la protection du Canada parce que l’homosexualité est un crime au Nigéria et qu’il est homosexuel. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (SPR) a rejeté sa demande d’asile le 29 janvier 2010. La SPR a conclu que le demandeur n’était pas crédible et qu’il n’était pas homosexuel. Elle a rejeté sa demande parce qu’il n’avait établi aucun autre lien avec un motif prévu à la Convention (la décision de la SPR).

[4]               À la suite de la décision de la SPR, le demandeur a déposé sa demande d’ERAR le 14 décembre 2010, et il a présenté des observations écrites supplémentaires le 23 décembre 2010. Il a également présenté une lettre de son locateur et colocataire, Daniel Asaolu, dans laquelle ce dernier disait savoir que le demandeur était homosexuel (la lettre de M. Asaolu). Le demandeur a également mis en preuve une lettre de Larry Olugbade dans laquelle M. Olugbade disait savoir que le demandeur était homosexuel de par le comportement et les actions de ce dernier (la lettre de M. Olugbade). M. Olugbade disait notamment qu’il avait vu le demandeur avec un homme qu’il croyait être le petit ami du demandeur. Le demandeur a également présenté à l’agente une lettre de Samuel Adigun, dans laquelle ce dernier disait qu’il avait une relation avec le demandeur et que cette relation durait depuis le mois d’avril 2010. De plus, le demandeur a remis à l’agente plusieurs photographies de lui avec M. Adigun.

[5]               Le demandeur a également présenté des documents pour établir qu’il s’expose à un risque au Nigéria en raison de son homosexualité, notamment un affidavit de Peter Arowojobe – un citoyen du Nigéria et un ami du demandeur (l’affidavit de M. Arowojobe) – dans lequel ce dernier déclare avoir été arrêté par des policiers au mois de novembre 2010. Les agents de police lui ont dit qu’ils recherchaient le demandeur à cause de ses activités politiques et ils ont accusé M. Arowojobe d’être l’amant du demandeur. Un autre affidavit, souscrit par Tope Akomolede (l’affidavit de M. Akomolede) – également, citoyen du Nigéria et ami du demandeur –, indique que des policiers nigériens sont venus chez M. Akomolede et lui ont demandé s’il savait où était le demandeur. M. Akomolede leur a répondu qu’il ne savait pas où il se trouvait, et les policiers sont partis en disant à M. Akomolede de les avertir lorsqu’il le saurait.

[6]               L’agente a examiné la demande d’ERAR du demandeur et l’a rejetée le 30 août 2011.

LA DÉCISION CONTRÔLÉE

[7]               La décision visée par la présente demande consiste en une lettre que l’agente a envoyée au demandeur le 30 août 2011 (la lettre de refus), accompagnée des notes de l’agente se trouvant au dossier (les notes).

[8]               L’agente a rejeté la demande d’ERAR parce qu’elle a conclu que le demandeur ne serait pas exposé pas à un risque de persécution s’il retournait au Nigéria. Le demandeur ne s’exposait pas non plus à une menace à sa vie ou à un risque de torture ou de peines ou de traitements cruels et inusités.

[9]               L’agente a constaté que le demandeur craignait toujours de subir des mauvais traitements au Nigéria parce qu’il est homosexuel. Elle a ensuite examiné les motifs pour lesquels la SPR a rejeté sa demande d’asile. La SPR a conclu que le témoignage du demandeur comportait des incohérences. Le demandeur n’avait par ailleurs pas présenté de documents pour établir son orientation sexuelle ni valablement établi qu’il était engagé dans une relation homosexuelle au Canada. La SPR a en outre conclu que le demandeur n’avait pas vécu une relation homosexuelle secrète au Nigéria, comme il le prétendait, et qu’il n’était pas homosexuel.

