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Date : 20120605

Dossier : IMM-8396-11

Référence : 2012 CF 694

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 5 juin 2012

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

 

ZE TONG CAO

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Ze Tong Cao demande le contrôle judiciaire d’une décision défavorable rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. M. Cao prétendait craindre d’être persécuté en Chine parce qu’il avait organisé une manifestation pour protester contre la tentative du gouvernement d’exproprier sa terre sans lui verser une compensation raisonnable. La Commission a jugé que son récit selon lequel il avait été persécuté par le Bureau de la sécurité publique (le BSP) en Chine n’était ni crédible ni vraisemblable.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que, en dépit de la déférence dont doivent faire l’objet les conclusions de fait de la Commission, un certain nombre des conclusions de celle‑ci concernant la crédibilité et l’invraisemblance étaient tout simplement déraisonnables. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

Les omissions au point d’entrée

 

[3]               La Commission a estimé que la crédibilité du récit de M. Cao était minée par le fait qu’il n’avait pas employé le terme « manifestation » dans le formulaire rempli au point d’entrée.

 

[4]               Il est reconnu que l’existence de contradictions ou de disparités entre les notes prises au point d’entrée et le témoignage d’un demandeur peut servir de fondement à une conclusion défavorable concernant la crédibilité lorsque ces notes sont détaillées et contiennent des différences importantes par rapport au témoignage subséquent du demandeur : Dehghani c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 587, [1990] A.C.F. no 558 (QL), au paragraphe 33 (C.A.F.). Ce n’était pas le cas en l’espèce.

 

[5]               Dans le formulaire rempli au point d’entrée, M. Cao devait indiquer [traduction] « en quelques mots » pourquoi il demandait l’asile au Canada. Le formulaire précisait qu’il aurait la possibilité d’expliquer tous les faits relatifs à sa demande d’asile à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

 

[6]               M. Cao a exposé dans cinq courtes phrases les éléments essentiels de sa demande d’asile. Il a décrit l’expropriation de sa terre, le caractère déraisonnable de la compensation qui lui avait été offerte et l’accusation qui aurait été déposée contre lui pour avoir diffamé verbalement le gouvernement. Quoique brève, sa description du fondement de sa demande d’asile concordait de manière générale avec son témoignage devant la Commission.

 

[7]               Par conséquent, il était déraisonnable que la Commission fonde une conclusion défavorable concernant la crédibilité sur le fait que M. Cao n’avait pas employé le terme « manifestation » au point d’entrée : Aguirre c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 571, 167 A.C.W.S. (3d) 773, aux paragraphes 28 à 30.

 

Les omissions dans le Formulaire de renseignements personnels

 

[8]               La Commission a conclu également que M. Cao n’était pas crédible à cause des omissions dans son FRP. M. Cao avait notamment omis de préciser qu’il élevait non seulement des poissons, mais aussi des canards, sur sa ferme et d’expliquer comment il avait fabriqué la bannière qu’il avait utilisée au cours de sa manifestation à l’extérieur des bureaux du gouvernement.

 

[9]               J’aimerais d’abord faire remarquer que ces détails n’ont pas trait aux aspects essentiels de la demande d’asile de M. Cao et qu’ils ne permettent pas de tirer une conclusion défavorable concernant la crédibilité.

 

[10]           En outre, M. Cao avait modifié son FRP avant l’audition de sa demande d’asile afin d’y mentionner qu’il élevait des canards en plus des poissons sur le terre en cause. Il ressort également des propres motifs de la Commission que l’élevage des canards était plutôt une activité d’appoint pour M. Cao et que sa principale activité – et sa principale source de revenu – était la pisciculture.

 

[11]           Le fait que la bannière de M. Cao était lisible ou non est sans importance car il a également déclaré dans son témoignage qu’il avait crié des slogans au sujet de la corruption du gouvernement pendant sa manifestation, ce qui avait attiré l’attention du BSP.

 

[12]           Par ailleurs, la Commission a commis une erreur en ne prenant pas en considération les explications données par M. Cao en réponse à ses préoccupations sur ces points : Veres c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 124, [2000] A.C.F. no 1913 (QL), au paragraphe 11 (C.F. 1re inst.).

 

L’authenticité des documents de M. Cao

 

[13]           La Commission a également déterminé que les avis d’expropriation visant la terre de M. Cao étaient frauduleux parce que l’encre du timbre qui y avait été apposé avait traversé le papier et que la date avait été imprimée sur le timbre.

 

[14]           Non seulement on ignore comment le problème de l’encre a amené la Commission à conclure que les documents étaient frauduleux, mais celle‑ci ne disposait d’aucune preuve concernant le type ou la forme des documents qui sont habituellement remis aux citoyens chinois menacés d’expropriation dans la province du Guangdong.

