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Date : 20120705

Dossier : T‑991‑10

Référence : 2012 CF 741

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 juillet 2012

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

FOURNIER PHARMA INC. et
LABORATOIRES FOURNIER S.A.

 

demanderesses

 

et

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et
SANDOZ CANADA INC.

 

défendeurs

 

 

*MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

(Motifs confidentiels du jugement et jugement rendus le 15 juin 2012)

 

Les instances relatives aux avis de conformité « ne constituent pas des actions touchant la validité ou la contrefaçon d’un brevet, mais […] sont de la nature d’instances en contrôle judiciaire, qui doivent être instruites avec célérité et qui visent à déterminer si le ministre peut délivrer l’avis de conformité demandé » : Apotex Inc c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1997] ACF no 1251 (CAF), au paragraphe 6.

 

Par ailleurs, comme l’instance n’a qu’une portée administrative et qu’elle n’aboutira pas à une décision définitive du type de celles qui sont rendues après un procès, il est raisonnable que la Cour exige des parties qu’elles se concentrent, dans leurs observations écrites et orales, sur les deux ou trois questions sérieuses et crédibles en litige. La présente instance ne doit pas être considérée par les parties comme une occasion de soumettre n’importe quoi au juge chargé d’instruire les demandes pour voir ce qui pourrait « marcher ».

 

Des motifs ont été rendus en même temps dans deux demandes connexes : T‑991‑10, jugement 2012 CF 741, et T‑1184‑10, jugement 2012 CF 740. Ces deux décisions concernent le fénofibrate, mais se rapportent chacune à un brevet différent. Elles résultent du fait que Sandoz Canada Inc. souhaite obtenir l’autorisation de commercialiser sa composition de fénofibrate au Canada. L’issue d’une demande n’est pas déterminante pour celle de l’autre, quoique certaines questions de fond et de procédure sont communes dans les deux affaires.

Voici la table des matières.

TABLE DES MATIÈRES

PARAGRAPHE

 

APERÇU............................................................................................................................. 1

 

               L’instance et son contexte.................................................................................... 1

               Le fardeau de la preuve........................................................................................ 8

               Le médicament et le brevet 576............................................................................ 9

               Le brevet 576...................................................................................................... 12

 

LA PREUVE..................................................................................................................... 14

 

               Personne versée dans l’art................................................................................... 16

               Témoignage d’expert déposé par Fournier......................................................... 18

 

                           M. Fernando Muzzio (sur la contrefaçon).............................................. 18

                           M. Fernando Muzzio (sur la validité)..................................................... 25

                           Mme Elizabeth Vadas............................................................................... 31

 

               Témoignage d’expert déposé par Sandoz........................................................... 34

 

                           M. Joseph Bogardus .............................................................................. 34

                           M. Eugene Cooper ................................................................................. 39

                           M. David Fairhurst ................................................................................ 43

 

               Preuve d’expert additionnelle............................................................................. 46

               Contestations des avis d’experts........................................................................ 52

 

L’INTERPRÉTATION DU BREVET 576...................................................................... 61

 

               Granulométrie..................................................................................................... 63

               Adhérence........................................................................................................... 69

               Terme « co‑micronisé »....................................................................................... 79

              

CONTREFAÇON............................................................................................................. 83

 

ANTÉRIORITÉ................................................................................................................ 94

 

ÉVIDENCE.................................................................................................................... 100

 

PORTÉE EXCESSIVE................................................................................................... 112

 

UTILITÉ.………............................................................................................................. 123

 

PRÉDICTION VALABLE............................................................................................ 138

 

DIVULGATION INSUFFISANTE............................................................................... 140

 

AMBIGÜITÉ …............................................................................................................. 141

 

CONCLUSION.............................................................................................................. 143

 

 


 

APERÇU

L’instance et son contexte

[1]               Fournier Pharma Inc. commercialise LIPIDIL EZ en comprimés de 48 mg et de 145 mg. L’ingrédient pharmaceutique actif de LIPIDIL EZ est le fénofibrate, une substance qui abaisse le taux de cholestérol LDL (le « mauvais » cholestérol) et augmente le taux de cholestérol HDL (le « bon » cholestérol) chez les patients.

 

[2]               Sandoz Canada Inc. (Sandoz) a demandé l’approbation du ministre de la Santé (le ministre) pour commercialiser Sandoz Fenofibrate E (le comprimé de Sandoz), sa version générique de LIPIDIL EZ. Dans sa présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) soumise au ministre, Sandoz mentionne LIPIDIL EZ [traduction] « pour la détermination des caractéristiques de bioéquivalence ou de biodisponibilité » du comprimé de Sandoz. Trois brevets sont inscrits au registre concernant LIPIDIL EZ : le brevet canadien 2,219,475 (le brevet 475), le brevet canadien 2,372,576 (le brevet 576) et le brevet canadien 2,487,054 (le brevet 054). La société Laboratoires Fournier S.A. est la propriétaire du brevet 576. Rédigé en français, le brevet 576 a été traduit et les parties ont utilisé la traduction anglaise qui compose une partie du dossier. Ce brevet a pour titre Composition pharmaceutique de fénofibrate présentant une biodisponibilité élevée et son procédé de préparation. Les demanderesses seront appelées collectivement « Fournier » dans les présents motifs.

 

[3]               Le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 (le Règlement sur les MBAC), modifié, prévoit que la personne qui sollicite un avis de conformité (AC) (Sandoz en l’espèce), que la législation désigne comme la « seconde personne », doit signifier un avis d’allégation à celle qui a déposé la présentation de drogue nouvelle dont il est fait mention dans sa PADN (Fournier Pharma Inc. en l’espèce), et que la législation désigne comme la « première personne »

 

[4]               Trois demandes distinctes ont été présentées devant la Cour pour réclamer, conformément au paragraphe 6(1) du Règlement sur les MBAC, une ordonnance interdisant au ministre de délivrer à Sandoz un AC relativement à ses comprimés tant que les brevets canadiens pertinents ne seront pas expirés. Les trois demandes et les brevets en cause sont les suivants :

a.                   dossier de la Cour T‑991‑10 déposé le 24 juin 2010, à l’égard du brevet 576;

b.                  dossier de la Cour T‑1054‑10 déposé le 30 juin 2010, à l’égard du brevet 475;

c.                   dossier de la Cour T‑1184‑10 déposé le 22 juillet 2010, à l’égard du brevet 054.

 

[5]               La demande se rapportant au dossier de la Cour T‑1054‑10 a été retirée le 25 janvier 2012. La demande relative au dossier de la Cour T‑1184‑10 a été entendue la semaine du 26 mars 2012, et celle qui se rapporte au dossier de la Cour T‑991‑10, la semaine suivante. Chaque demande a été entendue séparément; cependant, comme nous l’avons indiqué plus loin, une ordonnance rendue avant les audiences autorisait les parties à une instance à se référer à certains des éléments de preuve déposés dans le cadre de l’autre.

 

[6]               À moins que Fournier n’obtienne une ordonnance d’interdiction, il est défendu au ministre de délivrer un AC à Sandoz, et ce, jusqu’à vingt‑quatre (24) mois après l’introduction de la présente instance, c’est‑à‑dire jusqu’au 24 juin 2012, à moins que la Cour ne déclare avant cette date le brevet 576 invalide, ou que l’une ou l’autre des conditions énoncées à l’alinéa 7(2)b) du Règlement sur les MBAC soit remplie.

 

[7]               Sandoz prétend que son comprimé ne contrefait pas le brevet 576 parce que la taille des particules de fénofibrate contenues dans le comprimé de Sandoz ne se situe pas dans la plage granulométrique établie dans les revendications du brevet 576, c’est‑à‑dire entre 1 µm et 20 µm. Elle fait également valoir que, s’il y a effectivement contrefaçon, le brevet 576 est invalide.

 

Le fardeau de la preuve

[8]               Le paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P‑4 prévoit qu’un brevet délivré est présumé valide « sauf preuve contraire ». Dans une instance engagée sous le régime du Règlement sur les MBAC, si des éléments de preuve au dossier, à supposer qu’ils soient admis, permettent d’établir l’invalidité du brevet, il incombe à la demanderesse de déterminer, selon la prépondérance des probabilités (la norme civile), que les allégations d’invalidité ne sont pas fondées : Abbott Laboratories c Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 153. Le dossier en l’espèce contient ces éléments de preuve; par conséquent, la question que la Cour doit trancher consiste à savoir si Fournier a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que toutes les allégations soulevées par Sandoz étaient non fondées.

 

Le médicament et le brevet 576

[9]               On sait que le fénofibrate réduit le taux de mauvais cholestérol dans le sang et le risque de crise cardiaque; toutefois, le médicament pose deux problèmes cruciaux. Premièrement, il est presque insoluble dans l’eau. Par conséquent, le patient doit prendre de fortes doses pour qu’une quantité efficace de fénofibrate puisse se retrouver dans la circulation sanguine. Le brevet 567 vise le problème de la dissolution et de la biodisponibilité du fénofibrate. Deuxièmement, les propriétés pharmacocinétiques (absorption et distribution) du fénofibrate varient selon que le patient prend le médicament à jeun ou non. Le fénofibrate est mieux absorbé lorsqu’il est administré avec de la nourriture, en particulier avec des aliments gras. M. Mayersohn a qualifié de « diabolique » le fait qu’on demande au patient de prendre du fénofibrate avec des aliments gras alors qu’il doit au contraire éviter ce type d’aliments puisqu’il suit un régime pauvre en cholestérol. Le brevet 054 concerne le problème de la bioéquivalence à jeun ou avec prise de nourriture.

 

[10]           Dans le mémoire descriptif, l’objet du brevet 576 est décrit comme suit :

La présente invention a pour objet une nouvelle composition pharmaceutique présentant une biodisponibilité élevée de par une dissolution supérieure et son procédé de préparation.

 

[11]           Le brevet 576 contient à la fois des revendications relatives à la formulation (revendications 1 à 28) et des revendications relatives au procédé (revendications 29 et 30). La présente demande de Fournier ne porte pas sur les revendications liées au procédé.

 

Le brevet 576

[12]           Fournier affirme que le comprimé de Sandoz contrefait deux séries de revendications distinctes, que les parties désignent comme la « revendication 27A » et la « revendication 27B ». La revendication 27A correspond à la revendication 27 lorsqu’elle est lue avec les revendications 1 à 6, 14 à 16, 19, 21, 23 et 24. La revendication 27B correspond à la revendication 27 lorsqu’elle est lue avec les revendications 1 à 6, 14 à 16, 19 et 21 à 24. Les revendications pertinentes tirées du brevet 576 sont reproduites à l’annexe A.

 

[13]           Dans son mémoire des faits et du droit, Fournier décrit ces deux séries de revendications, que je reproduis ci‑après avec de légères modifications :

Revendication 27A

a) Une composition de fénofibrate à libération immédiate;

b) sous forme de comprimé;

c) comprenant un support inerte hydrosoluble qui est du lactose présentant une dimension particulaire unitaire comprise entre 100 et 400 microns;

d) et du fénofibrate sous forme micronisée ayant une dimension particulaire inférieure ou égale à 10 μm;

e) dans laquelle le fénofibrate représente de 20 à 45 % en poids;

f) comprenant de plus un polymère hydrophile choisi parmi la polyvinylpyrrolidone, le poly (alcool de vinyle), l’hydroxypropylcellulose, l’hydroxyméthylcellulose, l’hydroxypropylméthylcellulose, la gélatine et leurs mélanges;

g) comprenant de plus un tensio‑actif, soit du laurylsulfate de sodium qui représente de 0,1 à 3 % en poids;

h) présentant une dissolution d’au moins 10 % en 5 minutes, 20 % en 10 minutes, 50 % en 20 minutes et 75 % en 30 minutes, telle que mesurée conformément à la méthode de la palette tournante à 75 t/min selon la Pharmacopée européenne, dans un milieu de dissolution constitué d’eau avec 2 % en poids de polysorbate 80 ou 0,025 M de laurylsulfate de sodium.

 

Revendication 27B

La revendication 27B contient tous les éléments de la revendication 27A en plus de la restriction supplémentaire figurant à la revendication 22, qui exige que le fénofibrate et le tensio‑actif soient co‑micronisés.

 

LA PREUVE

[14]           La présentation de la preuve a été partiellement inversée : Fournier a d’abord produit sa preuve sur la contrefaçon et sa preuve factuelle sur l’invalidité. Sandoz a ensuite soumis l’ensemble de sa preuve relative à la demande, puis Fournier a produit en réponse sa preuve d’expert sur l’invalidité.

 

[15]           Fournier a déposé deux affidavits, souscrits par l’expert qu’elle a proposé, M. Fernando Muzzio : le premier concerne la question de la contrefaçon et le second, les questions qui touchent à l’invalidité. Elle a également déposé l’affidavit ayant trait à l’invalidité souscrit par l’experte qu’elle a proposée, Mme Elizabeth Vadas. Sandoz a déposé les affidavits souscrits par les experts qu’elle a proposés : MM. Joseph Bogardus, Eugene Cooper et David Fairhurst. Elle a également déposé les affidavits d’Alexandra Blin‑Rogierie et de Valérie Baubet concernant les essais de dissolution effectués sur le Lipanthyl 200M, de Catherine Herry au sujet des essais de dissolution effectués sur les compositions prétendument visées par le brevet 576, et de Vincent Cailly‑Dufestel sur la granulométrie du fénofibrate dans le comprimé de Sandoz. Elle a enfin déposé l’affidavit de Deborah Zak, technicienne juridique, auquel elle a joint en pièces les antériorités qu’elle a citées dans son avis d’allégation ainsi que divers autres documents.

