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Date : 20120608

Dossier: T-790-11

Référence : 2012 CF 721

Ottawa (Ontario), le 8 juin 2012

En présence de monsieur le juge Scott 

 

ENTRE :

 

ROBERT ROUSSE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.         Introduction

 

[1]               Il s’agit d’un appel de Monsieur Robert Rousse (M. Rousse) aux termes du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-29 (la Loi), de la décision rendue par la juge de la citoyenneté Renée Giroux, rejetant sa demande de citoyenneté.

 

[2]               Pour les raisons qui suivent, cet appel est accueilli.

 

II.        Faits

 

[3]               M. Rousse est citoyen de France. Il arrive au Canada le 26 mars 2000. Il travaille comme ostéopathe à Toronto avant de s’installer au Québec.

 

[4]               Le 24 août 2004, M. Rousse obtient son statut de résident permanent du Canada.

 

[5]               Le 12 novembre 2007, il dépose sa  demande de citoyenneté dans laquelle il indique avoir été absent du Canada pendant 475 jours au cours de la période désignée au lieu des 365 jours permis.

 

[6]               La demande de M. Rousse est entendue le 14 décembre 2010. Lors de l’entrevue, la juge de la citoyenneté accorde une prorogation de délai pour permettre à M. Rousse de déposer d’autres éléments de preuve.

 

[7]               Après avoir analysé les éléments de preuves supplémentaires, la juge de la citoyenneté rejette la demande de citoyenneté de M. Rousse le 15 mars 2011.

 

III.       Législation

 

[8]               L’article 5(1) de la Loi précise que :

 (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

 

a) en fait la demande;

 

 

b) est âgée d’au moins dix-huit ans;

 

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

 

 

 

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

 

 

 

 

 

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

 

 

 

 

 

d) a une connaissance suffisante de l’une des langues officielles du Canada;

 

e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté;

 

 

f) n’est pas sous le coup d’une mesure de renvoi et n’est pas visée par une déclaration du gouverneur en conseil faite en application de l’article 20.

 

 (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

 

 

(a) makes application for citizenship;

 

(b) is eighteen years of age or over;

 

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

 

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

 

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

 

d) has an adequate knowledge of one of the official languages of Canada;

 

(e) has an adequate knowledge of Canada and of the responsibilities and privileges of citizenship; and

 

(f) is not under a removal order and is not the subject of a declaration by the Governor in Council made pursuant to section 20.

 

 

IV.      Question en litige et norme de contrôle

 

A.                Question en litige

 

·                     La juge de la citoyenneté a-t-elle erré en rejetant la demande de M. Rousse aux termes de l’alinéa 5(1)c) de la Loi?

 

B.                Norme de contrôle

 

[9]               La révision de la décision d’un juge de la citoyenneté voulant qu’un demandeur répond ou non aux exigences de résidence précisées dans la Loi est une question mixte de fait et de droit lorsqu’il s’agit, entre autres, de l’application des faits aux critères du test de Koo (voir la décision Chowdhury c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 709, aux paras 24 à 28 ; voir aussi la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Zhou, 2008 CF 939 au para 7). Mais lorsque la question devant la Cour, comme en l’instance, porte sur le choix du test ou la confusion entre les critères applicables au test choisi il s’agit plutôt du critère de la décision correcte. (voir El Ocla c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 533 aux paras 10 à 12).

 

V.        La position des parties

 

A.                Position de M. Rousse

 

[10]           M. Rousse soutient que la juge de la citoyenneté erre en droit en ce qu’elle confond les critères applicables à l’existence d’une résidence centralisée au Canada (Koo (Re) (1re inst), [1993] 1 CF 286 [Koo]) avec celui de la présence physique stricte (Pourghasemi (Re), [1993] ACF no 232 [Pourghasemi]).

 

[11]           M. Rousse souligne qu’il existe plusieurs motifs pour soutenir sa prétention voulant que la conclusion de la juge soit déraisonnable.

 

[12]           Il mentionne d’abord que la juge de la citoyenneté omet de tenir compte de son affidavit qui  fait état de son établissement au Canada et qui, conséquemment, donne ouverture à l’application des critères de l’arrêt Koo.

 

[13]           Il souligne également que la juge tient compte de faits survenus hors de la période désignée.

 

[14]           Enfin, il reproche à la juge son défaut de se prononcer s’il avait effectivement établi sa résidence et partant d’appliquer le test de Koo.