[10]           L’agente s’est renseignée sur le droit applicable. Elle a relevé que la Cour avait statué dans Kaybaki c Canada (Solliciteur général du Canada), 2004 CF 32, qu’une demande d’ERAR ne constitue pas un appel d’une décision sur le statut de réfugié. Il s’agit plutôt d’un processus permettant d’évaluer tout nouveau risque ayant pu survenir depuis l’audience tenue par la SPR. De plus, l’alinéa 113a) de la Loi prévoit que seuls des éléments de preuve survenus après la décision sur le statut de réfugié ou qui n’étaient pas normalement accessibles peuvent être présentés dans le cadre d’une demande d’ERAR.

La preuve documentaire

[11]           L’agente a conclu que la lettre de M. Adigun avait peu de valeur probante et n’établissait pas que le demandeur était engagé dans une relation homosexuelle. Cette lettre n’était pas datée, n’avait pas été produite sous serment et ne fournissait aucun détail sur la relation, notamment sur la façon dont M. Adigun et le demandeur se sont rencontrés ou sur la question de savoir si leur relation revêtait un caractère sexuel ou romantique. Dans sa lettre, M. Adigun disait que lui et le demandeur avaient entretenu une relation pendant un an, de sorte que l’agente a estimé qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur fournisse plus de détails ou d’éléments de preuve pour corroborer l’existence de la relation.

[12]           L’agente a également conclu que les photographies présentées par le demandeur n’établissaient pas l’authenticité de sa relation avec M. Adigun. Le demandeur n’avait pas précisé dans quel contexte et à quelles fins elles avaient été prises. Les photographies ne suffisaient pas à écarter la conclusion de la SPR que le demandeur n’était pas crédible.

[13]           Les autres lettres ne permettaient pas non plus d’écarter la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’était pas crédible. Dans sa lettre, M. Asaolu disait qu’il savait que le demandeur était homosexuel, mais il n’expliquait pas comment M. Asaolu l’avait su. M. Asaolu ne disait pas qu’il avait une connaissance directe de l’orientation ou des activités sexuelles du demandeur.

[14]           Dans sa lettre, M. Olugbade disait : [traduction] « Je me suis aperçu que Francis Ogunrinde est homosexuel à cause de son comportement et des ses actions. Je le vois toujours avec un gars qui semble être sa petite amie [sic] ». Cependant, cette lettre ne disait pas quels comportements et quelles actions avaient conduit M. Olugbade à croire que le demandeur était un homosexuel, et elle avait donc elle aussi peu de valeur probante. De plus, les lettres de MM. Olugbade et Asaolu n’avaient ni l’une ni l’autre été produites sous serment et n’étaient pas datées. Étant donné leur faible valeur probante, elles ne permettaient pas d’établir l’homosexualité du demandeur. Elles ne justifiaient pas non plus le rejet de la conclusion défavorable de la SPR sur la crédibilité.

[15]           Le demandeur a également présenté une lettre d’Helen Rykens (la lettre de Mme Rykens), la chef de bureau au Centre social situé au 519, Church (le Centre 519). Le Centre 519 dispense des programmes et services à Toronto aux personnes qui sont homosexuelles, bisexuelles ou transsexuelles. L’agente a conclu que la lettre de Mme Rykens ne constituait pas une preuve nouvelle parce qu’elle concernait le fait qu’il était membre du Centre 519. La SPR avait traité de la participation du demandeur aux activités du Centre 519 lorsqu’elle avait évalué sa crédibilité, et la lettre de Mme Rykens ne suffisait pas à écarter la conclusion de la SPR que le demandeur n’était pas crédible.

[16]           Bien que le demandeur ait dit qu’il était toujours exposé à des risques au Nigéria, l’agente a conclu que tel n’était pas le cas. Elle a conclu que les affidavits qu’il avait soumis ne permettaient pas d’établir qu’il était homosexuel ou qu’il était recherché par la police nigérienne. Dans son affidavit, M. Akomolede ne disait pas pourquoi le demandeur était recherché par la police et il ne donnait pas de détails au sujet du comportement homosexuel du demandeur. L’affidavit de M. Arowojobe quant à lui mentionnait que la police s’intéressait au demandeur pour ses [traduction] « activités homosexuelles », mais il ne permettait pas de conclure que M. Arowojobe avait été arrêté ou détenu. De plus, aucun élément de preuve ne corroborait l’affidavit de M. Arowojobe.