 

Personne versée dans l’art

[16]           Identifier la personne versée dans l’art revient à définir la personne ou le groupe de personnes à qui le brevet est destiné. Cette personne peut donc apporter son assistance à la Cour, qui est peu susceptible de bien connaître le domaine auquel se rapporte le brevet. Cependant, cette assistance est limitée, comme le faisait remarquer le juge Hughes dans la décision Merck & Co c Pharamscience Inc, 2010 CF 510, au paragraphe 70 :

Les experts peuvent aider la Cour de deux manières : premièrement, ils peuvent la renseigner sur les connaissances que la personne versée dans l’art aurait possédées à l’époque pertinente, de manière à ce que ces connaissances soutiennent la lecture à la fois de la description et des revendications; deuxièmement, l’expert peut aider à expliquer les termes techniques qui ne font pas partie de l’expérience que la Cour est censée posséder.

 

[17]           L’expert de Fournier, M. Fernando Muzzio, atteste que la personne versée dans l’art [traduction] « aurait un doctorat en sciences pharmaceutiques ainsi qu’une à trois années d’expérience dans le domaine de la formulation de produits pharmaceutiques. Subsidiairement, cette personne pourrait avoir une maîtrise en sciences pharmaceutiques et cinq à sept années d’expérience dans le domaine en question ». Cette description de la personne versée dans l’art en l’espèce n’est pas bien différente de celle qu’ont proposée les experts de Sandoz, et j’accepte qu’il s’agit là de l’énoncé des qualités de la personne versée dans l’art, exactement comme dans le dossier T‑1184‑10.

 

            Témoignage d’expert déposé par Fournier

                        M. Fernando Muzzio (sur la contrefaçon)

[18]           M. Muzzio est titulaire d’un baccalauréat en génie chimique de l’Université de Mar del Plata, en Argentine, et d’un doctorat en génie chimique de l’Université du Massachusetts. Il est professeur de génie chimique de niveau II à l’Université Rutgers et donne un cours intitulé Opérations unitaires pharmaceutiques, qui comprend des conférences sur la réduction de la taille des particules et le broyage. Il dirige une équipe d’environ 130 personnes au National Science Foundation Engineering Research Center (NSFERC), où il supervise des projets portant, en partie, sur la stabilisation nanoparticulaire des produits pharmaceutiques. Dans le cadre du programme de mentorat en industrie du NSFERC, il interagit et collabore étroitement avec 120 autres représentants. Il est également directeur du programme national de formation en sciences, génie et recherche dans le domaine du génie nanopharmaceutique à l’Université Rutgers. M. Muzzio donne également des cours à l’intention de l’industrie et des organismes de réglementation comme la Food and Drug Administration américaine, en plus d’être l’auteur d’environ 200 articles et chapitres d’ouvrages scientifiques évalués par les pairs sur des sujets portant notamment sur les principes élémentaires du mélange des poudres, ainsi que sur le mélange et la ségrégation des poudres dans des mélangeurs à tambour.

 

[19]           Dans son affidavit sur la contrefaçon, M. Muzzio mentionne que l’allégation de Sandoz selon laquelle le comprimé de Sandoz ne contreferait aucune des revendications du brevet 576 est erronée. L’allégation de Sandoz concernant l’absence de contrefaçon de la revendication 1, la seule revendication indépendante, repose sur la prétention de Sandoz que ses comprimés ne contiennent pas de fénofibrate sous forme micronisée dont la totalité ou la quasi‑totalité des particules a une taille inférieure ou égale à environ 20 µm et supérieure à 1 µm.

 

[20]           M. Muzzio ne partage pas l’opinion de Sandoz selon laquelle la personne versée dans l’art comprendrait que dans le brevet 576, la granulométrie du fénofibrate comporte une limite inférieure. À son sens, la personne versée dans l’art comprendrait que la composition de la revendication 1 doit inclure, sans toutefois s’y limiter, du fénofibrate ayant une granulométrie inférieure ou égale à environ 20 µm. Selon lui, s’il fallait interpréter une limite inférieure dans le brevet 576, ce serait 0,1 µm et non 1 µm. Toute valeur supérieure à 0,1 µm en 1998 était mesurée en microns et, ajoute‑t‑il, il ne connaissait même pas, en 1998, le terme « nanobroyage » employé par Sandoz.

 

[21]           […]

[…]

[…]

[…]

[…]

[…].

 

[22]           […]

[…]

[…]

[…]

[…]

[…].

 

[23]           M. Muzzio fait valoir que la seule allégation avancée par Sandoz pour établir qu’elle ne contrefait pas la revendication 22 est que le fénofibrate contenu dans ses comprimés n’est pas co‑micronisé. Il n’est pas d’accord avec cette affirmation […]

[…].

 

[24]           […]

[…]

[…]

[…].

 

                        M. Fernando Muzzio (sur la validité)

[25]           M. Muzzio donne un aperçu du brevet 576 et indique que, selon lui, l’idée originale réside dans le fait que [traduction] « le profil de dissolution revendiqué dans le brevet 576 peut être réalisé par les compositions de fénofibrate revendiquées dans lesquelles le fénofibrate micronisé adhère au support inerte hydrosoluble et peut être préparé par un procédé d’enrobage par pulvérisation comme il est décrit dans le brevet 576 ou par d’autres méthodes connues de la personne versée dans l’art ».

 

[26]           M. Muzzio n’est pas d’accord avec M. Bogardus lorsque celui déclare que l’utilité promise est un profil de dissolution et une biodisponibilité supérieurs à ceux de Lipanthyl 200M, l’antériorité. Premièrement, il mentionne que la personne versée dans l’art comprendrait que « l’amélioration » dont fait état le brevet 576 concerne le profil de dissolution revendiqué et non une formulation de Lipanthyl en particulier. Il explique que la personne versée dans l’art saurait que des produits offerts dans le commerce, comme Lipanthyl 200M, pourraient changer au fil du temps de manière que leur profil de dissolution soit modifié. Deuxièmement, il invoque les quatre raisons ci‑après pour expliquer que la personne versée dans l’art n’interpréterait pas la biodisponibilité accrue comme une promesse :

a)      Les revendications, telles qu’elles sont formulées, visent un profil de dissolution précis et comprennent un protocole d’essai pour mesurer la dissolution; elles ne font pas référence à la biodisponibilité.

 

b)      Les inventeurs décrivent le profil de dissolution revendiqué comme un aspect de leur invention, tel qu’il est revendiqué, sans référence à la biodisponibilité.

 

c)      Les inventeurs déclarent qu’un « objet » de l’invention est « une biodisponibilité élevée de par une dissolution supérieure ». Il n’y a aucune promesse de biodisponibilité accrue par rapport à chaque formulation de Lipanthyl 200M.

 

d)     Comme dans le cas du profil de dissolution, la personne versée dans l’art saurait que des produits offerts dans le commerce, comme Lipanthyl 200M, peuvent, et c’est souvent le cas, changer au fil du temps et qu’un tel changement peut altérer le profil pharmacocinétique, notamment la biodisponibilité. Par conséquent, il serait illogique de supposer que les inventeurs prétendaient promettre une biodisponibilité accrue relativement à toute formulation de Lipanthyl 200M sachant comme ils le devaient – tout comme la personne versée dans l’art le saurait – que ces formulations peuvent changer. [Renvois omis.]

 

[27]           Selon M. Muzzio, aucun des dix documents considérés comme des antériorités ne divulgue l’ensemble des éléments de la revendication 27A ou de la revendication 27B. Plus précisément, aucun de ces documents ne divulgue que le fénofibrate adhère au support inerte hydrosoluble décrit dans le brevet 576. En outre, ces documents n’indiquent pas que la formulation de fénofibrate découle d’un procédé de pulvérisation sur support hydrosoluble ni que le fénofibrate se situe dans une fourchette de 20 à 45 % en poids. Enfin, il explique que le seul document faisant référence à la co‑micronisation d’un tensio‑actif avec le fénofibrate ne contient aucune divulgation sur l’adhérence.

 

[28]           En réponse aux allégations relatives à l’évidence, M. Muzzio atteste que l’idée originale, comme il l’a décrite, n’aurait pas été évidente en soi pour la personne versée dans l’art avant d’effectuer le travail nécessaire pour réaliser l’invention. Plus précisément, il atteste que la personne versée dans l’art n’aurait pas su que le profil de dissolution revendiqué dans la revendication 27A et la revendication 27B aurait pu être obtenu [traduction] « en faisant adhérer le fénofibrate à un support inerte hydrosoluble ».

 

[29]           En ce qui concerne l’inutilité, M. Muzzio affirme qu’aucun essai ne prouve que les comprimés décrits dans les revendications 27A et 27B n’atteignent pas le profil de dissolution revendiqué. D’après lui, les inventeurs ne promettent pas une biodisponibilité accrue, mais il mentionne que cela est démontré lorsqu’on applique le brevet 576.

 

[30]           Il ajoute que l’invention ne contrevient pas à la règle de la prédiction valable. Il mentionne que la personne versée dans l’art aurait prédit que les comprimés revendiqués dans le brevet 576 atteindraient le profil de dissolution indiqué. Les revendications n’ont pas une portée plus large que l’invention réalisée ou divulguée, et aucune expérimentation excessive ne serait nécessaire pour réaliser l’invention.

 

                        Mme Elizabeth Vadas

[31]           Mme Vadas est titulaire d’un doctorat en chimie physique de l’Université McGill, où elle a également obtenu une bourse de perfectionnement postdoctoral. Pendant 20 ans, elle a occupé le poste de directrice exécutive, Recherche et développement pharmaceutiques, chez Merck et Co., Inc. En 2002, elle a fondé sa propre société d’experts‑conseils. Mme Vadas a axé une bonne partie de sa carrière sur les propriétés pharmacocinétiques et l’amélioration de la biodisponibilité des médicaments peu solubles dans l’eau par l’amélioration des caractéristiques de dissolution d’une formulation.

 

[32]           Après avoir examiné le brevet 576, Mme Vadas explique que les compositions mises à l’essai dans les exemples 1 et 2 révèlent une vitesse de dissolution accrue par rapport au médicament LIPANTHYL 200 M. Elle ajoute que, lorsqu’on inclut l’exemple 3, les inventeurs ont aussi démontré une biodisponibilité accrue par rapport à LIPANTHYL 200 M et à Secalip 100. Elle ne partage pas le point de vue de M. Bogardus selon lequel les inventeurs ne pouvaient pas prédire de façon valable ce qu’ils revendiquaient. Selon elle, le brevet 576 est fondé sur un raisonnement valable.

 

[33]           Mme Vadas déclare qu’aucun des rapports d’Ethypharm mentionnés par M. Bogardus n’indique qu’on a atteint la dissolution ou la biodisponibilité accrue indiquées dans les revendications 27A ou 27B.

 

Témoignage d’expert déposé par Sandoz

M. Joseph Bogardus

[34]           Depuis plus de 30 ans, M. Bogardus travaille dans l’industrie pharmaceutique et dans le domaine de la consultation à la conception et à l’évaluation de produits pharmaceutiques. Il est titulaire d’un baccalauréat en sciences de l’Université du Kentucky ainsi que d’une maîtrise et d’un doctorat en chimie pharmaceutique de l’Université du Kansas.

 

[35]           En se basant sur les connaissances générales courantes de 1997, M. Bogardus déclare que la personne versée dans l’art comprendrait que les inventeurs du brevet 576 promettaient un profil de dissolution et une biodisponibilité améliorés comparativement à ceux de Lipanthyl 200 M, la composition existante. Il passe en revue les revendications et souligne que les revendications 1 et 2 englobent un profil de dissolution très large. Il explique que n’importe quel profil de dissolution plus rapide que le profil revendiqué serait visé par le brevet 576.

 

[36]           Il est d’avis que les compositions revendiquées n’offrent pas la biodisponibilité et le profil de dissolution promis. Il fait référence à deux rapports d’Ethypharm dans lesquels une composition, revendiquée selon lui par le brevet 576, n’a pas réalisé le profil de dissolution souhaité. Il ajoute que l’utilité promise n’est pas prévisible pour les raisons suivantes : 1) la gamme de polymères visés est trop vaste; 2) il n’y a aucune indication quant à la quantité de polymères requis dans la composition; 3) il n’y a aucune explication concernant le procédé de préparation des polymères; et 4) les profils de dissolution visent un éventail trop large. En outre, M. Bogardus dit que la mise en pratique de l’invention revendiquée nécessiterait une expérimentation excessive puisque la portée des revendications est trop large.

 

[37]           M. Bogardus compare des publications antérieures aux éléments du brevet 576, et il estime que ces antériorités auraient fourni à la personne versée dans l’art suffisamment de renseignements pour préparer les compositions pharmaceutiques visées par les revendications du brevet 576. À son avis, les différences entre l’art antérieur et le brevet 576 auraient été évidentes.