 

[15]           En somme, M. Rousse prétend que la juge ne se prononce pas sur un élément fondamental de sa demande, ce qui vicie sa décision.

 

B.                Position du défendeur

 

[16]           Le défendeur souligne que « les juges de la citoyenneté ont encore la faculté de choisir entre les deux courants jurisprudentiels énoncés respectivement dans Pourghasemi et Papadogiorgakis/Koo pour prendre cette décision, pourvu qu’ils appliquent raisonnablement l’interprétation de la loi qu’ils privilégient aux faits de la demande dont ils sont saisis » (Hao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 46 au para 24).

 

[17]           Le défendeur souligne que la juge de la citoyenneté applique le critère de la présence physique. M. Rousse reproche à la juge de la citoyenneté d’avoir confondu les critères de Koo et Pourghasemi. Or, selon le défendeur, la juge indique clairement que sa décision se fonde sur les critères quantitatifs de Pourghasemi.

 

[18]           Le défendeur soutient par ailleurs que la juge devait, entre autres, tenir compte des critères de Koo afin d’établir la résidence de M. Rousse au Canada. De plus, le défendeur réfère à la décision Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 390 au para 10, qui veut qu’« il ressort de la jurisprudence que cette obligation implique une analyse en deux étapes : une décision préliminaire, sur le fait de savoir si la résidence au Canada a été établie ou non et, ensuite, dans l’affirmative, une décision additionnelle, sur le fait de savoir si la résidence du demandeur en question satisfait ou non au nombre total de jours requis ».

 

[19]           L’occupation professionnelle de M. Rousse, ses adresses résidentielles ainsi que ses déclarations de revenus sont tous des éléments de preuve qui peuvent établir sa résidence. La juge de la citoyenneté pouvait donc commenter ces éléments de preuve au dossier. Le fait de commenter des éléments de preuve ne crée pas de confusion quant à l’approche adoptée par la juge de la citoyenneté et ne constitue pas une erreur. Le défendeur réfère la Cour à la décision Tulupnikov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1439 à l’appui.

 

[20]           Selon le défendeur, vu que M. Rousse ne rencontre pas les exigences de l’alinéa 5(1)c) de la Loi, la conclusion de la juge de citoyenneté est raisonnable et il n’y a donc pas ouverture à une intervention de la Cour (Deshwal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1248 au para 20; Abbas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 145 aux paras 8-9).

 

VI.      Analyse

 

·                     La juge de la citoyenneté a-t-elle erré en rejetant la demande de M. Rousse aux termes de l’alinéa 5(1)c) de la Loi?

 

[21]           La juge de la citoyenneté erre en  rejetant la demande de Rousse aux termes de l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

 

[22]           « La cour doit ainsi faire preuve de déférence, mais d'une déférence restreinte, lorsqu'elle est saisie d'un appel de la décision d'un juge de la citoyenneté en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté concernant la détermination du respect de l'obligation de résidence » (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Takla, 2009 CF 1120 au para 39).

 

[23]           Dans la décision Ahmed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 ACF no 1415 (QL) au para 4, la Cour précise que la « "question" de la divergence d'opinions dans la jurisprudence de la Cour fédérale, en ce qui a trait à l'obligation de résidence imposée par la Loi, émerge inévitablement des arguments présentés en appel des décisions rendues en matière de citoyenneté, je crois qu'il est utile de distinguer entre les affaires où cette question est valable et celles dans lesquelles elle ne l'est pas. À mon avis, la "question" portant sur la divergence d'opinions dans la jurisprudence de la Cour fédérale n'est pas pertinente quant à savoir si un appelant a établi une résidence au Canada ».

 

[24]           Dans les notes au dossier qui expliquent les motifs de la décision, la juge de la citoyenneté tient compte de tous les éléments de preuve au dossier, dont les adresses antérieures de M. Rousse, une lettre de son ancien employeur ainsi que de ses déclarations fiscales.

 

[25]           Elle procède en fait à une analyse à la lumière des critères de l’arrêt Koo.

 

[26]           Le manuel des juges de la Citoyenneté prévoit à la section 5.9 B - Circonstances exceptionnelles 

D’après la jurisprudence, le demandeur peut être absent du Canada et conserver son statut de résident aux fins de la citoyenneté dans certains cas exceptionnels.

