Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20120628

Dossier : IMM‑8292‑11

Référence : 2012 CF 828

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 juin 2012

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

 

ZAFAR CHAUDHARY

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur a présenté une demande visant à obtenir le statut de résident permanent au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada. Par une lettre datée du 25 octobre 2011, une agente a refusé sa demande parce qu’il n’avait pas réussi à établir qu’il satisfaisait à l’exigence énoncée à l’alinéa 124a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, selon laquelle « il est l’époux ou le conjoint de fait d’un répondant et vit avec ce répondant au Canada ».

 

[2]               L’alinéa 124a) du Règlement comporte deux volets auxquels le demandeur doit se conformer. Il doit établir qu’il est un époux et qu’il vit avec son épouse. Il est loisible à un agent chargé de rendre des décisions en application de cette disposition de conclure qu’un demandeur n’est pas un époux parce que le mariage n’est pas authentique ou encore de conclure que, même si le mariage est authentique, il n’y a pas de cohabitation. Dans la présente affaire, l’agente a expressément informé le demandeur qu’il ne répondait pas à l’exigence prévue à l’alinéa 124a) du Règlement [traduction] « parce que vous ne vivez pas avec votre épouse au Canada ». Nulle mention n’était faite du caractère authentique de son mariage.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, la décision de l’agente est annulée.

 

Le contexte factuel

[4]               Le demandeur, M. Chaudhary, est un citoyen du Pakistan. Il est arrivé au Canada en décembre 2008 et a demandé l’asile. Il a rencontré une résidente permanente canadienne, une citoyenne des Philippines, et ils se sont mariés le 9 janvier 2010. Il s’est par la suite désisté de sa demande d’asile et il a déposé une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux au Canada.

 

[5]               À l’insu du demandeur et de son épouse, une personne anonyme a informé Citoyenneté et Immigration Canada que leur mariage n’était pas authentique. La mention suivante, datée du 29 juin 2011, figure dans les notes tirées du Système de soutien des opérations des bureaux locaux (SSOBL) produites dans le cadre de la présente demande :

[traduction] DEMANDE TRANSMISE POUR TRAITEMENT DU CTD‑VEGREVILLE AU CENTRE LOCAL DE CIC DE REGINA. DEMANDE FAITE PAR CENTRE LOCAL DE CIC EN RAISON DE CRAINTES QU’IL PUISSE S’AGIR D’UN MARIAGE DE CONVENANCE. IL RESSORT D’UNE ENQUÊTE PRÉLIMINAIRE DE L’ASFC FONDÉE SUR UN TUYAU QUE CETTE RELATION POURRAIT NE PAS ÊTRE AUTHENTIQUE. IL EST PROPOSÉ D’EFFECTUER DES ENTREVUES AVANT DE PRENDRE UNE QUELCONQUE DÉCISION.

 

[6]               Une enquête a suivi et l’agente qui a pris la décision faisant l’objet du présent contrôle a procédé à des entrevues séparées avec le demandeur et son épouse.

 

[7]               Il importe de signaler que, selon les notes consignées dans le SSOBL, lorsqu’elle a rencontré l’épouse, l’agente lui a [traduction] « EXPLIQUÉ QUE L’ENTREVUE AVAIT POUR OBJET DE [L’]AIDER DANS LE CADRE DU PROCESSUS DÉCISIONNEL RELATIVEMENT AU CARACTÈRE AUTHENTIQUE DE SON MARIAGE AVEC ZAFAR ». De même, lorsqu’elle a rencontré le demandeur, elle a mentionné qu’elle avait [traduction] « EXPLIQUÉ AU CLIENT QUE L’ENTREVUE VISAIT À RÉUNIR DES RENSEIGNEMENTS POUR POUVOIR DÉTERMINER SI SA RELATION MARITALE AVEC SON ÉPOUSE ÉTAIT AUTHENTIQUE ».

 

[8]               L’agente a posé aux deux époux les questions habituelles relatives au caractère authentique d’un mariage, telles que comment ils s’étaient rencontrés, où ils s’étaient mariés, quelle vie ils menaient avant leur rencontre, quels comptes bancaires ils possédaient et quel était leurs conditions de vie. L’agente a noté au dossier que les réponses du demandeur et de son épouse aux questions posées étaient analogues, mais elle a ajouté que [traduction] « LE CLIENT ET SON ÉPOUSE ONT EU BEAUCOUP DE TEMPS POUR PRÉPARER LEUR RÉCIT ».