 

[38]           M. Bogardus n’est pas d’accord avec la déclaration de M. Muzzio selon laquelle les inventeurs n’avaient pas l’intention de fixer une limite inférieure pour la granulométrie du fénofibrate micronisé. À son avis, s’ils n’avaient pas eu l’intention d’établir une limite inférieure, ils n’auraient pas employé le terme « micronisé ». Il insiste sur le fait que Sandoz ne « co‑micronise » pas le fénofibrate contenu dans ses comprimés. Il dit plutôt que le fénofibrate présent dans les comprimés de Sandoz est micronisé avant d’être mélangé avec le tensio‑actif.

 

                        M. Eugene R. Cooper

[39]           M. Cooper est titulaire d’un baccalauréat en physique, chimie et mathématiques de l’Austin College. Il détient également un doctorat en chimie physique et théorique de l’Université d’État de l’Iowa. Il a travaillé à divers projets de recherche et de développement, et est maintenant expert‑conseil auprès de l’industrie pharmaceutique sur des questions générales relatives à la libération de médicaments.

 

[40]           Selon M. Cooper, la personne versée dans l’art comprendrait que l’expression « forme micronisée » mentionnée dans le brevet 576 signifie que les particules de fénofibrate ont une granulométrie D50 située entre 3 µm et environ 20 µm. Il ajoute que les inventeurs du brevet 576 n’ont donné aucune explication sur la façon dont a été établie la limite du profil de dissolution présenté à la revendication 1. À son avis, la personne versée dans l’art comprendrait que le profil de dissolution de la revendication 1 était légèrement meilleur que celui de l’art antérieur, à savoir Lipanthyl 200 M.

 

[41]           M. Cooper passe en revue le brevet européen 256,993 (brevet européen 993), le brevet américain 5,145,684 (brevet américain 684), le brevet américain 5,510,118 (brevet américain 118), le brevet américain 4,721,709 (brevet américain 709) et le brevet américain 4,895,726 (brevet américain 726). Selon lui, chacun de ces brevets aurait fourni à la personne versée dans l’art suffisamment de renseignements pour lui permettre de fabriquer une composition visée par les revendications du brevet 576.

 

[42]           À son avis, la seule différence entre les connaissances générales courantes et le brevet 576 était le profil de dissolution « légèrement » meilleur et, d’après lui, cet élément n’avait rien d’inventif.

 

                        M. David Fairhurst

[43]           M. Fairhurst occupe un poste émérite dans le cadre d’une bourse de recherche en entreprise à Particle Sciences Inc. Depuis 50 ans, il travaille à la théorie et à l’application pratique de la chimie des colloïdes et de la chimie de surface ainsi que des technologies de dispersion/d’émulsion. Il est titulaire d’un baccalauréat ès sciences en chimie appliquée et d’un doctorat en chimie physique de l’École polytechnique de Liverpool.

 

[44]           M. Fairhurst explique que la personne versée dans l’art [traduction] « aurait compris que l’expression “fénofibrate sous forme micronisée” employée dans les revendications du brevet 576 renvoie au fénofibrate dans lequel la totalité ou la quasi‑totalité du composé possède une granulométrie supérieure à 1 micron (c.‑à‑d. des particules dont la taille moyenne est de quelques microns ou plus) ». Il ajoute que, pour la personne versée dans l’art, les revendications du brevet 576 ne viseraient pas une formulation ayant un nombre relativement faible de particules micronisées parce qu’elle n’offrirait pas les avantages de l’invention.

 

[45]           M. Fairhurst examine la déclaration suivante de M. Muzzio : [traduction] « même aujourd’hui, le terme “micronisé” n’est pas employé pour sous‑entendre une taille limite inférieure équivalente à un micron, et ne l’a jamais été ». Il souligne que la brochure utilisée par M. Muzzio pour étayer sa déclaration ne montre qu’un exemple dans lequel la taille des particules est réduite jusqu’à une valeur inférieure à 1 µm. De plus, en admettant que l’efficacité du procédé de « broyage à jet » utilisé dans la brochure s’est améliorée depuis les 15 dernières années, M. Fairhurst cite un article paru en 1996 dans le lequel le « broyage à jet » ne pouvait réduire la taille des particules qu’à une valeur équivalant à « quelques microns ».

 

Preuve d’expert additionnelle

[46]           Comme dans le dossier T‑1184‑10, la présente demande soulève une question importante quant à la taille des particules de fénofibrate contenues dans le comprimé de Sandoz. Quelques jours avant l’audition de ces demandes, Fournier a sollicité une ordonnance qui autoriserait le renvoi à certains affidavits et transcriptions de contre‑interrogatoires se rapportant aux dossiers de la Cour T‑1184‑10 et T‑991‑10, au motif que la preuve déposée par Sandoz dans ces deux demandes au sujet de la taille des particules de fénofibrate de ses comprimés était contradictoire, et qu’il était dans l’intérêt de la justice que l’ensemble de cette preuve soit soumise au juge chargé d’instruire les demandes dans les deux dossiers.

 

[47]           Sandoz s’est opposée à la requête, faisant valoir, d’une part, que la preuve n’était pas contradictoire et, d’autre part, qu’elle subirait un préjudice parce qu’elle n’avait pas eu la possibilité de déposer une preuve d’expert qui aurait aidé la Cour à établir si la preuve était effectivement contradictoire.

 

[48]           J’ai fait droit à la requête pour les motifs suivants :

[traduction] [I]l est dans l’intérêt de la justice que la Cour dispose de l’ensemble de la preuve pertinente et qu’on évite que des conclusions de fait contradictoires l’emportent sur tous les préjudices du type invoqué par Sandoz. Par ailleurs, il n’est pas certain que le genre de preuve d’expert qu’elle affirme vouloir déposer soit nécessaire ou utile à la Cour pour évaluer ce qui constitue des déclarations de fait de la part des divers témoins experts.

 

[49]           La question de savoir si la preuve était effectivement contradictoire devait être tranchée dans le cadre de la décision sur le fond relative à chaque demande, le cas échéant.

 

[50]           Les parties de l’ordonnance pertinentes au regard de la présente demande sont les paragraphes 5 et 6, qui prévoient :

[traduction]

5.         Les parties de l’affidavit de M. Muzzio daté du 23 février 2011, dans le dossier de la Cour T‑1184‑10, relatives à la taille des particules ainsi que les parties de la transcription de son contre‑interrogatoire sur le même sujet sont intégrées au dossier de la Cour T‑991‑10.

6.         Les parties des affidavits de MM. LeClair, Serajuddin, Ruddy et Christoph Heinemann, souscrits le 16 juin 2012, dans le dossier de la Cour T‑1184‑10, relatives à la taille des particules, ainsi qu’une partie des transcriptions de leurs contre‑interrogatoires sur le même sujet sont intégrées au dossier de la Cour T‑991‑10.

 

[51]           La preuve exposée dans ces documents et son éventuelle pertinence au regard de la présente demande seront abordées plus loin.

 

Contestations des avis d’experts

[52]           Fournier et Sandoz se sont plaintes toutes les deux des experts proposés par la partie adverse et ont présenté des observations sur l’admissibilité de cette preuve et le poids qu’il convenait de lui accorder, le cas échéant.

 

[53]           Aux paragraphes 6 et 7 de son mémoire des faits et du droit, Fournier demande à la Cour d’aborder avec circonspection la preuve des experts présentée par Sandoz :

[traduction]

Les experts de Sandoz n’ont pas reçu de directives juridiques adéquates et ont livré des témoignages contradictoires sur des questions importantes. Fournier a de sérieuses réserves quant à leurs compétences et leur preuve, et soutient que cette preuve ne devrait se voir accorder que peu de poids. En voici quelques‑unes :

 

a) M. Bogardus n’a jamais travaillé sur les préparations de fénofibrate ni effectué d’essai sur la biodisponibilité, et il n’a pas l’expertise nécessaire pour émettre un avis sur la micronisation;

 

b) lorsque son témoignage sur la biodisponibilité a été mis en doute, M. Cooper a voulu déraisonnablement se camper sur ses positions malgré les concessions évidentes de son collègue expert, M. Bogardus;

 

c) M. Fairhurst n’a aucune expérience dans l’élaboration de préparations destinées à une administration orale.

 

De plus, Sandoz a empêché Fournier de mener des contre‑interrogatoires poussés sur ces affidavits [renvois omis].

 

 

[54]           Pour sa part, Sandoz conteste la preuve fournie par les experts de Fournier, M. Muzzio et Mme Vadas, aux paragraphes 12 et 13 de son mémoire des faits et du droit :

[traduction]

La preuve principale de Mme Vadas ne devrait se voir accorder que peu de poids. L’avocat de Fournier a formulé plusieurs objections contre des questions pertinentes du contre‑interrogatoire. De plus, cette experte s’est faite volontiers la défenseure de Fournier. Par exemple, elle a personnellement attaqué M. Henry en le traitant de « très stupide ou malhonnête ».

 

Sandoz conteste vigoureusement les compétences et l’expertise de M. Muzzio. La preuve établit qu’à la date pertinente, il n’avait pas les compétences d’une [personne versée dans l’art] telles qu’il les a lui‑même définies. De plus, il n’est pas un expert en biodisponibilité. M. Muzzio s’est comporté comme un défenseur de Fournier. Ses réponses à des questions simples n’étaient ni directes ni compréhensibles, et étaient même absurdes lorsqu’il s’efforçait de ne pas se contredire directement. Sandoz n’a pas pu terminer le contre‑interrogatoire de M. Muzzio : sa preuve principale ne devrait mériter que peu ou pas de poids [renvois omis].

 

[55]           Peu avant que cette demande ne soit entendue, Sandoz a introduit une requête pour que soit supprimés du dossier de demande relatif à la présente instance les affidavits de M. Muzzio au motif que ce dernier s’était montré peu réceptif et prolixe, et parce que la défenderesse n’a pas pu terminer le contre‑interrogatoire bien qu’un délai supplémentaire lui ait été accordé. J’ai rejeté cette requête et ai fourni les brefs motifs suivants à l’appui :

[traduction]

Je reconnais que les réponses de M. Muzzio aux questions posées n’étaient ni succinctes ni directes. C’était, comme l’a indiqué l’avocat, un témoin difficile. Cependant, on le savait déjà avant que l’ordonnance du protonotaire, qui a finalement été rendue avec le consentement des personnes intéressées, et qui lui enjoignait de comparaître à nouveau pour trois heures de plus et contenait une disposition qui prévoyait ceci, si le contre‑interrogatoire n’était pas alors complété : « l’avocat tiendra compte du temps dont le témoin a besoin pour fournir des réponses, eu égard à la nature et à la portée de la question posée, pour déterminer si du temps additionnel lui sera alloué pour terminer le contre‑interrogatoire ».

 

Il ressort clairement de l’ordonnance que l’avocat de Sandoz a envisagé la possibilité que le contre‑interrogatoire ne soit pas terminé même après trois heures. Je ne crois pas, selon la prépondérance des probabilités, que le refus des demanderesses d’accorder du temps additionnel pour le contre‑interrogatoire était une décision arbitraire ou de mauvaise foi. J’estime que ce refus n’allait pas à l’encontre de l’ordonnance du protonotaire. On aurait pu alors faire valoir que Sandoz n’a pas eu trois heures entières pour contre‑interroger activement le témoin, en raison des pauses, mais cet argument n’a pas été soulevé par l’avocat ni à ce moment‑là ni par la suite, et il est injuste de l’invoquer à présent à la dernière minute alors que l’avocat des demanderesses n’est pas en mesure de corriger ce manquement, s’il y en a eu un.

 

 

[56]           La prétention voulant que Mme Vadas, une experte présentée par Fournier, ait plaidé le point de vue de Fournier me semble inappropriée et injuste. J’ai examiné la transcription de son contre‑interrogatoire. Sa preuve appuyait certainement la position de Fournier et non celle de Sandoz, et il ne fait aucun doute qu’elle a fermement maintenu son point de vue. Cela ne fait pas d’elle une défenseure de la partie dont la position est étayée par sa preuve. Par ailleurs,  comme l’exige l’article 52.2 des Règles des Cours fédérales, elle a fourni un affidavit attestant qu’elle avait lu le Code de déontologie régissant les témoins experts et qu’elle acceptait de s’y conformer. Les articles 1 et 2 de ce Code prévoient :

1. Le témoin expert désigné pour produire un rapport qui sera présenté en preuve ou pour témoigner dans une instance a l’obligation primordiale d’aider la Cour avec impartialité quant aux questions qui relèvent de son domaine de compétence.

 

2. Cette obligation l’emporte sur toute autre qu’il a envers une partie à l’instance notamment envers la personne qui retient ses services. Le témoin expert se doit d’être indépendant et objectif. Il ne doit pas plaider le point de vue d’une partie. [Non souligné dans l’original.]

 

[57]           Pour ces motifs, je rejette la prétention selon laquelle sa preuve ne doit recevoir que peu de poids parce qu’elle était une défenseure de la partie qui l’a présentée comme témoin. Sa preuve, comme toute preuve, doit être soupesée et considérée dans le contexte de l’ensemble de l’affaire, des autres preuves et des observations des parties.

 

[58]           À une exception près, toutes les autres contestations formulées par les parties concernent le poids à accorder au témoignage de l’expert.