[17]           L’affidavit de M. Arowojobe visait à démontrer l’existence de nouveaux faits dans une demande d’asile ayant été rejetée parce que la SPR avait conclu que le demandeur n’était pas crédible. L’affidavit de M. Arowojobe ne suffisait pas à écarter la conclusion défavorable de la SPR sur la crédibilité.

[18]           L’agente a conclu que la preuve dont elle disposait concernant les conditions existant dans le pays montrait que la situation était difficile pour les personnes homosexuelles au Nigéria. Elle a aussi conclu qu’il ne lui avait pas été présenté suffisamment d’éléments de preuve convaincants pour lui permettre de parvenir à une conclusion différente de celle de la SPR. Certes le demandeur avait dit qu’il ferait face à des difficultés inhabituelles ou injustifiées, mais cette considération n’était pas pertinente. L’agente a par conséquent rejeté la demande d’ERAR du demandeur.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[19]           La seule question que soulève le demandeur dans la présente instance est celle de savoir si le traitement de la preuve par l’agente était raisonnable.

LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[20]           La Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, a statué qu’il n’était pas nécessaire de procéder à l’analyse de la norme de contrôle dans chaque instance. Lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière dont la Cour est saisie est bien établie dans la jurisprudence, la cour de révision peut recourir à cette norme. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit examiner les quatre facteurs qui entrent en jeu dans l’analyse relative à la norme de contrôle.

[21]           Dans Hnatusko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 18, au paragraphe 25, le juge John O’Keefe a statué que la norme de contrôle applicable à la décision d’un agent d’ERAR était celle de la raisonnabilité. Le juge Maurice Lagacé est parvenu à une conclusion similaire dans Chokheli c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 35, au paragraphe 7, de même que la juge Marie‑Josée Bédard dans Marte c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF 930, au paragraphe 17. Dans la présente affaire, la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité.

[22]           Lors du contrôle d’une décision selon la norme de la raisonnabilité, l’analyse a trait « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. En d’autres termes, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable parce qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[23]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent à la présente instance :

112. (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

 

[…]

 

113. Il est disposé de la  demande comme il suit:

 

 

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement

accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

 

[…]

 

114. (1) La décision accordant la demande de protection a pour effet de conférer l’asile au demandeur; toutefois, elle a pour effet, s’agissant de celui visé au paragraphe 112(3), de surseoir, pour le pays ou le lieu en cause, à la mesure de renvoi le visant.

 

[…]

 

112. (1) A person in Canada, other than a person referred to in subsection 115(1), may, in

accordance with the regulations, apply to the Minister for protection if they are subject to a removal order that is in force or are named in a certificate described in subsection 77(1).

 

[…]

 

113. Consideration of an application for protection

shall be as follows:

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only

new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

[…]

 

114. (1) A decision to allow the application for protection has

(a) in the case of an applicant not described in subsection 112(3), the effect of conferring

refugee protection;

 

 

 

[…]

 

 

 

LES ARGUMENTS

Le demandeur

 

[24]           Contrairement à la conclusion de l’agente, la preuve présentée par le demandeur suffisait à démontrer qu’il est homosexuel et qu’il entretenait une relation avec M. Adigun. L’analyse qu’a faite l’agente des lettres de MM. Asaolu et Olugbade était déraisonnable.

[25]           L’analyse de la lettre de Mme Rykens, faite par l’agente, était également déraisonnable. La lettre de Mme Rykens démontre que le demandeur fréquentait le Centre 519 après la décision de la SPR. Comme la lettre de Mme Rykens concerne des événements ayant eu lieu après la décision de la SPR, l’agente a commis une erreur en concluant que cette lettre ne constituait pas une preuve nouvelle. Elle a également commis une erreur en rejetant la lettre uniquement en raison de la décision défavorable de la SPR. L’agente était tenue de considérer la preuve dont elle disposait indépendamment de la décision de la SPR.