 

[…]

 

Pour évaluer si les absences d’un demandeur sont conformes aux exceptions admissibles, il faut se poser les six questions suivantes qui constituent le critère déterminant. Ces questions ont été établies par Mme la juge Reed dans la décision Koo. Pour chaque question, on donne un exemple de circonstance qui permet au demandeur de satisfaire à l’exigence concernant la résidence.

 

• 1. La personne était-elle réellement présente au Canada pendant une longue période avant ses absences récentes qui se sont produites immédiatement avant la présentation de la demande de citoyenneté?

 

[…]

 

• 2. Où résident les personnes à charge et les membres de la famille immédiate du demandeur (et de la famille élargie)?

 

[…]

 

• 3. Les présences réelles du demandeur au Canada semblent-elles indiquer qu'il rentre chez lui ou qu'il revient au pays simplement en visite?

 

[…]

 

• 4. Quelle est la durée des absences réelles – s'il ne manque que quelques jours au demandeur pour atteindre le total de 1 095, il est plus facile de conclure à une residence présumée que si ses absences étaient prolongées.

 

[…]

 

• 5. L'absence réelle est-elle attribuable à une situation de toute évidence temporaire, comme avoir un emploi de missionnaire à l'étranger, y suivre un cours dans un établissement d'enseignement, accepter un emploi temporaire à l'étranger, accompagner un conjoint qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger?

 

[…]

 

• 6. De quelle qualité sont les rapports du demandeur avec le Canada; sont-ils plus solides que ceux qu’il entretient avec un autre pays?

 

[…]

 

[27]           La juge de la citoyenneté rappelle que M. Rousse habite son local commercial quelques temps avant que le propriétaire lui demande de cesser d’y habiter (voir la lettre de Monsieur Ameen Patel datée du 28 juillet 2003). Elle remarque également que certaines adresses ont été omises du questionnaire de résidence signé par M. Rousse le 9 mars 2009.

 

[28]           La juge de la citoyenneté souligne que les nombreuses absences de M. Rousse sont attribuables à sa vie professionnelle car il offre des stages et donne de la formation à l’étranger.

 

[29]           La juge remarque également que M. Rousse a déposé des relevés bancaires. Factures d’assurance et des adhésions à des clubs et associations. M. Rousse ne mentionne finalement aucune implication communautaire au Canada.

 

[30]           En somme la juge procède à une analyse en profondeur selon les critères de Koo. Toutefois et c’est là que le bât blesse; elle rejette la demande en se fondant sur la décision Pourghasemi, soit selon le seul critère de la présence physique.

 

[31]           Cette confusion dans l’approche et les critères applicables ne saurait être acceptée car elle constitue une erreur de droit. La jurisprudence de cette Cour reconnaît à bon escient que le choix du test applicable appartient au juge de la citoyenneté dans l’état actuel du droit. Mais, une fois que le juge arrête son choix, il doit appliquer le test choisi d’une manière cohérente. Le justiciable doit pouvoir comprendre la décision, ses motifs et son fondement juridique.

 

[32]           En l’espèce la juge omet de se prononcer après son analyse selon les critères de Koo, si M. Rousse a établi ou pas sa résidence. Elle conclut : »

Suite à l’audience, du 14 décembre 2010 et après avoir fait une révision soigneuse de la documentation produite, je constate de nouveau que monsieur Robert ROUSSE ne rencontre pas l’exigence de l’article 5(1) c) de la Loi sur la citoyenneté car il n’a pas séjourné assez longtemps au Canada, pendant la période examinée.

 

Je me réfère aux critères du Juge Muldoon dans l’arrêt Pourghasemi, (RE) : [1993] F.C.J. No. 232 qui sont clairs, à ce sujet. » (voir notes au dossier de la juge Renée Giroux)

 

[33]           En conclusion, la Cour fait droit à l’appel puisque la juge a commis une erreur en procédant à une analyse selon les critères de Koo et en concluant selon le critère de présence physique de Pourghasemi.

 


JUGEMENT

POUR CES MOTIFS, LA COUR ACCUEILLE l’appel et RENVOIE LE DOSSIER DEVANT UN AUTRE JUGE DE LA CITOYENNETÉ. Le tout sans dépens.

 

 

« André F.J. Scott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-790-11

 

INTITULÉ :                                      ROBERT ROUSSE

                                                            c

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             25 avril 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                     8 juin 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jean-François Bertrand

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Émilie Tremblay

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bertrand, Deslauriers

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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