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Date : 20120614

Dossier : IMM-4632-11

Référence : 2012 CF 743

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 juin 2012

En présence de madame la juge Snider

 

 

ENTRE :

 

SAI SU, XI TANG ZHUANG

ET XI HUA ZHUANG

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               Mme Sai Su (la demanderesse principale) et ses deux enfants (les demandeurs mineurs) affirment être des citoyens de la République populaire de Chine (la Chine) résidant dans la province du Guangdong. Ils sont arrivés au Canada en 2006 et ont demandé l’asile en raison de la crainte de stérilisation forcée de la demanderesse principale. Le 28 juin 2011, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté leur demande au motif qu’ils n’avaient pas établi leur identité.

 

[2]               Les demandeurs demandent à la Cour d’annuler la décision au motif qu’elle est déraisonnable. Malgré les arguments des plus habiles de leur avocat, j’ai conclu que la décision devait être maintenue.

 

II.        Analyse

 

[3]               Toute personne qui demande l’asile doit établir son identité parce que, en l’absence d’une telle preuve, « il ne peut y avoir de fondement solide permettant de vérifier les allégations de persécution, ou même d’établir la nationalité réelle d’un demandeur » (Jin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 126, au paragraphe 26, [2006] ACF no 181 (QL); voir aussi Liu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 831, au paragraphe 18, [2007] ACF no 1101 (QL)). L’article 106 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], et l’article 7 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228 [les Règles], énoncent l’importance, pour un demandeur d’asile, d’établir son identité :

LIPR

 

106. La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer.

 

 

 

 

Règles

 

7. Le demandeur d’asile transmet à la Section des documents acceptables pour établir son identité et les autres éléments de sa demande. S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour s’en procurer.

IRPA

 

106. The Refugee Protection Division must take into account, with respect to the credibility of a claimant, whether the claimant possesses acceptable documentation establishing identity, and if not, whether they have provided a reasonable explanation for the lack of documentation or have

taken reasonable steps to obtain the documentation.

 

Rules

 

7. The claimant must provide acceptable documents establishing identity and other elements of the claim. A claimant who does not provide acceptable documents must explain why they were not provided and what steps were taken to obtain them.

 

[4]               Il incombe au demandeur d’asile de produire des documents acceptables établissant son identité. Il s’agit avec raison d’un lourd fardeau.

 

[5]               Toute décision que la Commission rend relativement à l’identité dépend exclusivement des faits. Aussi, la décision de la Commission est assujettie à la norme de contrôle de la raisonnabilité. Dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, la Cour suprême du Canada a expliqué, au paragraphe 47, que cette norme déférente tient compte du fait que certaines questions « peuvent […] donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables ». Elle a précisé que « [l]e caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[6]               Au cours de l’audience, les demandeurs ont produit une grande quantité de renseignements qui, selon eux, établissaient leur identité. Dans sa plaidoirie, leur avocat a dit que le dossier renfermait une [traduction] « avalanche » d’éléments de preuve établissant leur identité. Je vais examiner cette « avalanche » ainsi que les conclusions de la Commission concernant la preuve.

 

[7]               La Commission a analysé des éléments de preuve (ou l’absence d’éléments de preuve) appartenant à trois catégories : (1) les documents principaux, par exemple les passeports, les cartes d’identité de résident (CIR), les certificats de naissance et un document d’enregistrement du ménage (hukou); (2) les documents secondaires, comme les permis de conduire et les photographies; (3) les témoignages de deux personnes assignées par les demandeurs. J’examinerai chacune de ces catégories.

 

A.        Les documents principaux

 

[8]               Les demandeurs sont arrivés au Canada munis d’un faux passeport. Un faux passeport ne peut évidemment pas établir l’identité.

 

[9]               Il y avait un deuxième problème dans le cas de la demanderesse principale : elle n’a pas été en mesure de produire l’original ou une copie de sa CIR. Comme la Commission l’a souligné, la CIR est le « plus important document permettant d’établir l’identité d’un demandeur d’asile ». La demanderesse principale a eu beau tenter d’expliquer pourquoi elle n’avait pas sa CIR, il n’en reste pas moins qu’elle n’avait pas cet important document qui aurait pu établir son identité.

 

[10]           La demanderesse principale a produit un autre document très important : un hukou. Le résultat de l’analyse judiciaire de ce document demeure cependant « peu concluant ». Étant donné qu’il incombait aux demandeurs de produire une preuve de leur identité, un résultat d’analyse judiciaire « peu concluant » ne satisfait sans doute pas à cette exigence. En outre, l’agent ayant effectué l’analyse judiciaire a indiqué que des pages faisant mention du demandeur mineur le plus âgé avaient été ajoutées au milieu du document. La Commission a – raisonnablement, à mon avis – conclu que, « selon la prépondérance des probabilités, le document d’enregistrement du ménage ne constitue pas une pièce d’identité authentique ».

 

[11]           L’autre document principal était le présumé certificat de naissance du demandeur mineur le plus âgé. Ce document a également fait l’objet d’une analyse judiciaire, dont le résultat a été « peu concluant ». L’analyste a souligné qu’[traduction] « [i]l y a un certain nombre de différences importantes entre les certificats de naissance présumés authentiques et [le certificat de naissance produit] ». Comme la Commission l’a observé, l’authenticité de ce document était « douteuse ». Ce document n’établissait donc pas l’identité du demandeur mineur.

 

[12]           Les demandeurs soutiennent que le fait que le résultat de l’analyse judiciaire est « peu concluant » ne signifie pas que les documents sont frauduleux. Je suis d’accord. Toutefois, cet argument ne tient pas compte du fait qu’il incombait aux demandeurs d’établir leur identité. L’analyse judiciaire d’un document qui mène à un résultat « peu concluant » (en particulier lorsque des problèmes précis sont relevés relativement au document) n’établit pas son authenticité.