[26]           L’analyse qu’a faite l’agente de l’affidavit de M. Akomolede et de l’affidavit de M. Arowojobe est elle aussi déraisonnable. Les deux déposants décrivaient des expériences avec la police nigérienne. Ce qu’ils ont dit était corroboré par un rapport du Département d’État des États‑Unis intitulé Nigeria: Country Condition Reports on Human Rights Practices for 2010 (le rapport du DE). Bien que M. Akomolede ait dit dans son affidavit que la police nigérienne recherchait le demandeur pour ses activités homosexuelles, l’agente a rejeté son affidavit parce que celui‑ci ne contient pas de détails à ce sujet. L’agente s’attendait à tort à avoir des détails sur les activités homosexuelles qui avaient incité la police nigérienne à rechercher le demandeur.

[27]           La preuve présentée par le demandeur était plus que suffisante pour établir qu’il est homosexuel et que pour cette raison il s’expose à un risque s’il retourne au Nigéria. L’agente n’a pas non plus considéré la question de savoir comment la nouvelle preuve démontrait que le demandeur était exposé à un risque à l’époque où la SPR a rendu sa décision. L’agente a commis une erreur en concluant que le demandeur ne s’exposait pas à un risque au Nigéria.

Les défendeurs

[28]           Les défendeurs font remarquer qu’un ERAR ne constitue pas un appel d’une décision défavorable de la SPR. La SPR a rejeté la demande du demandeur parce que la preuve de celui‑ci était incohérente et qu’elle n’établissait pas son homosexualité. La décision était raisonnable et il n’est pas loisible à la Cour de procéder à une nouvelle appréciation de la preuve.

L’appréciation raisonnable de la preuve :

[29]           Selon la décision Sayed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 796, les nouveaux éléments de preuve présentés à l’appui d’une demande d’ERAR doivent répondre aux lacunes de la preuve qui a été soumise à la SPR et qui a mené à la décision défavorable. La preuve soumise à l’appui de la demande d’ERAR doit viser tout nouveau risque survenu depuis la décision défavorable de la SPR. De plus, une demande d’ERAR n’est pas un appel d’une décision défavorable de la SPR, et l’agent d’ERAR doit respecter la décision originale de la SPR.

[30]           En l’espèce, l’agente a accordé une faible valeur probante à la preuve du demandeur visant à démontrer qu’il est homosexuel. Le demandeur n’a pas établi en quoi l’analyse qu’a faite l’agente des lettres de MM. Olugbade et Asaolu était déraisonnable. Le demandeur n’a pas satisfait à son obligation d’établir que ces lettres pouvaient permettre d’écarter les conclusions de la SPR. L’agente s’est également demandé si la lettre de Mme Rykens avait une incidence sur la conclusion relative à la crédibilité et elle a conclu avec raison que cette lettre ne constituait pas une preuve nouvelle. La fréquentation continue par le demandeur du Centre 519 ne permettait pas d’écarter la conclusion défavorable de la SPR sur la crédibilité.

[31]           Il était également raisonnable de la part de l’agente d’accorder peu de poids aux affidavits de MM. Arowojobe et Akomolede. Le demandeur n’a pas dit pourquoi il était déraisonnable que l’agente accorde peu de poids à ces affidavits. Aucune preuve n’a été présentée pour corroborer les allégations figurant dans l’affidavit de M. Arowojobe. Quoique la preuve relative à l’arrestation de M. Arowojobe et à la recherche du demandeur par la police nigérienne en raison de ses activités homosexuelles constituait une preuve nouvelle, ces éléments ne permettaient pas d’écarter la conclusion défavorable de la SPR sur la crédibilité. Compte tenu de la preuve dont elle disposait, il était loisible à l’agente de parvenir aux conclusions auxquelles elle est arrivée, et la Cour ne devrait donc pas intervenir.

ANALYSE

[32]           La SPR a conclu que « selon la prépondérance des probabilités, le demandeur d’asile n’est pas homosexuel ». Cette conclusion se fondait sur une série de conclusions défavorables concernant la crédibilité et sur la conclusion générale selon laquelle « le demandeur d’asile n’est pas un témoin crédible ou digne de foi ».