 

[59]           La prétention de Sandoz selon laquelle M. Muzzio ne possède pas les compétences de la personne versée dans l’art, telles qu’il les a lui‑même définies, est fondée. Il ne prétend pas les détenir; dans son affidavit souscrit le 21 février 2011; il déclare plutôt à propos de la personne versée dans l’art : [traduction] « J’ai travaillé avec de nombreuses personnes qui possèdent ces compétences et peux parler de ce qu’elles comprennent de ce domaine scientifique et de leurs aptitudes. » Une partie de la preuve de M. Muzzio devrait être plus exactement qualifiée de [traduction] « ouï‑dire scientifique », dans la mesure où il s’agit de la preuve d’un témoin scientifique n’ayant pas la formation requise et offrant un avis sur ce que des scientifiques compétents peuvent comprendre d’un brevet qui leur est destiné. En poussant à l’extrême, ce serait comme si un physicien déclarait qu’il a travaillé avec des biologistes et des chimistes et qu’il peut donc parler de ce qu’ils comprennent d’un document qui leur est destiné. La preuve fournie par ce physicien ne se verrait accorder que peu de poids.

 

[60]           Le cas de M. Muzzio n’est pas aussi exagéré que cet exemple. Ses études et son expertise sont pertinentes, et je ne suis par conséquent pas disposé à radier tout simplement son affidavit. En tant qu’ingénieur chimique, il peut notamment s’exprimer sur le sens de certains des termes utilisés dans le brevet 576 et aider la Cour à comprendre la chimie de base et les préparations pertinentes au regard de l’invention. Cependant, si sa preuve est incompatible avec celle des experts de Sandoz, ou qu’elle n’est pas étayée par celle d’un autre expert ou une autre preuve scientifique fournie par un expert dans le domaine, j’accorderai préséance à ces preuves étant donné que Fournier n’a pas contesté les compétences ou la qualité d’expert des témoins de son adversaire et que ceux-ci satisfaisaient à la définition de la personne versée dans l’art.

 

L’INTERPRÉTATION DU BREVET 576

[61]           Quelle est l’invention visée par le brevet 576? Dans l’arrêt Whirlpool Corp c Camco Inc., 2000 CSC 67, au paragraphe 45, la Cour suprême a indiqué que les revendications du brevet doivent être interprétées au regard de leur objet, l’essentiel étant « l’identification par la Cour, à l’aide du lecteur versé dans l’art, des mots ou des expressions particuliers qui sont utilisés dans les revendications pour décrire ce qui, selon l’inventeur, constituait des éléments “essentiels” de son invention ». L’interprétation de revendications est une question de droit : Bristol‑Myers Squibb Co c Apotex Inc, 2007 CAF 379, paragraphe 27. L’approche téléologique doit être adoptée lorsqu’on interprète le brevet dans son ensemble. Le but est d’établir ce que l’inventeur estimait avoir inventé, comment cette invention doit être réalisée ou comment utiliser le procédé décrit, comment l’invention doit être employée ou quels sont le résultat du procédé inventé; et ce que l’invention fait.

 

[62]           Les parties ne s’entendent pas sur trois aspects des revendications et de leur interprétation :

a.       la question de savoir si l’expression « ayant une dimension particulaire inférieure ou égale à environ 20 µm » figurant dans la revendication 1 signifie que la particule possède une taille minimale et maximale;

 

b.      la question de savoir si l’expression « composition de fénofibrate à libération immédiate comprenant un support inerte hydrosoluble et du fénofibrate sous forme micronisée » figurant dans la revendication 1 signifie que le fénofibrate adhère au support inerte hydrosoluble;

 

c.       la question de savoir si le terme « co‑micronisés » employé dans la revendication 22 signifie que le fénofibrate et le tensio‑actif sont micronisés ensemble ou qu’ils sont micronisés individuellement et non ensemble.

 

Granulométrie

[63]           Deux questions d’interprétation doivent être tranchées relativement à la taille des particules. La première concerne le sens de l’expression « sous forme micronisée » et la seconde, le sens de l’expression « composition […] ayant une dimension particulaire inférieure ou égale à […] ».

 

[64]           Fournier soutient que, lorsqu’on l’interprète correctement, le brevet 576 impose une limite supérieure pour la taille des particules de fénofibrate « à environ 20 µm », mais aucune limite inférieure. Sandoz prétend que [traduction] « en 1997 ou 1998, on aurait compris que le terme “micronisé” renvoyait au procédé visant à réduire la taille des particules de fénofibrate pour atteindre une granulométrie où la totalité ou la quasi‑totalité des particules ont une taille supérieure à 1 µm ». Elle présente six motifs sur lesquels repose cet argument :

                                 (i)   le brevet américain 726, qui est l’équivalent du brevet 576, concerne des poudres co‑micronisées ayant une granulométrie médiane de 3 µm et de 6 ou 7 µm;

 

                               (ii)   les limites de détection du compteur Coulter servant à mesurer la taille des particules étaient de 1 à 120 µm;

 

                             (iii)   les publications que la personne versée dans l’art connaîtrait bien ont défini le terme « micronisé » comme suit : [traduction] « réduire en vue d’obtenir des particules dont le diamètre ne mesure que quelques microns »;

 

                             (iv)   dans les années 1990, l’appareil le plus couramment utilisé pour microniser des poudres réduisait la taille des particules à 1 µm et plus;

 

                               (v)   la micronisation standard des produits pharmaceutiques oraux n’était pas un procédé acceptable pour fabriquer des particules dont la taille était de l’ordre des nanomètres;

 

                             (vi)   les particules de moins de 1 µm possèdent des propriétés différentes qui les rendent difficiles à manipuler.

 

[65]           Ces arguments et le témoignage des experts de Sandoz sur le sens du terme « micronisé » me paraissent inutiles dans le contexte du brevet 576 parce qu’ils portent sur la définition du mot « micronisé » dans l’expression « sous une forme micronisée » figurant dans la revendication 1, alors que cette expression est expressément définie ailleurs dans le brevet. À la page 6 du mémoire descriptif, les inventeurs établissent un certain nombre de définitions. Dans le contexte de la présente analyse, ils écrivent ceci : [traduction] « On entend, dans le cadre de la présente invention, par l’expression “sous forme micronisée” une substance se trouvant sous une forme particulaire, la dimension des particules étant inférieure ou égale à environ 20 µm. » Voici ce qu’on obtient dans la partie pertinente lorsqu’on remplace cette expression définitionnelle dans la revendication 1 : « Composition de fénofibrate à libération immédiate comprenant un support inerte hydrosoluble et du fénofibrate sous une forme particulaire, la dimension des particules étant inférieure ou égale à environ 20 µm. » On constatera que l’accent est maintenant mis sur l’expression « sous une forme particulaire » et qu’il n’est nullement fait mention du terme « micronisée ».

 

[66]           Aucun des experts ne fait allusion à cette définition dans son témoignage. À mon avis, lorsqu’un inventeur donne la définition précise d’une expression utilisée dans le brevet, cette définition doit être le principal facteur à considérer pour interpréter l’expression et non le sens pouvant être attribué ou non à un mot particulier dans l’expression ainsi définie.

 

[67]           Rien dans la preuve soumise à la Cour n’indique qu’une substance sous une forme particulaire serait perçue comme ayant une taille supérieure à 1 µm. En fait, selon le témoignage des experts lorsqu’ils parlent de nanoparticules, il est évident que les substances sous forme particulaire comprendraient une poudre composée de particules dont la taille serait de l’ordre des nanomètres. Par conséquent, j’interprète les revendications 1 et 2 comme n’incluant aucune limite inférieure.

 

[68]           Les parties souscrivent pour l’essentiel au sens de l’expression « composition […] ayant une dimension particulaire inférieure ou égale à […] ». D’après les experts de Fournier et de Sandoz, cela signifie que [traduction] « la quasi‑totalité des particules » se situe en‑dessous de la taille indiquée. Dans la revendication, cela veut dire que la taille de la quasi‑totalité des particules de fénofibrate dans la composition est inférieure ou égale à 20 µm. Dans le cas de la revendication 2, la taille de la quasi‑totalité des particules de fénofibrate contenues dans la composition est inférieure ou égale à 10 µm.

 

            Adhérence

[69]           Selon M. Muzzio, il est évident que les inventeurs prétendent avoir amélioré le profil de dissolution [traduction] « en faisant adhérer du fénofibrate sur un support inerte hydrosoluble, par exemple en utilisant un procédé qu’il convient de qualifier d’“enrobage par pulvérisation”, par opposition à un simple mélange de fénofibrate et d’un support ». Il expose cinq motifs à l’appui.

 

[70]           Premièrement, il souligne qu’à la page 3 du mémoire descriptif du brevet 576, les inventeurs écrivent ceci : « La demanderesse a mis en évidence de façon surprenante qu’il est possible de résoudre ce problème par un nouveau procédé de préparation d’une composition pharmaceutique par pulvérisation d’une suspension du principe actif sur un support inerte hydrosoluble. La présente invention concerne également les compositions pharmaceutiques ainsi préparées. »

 

[71]           Deuxièmement, il fait observer qu’à la page 5 du même document, les inventeurs insistent sur le fait que le support est « recouvert » d’au moins une couche de fénofibrate. « Ainsi, la présente invention fournit une composition de fénofibrate à libération immédiate comprenant : a) un support inerte hydrosoluble recouvert d’au moins une couche contenant du fénofibrate sous forme micronisée avec une taille inférieure à 20 µm. »

 

[72]           Troisièmement, il mentionne que [traduction] « l’emploi du mot “support” lui‑même suppose la formation d’une couche externe autour du support hydrosoluble plus large ».

 

[73]           Quatrièmement, il signale qu’à la page 10 du mémoire descriptif du brevet 576, dans une réalisation, les inventeurs déclarent que « l’invention, comme il a été indiqué, comprend la pulvérisation sur un support inerte, d’une suspension de principe actif micronisé avec un polymère hydrophile ». Selon M. Muzzio, la personne versée dans l’art aurait compris à la lecture de ce passage que [traduction] « le polymère hydrophile agit de façon à faire adhérer (ou coller) le fénofibrate au support ».

 

[74]           Cinquièmement, et pour terminer, il indique qu’à la page 10 du même document, les inventeurs expliquent que la composition inventée, outre la pulvérisation du fénofibrate sur le support inerte hydrosoluble, peut être préparée par d’autres procédés, notamment d’autres méthodes d’enrobage par pulvérisation, et la personne versée dans l’art aurait compris que ces autres méthodes [traduction] « auraient mené à la formation d’une couche externe de fénofibrate autour du support hydrosoluble ».

 

[75]           Sandoz soutient que Fournier demande à la Cour d’interpréter la revendication 1 en fonction du mémoire descriptif et d’une réalisation exposée dans le brevet. Selon Sandoz, [traduction] « c’est une erreur de droit que d’interpréter les revendications en fonction des réalisations illustrées et décrites dans le mémoire descriptif du brevet » et elle invoque à l’appui la décision Dableh c Ontario Hydro, [1996] ACF no 767 (CA), au paragraphe 39. Toutefois, cette décision n’appuie pas l’affirmation catégorique proposée par Sandoz. À la lecture du paragraphe 39, il est évident que la Cour déclarait que le fait de s’appuyer sur le mémoire descriptif constitue une erreur de droit lorsque les termes formulés dans les revendications sont sans équivoque :

En résumé, le juge de première instance a commis une erreur en interprétant le sens des expressions « courant électrique variable » et « bobine électromagnétique » par référence aux configurations illustrées et décrites dans la divulgation du brevet. Les expressions ne sont pas ambiguës et, à première vue, elles englobent le courant alternatif et des bobines autres que celles du type utilisé par l’appelant. Ce faisant, il a commis une erreur de droit. [Non souligné dans l’original.]

 

[76]           La preuve des experts présentée par Sandoz laisse croire que la formulation ambiguë de la revendication 1 ne permet pas de savoir si l’adhérence est nécessaire. Aux pages 1155 et 1156 du dossier des demanderesses, on constate que M. Bogardus a souligné cette ambigüité lors de son contre‑interrogatoire.

[traduction]

Q : Que cela soit nécessaire ou non, compte tenu de ce que vous avez dit sur l’importance du polymère hydrophile pour faire en sorte que le fénofibrate adhère au support inerte hydrosoluble, la personne versée dans l’art, à la lecture de la revendication 1, comprendrait que c’est ce que les inventeurs veulent dire lorsqu’ils décrivent la composition mentionnée dans la revendication 1, à la lumière des revendications 27 et 5, c’est‑à‑dire qu’il s’agit d’une composition dans laquelle le fénofibrate adhère au support inerte hydrosoluble?

 

R : C’est une (1) interprétation.

 

Q : C’est une…

 

R : Je… Je…

 

Q : …interprétation raisonnable que la personne…

 

R : C’est… on aboutirait à cette interprétation, mais ce n’est peut‑être pas

 

Q : Bien, vous…

 

R : … la seule interprétation. [Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[77]           Dans la même veine, M. Cooper, au paragraphe 167(a) de son affidavit, lorsqu’il décrit le sens que la personne versée dans l’art attribuerait à l’expression « support inerte hydrosoluble » dans la revendication 1, souligne l’ambigüité de l’expression et ses sens possibles :

[traduction] Une personne versée dans l’art comprendrait que les inventeurs ont fourni une définition explicite de l’expression « support inerte hydrosoluble » et qu’ils visaient à l’appliquer aux revendications du brevet sans restriction quant à la fonction du support. Par ailleurs, l’expression serait comprise au sens d’un support inerte hydrosoluble sur lequel le fénofibrate adhère. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[78]           En raison de cette ambigüité soulignée par deux des experts de Sandoz, il y a lieu de recourir au mémoire descriptif et à la réalisation qu’il renferme pour déterminer le sens que la personne versée dans l’art aurait donné à la revendication 1. Tous les experts, y compris M. Bogardus, conviennent que l’invention décrite dans la divulgation parle de l’adhérence du fénofibrate sur le support inerte hydrosoluble. À cet égard, et à ce titre, ils étayent l’opinion de M. Muzzio selon laquelle l’adhérence constitue un élément essentiel de l’invention. Je suis également de cet avis.