 

[9]               Les réponses aux questions touchant leur mode de vie ont permis à l’agente d’apprendre que le demandeur avait récemment déménagé à Landis pour travailler. Il retournait auprès de son épouse à Regina toutes les deux semaines environ. L’agente a en outre appris que l’épouse se rendait à Landis pour être avec le demandeur la fin de semaine suivant son entrevue.

 

[10]           Comme le montrent les notes figurant dans le SSOBL, l’agente a tiré la conclusion suivante : [traduction] « JE NE CROIS PAS QUE CETTE RELATION SOIT AUTHENTIQUE; LE CLIENT ET LA RÉPONDANTE N’ONT PAS PROUVÉ QU’IL EXISTE UN LIEN DE DÉPENDANCE D’ORDRE FINANCIER, ÉMOTIF ET PHYSIQUE ENTRE EUX. »

 

[11]           La lettre de décision envoyée au demandeur ne fait cependant nullement état de préoccupations touchant le caractère authentique du mariage. Elle énonce plutôt que la demande est rejetée [traduction] « parce que vous ne vivez pas avec votre épouse au Canada » [non souligné dans l’original]. Même si les notes du SSOBL indiquent que l’agente avait conclu que le mariage n’était pas authentique, la lettre de décision ne mentionne pas que la demande a été rejetée pour ce motif; elle précise plutôt que la seule raison du rejet de la demande est l’absence de cohabitation.

 

[12]           Comme la lettre de décision ne donne aucune explication au soutien de la conclusion voulant que le couple ne cohabite pas, on peut consulter les notes du SSOBL. Celles‑ci ne font toutefois guère état de la question de la cohabitation. Elles ne permettent pas de savoir sur quel motif s’est appuyée l’agente pour conclure que le demandeur et son épouse ne vivaient pas ensemble. Il n’est pas non plus possible de savoir quelle définition de l’expression « vivre avec » l’agente a utilisée. Les séparations temporaires et de courte durée, comme en l’espèce semble‑t‑il, sont permises : Ally c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 445. Le défendeur reconnaît ce fait puisque son guide relatif au traitement des demandes présentées par des époux prévoit ce qui suit :

Même si la cohabitation signifie vivre ensemble de façon continue, de temps à autre, l’un des conjoints peut s’être absenté de la maison en raison du travail, des affaires, des obligations familiales, et ainsi de suite. La séparation doit être temporaire et de courte durée.

 

[13]           Le fait qu’il n’y ait aucun lien entre la lettre de décision envoyée au demandeur et les notes du SSOBL de même que l’absence d’une analyse rigoureuse de la question de la cohabitation par le demandeur et son épouse rendent la décision incompréhensible. 

 

[14]           On a avancé que, même si la lettre de décision ne renferme aucune conclusion quant au caractère authentique du mariage, la Cour devrait tenir compte des notes du SSOBL et confirmer la décision sur ce fondement. Je ne puis accepter cet argument puisqu’il oblige le juge à faire des suppositions quant au fondement de la décision faisant l’objet du contrôle. La lettre de décision envoyée au demandeur est censée exposer la raison pour laquelle sa demande est rejetée. Si elle ne mentionne pas de raisons différentes ou autres que celles données dans les notes du SSOBL, c’est peut‑être parce que l’agente a, par inadvertance, omis de les y ajouter, ou parce qu’elle a, entre le moment où elle a consigné les notes dans le SSOBL et celui où elle a écrit la lettre de décision, changé d’avis et décidé de rejeter la demande sur un fondement différent. La Cour n’a aucun moyen de savoir quels sont les « véritables » motifs du rejet et elle ne peut faire des suppositions à cet égard.

 

[15]           La décision rendue est incompréhensible et donc déraisonnable, et elle ne peut être confirmée.

 

[16]           Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification.

 


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision de l’agente est annulée, que la demande présentée par le demandeur afin d’obtenir le statut de résident permanent au titre de la catégorie des époux ou des conjoints de fait au Canada est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision, et qu’aucune question n’est certifiée.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑8292‑11

 

 

INTITULÉ :                                                  ZAFAR CHAUDHARY c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 12 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 28 juin 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Henri Chabanole

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Don Klassen

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Merchant Law Group LLP

Avocats

Regina (Saskatchewan)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.