[33]           Comme le demandeur n’a pas pu convaincre la SPR qu’il était homosexuel, cette dernière n’a pas analysé les risques auxquels les homosexuels sont exposés au Nigéria : « À la lumière de l’évaluation du tribunal quant à la crédibilité du demandeur d’asile, aucun élément de preuve fiable ne permet d’établir que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur d’asile entretient une crainte personnelle de cette nature ».

[34]           Dans la décision faisant l’objet de la présente demande, l’agente d’ERAR semble reconnaître que les homosexuels sont exposés à des risques au Nigéria :

[traduction] J’ai considéré la situation dans le pays et je reconnais que la situation au Nigéria n’est pas favorable aux lesbiennes, aux homosexuels, aux bisexuels ou aux transsexuels. Cependant, en l’espèce, je conclus qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve convaincants pour me permettre de parvenir à une conclusion différente de celle de la Commission.

 

 

[35]           Par conséquent, le problème du demandeur est qu’il n’a pas pu convaincre l’agente d’ERAR qu’il est homosexuel, tout comme il n’a pas pu convaincre la SPR qu’il est homosexuel. Les deux décisions donnent à penser que, s’il pouvait établir ce fait, et écarter les préoccupations initiales de la SPR concernant sa crédibilité, il se pourrait bien qu’il soit exposé à de la persécution au Nigéria au sens de l’article 96 ou à des risques selon l’article 97.

[36]           L’agente a reconnu que le demandeur a présenté de [traduction] « nouveaux éléments de preuve » qu’elle était tenue d’examiner en vertu de l’alinéa 113a) de la Loi. Elle a ensuite procédé à l’examen de chaque document. Ce faisant, je pense que l’agente a commis plusieurs erreurs susceptibles de contrôle, dont l’erreur de ne pas considérer la preuve dans sa totalité.

[37]           Premièrement, l’analyse que l’agente a faite de l’affidavit de M. Arowojobe est déraisonnable. La question sur laquelle l’agente devait statuer dans le cadre de la demande d’ERAR était celle de savoir si, sur le fondement de la preuve dont elle disposait, le demandeur était exposé au risque de subir un préjudice au Nigéria. L’affidavit de M. Arowojobe traite d’éléments cruciaux concernant le risque auquel le demandeur est exposé au Nigéria. Premièrement, la police nigérienne croit que le demandeur est homosexuel et, deuxièmement, elle le recherche en raison de ses [traduction] « activités homosexuelles ». Cependant, l’agente a conclu que cet affidavit [traduction] « confirmait qu’il y avait eu de nouveaux développements dans la demande ayant été rejetée par la [SPR] pour des raisons de crédibilité ». Selon l’agente, le demandeur ne pouvait pas être exposé à des risques au Nigéria puisque la SPR n’a pas cru qu’il était homosexuel.

[38]           En ce qui concerne l’affidavit de M. Arowojobe, l’agente a omis de considérer que ce qui importait n’était pas la question de savoir si le demandeur est homosexuel, mais plutôt le fait que les autorités nigériennes croyaient que le demandeur est homosexuel. Cet affidavit fournissait des éléments de preuve pertinents sur les risques auxquels le demandeur est exposé au Nigéria. Comme il s’agissait d’un document fait sous serment, il fallait présumer de la véracité de l’affidavit de M. Arowojobe. Voir Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302. La question de savoir si la SPR a jugé le demandeur crédible ou non en ce qui a trait à ses activités sexuelles au Canada n’a pas d’incidence sur celle de savoir si l’affidavit de M. Arowojobe établit l’existence d’un risque au Nigéria. Cet affidavit établit manifestement que la police nigérienne recherche le demandeur parce qu’elle croit qu’il est homosexuel.