 

            Terme « co‑micronisé »

[79]           Au paragraphe 44 de son mémoire des faits et du droit, Sandoz soutient que sa composition n’en est pas une dans laquelle [traduction] « le fénofibrate et le tensio‑actif sont co‑micronisés » comme l’exige la revendication 22 du brevet 576 puisque « Sandoz ne co‑micronise pas le fénofibrate […]

[…]

[…] ».

 

[80]           Le préfixe « co » employé dans le terme co‑micronisé a au moins deux sens. Il peut avoir le sens de « conjointement » ou « mutuellement », auquel cas pour que deux substances soient co‑micronisées, elles doivent être toutes les deux micronisées séparément, puis micronisées ensemble; c’est la position de Sandoz. Par ailleurs, il pourrait vouloir dire « de concert avec », auquel cas les deux substances sont combinées avant le procédé de micronisation, et ce, peu importe si seulement une des deux substances est ensuite micronisée; c’est la position de Fournier.

 

[81]           Aucun des experts n’est en mesure de résoudre cette ambigüité. M. Muzzio ne fait que donner son opinion sur le sens du terme sans étayer ses affirmations. M. Bogardus décrit le procédé de Sandoz et laisse entendre, mais sans jamais l’affirmer, qu’il ne s’agit pas d’une micronisation au sens du brevet 576. Par conséquent, il est approprié de recourir au mémoire descriptif pour nous aider à dissiper cette apparente ambigüité.

 

[82]           Le mémoire descriptif invoque comme antériorité le brevet américain 726, qui concernerait [traduction] « une nouvelle forme pharmaceutique de fénofibrate contenant du fénofibrate et un tensio‑actif solide qui ont été co‑micronisés ». Il est clair, et les parties s’entendent là‑dessus, que le brevet américain 726 exige que ces deux substances (le fénofibrate et un tensio‑actif), et aucune autre, soient chacune micronisée et qu’elles soient micronisées ensemble. Je conclus que les inventeurs du brevet 576 voulaient que, dans la revendication 22, le terme « co‑micronisation » soit compris au sens donné dans l’antériorité.

 

CONTREFAÇON

[83]           Sandoz avance un certain nombre d’arguments concernant la contrefaçon. Premièrement, elle soutient que sa composition ne contrefait pas le brevet 576 parce que le fénofibrate contenu dans sa formulation est […]. J’ai déjà conclu que, lorsqu’on interprète correctement le brevet 576, on n’y retrouve nulle part que les particules de fénofibrate ont une taille minimale. Cet argument est donc rejeté.

 

[84]           Deuxièmement, Sandoz soutient que même si la taille des particules de fénofibrate contenues dans le comprimé de Sandoz correspond à celle décrite dans le brevet 576, […]
[…] et que, d’après ses prétentions, tous les experts s’accordent pour dire que par micronisation, on entend la réduction de la taille des particules. Je ne peux accepter cet argument, parce qu’il s’appuie sur le sens du mot « micronisée » dans l’expression « sous une forme micronisée » alors que, comme il a déjà été mentionné, cette expression est définie dans le mémoire descriptif comme signifiant une « substance se trouvant sous une forme particulaire, la dimension des particules étant inférieure ou égale à 20 µm ». Si cette définition venait remplacer l’expression définie, peu importe que les particules aient été augmentées ou réduites, ce qui compterait c’est que, une fois le comprimé fabriqué, la taille de ces particules soit inférieure à la taille indiquée.

 

[85]           Troisièmement, Sandoz prétend qu’elle ne contrefait pas le brevet 576 parce que dans son procédé le fénofibrate n’est pas co‑micronisé avec le tensio‑actif, comme l’exige la revendication 22. La composition de Sandoz n’emploie aucune méthode dans laquelle le fénofibrate et un tensio‑actif sont chacun micronisés puis micronisés ensemble. […]
[…] À la lumière de la conclusion précédente concernant le sens de « co‑micronisé », Sandoz ne contrefait pas la revendication 22. Par conséquent, je conclus que Fournier n’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que le comprimé de Sandoz contrefait la revendication 22 du brevet 576 et, de ce fait, la revendication 27B. Toutefois, cette conclusion n’a aucune incidence sur la question de savoir si le comprimé de Sandoz contrefait la revendication 27A.

 

[86]           Le dernier argument concernant la contrefaçon vise la taille des particules du fénofibrate dans la « composition de fénofibrate à libération immédiate ». Sandoz prétend qu’il n’y a aucune preuve en ce qui a trait à la granulométrie du fénofibrate dans sa composition et, par conséquent, qu’il n’y a aucune preuve qu’elle est inférieure ou égale à environ 20 µm, comme elle est décrite à revendication 1, ou inférieure ou égale à environ 10 µm, conformément à la revendication 2.

 

[87]           Comme il a été mentionné dans le dossier T‑1184‑10, la demande connexe, toutes les prétentions des parties quant à la taille des particules dans le comprimé de Sandoz sont fondées sur la preuve de la taille des particules à un stade antérieur (la dispersion) ou à un stade ultérieur (la redispersion). La granulométrie du fénofibrate dans le comprimé de Sandoz ne repose sur aucun élément de preuve direct et précis; personne n’a vraiment mesuré les particules contenues dans ces comprimés. Dans le dossier T‑1184‑10, M. Muzzio déclare en contre‑interrogatoire que la microscopie électronique à balayage avec spectroscopie dispersive en énergie aurait permis de déterminer la taille des particules dans le comprimé de Sandoz, mais que ce test n’a pas été effectué :

[traduction] La taille des particules dans les comprimés de Sandoz, c’est ce qui aurait été mesuré si quelqu’un s’était donné la peine d’utiliser la bonne méthode, soit la microscopie électronique à balayage (MEB) avec spectroscopie dispersive en énergie (SDE), méthode avec laquelle vous pouvez en fait voir les particules, puis en connaître la taille. […] La bonne méthode consistait à employer la SDE. Personne ne l’a fait, donc la réponse exacte à votre question est ailleurs. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[88]           On a également indiqué, dans le dossier T‑1184‑10, la présence d’éléments de preuve concernant de la granulométrie du fénofibrate dans le comprimé de Sandoz. Dans cette demande, pour les raisons qui y figuraient, on a privilégié le témoignage de M. Serajuddin relatif à la taille des particules de fénofibrate dans le comprimé de Sandoz. Ce témoignage a été ajouté à la présente demande par suite de l’ordonnance mentionnée précédemment. Voici le témoignage de M. Serajuddin :

[…]

[…]

[…]

[…]

[…]

 

            […]

 

            […]

 

[…]

 

[89]           Selon le témoignage de M. Serajuddin, que j’accepte comme la meilleure preuve de la granulométrie du fénofibrate dans le comprimé de Sandoz, 90 % des particules ont au moins […]. Or, 90 % ne correspond pas à « la quasi‑totalité » des particules de fénofibrate. En contre‑interrogatoire, M. Muzzio a déclaré à la page 2362 du dossier de la défenderesse que « la quasi‑totalité » signifie « probablement 99 % ». Même si cela signifie moins de 99 %, même si cela signifiait 90 %, alors tout ce que nous savons par M. Serajuddin, c’est que 90 % est au moins […]. Lors de son contre‑interrogatoire, on lui a demandé son opinion concernant la taille maximale des particules de fénofibrate et il a déclaré ne pas être en mesure d’en donner une, puis a dit que la taille pouvait atteindre jusqu’à 20 microns :

[traduction]

Q. M. Serajuddin, selon votre avis éclairé concernant la présente affaire, la distribution granulométrique du fénofibrate dans le comprimé de Sandoz comporte une distribution granulométrique D‑90 de […], est‑ce bien cela?

R. Au moins […] ou plus élevée, beaucoup plus élevée, parce que j’ai parlé d’au moins dix fois ici, ce que je dis c’est […] D‑50 et cela doit être au moins dix fois plus élevé. Le nombre le plus bas est […]. À mon avis, cela doit être au moins dix fois. Cela veut dire […] ou plus. J’ignore quelle est la limite supérieure.

 

Q. Et elle pourrait atteindre jusqu’à 20 micromètres d’après le brevet 986?

R. C’est possible. C’est possible. [Non souligné dans l’original.]

 

[90]           La seule autre preuve concernant la taille des particules de fénofibrate dans les comprimés de Sandoz provient de M. Muzzio et de M. Fairhurst. Comme il a déjà été mentionné, leurs témoignages ont été rejetés à la faveur de celui de M. Serajuddin parce qu’ils n’offraient aucun fondement scientifique à leur point de vue selon lequel il n’y aurait aucune agglomération notable des particules de fénofibrate de l’étape de la dispersion jusqu’à celle du comprimé, alors que M. Serajuddin se fondait sur des arguments scientifiques pour affirmer qu’il y aurait une agglomération importante.

 

[91]           Par conséquent, aucun élément de preuve ne permet à la Cour de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que la granulométrie du fénofibrate est inférieure à 10 µm ou à 20 µm, voire inférieure à n’importe quel chiffre. Nous ne savons pas à quelle taille la plupart des particules de fénofibrate sont inférieures; tout ce que nous savons, c’est que la valeur D90 est d’au moins […] et de cet élément de preuve, nous ne pouvons pas déduire la valeur D99 du fénofibrate. Pour tout dire, nous n’avons pas reçu, de Fournier, de preuve permettant de conclure que la taille des particules de fénofibrate dans le comprimé de Sandoz contrefait celle indiquée dans le brevet 596.

 

[92]           J’imagine que ce résultat surprendra Fournier, étant donné que Sandoz a consacré une grande partie de son temps à essayer de convaincre la Cour que le brevet comportait une limite inférieure implicite de 1 µm et […] […]. Toutefois, le fardeau de la preuve incombe à Fournier qui doit établir, selon la prépondérance des probabilités, que la taille de la quasi‑totalité des particules de fénofibrate dans le comprimé de Sandoz, et non dans la dispersion, est inférieure ou égale à 20 µm pour la revendication 1 et à 10 µm pour la revendication 2. Elle n’a pas réussi à le faire. Elle n’a pas fourni de preuve concernant la taille des particules dans la composition autre que celle de M. Muzzio et de M. Fairhurst, qui a été rejetée.

 

[93]           Cette conclusion est déterminante quant à l’issue de la présente demande parce que Fournier ne peut obtenir l’ordonnance d’interdiction souhaitée, à moins qu’elle ne réfute toutes les allégations de Sandoz qui, en l’absence de réfutation, autoriseraient le ministre à délivrer un avis de conformité. Par souci d’exhaustivité, j’aborderai brièvement les allégations d’invalidité soulevées par Sandoz et traitées par Fournier.

 

ANTÉRIORITÉ

[94]           Pour qu’il y ait antériorité, il faut qu’un même document de l’art antérieur divulgue tous les éléments essentiels de l’invention contestée : Eli Lilly & Co c Apotex Inc, 2009 CF 991, au paragraphe 410. Il peut y avoir antériorité même lorsqu’un élément essentiel de l’invention n’est pas expressément divulgué par l’antériorité, mais que sa réalisation contrefait le brevet en cause. Dans ce cas, l’invention se heurte à une antériorité même si personne ne s’en était rendu compte à l’époque de cette antériorité. Cependant, dans ce cas [traduction] « la contrefaçon doit représenter davantage qu’une simple conséquence possible, voire probable, de la réalisation de l’invention divulguée par l’antériorité. Celle‑ci doit nécessairement l’impliquer : Synthon BV c Smithkline Beecham plc, [2005] UKHL 59, au paragraphe 23.

 

[95]           Pour établir si l’antériorité divulgue l’invention, les essais ne sont pas permis. Comme le faisait remarquer la Cour suprême dans l’arrêt Sanofi‑Synthelabo Canada Inc. c Apotex Inc., 2008 CSC 61 [Sanofi‑Synthelabo], aux paragraphes 25 et 27 :

En ce qui concerne la divulgation, la personne versée dans l’art [traduction] « est censée tenter de comprendre ce que l’auteur de la description [dans le brevet antérieur] a voulu dire » (par. 32). À cette étape, les essais successifs sont exclus. La personne versée dans l’art se contente de lire le brevet antérieur pour en comprendre la teneur.

[…]

Dès lors que l’objet de l’invention est divulgué dans un brevet antérieur, on suppose que la personne versée dans l’art est disposée à procéder par essais successifs pour arriver à l’invention. Bien que de tels essais soient exclus à l’étape de la divulgation, ils ne le sont pas pour les besoins du caractère réalisable, car la question n’est plus de savoir si la personne versée dans l’art saisit la teneur de la divulgation du brevet antérieur, mais bien si elle est en mesure de réaliser l’invention.

