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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 Date: 20120629

Dossier : IMM-8382-11

Référence : 2012 CF 835

Ottawa (Ontario), le 29 juin 2012

En présence de monsieur le juge Scott 

 

ENTRE :

 

JUJHAR SINGH GILL

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               La Cour est saisie d'une demande de révision judiciaire présentée aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27 [LIPR] qui vise la décision de l'agent d'immigration (l'agent), rendue le 21 septembre 2011, refusant d'octroyer le statut de résident permanent à Monsieur Jujhar Singh Gill (Monsieur Gill) ou de lever tous ou une partie des critères et obligations applicables à une demande de résidence permanente pour des considérations d'ordre humanitaire [CH] aux termes du paragraphe 25(1) de la LIPR.

 

[2]               Pour les raisons qui suivent, cette demande de révision judiciaire est rejetée.

 

II.        Faits

 

[3]               Monsieur Gill est citoyen de la République de l’Inde. Il est marié à Mme Kulwinder Gill qui habite l’Inde avec leurs enfants Jagjot Gill et Prabjot Gill. Ses parents et son frère résident au Canada.

 

[4]               Il est actionnaire d’une compagnie d’impression ainsi que propriétaire et chauffeur d’une compagnie de transport.

 

[5]               Le 9 août 1997, Monsieur Gill arrive au Canada. Il dépose une demande d’asile fondée sur sa crainte d’être persécuté par les forces policières indiennes vu son affiliation au parti Akali Dal Mann.

 

[6]               Le 4 mai 1999, la CISR refuse la demande d’asile de Monsieur Gill en raison de son manque de crédibilité.

 

[7]               Le 10 août 1999, la Cour fédérale rejette sa demande d’autorisation et de révision judiciaire de la décision de la CISR.

 

[8]               Le 14 avril 2010, Monsieur Gill dépose une demande d’évaluation des risques avant renvoi [ERAR]. Sa demande de l’ERAR est rejetée le 12 septembre 2011.

 

[9]               Le 19 janvier 2004, Monsieur Gill déposait une demande de résidence permanente sous considérations humanitaires [CH]. Sa demande est rejetée le 21 septembre 2011. Cette décision fait l’objet de la présente demande de révision judiciaire.

 

III.       Législation

 

[10]           Le paragraphe 25(1) de la LIPR précise que :

 (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

 (1) The Minister must, on request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

 

 

IV.       Question en litige et norme de contrôle

 

A.        Question en litige

 

·                    L'agent erre-t-il en concluant que Monsieur Gill ne subira pas de difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées s’il doit déposer sa demande de résidence permanente de l'étranger?

 

B.        Norme de contrôle

 

[11]           Dans l'arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 RCS 817 au para 62, la Cour suprême précise que la norme de contrôle applicable aux décisions portant sur des demandes pour motifs d'ordre humanitaire est la norme de la décision raisonnable (voir aussi Paz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 412 aux paras 22-25).

 

[12]           Ainsi, la Cour doit considérer « la justification de la décision, [...] la transparence et [...] l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu[e] l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47).

 

 

 

 

V.        Position des parties

 

A.        Position de Monsieur Gill

 

[13]           Monsieur Gill soutient que le temps écoulé depuis le dépôt de sa demande d’asile lui a permis de s’installer et de s’intégrer au Canada. Il cite la décision de l’agent qui note qu’il a démontré une volonté d’enracinement et d’intégration au sein de la population canadienne, et ce, tant par son succès en affaires que ses implications communautaires.

 

[14]           Monsieur Gill allègue de plus que l’agent n’accorde pas suffisamment de poids aux difficultés auxquelles il devra faire face advenant un retour en Inde et ce, après 13 ans d’absence de ce pays. Monsieur Gill souligne aussi qu’il aura de la difficulté à se trouver un emploi en Inde.

 

[15]           D’autre part, Monsieur Gill rappelle qu’il a été détenu de façon arbitraire et torturé par les forces policières indiennes en raison de ses affiliations politiques. Il affirme qu’on l’expose aux mêmes risques advenant son retour.

 

B.        Position du défendeur

 

[16]           Le défendeur soutient par ailleurs  que la conclusion de l’agent voulant que Monsieur Gill n’a pas établi que les difficultés qu’il rencontrerait en présentant sa demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada seraient inhabituelles et injustifiées ou excessives.

