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Date : 20120706

Dossier : IMM-7241-11

Référence : 2012 CF 859

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 juillet 2012

En présence de madame la juge Gleason

 

 

ENTRE :

 

GUANG MING QIU

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un agent principal d’immigration, datée du 9 septembre 2011, par celui-ci a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (demande CH) présentée au Canada par le demandeur en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR ou la Loi].

 

[2]               Le demandeur est un citoyen de la République populaire de Chine âgé de 30 ans. Le 12 mars 2001, il est arrivé au Canada et a demandé l’asile en prétendant que, à titre d’adepte de la religion Tian Dao, il était exposé à un risque en Chine. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande le 7 mars 2003. Le demandeur a présenté sa demande CH en mai 2005. Il a également présenté une demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR], laquelle a été refusée le 3 octobre  2011. Par conséquent, le demandeur est au Canada depuis plus de 10 ans et a attendu près de 6 ans et demi avant que sa demande CH soit tranchée.

 

[3]               Dans la décision qui fait l’objet du présent contrôle, l’agent a d’abord déterminé le critère qu’il convenait d’appliquer pour trancher la demande CH, et a conclu que le demandeur devait démontrer que les difficultés que pose le fait d'avoir à obtenir de la manière habituelle un visa de résident permanent à l'extérieur du Canada seraient « inhabituelles et injustifiées ou excessives ». L’agent a poursuivi en soulignant que, dans la plupart des cas, les difficultés excessives ne sont pas prévues par la Loi, que les difficultés injustifiées découlent le plus souvent de circonstances indépendantes de la volonté du demandeur et que des motifs d'ordre humanitaire peuvent exister dans des cas n'étant pas considérés comme « inhabituelles ou injustifiés », mais où la difficulté de présenter une demande de visa de résident permanent à l'extérieur du Canada aurait des répercussions disproportionnées pour le demandeur, compte tenu des circonstances qui lui sont propres.

 

[4]               Après avoir énoncé le critère applicable, l’agent a évalué les facteurs relevés par le demandeur à l’appui de sa demande CH, à savoir son degré d’établissement au Canada, ses liens existants avec des membres de la famille au Canada et à l’étranger, ses liens avec son pays d’origine, l’intérêt supérieur d’un enfant en Équateur qu’il a parrainé grâce à Plan international Canada et le risque auquel il serait exposé s’il retournait en Chine. Après avoir apprécié l’ensemble des facteurs, l’agent a conclu qu'il n'existait pas de motifs d'ordre humanitaire pour accorder la dispense demandée par le demandeur.

 

[5]               En évaluant le degré d’établissement du demandeur au Canada, l’agent a formulé des remarques sur la preuve présentée par le demandeur concernant ses antécédents professionnels, le paiement d’impôts, l’observation de la loi (y compris des exigences de la Loi) et a souligné que le demandeur [traduction] « avait démontré qu’il était un membre de la société canadienne indépendant, productif et respectueux des lois » (décision, à la page 4). Toutefois, l’agent a poursuivi en déclarant que le degré d’établissement du demandeur au Canada [traduction] « n’était pas plus important que celui auquel on s’attendrait normalement », compte tenu de sa présence au Canada depuis 2001 et compte tenu qu’il n’a pas démontré que son [traduction] « degré d’établissement sortait de l’ordinaire » (décision, à la page 4). L’agent a également souligné que le demandeur était tout à fait conscient de l’incertitude entourant son statut d’immigrant et a conclu qu’il [traduction] « avait démontré que son établissement et son intégration dans la société canadienne étaient tels que le fait qu'il doive rompre ses liens avec sa collectivité et avec son emploi, quitter le Canada et demander, à l'étranger, le statut de résident permanent constituerait une difficulté inhabituelle, injustifiée ou excessive » (décision, à la page 4).

 

[6]               Dans sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur fait valoir que l’agent a commis trois erreurs susceptibles de contrôle connexes, toutes liées à l’évaluation qu’il a faite de son degré d’établissement au Canada. Le demandeur a prétendu ce qui suit :

1.              L’agent a commis une erreur de droit en exigeant un degré d’établissement au Canada sortant de l’ordinaire;

2.                          Son évaluation du degré d’établissement du demandeur au Canada était déraisonnable parce qu’elle ne reposait pas sur un fondement probatoire clair;

3.                          L’agent a manqué à l’obligation d’équité en ne donnant pas au demandeur la véritable possibilité de répondre à ses préoccupations concernant son degré d’établissement au Canada.