 

[96]           Sandoz a présenté l’affidavit de M. Bogardus qui exprime, comme on le lui a demandé, son avis sur la question de savoir si une personne versée dans l’art, ayant les connaissances générales courantes, aurait déterminé que les éléments de la revendication 27A du brevet 576 [traduction] « avaient déjà été divulgués dans une antériorité publiée ». Il affirme qu’aucune antériorité n’a divulgué à elle seule chacun des éléments contenus dans les diverses revendications composant la revendication 27A. Lors de son contre‑interrogatoire, en référence à l’art antérieur sur lequel s’est appuyé Sandoz et qu’il a examiné, il a déclaré : [traduction] « Tous les éléments du brevet 576 ne sont pas divulgués dans l’une des publications ou les références présentées ici. »

 

[97]           Sandoz a tenté de neutraliser l’opinion de son expert en affirmant que même si aucune publication ne contenait tous les éléments de ces revendications, son aveu ne revenait pas à soutenir la proposition voulant qu’aucune publication ne contenait tous les éléments essentiels de ces revendications. J’accepte cet argument, mais je souscris aussi à la prétention de Fournier selon laquelle les éléments de chaque revendication dépendante pertinente énoncent un élément essentiel puisque chacune de ces revendications est soigneusement et précisément rédigée de manière à ne contenir qu’une seule caractéristique qui la distingue des autres, cette caractéristique étant essentielle. Comme le notait le juge Binnie dans l’arrêt Camco Inc c Whirlpool Corp et autre, 2000 CSC 67, [Whirlpool], au paragraphe 79 sur les antériorités : « Il est reconnu que [traduction] “[l]orsque deux revendications diffèrent l’une de l’autre à un seul égard, il est difficile de prétendre que l’on n’a pas fait de la caractéristique différente un élément essentiel de la revendication” ».

 

[98]           Je souscris à l’observation de Fournier selon laquelle Sandoz a énuméré dans son avis d’allégation des éléments essentiels de la revendication 1, et qu’elle cherche à présent à revenir sur cette description dans son mémoire des faits et du droit et dans ses observations orales. De plus, dans son avis d’allégation, elle qualifie à présent de non essentiels des éléments des revendications dépendantes alors que cet argument ne figurait pas dans l’avis d’allégation. La partie qui réclame un AC ne peut soulever une contestation ou s’appuyer sur des faits qui ne sont pas énoncés dans son avis d’allégation : Eli Lilly Canada Inc. c Apotex Inc, 2007 CF 455, au paragraphe 122; confirmé par 2008 CAF 44. Ces nouvelles contestations de Sandoz concernant des éléments essentiels et ne figurant pas dans son avis d’allégation sont irrecevables. Même si Sandoz avait été autorisée à soulever ces questions, je conviens avec Fournier, sur le fondement de l’arrêt Whirlpool, que ces éléments sont essentiels.

 

[99]           J’estime que Fournier a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que le brevet 576 n’est pas antériorisé.

 

ÉVIDENCE

[100]       L’évidence doit être déterminée conformément à une démarche en quatre volets énoncée par la Cour suprême dans l’arrêt Sanofi‑Synthelabo, au paragraphe 67 :

(1) Identifier la « personne versée dans l’art » et déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

 

(2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

 

(3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;

 

(4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?

 

Aux paragraphes 69 et 70, la Cour suprême a établi d’autres éléments à prendre en compte à la quatrième étape de la démarche, soit la question de « l’essai allant de soi » :

a. Est‑il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe‑t‑il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

 

b. Quels efforts – leur nature et leur ampleur – sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont‑ils courants ou l’expérimentation est‑elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

 

c. L’antériorité fournit‑elle un motif de rechercher la solution au problème qui sous‑tend le brevet?

 

d. Les mesures concrètes ayant mené à l’invention.

 

[101]       La personne versée dans l’art a déjà été identifiée. Selon Sandoz, les connaissances générales courantes pertinentes sont les suivantes :

[traduction]

                                        (1)            La micronisation des particules pharmaceutiques était une technique de formulation largement acceptée pour améliorer la biodisponibilité de médicaments faiblement solubles dans l’eau dans les cas où il était nécessaire d’accroître la biodisponibilité.

 

                                        (2)            Les tensio‑actifs, la PVP, l’HPMC et le lactose étaient couramment employés dans les formulations.

 

                                        (3)            Les techniques d’enrobage par pulvérisation citées dans le brevet 576 auraient été bien connues des [personnes versées dans l’art].

[Renvois omis.]

 

[102]       Fournier prétend que [traduction] « l’idée originale des revendications du brevet 576 est que les compositions particulaires (dans lesquelles le fénofibrate micronisé adhère à un support) préparées conformément au procédé décrit dans le brevet peuvent présenter le profil de dissolution favorable revendiqué ».

 

[103]       Sandoz répond en faisant valoir que [traduction] « les revendications 29 et 30 sont des revendications relatives au procédé, et elles ne sont plus invoquées par Fournier. L’absence de cet aspect de l’idée originale dans les revendications 27A et 27B porte un coup fatal à leur validité ». Par conséquent, Sandoz prétend que [traduction] « l’idée originale (s’il en existe une) des revendications semblerait liée à des compositions possibles (renfermant des ingrédients connus de compositions de fénofibrate) présentant le profil de dissolution particulier revendiqué dans les revendications 1 à 28 relatives à la composition ».

 

[104]       Même s’il est approprié, comme le soutient Sandoz, de séparer les revendications 29 et 30 lors de l’examen de l’idée originale du brevet, je ne puis accepter sa caractérisation de l’idée originale.

 

[105]       Dans bien des brevets, une bonne analyse des revendications permettra de révéler l’invention, mais pas dans tous les cas. Dans l’arrêt Sanofi‑Synthelabo, la Cour suprême a conclu qu’il fallait examiner la divulgation pour déterminer l’idée originale du brevet en litige. Les revendications du brevet dans l’arrêt Sanofi‑Synthelabo revendiquaient le composé (l’isomère dextrogyre du racémate), ses sels pharmaceutiquement acceptables et leurs procédés d’obtention. Incapable de trouver une « étape inventive » dans la revendication même, la Cour suprême a cherché ailleurs pour la trouver :

La seule présence d’une formule chimique ne permet pas de déterminer l’inventivité de la revendication. J’estime donc que l’on doit pouvoir se fonder sur le mémoire descriptif pour définir l’idée originale qui sous‑tend les revendications.

 

On a conclu que l’idée originale des revendications dans l’arrêt Sanofi‑Synthelabo était « un antiplaquettaire à l’effet thérapeutique supérieur et à la toxicité moindre comparativement aux autres composés couverts par le brevet de genre, et les méthodes permettant de l’obtenir ». Aucune de ces caractéristiques n’était présente dans les revendications.

 

[106]       Le juge Crampton (maintenant juge en chef) a effectué une analyse similaire dans la décision Allergan Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2011 CF 1316, aux paragraphes 49 à 51 :

De façon générale, les revendications représentatives du brevet 764 revendiquent simplement l’usage topique d’une composition dans un œil touché pour le traitement du glaucome. Sandoz affirme que l’idée originale des revendications en question doit être discernée à partir de cette seule description. Le Dr Jampel abondait dans le même sens.

 

Je ne suis pas de cet avis. Si tel était le cas, il ne serait pas possible dans la présente espèce et dans des affaires semblables de bien saisir les différences qui existent entre l’état de la technique et l’idée originale de la revendication en vue de procéder à la troisième étape du critère de l’évidence.

 

Dans les affaires comme la présente où « [i]l n’est pas facile de saisir l’idée originale à partir des seules revendications », il est à la fois nécessaire et permis d’examiner le reste du brevet « pour déterminer l’inventivité de la revendication » (Sanofi, précité, au paragraphe 77). En d’autres termes, pour « définir la nature de l’invention » qui est articulée dans les revendications, et pour bien comprendre la mesure dans laquelle l’invention revendiquée diffère de l’état antérieur de la technique, la Cour peut « examiner l’ensemble du mémoire descriptif » du brevet (Whirlpool, précité, au paragraphe 49g), citant l’arrêt Consolboard Inc c MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd, [1981] 1 RCS 504, aux pages 520 et 521). Cela étant dit, il vaut la peine de souligner qu’« [o]n ne saurait cependant s’appuyer sur le mémoire descriptif pour interpréter le texte des revendications de façon plus restrictive ou plus extensive » (Sanofi, précité, au paragraphe 77). [Non souligné dans l’original.]

 

[107]       Le cas en l’espèce ressemble aux deux affaires susmentionnées, en ce sens qu’il n’est pas facile de saisir l’idée originale à la lecture des revendications. C’est peut‑être la raison pour laquelle Sandoz a déclaré ce qui suit dans son mémoire des faits et du droit : [traduction] « L’idée originale (s’il en existe une) des revendications semblerait liée à des compositions possibles (renfermant des ingrédients connus de compositions de fénofibrate) présentant le profil de dissolution particulier revendiqué dans les revendications 1 à 28 relatives à la composition. » [Non souligné dans l’original.]

 

[108]       Une fois la divulgation prise en compte, l’idée originale est manifeste : il s’agit d’une suspension de fénofibrate sous forme micronisée dans une solution de polymère hydrophile et, au besoin, de tensio‑actif, pulvérisée sur un support inerte hydrosoluble, qui présente le profil de dissolution revendiqué.

 

[109]       En comparant cette idée originale à l’art antérieur, on conclut que rien dans l’art antérieur ne faisait référence à la pulvérisation de fénofibrate micronisé sur un support inerte hydrosoluble; en outre, même si le brevet américain 726 faisait mention de l’adhérence du fénofibrate sur un support inerte, il ne le faisait pas de la manière décrite dans le brevet 576.

 

[110]       Je ne puis conclure qu’un technicien compétent mettrait à l’essai directement et sans difficulté une suspension de fénofibrate sous forme micronisée dans une solution de polymère hydrophile et, au besoin, de tensio‑actif, pulvérisée sur un support inerte hydrosoluble, en croyant que cette suspension présenterait le profil de dissolution revendiqué. Rien dans le dossier ne permet de conclure qu’il aurait été évident pour le technicien compétent que la composition inventée donnerait ce résultat.

 

[111]       Par conséquent, je conclus que l’allégation d’évidence de Sandoz est non fondée.

 

PORTÉE EXCESSIVE

[112]       Une revendication de brevet qui revendique plus que ce qui a été inventé ou divulgué peut être jugée invalide en raison de sa portée excessive. On trouve un exemple d’une revendication trop large dans la décision Amfac Foods Inc. c Irving Pulp & Paper, Ltd., [1986] ACF no 659 (CAF). L’invention concernait une machine utilisée pour trancher des pommes de terre en vue d’en faire des frites; le brevet dans son ensemble précisait clairement qu’un des aspects essentiels de cette invention était une configuration de lames tranchantes externes et la séparation des tranches externes des pommes de terre au niveau de la trancheuse. La Cour a conclu que nulle part dans les revendications il n’était fait mention de cet élément essentiel de l’invention. Cette omission a mené à la conclusion que la portée de la revendication était plus large que celle de l’invention divulguée puisque l’invention revendiquée visait un certain nombre de configurations de lames n’ayant pas la caractéristique essentielle nécessaire pour produire les résultats revendiqués par l’invention. Par conséquent, les revendications avaient une portée plus large que celle de l’invention décrite dans la divulgation.

 

[113]       Sandoz soutient que les revendications du brevet 576 ont une portée excessive pour les raisons suivantes : 1) les revendications ne se limitent pas à l’adhérence du fénofibrate sur le support inerte hydrosoluble; 2) les revendications ne se limitent pas au procédé décrit dans la divulgation permettant d’obtenir le profil de dissolution; 3) les revendications ne se limitent pas au polymère hydrophile spécifique utilisé dans l’exemple 1; 4) les revendications ne se limitent à pas la concentration de polymère hydrophile utilisé dans l’exemple 1; et 5) le profil de dissolution vise une plage plus large que celle indiquée dans l’exemple 2.

 

[114]       Je rejette le premier argument parce que le brevet a été interprété de manière à inclure l’adhérence dans les revendications.

 

[115]       Je rejette également le deuxième argument. Fournier a formulé ce qui suit dans sa réponse :

[traduction] Nous n’avons jamais demandé que le procédé soit interprété, aucun témoin n’a indiqué qu’il devait l’être. La seule interprétation de la revendication que nous avons demandée est celle qui est explicitement décrite dans le brevet, à savoir la limite de l’adhérence. La deuxième, c’est que les experts s’entendent tous pour dire que l’adhérence et la superposition de couches sont une seule et même chose.

 

Selon Fournier, [traduction] « le procédé est un élément que nous avons décrit dans le cadre de l’idée originale, et il est tout à fait approprié d’avoir une idée originale qui diffère d’une interprétation des revendications ».

 

[116]       Si Sandoz a raison de dire que le procédé d’application par pulvérisation fait partie de l’invention, je rejetterais quand même son argument voulant que les revendications aient une portée excessive parce qu’elles ne se limitent pas à ce procédé. J’accepte le témoignage de Mme Vadas qui, en contre‑interrogatoire (dossier de la défenderesse, p. 2900 et 2901), a déclaré que la personne versée dans l’art aurait compris que l’expression « un support inerte hydrosoluble et du fénofibrate » figurant dans la revendication 1 voulait dire : 1) que le fénofibrate adhère au support inerte hydrosoluble; 2) que le polymère hydrophile doit adhérer au fénofibrate; 3) que le fénofibrate doit former une couche de particules de fénofibrate adhérant au support; 4) qu’il pourrait y avoir plus d’une couche; et 5) que le fénofibrate adhère au support inerte hydrosoluble par la méthode d’enrobage par pulvérisation.

