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Date : 20120628

Dossier : IMM‑2139‑11

Référence : 2012 CF 827

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 juin 2012

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

 

ODESA STAROVIC

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le paragraphe 108(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, prévoit que l’asile est perdu, à la demande du ministre, sur constat par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, de l’un ou l’autre des faits suivants mentionnés au paragraphe 108(1) de la Loi :

a)         [la personne concernée] se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont [elle] a la nationalité;

 

b)         [elle] recouvre volontairement sa nationalité;

 

c)         [elle] acquiert une nouvelle nationalité et jouit de la protection du pays de sa nouvelle nationalité;

 

d)         [elle] retourne volontairement s’établir dans le pays qu’[elle] a quitté ou hors duquel [elle] est demeuré[e] et en raison duquel [elle] a demandé l’asile au Canada;

 

e)         les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus.

 

[2]               Dans la décision faisant l’objet du présent contrôle, la Commission a conclu que les alinéas 108(1)a) et 108(1)d), précités, s’appliquaient à la demanderesse. Elle a donc accueilli la demande du ministre visant à faire déclarer que la demanderesse avait perdu le statut de réfugié au sens de la Convention suivant le paragraphe 108(2) de la Loi et rejeté la demande d’asile de la demanderesse conformément au paragraphe 108(3) de la Loi.

 

[3]               La présente demande doit être rejetée pour les motifs qui suivent.

 

Le contexte

[4]               La demanderesse est une citoyenne de l’ex‑Yougoslavie d’origine ethnique croate. Elle a vécu à Sarajevo, ville maintenant située en Bosnie, jusqu’à ce que la guerre éclate en 1993; elle s’est alors enfuie à Belgrade, ville qui se trouve maintenant en Serbie. Elle est arrivée au Canada en 1997 et a revendiqué le statut de réfugié en invoquant son mariage mixte avec un Serbe. Ce statut lui a été reconnu le 14 avril 1999.

 

[5]               La demanderesse a présenté une demande de résidence permanente pour elle‑même et pour son mari, lequel vivait en Serbie à l’époque. Son mari a été jugé interdit de territoire. La demanderesse est retournée en Serbie en 2002 et sa demande de résidence permanente a été considérée comme abandonnée. Sa demande de contrôle judiciaire visant cette décision a été accueillie et la demande de résidence permanente a été rouverte : voir Starovic c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1681 [Starovic no 1]. La demanderesse est demeurée en Serbie; sa demande de résidence permanente n’a jamais été traitée.

 

[6]               Le 10 mai 2012, soit près de cinq ans et demi après que la Cour eut ordonné que sa demande de résidence permanente soit traitée, le ministre a présenté une demande relative à la perte de l’asile de la demanderesse au motif que celle‑ci s’était réclamée de nouveau et volontairement de la protection de la Serbie et qu’elle était retournée volontairement s’y établir. Le ministre a souligné qu’elle était retournée en Serbie en juin 2002 pour rendre visite à son mari, qui était malade à l’époque, et que la demande de visa l’autorisant à revenir au Canada avait été rejetée le 12 août 2002. Elle a obtenu un nouveau passeport et une nouvelle carte d’identité nationale serbes en novembre 2008 et elle est revenue au Canada en janvier 2009. Elle est cependant retournée en Serbie à l’expiration du visa, en juin 2009, et elle est demeurée dans ce pays depuis lors.

 

[7]               La Commission a accueilli la demande relative à la perte de l’asile. Elle a considéré que le témoignage fait par la demanderesse par téléphone était crédible en général, mais que certains aspects de ce témoignage et certains des actes de la demanderesse n’étaient pas ceux d’une personne ayant l’intention de ne pas retourner à Belgrade après avoir obtenu l’asile.

 

[8]               La Commission a estimé que le pays de nationalité de la demanderesse n’avait pas changé, la Serbie ayant succédé à l’ex‑Yougoslavie. Elle a fait remarquer que la Serbie a continué à faire partie de la fédération yougoslave après que celle‑ci fut devenue la « Serbie‑Monténégro » en 2003 et après que le Monténégro eut fait sécession en 2006, et qu’elle existe en tant que république depuis la création de la Yougoslavie en 1929. La Commission a indiqué que cette continuité était étayée par les passeports successifs de la demanderesse – elle avait obtenu à nouveau un passeport yougoslave en 1993, lorsqu’elle était à Belgrade, puis une nouvelle fois en janvier 2002, à l’ambassade à Ottawa, avant d’obtenir un passeport serbe en 2008. En outre, la Commission a fait remarquer que, au cours des 20 dernières années, la demanderesse avait vécu seulement à Belgrade lorsqu’elle ne se trouvait pas au Canada, de sorte qu’elle était toujours une Serbe à cette époque, indépendamment de l’existence de la Serbie.