 

[13]           Bref, aucun document principal fiable ou authentique n’établissait de façon concluante l’identité des demandeurs.

 

B.        Les documents secondaires

 

[14]           Au cours de l’audience, les demandeurs ont produit un certain nombre d’autres documents dans le but d’établir l’identité de la demanderesse principale, en particulier un permis de conduire, un certificat de mariage, une brochure concernant un DIU et un avis de cotisation. Aucun de ces documents ne possédait les éléments de sécurité qui auraient permis une analyse judiciaire valable.

 

[15]           La Commission a examiné tous ces documents, bien qu’aucun n’ait fait l’objet d’une analyse judiciaire. Elle a toutefois fait référence à la documentation sur le pays qui confirmait qu’il était facile de se procurer des faux documents dans la province du Guangdong. La Commission n’avait pas l’obligation d’effectuer une analyse judiciaire de chacun des documents. Comme le juge Harrington l’a dit dans Farooqi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1396, au paragraphe 10, [2004] ACF no 1696 (QL) :

En ce qui me concerne, une fois que les pièces d’identité qui avaient été présentées comme étant réelles se sont révélées fausses, l’affaire avait pris fin. La Commission n’était pas tenue de présenter d’autres documents à l’analyse. Un revendicateur légitime peut avoir un motif d’avoir de faux papiers d’identité, mais aucun motif d’avancer qu’ils sont authentiques. L’ensemble de documents qui a suivi était-il mieux contrefait? La Commission ne devrait pas être traitée comme une école de formation où les faussaires peuvent exercer leur métier.

 

[16]           En l’espèce, il n’était pas déraisonnable que, après avoir conclu que les documents principaux n’étaient pas authentiques ou n’avaient pas été produits et qu’il était facile de se procurer de faux documents d’identité dans la province du Guangdong, la Commission accorde « peu de poids » aux documents secondaires.

 

[17]           La Commission a également examiné la photographie de classe sur laquelle figurait la demanderesse principale. Elle a conclu que, même si celle‑ci apparaissait sur cette photographie floue, une photographie de classe n’établissait pas la citoyenneté.

 

[18]           Ces documents secondaires n’établissaient pas l’identité de la demanderesse principale.

 

C.        Les témoignages

 

[19]           Deux personnes ont témoigné dans le but d’établir l’identité de la demanderesse principale. Le premier témoin prétendait être un ami de la demanderesse principale à l’école secondaire. La Commission avait des doutes au sujet de la déposition de ce témoin pour la raison suivante :

Le tribunal juge qu’il n’est pas plausible que la demandeure d’asile ait « rencontré par hasard » un témoin qu’elle n’avait pas vu depuis plus de 16 ans environ un mois avant son audience de novembre 2009. Par conséquent, le tribunal accorde peu de poids au témoignage de ce témoin.

 

[20]           En ce qui concerne le deuxième témoin, qui prétendait être une cousine de la demanderesse principale, la Commission a indiqué :

[Le témoin] ne peut pas établir ni confirmer le lieu de naissance et la citoyenneté des enfants grâce à des connaissances directes et elle n’a fourni aucun élément de preuve de son lien de sang avec la demandeure d’asile.

 

[21]           La conclusion de la Commission selon laquelle peu de poids devait être accordé au témoignage de ces personnes n’est pas déraisonnable.

 

III.       Conclusion

 

[22]           Les demandeurs n’ont tout simplement pas établi leur identité, malgré l’[traduction] « avalanche » d’éléments de preuve. Il y avait des problèmes importants au regard de chacun des documents et des témoignages présentés. Lorsqu’on la lit dans son ensemble, la décision de la Commission appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[23]           Enfin, les demandeurs prétendent que, si la décision de la Commission est maintenue, ils ont droit à un jugement déclaratoire selon lequel ils ne peuvent pas être renvoyés en Chine et à une ordonnance interdisant au gouvernement du Canada de les renvoyer en Chine.

 

[24]           La demande de jugement déclaratoire des demandeurs excède le cadre du présent contrôle judiciaire. Bien que je convienne que la Cour fédérale a compétence pour décerner un bref de prohibition ou rendre un jugement déclaratoire en vertu du paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, un tel jugement ne peut être rendu en l’espèce. En effet, le présent contrôle judiciaire vise une décision de la Commission qui relève du ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration. Les mesures de renvoi (prises en vertu du paragraphe 48(1) de la LIPR) sont exécutées par l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) et relèvent donc de la responsabilité légale du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile. Un jugement déclaratoire ou une ordonnance d’interdiction fondé sur la présente demande de contrôle judiciaire lierait un groupe distinct de décideurs et, en conséquence, n’est pas approprié.

 

[25]           De plus, on ne sait pas actuellement quelles mesures peuvent être prises par l’ASFC en vue du renvoi des demandeurs. Nous pouvons seulement émettre l’hypothèse que l’ASFC pourrait finalement tenter de renvoyer les demandeurs en Chine.

 

[26]           Les demandeurs proposent une question concernant la capacité de la Cour de rendre un jugement déclaratoire dans de telles circonstances. Étant donné que la réponse à une question de ce genre n’est pas déterminante au regard de la présente demande et que, de toute façon, elle reposerait sur des hypothèses quant au renvoi éventuel des demandeurs, je refuse de certifier une question, quelle qu’elle soit.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4632-11

 

INTITULÉ :                                      SAI SU et al c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 6 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 14 juin 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Rocco Galati

 

                            POUR LES DEMANDEURS

 

A. Leena Jaakkimainen

                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rocco Galati Law Firm

Professional Corporation

Toronto (Ontario)

 

                            POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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