[39]           Il est vrai que l’agente accorde peu de poids à l’affidavit de M. Arowojobe en raison de l’absence d’une preuve corroborante [traduction] « comme la preuve que les policiers exécutaient un mandat, le nom de “l’agent de police chargé de l’enquête” ou la preuve que M. Arowojobe a effectivement été arrêté et détenu ». L’affidavit lui‑même constitue la preuve que M. Arowojobe a été arrêté et détenu, et il n’y a aucune raison de supposer que M. Arowojobe ne dit pas la vérité, du moins aucune raison que l’agente ait pris soin d’énoncer. Quant à l’absence de mandat ou du nom de  l’agent de police chargé de l’enquête », l’agente s’aveugle volontairement en s’attendant au respect des formalités habituelles dans un pays où l’homosexualité n’est pas tolérée et où il improbable que les autorités traitent les personnes homosexuelles avec une forme quelconque de respect et qu’à leur égard elles appliquent la loi de façon régulière, comme cela ressort clairement de la preuve documentaire dont elle disposait.

[40]           Je suis donc d’avis que le rejet de l’affidavit de M. Arowojobe pour les motifs donnés par l’agente est déraisonnable. Cet affidavit indique clairement que les autorités nigériennes perçoivent le demandeur comme homosexuel et qu’elles le recherchent pour cette raison même. L’agente aurait dû avoir cet important facteur à l’esprit lorsqu’elle a considéré les autres nouveaux éléments de preuve soumis à son attention.

[41]           La Cour est attentive aux difficultés que rencontrent les agents d’ERAR lorsqu’un demandeur allègue un risque de préjudice en raison de son orientation sexuelle. Les demandeurs ont l’obligation de convaincre l’agent qui examine leur demande qu’ils correspondent à un profil qui les exposera à des risques.

[42]           Les actes et les comportements permettant d’établir l’homosexualité d’un demandeur sont de nature intrinsèquement privée. Lorsqu’ils évaluent des demandes fondées sur l’orientation sexuelle, les agents doivent avoir à l’esprit les difficultés inhérentes de prouver qu’un demandeur s’est livré à des activités sexuelles particulières. Il se peut que des demandeurs n’aient plus de liens avec d’anciens partenaires sexuels pour diverses raisons, par exemple, une rupture, la distance ou simplement le passage du temps.

[43]           Dans ce contexte, je suis d’avis que l’analyse par l’agente des lettres présentées par le demandeur en l’espèce, était déraisonnable. L’agente a accordé une faible valeur probante à la lettre de M. Asaolu parce que [traduction] « l’auteur de la lettre n’explique nullement comment il sait que [le demandeur est homosexuel] et s’il a une connaissance directe des activités et de l’orientation sexuelles du demandeur ». Cela constituait un fondement déraisonnable pour attribuer une faible valeur probante à la lettre. Dans sa lettre, M. Asaolu dit savoir que le demandeur est homosexuel [traduction] « parce que nous vivons dans le même appartement depuis 2007 ». Peut‑être aurait‑on pu s’attendre à plus de détails, mais on ne peut pas dire que M. Asaolu [traduction] « n’explique nullement comment il sait » que le demandeur est homosexuel. Il le sait parce qu’il a vécu dans le même appartement que le demandeur depuis 2007.

[44]           L’agente n’a pas tenu compte de manière adéquate de la relation de M. Asaolu avec le demandeur lorsqu’elle a déterminé la valeur probante de la lettre. Il est indiqué dans la lettre que M. Asaolu et le demandeur vivent ensemble. Deux personnes qui vivent ensemble ont une certaine idée de l’orientation sexuelle de l’autre, particulièrement dans un cas comme celui‑ci où le demandeur avait une relation avec un autre homme. L’analyse de l’agente n’en tient pas compte. La déclaration de l’agente selon laquelle [traduction] « l’auteur de la lettre n’explique nullement comment il sait que [le demandeur est homosexuel] » ne tient pas compte du fait que M. Asaolu sait que le demandeur est homosexuel parce qu’ils vivent ensemble.