 

[117]       J’accepte également le témoignage de Mme Vadas selon lequel la troisième et la quatrième allégation des revendications ont une portée excessive en ce qui concerne le composé polymérique de l’invention. D’après Sandoz, la revendication aurait dû se limiter au polymère utilisé dans l’exemple 1 et au grade utilisé. Dans son affidavit, Mme Vadas déclare que le fait que le brevet décrit une composition à libération immédiate suppose que de nombreux grades sont scientifiquement exclus. J’accepte sa déclaration au paragraphe 92 de son affidavit lorsqu’elle déclare [traduction] « que la personne versée dans l’art saurait de par son expérience quelles seraient les plages appropriées du poids moléculaire de la PVP (ou de tout autre polymère revendiqué) à utiliser dans la formulation, ou qu’elle pourrait facilement déterminer la plage appropriée ».

 

[118]       Mme Vadas fait la même observation concernant l’utilisation de polymères autres que la PVP. Elle écrit : [traduction] « La personne versée dans l’art, sans faire preuve d’une grande imagination, possède néanmoins des titres de compétences supérieurs et pourrait facilement prédire, comme les inventeurs l’ont fait, que chacun des six polymères hydrophiles pourrait être utilisé avec succès malgré leurs différences de structure, à des concentrations et à des grades appropriés pour créer des compositions de fénofibrate, décrites dans le brevet 576, qui ont présenté des vitesses de dissolution accrues. » Elle ajoute que la personne versée dans l’art serait en mesure de prédire de façon valable, comme les inventeurs l’ont fait, que plusieurs concentrations de ces polymères hydrophiles à l’intérieur d’une certaine plage seraient tout aussi efficaces pour obtenir une vitesse de dissolution accrue pour les compositions de fénofibrate revendiquées dans les revendications 27(A) et (B). Comme l’a fait remarquer la juge Mactavish dans la décision Aventis Pharma Inc. c Ministre de la Santé, 2005 CF 1283, au paragraphe 156 :

Il est clairement établi en droit que le breveté n’est pas limité aux composés spécifiques qu’il a effectivement fabriqués ou testés avant de réclamer la protection conférée par le brevet. Le breveté peut revendiquer une protection plus vaste qui s’étend à une catégorie de composés, à condition que sa revendication soit fondée sur une prédiction valable [soulignement ajouté].

 

[119]       Sandoz soutient qu’il ne peut y avoir de prédiction valable puisque certains aspects des revendications obligeront la personne versée dans l’art à entreprendre des travaux courants pour choisir, par exemple, un autre polymère conforme au profil de dissolution. Sandoz affirme que la doctrine de la prédiction valable [traduction] « n’envisage pas d’essais (courants ou autres) pour établir l’utilité. » Elle invoque à l’appui un passage extrait de Hughes and Woodley on patents, 2e éd., volume 1, à la page 149 : [traduction] « Dans les domaines où l’utilité peut être prédite avant que les véritables essais soient effectués, un brevet peut être accordé sur la foi de la “prédiction valable”. ».

 

[120]       Premièrement, il convient de noter que dans le cas visé par ce passage, aucun essai n’est effectué et donc aucune preuve n’établit que l’invention fonctionne; tel n’est pas notre cas. Deuxièmement, les expériences ou les essais courants peuvent servir à déterminer des méthodes de production, des polymères et des excipients différents. Aux paragraphes 531 et 532 de la décision Merck & Co Inc c Apotex et al, 2010 CF 1265, la juge Snider a rejeté une observation comparable à celle qu’a soumise Sandoz en l’espèce :

[traduction]

La deuxième prétention d’Apotex est que le brevet 380 ne divulgue pas les méthodes permettant de déterminer la souche d’Aspergillus qui produira les composés désirés. Comme nous l’avons vu dans la partie des présents motifs traitant de l’interprétation des revendications, j’ai conclu que le brevet ne concernait que les composés produits à partir d’Aspergillus terreus, et qu’il ne promettait pas que la lovastatine pouvait être produite à partir de toutes les souches de cette bactérie. Apotex fait valoir que Merck était tenue, en dépit de cette interprétation et de cette promesse plus restreintes, de divulguer les méthodes propres à identifier les souches productrices. Elle soutient que le mémoire descriptif ne divulgue pas ce renseignement, et que la personne versée dans l’art devra se livrer à des expérimentations excessives et inventives pour découvrir ces souches.

 

Les tribunaux ont reconnu que « des essais et expériences courants n’équivalant pas à de nouvelles inventions peuvent être requis pour mettre [une invention] en pratique » (Proctor & Gamble Co. c. Bristol‑Myers Ltd. (1978), 39 C.P.R. (2d) 145, au paragraphe 51, [1978] A.C.F. no 812 (QL) (C.F. 1re inst.); voir aussi Mobil Oil Corp. c. Hercules Canada Inc. (1995), 63 C.P.R. (3d) 473, [1995] A.C.F. no 1243 (QL) (C.A.F.)); Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc. 2005 CF 1283, 43 C.P.R. (4 th) 161, au paragraphe 207). La preuve dont je dispose n’appuie pas l’affirmation d’Apotex selon laquelle l’identification des souches productrices d’Aspergillus terreus nécessite des expériences inventives. J’ai déjà abordé cette question (voir les paragraphes 57 à 130) dans le cadre de l’interprétation des revendications. Encore une fois, je suis convaincue que la personne versée dans l’art pourrait user de techniques bien connues pour analyser rapidement un nombre important d’isolats de souches d’Aspergillus terreus afin d’identifier les souches productrices. De plus, puisque suivant mon interprétation, les revendications se limitent aux souches de l’espèce Aspergillus terreus, les essais devraient être circonscrits par des limites raisonnables. [Non souligné dans l’original.]

 

[121]       Enfin, M. Bogardus signale, aux paragraphes 155 à 159 de son affidavit, que les profils de dissolution de la composition testée dans l’exemple 2 du brevet 576 et de la composition de la revendication 1 diffèrent. Plus précisément,  le profil de dissolution indiqué dans l’exemple est supérieur à celui qui est rapporté dans la revendication. Il déclare : [traduction] « Les inventeurs n’ont pas conçu de préparation dont le profil de dissolution, inférieur à celui obtenu dans l’exemple 2, améliore la biodisponibilité […] Par conséquent, les revendications 1 à 30 ont  une portée plus large que l’invention des inventeurs. » Je ne suis pas d’accord. Les inventeurs prétendent tout simplement que l’invention permettra d’obtenir un profil de dissolution au moins égal à celui énoncé dans la revendication 1, et c’est exactement ce que l’essai effectué dans le cadre de l’exemple a révélé. Dans les revendications de ce type, les inventeurs ont le droit de prétendre que l’invention permettra d’obtenir un taux de dissolution supérieur aux valeurs obtenues durant les essais. Ils courent bien entendu le risque de voir leur invention invalidée si l’essai effectué sur une composition donne un résultat inférieur à ce taux. Cependant, la portée de la revendication ne sera pas automatiquement jugée trop large si un inventeur prudent opte pour un taux de dissolution plus faible. Les inventeurs n’ont tout simplement pas besoin de prouver qu’ils ont inventé un produit qui permet d’obtenir tous les taux de dissolution compris entre celui de l’essai et celui de la revendication.

 

[122]       Pour ces motifs, j’estime que Fournier a démontré, selon la prépondérance des probabilités, que les allégations de Sandoz voulant que le brevet 576 soit invalide parce que la portée de ses revendications est excessive sont non fondées.

 

UTILITÉ

[123]       Le breveté signale au public que si les directives du brevet sont respectées, son objet sera créé et il sera utile dans le sens où il fonctionne.

 

[124]       La promesse se rapporte à l’usage que l’inventeur revendique pour son invention et c’est l’énoncé de cet usage qui lui a permis de se voir accorder un monopole à l’égard de son invention. Le juge O’Reilly l’a expliqué en ces termes, dans la décision Hoffman‑La Roche c Apotex Inc, 2011 CF 875, au paragraphe 20 :

[D]ans son interprétation d’un brevet, la Cour doit désigner l’invention revendiquée, à savoir l’objet ayant censément un caractère de nouveauté et d’utilité. Pour savoir si les inventeurs ont respecté l’exigence de l’utilité, la Cour examinera si les inventeurs ont donné « un objet nouveau ou meilleur ou moins dispendieux ou si elle accorde au public un choix utile » (Consolboard Inc c. MacMillan Bloedel (Sask) Ltd, [1981] 1 R.C.S. 504, par. 521). [Non souligné dans l’original].

 

[125]       Selon Sandoz, la promesse du brevet 576 est que [traduction] « la composition de fénofibrate revendiquée permettra d’améliorer le profil de dissolution et la biodisponibilité comparativement aux antériorités (en particulier, Lipanthyl 200M) ». Fournier prétend que la promesse du brevet 576 est plus précise, il s’agit du profil de dissolution mentionné dans le mémoire descriptif, qui est expressément indiqué dans la revendication 1 : « une dissolution d’au moins 10 % en 5 minutes, 20 % en 10 minutes, 50 % en 20 minutes et 75 % en 30 minutes ».

 

[126]       La Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Eli Lilly Canada Inc. c Novopharm Limited, 2010 CAF 197, citant l’arrêt Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 R.C.S 504, a déclaré au paragraphe 76 que « lorsque le mémoire descriptif exprime clairement une promesse, l’utilité sera appréciée en fonction de cette promesse ». [Non souligné dans l’original.] La promesse d’un brevet, au sens où ce terme est employé en droit des brevets, n’est rien de plus que l’utilité que l’inventeur revendique pour son invention. Lorsque cette promesse – cette utilité revendiquée – est exprimée clairement et sans équivoque par l’inventeur dans les revendications du brevet, alors cette expression doit être considérée comme la promesse du brevet. Tout énoncé figurant ailleurs devrait être considéré comme un simple énoncé d’avantage, à moins que l’inventeur n’indique clairement et sans équivoque que cela fait partie de l’utilité promise. Le passage ci‑après, tiré de la première page du brevet cité dans la décision AstraZeneca Canada Inc. c Apotex Inc., 2010 CF 714, illustre bien à quoi ressemble un énoncé figurant dans la divulgation :

[traduction]

Il est souhaitable d’obtenir des composés ayant des propriétés pharmacocinétiques et métaboliques améliorées, donnant un profil thérapeutique amélioré, par exemple une variation interindividuelle moins importante. La présente invention offre de tels composés, qui sont de nouveaux sels des énantiomères uniques de l’oméprazole. [Non souligné dans l’original.]

 

[127]       L’interprétation devrait porter sur les revendications parce que l’inventeur n’est pas tenu de revendiquer un monopole sur tout élément nouveau, ingénieux et utile qui est divulgué dans le mémoire descriptif. Si, comme c’est le cas en l’espèce, les revendications mentionnent la promesse de façon certaine et sans ambigüité, il n’est pas nécessaire d’examiner la divulgation à la loupe pour trouver d’autres promesses qui ne sont pas visées par le monopole revendiqué par l’inventeur.

 

[128]       Il ne fait aucun doute ici que les inventeurs cherchaient à améliorer la composition de fénofibrate existante. Ils cherchaient à améliorer la biodisponibilité du fénofibrate en améliorant la dissolution. Il ressort clairement du brevet que les inventeurs promettaient non seulement une dissolution accrue, mais également un degré précis de dissolution :

Il existe donc un besoin pour améliorer la biodisponibilité du fénofibrate afin d’atteindre, dans des temps très courts, un niveau proche de 100 % (ou, en tout cas, supérieur aux limites suivantes : 10 % en 5 minutes, 20 % en 10 minutes, 50 % en 20 minutes et 75 % en 30 minutes dans un milieu constitué de 1 200 ml d’eau additionnée de 2 % de Polysorbate 80 ou de 1 000 ml d’eau additionnée de laurylsulfate de sodium 0,0025 molaire, avec une vitesse de rotation de la palette de 75 t/min), et ce même lorsque des milieux de dissolution à faible teneur en tensioactif sont utilisés.

 

La demanderesse a mis en évidence de façon surprenante qu’il est possible de résoudre ce problème par un nouveau procédé de préparation d’une composition pharmaceutique par pulvérisation d’une suspension du principe actif sur un support inerte hydrosoluble. La présente invention concerne également les compositions pharmaceutiques ainsi préparées. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[129]       Le « problème » mentionné ci‑dessus, au deuxième paragraphe, n’est pas [traduction] « d’améliorer le profil de dissolution et la biodisponibilité comparativement à l’antériorité » comme le prétend Sandoz; il s’agit plutôt d’atteindre le profil de dissolution précis indiqué dans le brevet 576. Je conclus, selon la description figurant dans la revendication 1, que la promesse du brevet consiste en une « composition de fénofibrate […] présentant une dissolution d’au moins 10 % en 5 minutes, 20 % en 10 minutes, 50 % en 20 minutes et 75 % en 30 minutes ».