 

[7]               Le défendeur, par contre, prétend que la décision de l’agent était raisonnable, a été prise en conformité avec la jurisprudence applicable et, par conséquent, que la présente demande devrait être rejetée. Le défendeur a fait valoir un autre motif de rejet tournant autour du fait que le demandeur a omis de déposer un affidavit fondé sur une connaissance personnelle à l’appui de la demande de contrôle judiciaire. À l’audience, toutefois, les avocats des parties ont indiqué que cette question était réglée et que les parties ont convenu que la demande pouvait à bon droit être entendue compte tenu que le dossier certifié du tribunal et la pièce B jointe à l’affidavit contesté sont des extraits du chapitre 5 du Guide du traitement des demandes au Canada intitulé Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d'ordre humanitaire (chapitre IP5), où sont exposées les lignes directrices qui doivent être appliquées par les agents d’immigration dans le cadre de l’appréciation des demandes de résidence permanente fondées sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

[8]               Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable aux trois prétendues erreurs est celle de la raisonnabilité. Je souscris à cette opinion. La jurisprudence établit clairement que la norme du caractère raisonnable est la norme applicable à l’examen de l’exercice par un agent CH du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 25(1) de la LIPR (voir. p.ex., Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 58, [2009] 1 RCS 339; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, 174 DLR (4th) 193, au paragraphe 62 [Baker]; Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c Okoloubo, 2008 CAF 326, au paragraphe 30, 301 DLR (4th) 591; Owusu c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration 2004 CAF 38, au paragraphe 12, [2004] 2 RCF 635 [Owusu]). La jurisprudence indique également qu’en appliquant la norme de la raisonnabilité à l’exercice par un agent CH du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 25(1) de la LIPR, il convient de faire preuve d’une grande retenue et d’être tout à fait conscient du vaste pouvoir discrétionnaire accordé à un agent par cet article (voir, p.ex., Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, au paragraphe 11, 212 DLR (4th) 139 [Legault]; Jung c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CFC 678, au paragraphe 40).

 

[9]               Comme je l’ai déjà dit, le demandeur prétend d’abord que l’agent a appliqué le mauvais critère en exigeant un degré d’établissement sortant de l’ordinaire. Selon moi, cet argument est sans fondement. Bien que l’agent ait peut-être confondu le libellé de deux éléments de l’enquête (c.‑à‑d., si le renvoi occasionnerait « des difficultés inhabituelles ou excessives » en raison du « degré important d’établissement »), selon moi, il n’a pas effectué la bonne analyse. L’agent a conclu que, compte tenu du temps que le demandeur avait passé au Canada, celui-ci avait pris les [traduction] « mesures nécessaires » pour s’intégrer, mais a conclu que son établissement n’était pas tel [traduction] « que le fait qu'il doive rompre ses liens avec sa collectivité et avec son emploi, quitter le Canada et demander, à l'étranger, le statut de résident permanent constituerait une difficulté inhabituelle, injustifiée ou excessive » (décision, à la page p 4). Il s’agit du critère qu’il convient d’appliquer à l’évaluation du degré d’établissement d’un demandeur au Canada (voir, p.ex., Legault, paragraphe 23; Reis c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 179, au paragraphe 49, 211 ACWS (3d) 437).

[10]           Par conséquent, le premier argument formulé par le demandeur n’est pas retenu.

[11]           Le deuxième motif, selon moi, est également sans fondement. Le demandeur prétend que l’agent a mal appliqué le critère formulé au chapitre IP 5, et, plus précisément, qu’il aurait dû conclure qu’il avait subi des difficultés inhabituelles et injustifiées en raison du retard accusé dans le traitement de sa demande CH et de sa demande d’ERAR. Le demandeur affirme également que les motifs de l’agent sont insuffisants et qu’il n’a pas procédé à une analyse sérieuse de son degré d’établissement au Canada, et que, par conséquent, ses conclusions n’ont aucun fondement probatoire.

[12]           En ce qui concerne le chapitre IP 5, le demandeur invoque en particulier la section 5.14, qui est ainsi libellée :

Il peut être justifié d’approuver la demande CH si l’incapacité du demandeur à quitter le Canada en raison de circonstances indépendantes de sa volonté se prolonge pendant une longue période et que les éléments de preuve corroborent un degré appréciable d’établissement au Canada, au point où le demandeur ferait face à des difficultés inhabituelles ou démesurées s’il devait faire sa demande à l’extérieur du Canada.