[45]           L’analyse que l’agente a faite de la lettre de M. Olugbade était déraisonnable. L’agente a accordé une faible valeur probante à cette lettre parce que M. Olugbade n’a pas révélé quels [traduction] « “comportements et actions” l’ont convaincu que le [demandeur] est homosexuel ». M. Olugbade a écrit qu’il croyait que le demandeur était homosexuel parce qu’il a vu le demandeur [traduction] « avec un gars qui semble être sa petite amie [sic] ». Quoique M. Olugbade n’ait pas mentionné d’actes sexuels précis dont il aurait été témoin, il a vu le demandeur avec un autre homme et, sur le fondement de cette observation, il a conclu que le demandeur était homosexuel. Il était manifestement erroné de la part de l’agente de conclure que la croyance de M. Olugbade ne reposait sur rien. Ce qu’il dit savoir s’explique par le fait qu’il a observé de manière générale les « comportements et actions » du demandeur et qu’il l’a vu avec un autre homme qu’il considérait comme sa « petite amie ».

[46]           Le raisonnement de l’agente sur ce point donne également à penser qu’elle avait à l’esprit un ensemble d’actions et de comportements qui l’auraient convaincue de l’homosexualité du demandeur. Il ne convient pas que les agents s’appuient sur des stéréotypes pour déterminer si une personne a établi un motif de risque, notamment l’orientation sexuelle. Voir Ponniah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1016, au paragraphe 10, et Herrera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1233, aux paragraphes 12 à 20.

[47]           Le défendeur a fait remarquer que tout nouvel élément de preuve qui est présenté dans le cadre d’une demande d’ERAR doit combler les lacunes de la preuve présentée à la SPR. Je suis d’accord. Les lettres de MM. Olugbade et Asaolu visaient à répondre aux préoccupations de la SPR, à savoir que le demandeur n’avait pas adéquatement fait la preuve de son homosexualité.

[48]           De plus, toutefois, la lettre du 2 décembre 2010 de Mme Rykens confirmait que le demandeur faisait partie de la communauté homosexuelle de Toronto et qu’il participait à ses activités, et qu’il a fait le récit de son expérience à des réunions de l’organisme « Coming Out Being Out […] ».

[49]           Il semble ressortir de cette lettre que le demandeur ne s’en est pas tenu à être membre du Centre 519, et qu’il a révélé son homosexualité et fait le récit de son expérience. Il semble donc s’agir d’un nouvel élément porté à l’attention de l’agente, qui va au‑delà des préoccupations et des conclusions de la SPR, et qui ne concerne pas uniquement le fait que le demandeur « faisait partie », de la communauté homosexuelle, élément dont elle ne traite pas.

[50]           Peut‑être que les éléments de preuve, lorsqu’on les examine un à un isolément, ne permettent pas d’écarter les préoccupations de la SPR quant à savoir si le demandeur est véritablement homosexuel. Mais, lorsqu’on examine le tableau dans son ensemble, il appert que le demandeur :

a.                   est considéré comme un homosexuel par l’homme avec qui il vit;

b.                  a été vu [traduction] « avec un gars qui semble être sa petite amie [sic] »

c.                   a poursuivi ses activités au sein de la communauté homosexuelle de Toronto et a révélé son homosexualité en racontant son histoire dans un organisme qui aide les personnes homosexuelles;

d.                  est recherché par la police nigérienne qui croit qu’il est homosexuel, de sorte qu’il est exposé à un risque important s’il est renvoyé au Nigéria.

[51]           Je ne pense pas que l’agente a pris en compte tout le tableau qui lui était présenté. Cela constitue une erreur susceptible de contrôle. En particulier, je ne pense pas que l’agente a tenu compte du fait que le demandeur est considéré comme un homosexuel au Nigéria et que les autorités le recherchent pour cette raison, que le demandeur ait ou non établi son identité homosexuelle au Canada à la satisfaction de l’agente.

[52]           Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est d’accord.


JUGEMENT

 

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent d’ERAR pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑6711‑11

 

INTITULÉ :                                                  FRANCIS OJO OGUNRINDE

 

                                                                        ‑   et   ‑

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE;
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 24 avril 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 15 juin 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Sina Ogunleye

 

DEMANDEUR

 

Nadine Silverman

 

DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sina Ogunleye

Avocat

Toronto (Ontario)

 

DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

DÉFENDEUR

 

 

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