 

[130]       Sandoz fait valoir que si une personne exploite le brevet 576, elle constatera que celui‑ci ne fait pas ce qu’il devrait faire. À l’appui, Sandoz mentionne que 1) M. Muzzio a admis en contre‑interrogatoire que les formulations contenues dans la revendication 27 ne présenteront pas le profil de dissolution revendiqué, 2) Ethypharm a préparé une formulation sous forme de comprimé visée par les revendications et n’a pas obtenu le profil de dissolution mentionné dans le brevet, et 3) les essais réalisés par le Laboratoire SMB d’une formulation supposément produite conformément au brevet 576 n’ont pas permis d’obtenir le profil de dissolution souhaité.

 

[131]       Je suis d’accord avec l’argument de Fournier qui avance que les passages tirés du contre‑interrogatoire de M. Muzzio – contre‑interrogatoire cité en référence par Sandoz à l’appui de son argument selon lequel il a admis que les formulations contenues dans la revendication 27 ne permettront pas de réaliser le profil de dissolution énoncé – n’étayent pas l’allégation formulée.

 

[132]       Voici le passage en question :

[traduction]

Q. Bien. Comprenez‑vous que vous pouvez avoir une formulation qui satisfait aux exigences de A à G [les éléments de la revendication 27A relevés par M. Muzzio], mais qui n’a pas le profil de dissolution, mais tout ce qu’il faudrait, c’est une restructuration pour répondre aux exigences de A à G en vue d’obtenir ce profil de dissolution?

R. D’après moi, le terme « restructuration » serait probablement compris dans un sens beaucoup plus large que ce dont je parle. Ce que je veux dire, c’est que vous pourriez très bien l’obtenir lors du premier essai, sinon, vous procéderez à deux ou trois essais de plus et vous réussirez.

 

[133]       Il est évident que l’« aveu » n’équivaut à rien de plus que de répéter une déclaration antérieure se trouvant à la page 2204 du dossier de la défenderesse, c’est‑à‑dire que [traduction] « en réalité, toutes les fois qu’un spécialiste en sciences pharmaceutiques tente de mettre en œuvre une formulation, il devrait effectuer quelques travaux assez courants, quelques essais, pour voir, vous savez, quelles conditions précises donnent les meilleurs résultats ». Comme je l’ai mentionné dans mon analyse sur la portée excessive, cela est tout à fait permis.

 

[134]       En ce qui concerne l’essai réalisé par Ethypharm, Fournier prétend, et je suis d’accord avec elle, que la composition préparée n’est pas comprise dans les compositions visées par le brevet 576. Mme Vadas, dont j’accepte et privilégie le témoignage, a examiné cette affirmation de Sandoz dans son affidavit et déclaré que le produit d’Ethypharm n’était pas fabriqué conformément à l’invention pour les raisons suivantes :

[traduction]

a)      dans le deuxième rapport d’Ethypharm, la composition de fénofibrate fait appel à un polymère hydrophile appelé Metolose 90SH100000SR (« Metolose SR »). Metolose SR n’est pas un polymère hydrophile pour utilisation dans une composition de fénofibrate « à libération immédiate ». Les lettres « SR » dans le nom signifient « Sustained Release » (à libération prolongée) ce qui désigne correctement son usage pour retarder la dissolution d’un médicament (l’opposé de ce qui est décrit dans le brevet 576). La concentration de Metolose SR dans les granules est établie à 31,6 %, ce qui est élevé et qui confirme qu’Ethypharm a choisi SR pour pouvoir créer un comprimé à libération retardée (et non un comprimé à libération immédiate);

 

b)      dans le deuxième rapport d’Ethypharm, la concentration de fénofibrate dans la composition est inférieure à 20 %;

 

c)      dans le deuxième rapport d’Ethypharm, la granulométrie du lactose DCL21 contenu dans la composition n’est pas définie et ne se situerait pas nécessairement entre 100 et 400 microns.

 

[135]       Je privilégie le témoignage de Mme Vadas, en partie parce que malgré un contre‑interrogatoire rigoureux concernant un extrait de son affidavit, elle a maintenu sa position et démontré, à mon avis, que l’inclusion de Metolose SR à une concentration de 31,6 % serait contraire au brevet 576, puisque cela donnerait une formulation à libération prolongée, alors que, dans le brevet, il est question d’une formulation à libération immédiate.

 

[136]       Le rapport du Laboratoire SMB concerne deux préparations; dont la seconde est censée être conforme au brevet 576 . Or, il n’en est rien. M. Bogardus reconnaît au paragraphe 93 de son affidavit que cette préparation n’est pas visée par les revendications 19 à 26 se rapportant à l’utilisation d’un tensio-actif, elle ne satisfait donc pas à toutes les revendications composant la revendication 27A ou la revendication 27B.

 

[137]       L’observation de Sandoz selon laquelle le brevet 576 n’est pas utile parce que la composition qu’il divulgue n’est pas largement supérieure à la composition actuellement disponible, a été débattue à l’audience et dans les observations écrites. Il n’est pas nécessaire que j’y revienne puisque j’ai estimé que l’amélioration alléguée par rapport à l’art antérieur ne relevait pas de la promesse du brevet. Le brevet 576 promet plutôt un profil de dissolution au moins égal à celui énoncé dans la revendication 1. La question de savoir si ce profil de dissolution est supérieur ou non à celui de l’antériorité n’est ni pertinente ni couverte par les revendications des inventeurs. Quand bien même cela aurait été partie intégrante de la promesse, l’allégation d’inutilité aurait été rejetée. Sandoz s’appuie sur la preuve de M. Bogardus selon laquelle les profils de dissolution obtenus dans les études relatives à l’art antérieur et à l’invention montrent que la composition de Fournier n’offre pas un profil de dissolution largement supérieur au produit antérieur. Encore une fois, nous privilégierons la preuve de Mme Vadas. Elle déclare que [traduction] « il n’est pas raisonnable, d’un point de vue scientifique, de comparer des taux de dissolution entre les études, comme l’a fait M. Bogardus. »

 

PRÉDICTION VALABLE

[138]       Les observations de Sandoz sur la prédiction valable figurent au paragraphe 84 de son mémoire des faits et du droit, et sont rédigées comme suit :

[traduction] Une prédiction valable implique un fondement factuel pour prédire l’utilité promise, un raisonnement solide et une divulgation adéquate. Fournier a reconnu que l’utilité promise no 1 ne peut faire l’objet d’une prédiction valable. Au paragraphe 77 de son mémoire des faits et du droit, Fournier reconnaît que « […] la personne versée dans l’art ne devrait mener que des travaux “courants” pour choisir un autre polymère en vue d’obtenir le profil de dissolution. » Les essais (courants ou autres) destinés à établir l’utilité ne sont pas envisagés par la doctrine de la prédiction valable. Si des essais étaient permis, la doctrine serait vidée de son sens. Quoi qu’il en soit, M. Muzzio a indiqué, en contre‑interrogatoire, que les essais pourraient prendre des jours de travail. Les revendications 27(A) et 27(B) du brevet 576 ne peuvent faire l’objet d’une prédiction valable compte tenu de la vaste catégorie et de la quantité importante des polymères hydrophiles, des processus illimités et de la variété des profils de dissolution couverts par les revendications. [Renvois omis.]

 

[139]       Pour les motifs donnés précédemment concernant la portée excessive, je rejette ces observations. Les essais courants sont autorisés, l’éventail des polymères utiles fait partie des connaissances de la personne versée dans l’art, et il ne s’agit de rien d’autre que d’essais courants, même s’ils ne produisent de résultat qu’après un certain nombre de jours. Le temps requis pour effectuer ces essais n’est pas forcément l’indice d’un caractère exceptionnel.

 

DIVULGATION INSUFFISANTE

[140]       L’allégation de Sandoz à cet égard repose sur une interprétation du brevet 576 en vertu de laquelle le profil de dissolution y figure comme une limitation fonctionnelle. Tel n’était pas le cas et, pour cette raison seulement, l’allégation est rejetée.

 

AMBIGÜITÉ

[141]       Dans la décision Létourneau c Clearbrook Iron Works Ltd, 2005 CF 1229, la Cour a noté au paragraphe 27 qu’« [u]ne revendication n’est pas invalide du simple fait qu’elle n’est pas un modèle de concision et de clarté. » Les allégations d’ambigüité ne sont invoquées qu’en « dernier recours », comme le notait la Cour dans Pfizer Canada Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1725, au paragraphe 53. Plus important encore, le juge Mosley faisait observer dans Létourneau c Clearbrook Iron Works Ltd, au paragraphe 38 :

La Cour doit interpréter la revendication de façon téléologique sans être trop tatillonne ou formaliste. Si plusieurs interprétations sont raisonnablement possibles, la Cour doit favoriser celle qui permet de confirmer la validité du brevet. Si le libellé du mémoire descriptif peut raisonnablement être interprété de manière à reconnaître à l’inventeur la protection de ce qu’il a effectivement inventé de bonne foi, le tribunal doit, en principe, s’efforcer de donner effet à cette interprétation. [Renvois omis.]

 

 

[142]       Les experts de Sandoz n’ont présenté aucune preuve convaincante établissant qu’ils ne comprennent pas les termes selon eux ambigus du brevet 576; Sandoz tente plutôt, comme le note Fournier, de s’appuyer sur les « aveux » de ses témoins experts issus du contre‑interrogatoire. Nul témoin n’a prétendu qu’il n’y avait aucun moyen d’interpréter les termes soi‑disant ambigus autrement que d’une manière qui interdise à l’inventeur la protection de ce qu’il a effectivement inventé de bonne foi. Par conséquent, je rejette la prétention de Sandoz selon laquelle le brevet 576 est ambigu.

 

CONCLUSION

[143]       Comme Fournier n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que toutes les allégations de Sandoz ne sont pas fondées, la présente demande doit être rejetée. Sandoz a droit au remboursement de dépens raisonnables. Si les parties ne sont pas en mesure de s’entendre sur un montant, elles peuvent, au plus tard quinze (15) jours après la publication du présent jugement, en aviser la Cour qui donnera d’autres directives.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La demande est rejetée;

 

2.                  Sandoz Canada Inc. a droit aux dépens conformément aux présents motifs.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


ANNEXE A

 

Revendications pertinentes du brevet 576

 

1. Composition de fénofibrate à libération immédiate comprenant un support inerte hydrosoluble et du fénofibrate sous forme micronisée ayant une dimension particulaire inférieure ou égale à environ 20 µm, présentant une dissolution d’au moins 10 % en 5 minutes, 20 % en 10 minutes, 50 % en 20 minutes et 75 % en 30 minutes, telle que mesurée conformément à la méthode de la palette tournante à 75 t/min selon la Pharmacopée Européenne, dans un milieu de dissolution constitué d’eau avec 2 % en poids de polysorbate 80 ou 0,025M de lauryl sulfate de sodium.

 

2. Composition selon la revendication 1, dans laquelle le fénofibrate a une dimension particulaire inférieure ou égale à 10 µm.

 

3. Composition selon la revendication 1 ou 2, dans laquelle le fénofibrate représente de 5 à 50 % en poids.

 

4. Composition selon la revendication 3, dans laquelle le fénofibrate représente de 20 à 45 % en poids.

 

5. Composition selon l’une des revendications 1 à 4, comprenant de plus un polymère hydrophile.

 

6. Composition selon la revendication 5, dans laquelle le polymère hydrophile est choisi parmi : polyvinylpyrrolidone, poly(alcool vinylique), hydroxypropylcellulose, hydroxy‑méthylcellulose, hydroxypropylméthylcellulose, gélatine et leurs mélanges.

 

[…]

 

14. Composition selon l’une des revendications 1 à 2, dans laquelle le support inerte hydrosoluble est du lactose.

 

15. Composition selon l’une des revendications 1 à 14, dans laquelle le support inerte hydrosoluble présente une dimension particulaire unitaire comprise entre 50 et 500 microns.

 

16. Composition selon la revendication 15, dans laquelle le support inerte hydrosoluble est du lactose présentant une dimension particulaire unitaire comprise entre 100 et 400 microns.

 

[…]

 

19. Composition selon l’une quelconque des revendications 1 à 18, comprenant de plus un tensio‑actif.

 

[…]

 

21. Composition selon la revendication 19 ou 20, dans laquelle le tensio‑actif est du sodium lauryl sulfate.

 

[…]

 

23. Composition selon l’une quelconque des revendications 19 à 22, dans laquelle le tensio‑actif représente au plus de 10 % en poids.

 

24. Composition selon la revendication 23, dans laquelle le tensio‑actif représente de 0,1 à 3 % en poids.

 

[…]

 

27. Composition selon l’une quelconque des revendications 1 à 26, sous forme de comprimé.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑991‑10

 

INTITULÉ :                                                  FOURNIER PHARMA INC. ET AL c. LE MINISTRE DE LA SANTÉ et SANDOZ CANADA INC.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         du 2 au 5 avril 2012

 

MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
                                       LE JUGE ZINN

 

 

DATE DES MOTIFS :                                 le 5 juillet 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew J. Reddon / Steven Tanner /

Steven Mason / Fiona Legere

 

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Warren Sprigings / Mary McMillan

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MCCARTHY TÉTRAULT LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LES DEMANDERESSES

 

SPRIGINGS

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 



*    Conformément à l’usage, les motifs du jugement ont été communiqués aux parties sous forme de motifs confidentiels, en leur offrant la possibilité de présenter des observations touchant la suppression de certains renseignements confidentiels. Ces observations ont été examinées et les motifs publics tiennent compte des suppressions que la Cour juge nécessaires pour protéger les renseignements confidentiels.

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