 

[13]           Bien qu’il soit vrai, comme le défendeur le prétend, que le chapitre IP 5, comme directive, n’a pas force de loi, mais comme la Cour suprême du Canada l’a souligné dans l’arrêt Baker, au paragraphe 72, celui-ci est utile lorsqu’il faut évaluer le caractère raisonnable de l’exercice par un agent du pouvoir discrétionnaire dont il dispose pour accueillir ou non une demande CH. En appliquant le chapitre IP 5 à la situation du demandeur, la question dont est saisi l’agent est celle de savoir si le demandeur est « incapable de quitter le Canada » en raison de « circonstances indépendantes de sa volonté ». Contrairement à ce que le demandeur prétend, le retard accusé dans le traitement de sa demande CH et de sa demande d’ERAR ne constitue pas une « circonstance indépendante de sa volonté » qui l’a rendu incapable de quitter le Canada. La Cour en est venue à cette conclusion à plusieurs reprises (voir, p. ex., Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 612, au paragraphe 15, Luzati c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1179, au paragraphe 21, 208 ACWS (3d) 386 [Luzati]; et Serda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 356, au paragraphe 23, [2006] ACF no 425 [Serda]). Comme le juge Mosley l’a souligné dans Luzati, au paragraphe 21, « [l]e temps écoulé durant la procédure d’immigration ne peut servir d’unique motif pour démontrer le degré d’établissement au Canada puisqu’on encouragerait ainsi l’immigration “détournée” ». Par conséquent, contrairement à ce que prétend le demandeur, l’agent, selon moi, a correctement appliqué le critère énoncé au chapitre IP 5 à l’évaluation du degré d’établissement du demandeur au Canada.

[14]           En ce qui concerne la prétention selon laquelle l’agent n’a pas procédé a une analyse sérieuse du facteur de l’établissement dans la décision faisant l’objet du présent contrôle, j’estime, contrairement à ce que prétend le demandeur, que les motifs de l’agent sont plus que suffisants et consistent en une élaboration du critère approprié, un examen du dossier factuel pertinent et une conclusion. Bref, l’agent a examiné la preuve et les arguments soumis et a tiré une conclusion qu’il pouvait raisonnablement tirée.

[15]           De plus, bien que l’un des facteurs pertinents qu’un agent doive prendre en compte dans le cadre d’une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est le degré d’établissement au Canada, celui-ci n’est pas déterminant (voir, p.ex., Samsonov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1158, aux paragraphes 16-18. [2006] ACF no 1457; Lee c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2005 CF 413, au paragraphe 9, [2005] ACF no 507; Luzati, aux paragraphes 22-23; Serda, au paragraphe 24). Par conséquent, même si l’agent avait fait une évaluation déraisonnable du facteur de l’établissement, cela n’entraînerait pas nécessairement l’annulation de la décision.

[16]           Finalement, en ce qui concerne la prétendue violation de l’équité procédurale, le demandeur prétend que l’agent a violé l’équité procédurale en ne communiquant pas avec lui pour lui faire part de ses préoccupations concernant la prétention d’établissement du demandeur. Selon moi, cette affirmation est également sans fondement. Il est bien établi en droit qu’il incombe au demandeur d’établir que sa situation personnelle justifie une levée de l’obligation voulant qu’une demande de résidence permanente soit normalement présentée à l’étranger (Owusu, paragraphe 5; Anaschenko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1328, au paragraphe 8, [2004] ACF no 1602). En outre, lorsque l’agent ne fait qu’apprécier la suffisance de la preuve présentée par le demandeur, il n’y a pas lieu de communiquer avec celui-ci ou de l’inviter à formuler des observations additionnelles. La jurisprudence citée par le demandeur à l’appui de la présumée violation de l’équité procédurale – Wong c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1791, 159 FTR 154; Lau c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 485, 146 FTR 116; Ma c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1042, [2009] ACF no 1283 – se distingue de la présente affaire car aucune des causes citées ne portent sur une demande CH et, dans chaque cas, l’agent n’avait pas fait part au demandeur de certaines de ses préoccupations, lesquelles étaient insoupçonnées par le demandeur. On ne saurait affirmer cela en l’espèce. L’agent n’a fait qu’évaluer la preuve soumise par le demandeur relativement au degré d’établissement démontré par celui-ci, lequel, selon ce dernier, était un facteur pertinent. L’agent a conclu que la preuve ne permettait pas d’établir l’existence d’un degré d’établissement suffisant pour qu’il soit justifié d’accorder une dispense en application du paragraphe 25(1) de la LIPR. Agir de la sorte n’occasionne aucune violation de l’équité procédurale.

[17]           Par conséquent, aucune des erreurs alléguées ne justifie que j’intervienne et la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[18]           Aucune question n’a été proposée à la certification en vertu de l’article 74 de la LIPR et aucune ne se soulève en l’espèce.

 

 

 


JUGEMENT

 

 

LA COUR STATUE ce qui suit :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée;

3.                  Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

 

« Mary J.L. Gleason »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7241-11

 

INTITULÉ :                                      Guang Ming Qiu c Le ministre de Citoyenneté et de l’Immigration

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 12 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE GLEASON

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 6 juillet 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert I. Blanshay

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Bradley Bechard

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Blanshay & Lewis,

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

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