 

[17]           De plus, le défendeur  souligne que le degré d’établissement au Canada n’est qu’un facteur parmi tant d’autres à considérer lors de l’évaluation d’une demande CH. Le défendeur cite l’affaire Lynch c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 615 au para 20, qui précise que « le critère que doit appliquer un agent d’immigration pour rendre une décision en vertu de l’article 25 de la LIPR est de déterminer si la personne qui demande une dispense subirait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives si elle devait répondre aux exigences normales de la Loi ».

 

[18]           Le défendeur ajoute qu’il n’est pas suffisant d’agir comme un bon citoyen canadien et que « simply being employed in Canada and acting as a responsible citizen is not sufficient …[O]ther factors must be present justifying humanitarian and compassionate grounds » (voir Adams v Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2009 FC 1193 au para 34).

 

[19]           Par ailleurs, le défendeur rappelle que la séparation des membres d’une famille ne justifie pas une exemption aux termes de l’article 25 de la LIPR. Monsieur Gill ne dépose aucun élément de preuve démontrant que cette séparation entraînerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

 

[20]           Selon le défendeur, Monsieur Gill ne devrait pas être récompensé pour avoir accumulé du temps au Canada (voir Perez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 757 au para 7).

 

[21]           De plus, aux dires du défendeur, la jurisprudence est claire. L’agent d’immigration ne siège pas en appel d’une décision de la CISR. Il ne doit pas revoir les conclusions de la Commission (voir Akinosho c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1194 au para 10).

 

VI.       Analyse

 

·                    L'agent erre-t-il en concluant que Monsieur Gill ne subira pas de difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées à déposer sa demande de résidence permanente de l'étranger?

 

[22]           L’agent ne commet pas d’erreur en concluant que Monsieur Gill ne subira pas de difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées s’il doit déposer sa demande de résidence permanente de l’étranger.

 

[23]           « Le processus de décision pour les demandes CH est tout à fait discrétionnaire et sert à déterminer si l'octroi d'une exemption est justifié » (voir Doumbouya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 1186 au para 7; Kawtharani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [Kawtharani], 2006 CF 162 au para 15). Il revient donc à Monsieur Gill de prouver que les difficultés auxquelles il sera confronté, s'il doit déposer sa demande de résidence permanente de l'étranger, sont inhabituelles et injustifiées ou démesurées (voir Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CAF 125 au para 23).

 

[24]           Le guide des Demandes présentées par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire précise le sens donné aux termes « difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées » de la façon suivante :

5.10 Évaluation des difficultés

 

L’évaluation des difficultés dans le cadre d’une demande CH permet au décideur de CIC de déterminer si des considérations d’Ordre humanitaire justifient l’octroi de la dispense demandée.

 

Le critère des « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » a été adopté par la Cour fédérale dans ses décisions fondées sur le paragraphe 25(1) de la LIPR, ce qui signifie que ces termes sont plus que de simples lignes directrices.

 

Voir Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); 2009 Carswell Nat 452; 2009 CF 11.

 

[…]

 

Lorsqu’on détermine les difficultés auxquelles un demandeur fait face, il faut examiner les considérations d’ordre humanitaires globalement plutôt que séparément. En d’autres mots, les difficultés sont évaluées en soupesant l’ensemble des considérations d’ordre humanitaire invoquées par le demandeur. Les difficultés doivent être inhabituelles et injustifiées ou démesurées...

 

5.11 Facteurs à prendre en considération dans l’évaluation des difficultés

 

Le L25(1) prévoit la possibilité de soustraire le demandeur à l’obligation d’obtenir un visa de résident permanent à l’étranger, à l’obligation d’appartenir à une catégorie et/ou à une interdiction de territoire s’il est justifié de le faire pour des considérations d’ordre humanitaire.

 

L’agent doit évaluer les difficultés auxquelles le demandeur ferait face s’il n’obtenait pas la dispense demandée.