 

[15]           Les documents censés avoir été délivrés par une administration étrangère sont présumés faire preuve de leur contenu, à moins qu’il y ait des raisons valables de les rejeter : Ramalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 77 A.C.W.S. (3d) 156, [1998] A.C.F. no 10 (QL), au paragraphe 5 (C.F. 1re inst.). Cette présomption est bien sûr réfutable.

 

[16]           Bien que la Commission ait souligné que des documents gouvernementaux frauduleux peuvent être obtenus dans la province du Guangdong, la Cour a statué qu’« il ne s’ensuit pas que tous les documents qui proviennent de la RPC sont nécessairement frauduleux » : Lin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 157, [2012] A.C.F. no 167 (QL), au paragraphe 55.

 

[17]           La Commission a reconnu son manque d’expertise dans le domaine de l’examen judiciaire des documents. Le fait qu’elle n’a pas donné des motifs transparents et intelligibles expliquant pourquoi elle a rejeté l’authenticité des documents de M. Cao rend cet aspect de sa décision déraisonnable.

 

Les contradictions avec les documents sur les conditions existant dans le pays

 

[18]           La Commission a conclu également que le récit de M. Cao ne concordait pas avec la preuve documentaire parce que le gouvernement lui avait offert une compensation monétaire pour l’expropriation de sa terre au lieu d’une autre parcelle de terrain.

 

[19]           Or, la possibilité qu’une compensation monétaire soit versée aux personnes dont la terre a été expropriée n’est pas exclue dans la preuve documentaire sur laquelle la Commission s’est fondée. En fait, il est expressément question dans le document du fait qu’une telle compensation est versée dans certains cas. Il n’y avait donc aucune contradiction entre cet aspect du récit de M. Cao et le document sur lequel la Commission s’est appuyée.

 

La conclusion d’invraisemblance

 

[20]           Lorsque la Commission a des doutes au sujet de la crédibilité d’un demandeur d’asile à cause d’invraisemblances contenues dans son récit, ses conclusions doivent être raisonnablement tirées et être formulées en termes clairs et explicites : Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, 208 F.T.R. 267, au paragraphe 7. La SPR doit en outre invoquer des « éléments de preuve fiables et vérifiables au regard desquels la vraisemblance des témoignages des demandeurs pourrait être appréciée » : Gjelaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 37, [2010] A.C.F. no 31 (QL), au paragraphe 4. Comme je l’expliquerai plus loin, la Commission ne l’a pas fait en l’espèce.

 

L’envoi des papiers d’identité de M. Cao

 

[21]           La Commission a conclu qu’il était invraisemblable que la famille de M. Cao lui ait expédié ses papiers d’identité à son adresse postale au Canada dans un colis sur lequel elle avait écrit sa propre adresse. Selon la Commission, le consultant en immigration de M. Cao l’aurait informé que les autorités chinoises surveillent le système postal et suivent la trace des fugitifs au moyen d’un réseau informatique. La décision de procéder de cette façon a eu pour effet de mettre en danger la famille et les documents de M. Cao, ce qui, selon la Commission, dénotait une absence de crainte subjective.

 

[22]           La Commission ne disposait cependant d’aucune preuve indiquant que M. Cao avait été informé par son consultant en immigration que les autorités chinoises surveillent le système postal et suivent la trace des fugitifs au moyen d’un réseau informatique. Elle ne disposait pas non plus d’une preuve démontrant que M. Cao, un fermier d’une région rurale de la Chine, ou sa famille étaient au courant de cette pratique. La conclusion de la Commission n’était fondée sur rien de plus que des hypothèses et, par conséquent, elle était déraisonnable.

 

Conclusion

 

[23]           La Commission avait un certain nombre de raisons de ne pas ajouter foi au récit du demandeur concernant la persécution dont il aurait été victime de la part du BSP. Même si je n’ai pas traité de chacune des conclusions de la Commission, j’ai conclu qu’un certain nombre de ses conclusions défavorables concernant la crédibilité et la vraisemblance n’étaient tout simplement pas raisonnables. L’effet cumulatif de mes conclusions m’amène à statuer que la décision de la Commission dans l’ensemble ne satisfait pas aux critères de justification, de transparence et d’intelligibilité d’une décision raisonnable.

 

[24]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Je conviens avec les parties que l’affaire ne soulève pas une question à certifier.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

1.         La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

 

2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                              IMM-8396-11

 

INTITULÉ :                                            ZE TONG CAO c.

                                                                  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                  ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                    Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                   Le 4 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                  LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :                           Le 5 juin 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lindsay Weppler

 

                            POUR LE DEMANDEUR

Neal Samson

 

                            POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Blanshay & Lewis

Avocats canadiens en immigration

Toronto (Ontario)

 

                            POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

                            POUR LE DÉFENDEUR

 

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