 

[9]               La Commission a estimé que la demanderesse s’était réclamée de nouveau et volontairement de la protection de son pays de nationalité. Elle a tenu compte du guide du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et a convenu que la demanderesse était retournée en Serbie en 2002 pour être avec son mari après que celui‑ci eut subi une crise cardiaque, et qu’il était raisonnable de sa part de l’avoir fait. La Commission était toutefois d’avis que le retour de la demanderesse en Serbie à cette époque avait été planifié, rappelant qu’elle avait obtenu un nouveau passeport en janvier 2002, soit plusieurs mois avant que son mari ne tombe malade, et qu’elle avait déclaré dans son témoignage qu’elle aurait dû rendre visite à son mari même si celui‑ci n’avait pas été malade. La Commission a ajouté que la demanderesse ne s’était pas contentée d’obtenir un passeport : elle avait vécu en Serbie pendant six ans avant sa dernière visite au Canada et elle vivait dans ce pays depuis lors. Elle a rejeté la prétention de la demanderesse selon laquelle les passeports yougoslave et serbe étaient des passeports de complaisance et a souligné qu’ils étaient authentiques. En conséquence, elle a conclu que la demanderesse s’était réclamée de nouveau et volontairement de la protection de son pays de nationalité.

 

[10]           La Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas recouvré volontairement sa nationalité tout simplement parce qu’elle ne l’avait jamais perdue. Étant donné que, selon elle, l’État de la Serbie a succédé à celui de la Yougoslavie, la Commission a conclu également que la demanderesse n’avait pas acquis une nouvelle nationalité.

 

[11]           La Commission n’a cependant pas considéré que la demanderesse était retournée volontairement en Serbie pour s’y établir. Elle a reconnu qu’elle avait quitté le Canada parce que son mari était malade, qu’elle n’avait pas été en mesure de revenir parce que sa demande de visa avait été rejetée et qu’elle était repartie récemment parce que son visa était expiré. La Commission a cependant jugé déraisonnable que la demanderesse et son mari n’aient rien fait pour se réétablir dans un autre pays, comme on se serait attendu à ce qu’ils le fassent s’ils craignaient véritablement d’être persécutés. La Commission a reconnu qu’il était bizarre que la demanderesse se soit fait refuser la possibilité de revenir au Canada après en être partie en 2002 étant donné que le statut de réfugié lui avait été reconnu, mais, selon elle, cette iniquité ne l’emportait pas sur les conclusions décrites ci‑dessus.

 

Les questions en litige

[12]           Selon la Cour, la demanderesse soulève les questions suivantes en l’espèce :

1.              La Commission avait‑elle compétence pour statuer sur la demande relative à la perte de l’asile alors que la demande de résidence permanente était en instance?

 

2.                  La décision de la Commission est‑elle raisonnable?

 

Analyse

La compétence

[13]           La demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur en statuant sur la demande relative à la perte de l’asile avant qu’une décision ne soit rendue relativement à sa demande de résidence permanente. Elle fait valoir que la Commission avait le pouvoir discrétionnaire, en vertu de l’article 68 et de l’alinéa 69a) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, de refuser d’entendre la demande relative à la perte de l’asile jusqu’à ce qu’une décision soit rendue relativement à sa demande de résidence permanente. Elle s’appuie sur Laneau c Rivard, [1978] 2 CF 319 (1re inst), où la Cour a ajourné une enquête sur une possible violation des conditions de visa jusqu’à ce que le ministre ait rendu sa décision relativement à une demande antérieure de permis visant à dispenser la demanderesse de l’obligation de se conformer à ces conditions. En l’espèce, la demanderesse laisse entendre que le fait que la Commission a souligné l’« iniquité » de la situation signifie qu’elle aurait ajourné l’audience si elle avait examiné la question.