 

Le demandeur peut fonder sa demande CH sur plusieurs facteurs, notamment :

 

·        son établissement au Canada;

·        ses liens avec le Canada;

·        l’intérêt supérieur de tout enfant touché par sa demande;

·        des facteurs dans son pays d’origine (entre autres, incapacité d’obtenir des soins médicaux, discrimination n’équivalent pas à de la persécution, harcèlement ou autres difficultés non visées aux L96 et L97;

·        des facteurs relatifs à la santé;

·        des facteurs relatifs à la violence familiale;

·        les conséquences de la séparation des membres de la famille;

·        l’incapacité à quitter le Canada ayant conduit à l’établissement et/ou

·        tout autre facteur pertinent invoqué par le demandeur n’étant pas visé au L96 et L97.

 

[25]           Monsieur Gill allègue son établissement et ses liens avec le Canada. Il affirme qu’il s’est bien intégré au pays et qu’il aura de la difficulté, après 13 ans d’absence, à se trouver un emploi en Inde. De plus, il soutient qu’il sera torturé par les forces policières advenant son  retour dans son pays d’origine.

 

[26]           Dans sa décision, l’agent reconnaît « néanmoins une volonté d’enracinement » (voir le dossier du tribunal à la page 8) mais conclut négativement en réponse à la « la question est de savoir si de tels efforts sont suffisants pour justifier une mesure d’exception qu’est la dispense de visa au sens [du Guide des Demandes présentées par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire] » (voir le dossier du tribunal à la page 8).

 

[27]           La Cour souscrit à l’analyse de l’agent voulant que le facteur de l’établissement au Canada ne soit qu’un facteur parmi tant d’autres et que :

« Si l’on appliquait ce critère, la procédure d’examen des demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire deviendrait un mécanisme d'examen ex post facto l'emportant sur la procédure d'examen préalable prévue par la Loi sur l'immigration et par son règlement d'application. Cela encouragerait les gens à tenter leur chance et à revendiquer le statut de réfugié en croyant que s'ils peuvent rester au Canada suffisamment longtemps pour démontrer qu'ils sont le genre de gens que le Canada recherche, ils seront autorisés à rester. La procédure applicable aux demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire n'est pas destinée à éliminer les difficultés; elle est destinée à accorder une réparation en cas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. » (voir le dossier du tribunal à la page 8)

 

[28]           De plus, la Cour tient à souligner que les difficultés inhérentes au fait de quitter le Canada ne suffisent pas en soi pour exempter un demandeur aux termes du paragraphe 25(1) de la LIPR (voir Kawtharani précité au para 16).

 

[29]           En l’instance, bien que Monsieur Gill ait réussi en affaires au Canada et qu’il se soit comporté de façon exemplaire, l’agent pouvait conclure que son renvoi en Inde n’entraînerait pas des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées. D’ailleurs, l’agent souligne que l’épouse de Monsieur Gill ainsi que ses enfants y habitent toujours, et que « ses liens les plus forts s[’y] trouvent » (voir le dossier du tribunal à la page 8).

 

[30]           Monsieur Gill n’ayant pas déposé de nouveaux éléments de preuve afin d’établir clairement qu’il aurait de la difficulté à se trouver un emploi en Inde ou qu’il y serait torturé en raison de ses affiliations politiques, la Cour ne voit pas de motifs à intervention en l’espèce. 

 

[31]           La Cour d’appel fédérale précise à ce sujet que « l'objectif d'une demande pour motifs humanitaires n'est pas de rediscuter des faits dont avait été saisie la Commission du statut de réfugié, non plus que de faire indirectement ce qui ne peut être fait directement, savoir contester les conclusions de la Commission du statut de réfugié » (voir Hussain c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), [2000] ACF no 751 au para 12).

 

[32]           La demande de révision judiciaire de Monsieur Gill doit être rejetée pour les motifs ci-haut mentionnés.

 

VII.     Conclusion

 

[33]           L’agent a raisonnablement conclu que Monsieur Gill ne subira pas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées à déposer sa demande de résidence permanente de l’Inde. La décision de l’agent fait partie des issues possibles et acceptables au regard des faits de l’affaire et du droit applicable (Dunsmuir précité au para 47). La demande de révision judiciaire de Monsieur Gill est par le fait même rejetée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que

1.                  la demande de révision judiciaire est rejetée; et

2.                  il n’y a aucune question d’intérêt général à certifier.

 

 

« André F.J. Scott »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8382-11

 

INTITULÉ :                                       JUJHAR SINGH GILL

                                                            c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               30 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                      29 juin 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Laurent Carignan

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Pavol Janura

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Monterosso Giroux SENC

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

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