 

[14]           Cette prétention repose sur une mauvaise compréhension de la décision de la Cour de renvoyer la demande à la Commission pour nouvel examen. La demanderesse rappelle à juste titre que la Cour a annulé la décision selon laquelle sa demande de résidence permanente était réputée avoir été abandonnée. Cependant, il est indiqué au paragraphe 12 de Starovic no 1 que la demande a été renvoyée « pour examen complémentaire, notamment pour la tenue d’une entrevue à l’étranger, si telle entrevue est jugée nécessaire ». Cette décision a été rendue dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire visant à faire annuler une décision. Il ne s’agissait pas d’une demande de mandamus et l’ordonnance qui a été rendue n’était pas de la nature d’un mandamus enjoignant au ministre d’agir. La demanderesse se trompe quand elle dit que la Cour a ordonné qu’une décision soit rendue relativement à la demande et que le défendeur ne s’est pas conformé à cette ordonnance. Rien dans l’ordonnance de la Cour n’empêchait le ministre de présenter la demande relative à la perte de l’asile ou la Commission de statuer sur cette demande avant qu’une décision concernant la demande de résidence permanente de la demanderesse soit rendue.

 

[15]           En ce qui concerne l’ajournement, la demanderesse affirme à juste titre que la Commission avait le pouvoir discrétionnaire d’ajourner l’audition de la demande relative à la perte de l’asile jusqu’à ce que sa demande de résidence permanente soit tranchée. Elle n’a cependant jamais demandé que la Commission ordonne cet ajournement, même si elle bénéficiait de l’aide d’un conseil lors de l’audition de la demande relative à la perte de l’asile. La Commission n’était quant à elle pas tenue d’ordonner un ajournement d’office et on ne peut lui reprocher de ne pas l’avoir fait alors qu’aucune demande en ce sens n’a été présentée par la demanderesse.

 

La raisonnabilité

[16]           Je souscris aux prétentions de l’avocat de la demanderesse selon lesquelles celle‑ci avait essayé de s’établir au Canada en tant que résidente permanente pendant plusieurs années. Je ne peux toutefois pas, malgré sa solide argumentation, conclure que la décision de la Commission était déraisonnable.

 

[17]           Le retour de la demanderesse en Serbie en 2002, lorsque son mari a subi une crise cardiaque, ne devrait pas être considéré comme un retour volontaire dans les circonstances. Comme l’avocat l’a dit, [traduction] « l’instinct l’a emporté sur la raison ». On pourrait toutefois considérer que le long séjour de la demanderesse en Serbie à cette occasion a été volontaire. Il est vrai que les fonctionnaires canadiens l’ont empêchée de revenir au Canada pour une raison quelconque, mais il était raisonnable de la part de la Commission de conclure qu’un réfugié véritable aurait cherché à se réétablir dans un autre pays au lieu de rester en Serbie jusqu’à ce que la question de son retour au Canada soit réglée. En outre, malgré le fait que la maladie de son mari a précipité le retour de la demanderesse en 2002, il était raisonnable, étant donné qu’elle avait obtenu un passeport plusieurs mois auparavant et compte tenu de son témoignage, que la Commission conclue que la demanderesse serait retournée en Serbie même si son mari n’était pas tombé malade.

 

[18]           Même si l’instinct l’a emporté, il n’était pas déraisonnable que la Commission s’appuie sur le défaut de la demanderesse de s’informer afin de savoir comment obtenir la permission de revenir au Canada avant de quitter ce pays en 2002.

 

[19]           Quoi qu’il en soit, la décision de la Commission est raisonnable à la lumière du réétablissement de la demanderesse en 2009. Bien qu’elle prétende qu’elle a été forcée de quitter le Canada à cause de l’expiration de son visa, elle était toujours une réfugiée au sens de la Convention à l’époque et elle ne pouvait donc pas être tenue de partir. Or, au lieu de rester au Canada et de s’occuper de sa demande de résidence permanente, elle est retournée à nouveau en Serbie pour être avec son mari. Dans ces circonstances, la décision de la Commission d’annuler l’asile qui lui avait été accordé est raisonnable.

 

Conclusion

[20]           La demanderesse a proposé la question suivante à certifier : [traduction] « La commissaire a‑t‑elle commis une erreur en concluant qu’elle n’avait pas le pouvoir de se pencher sur la demande du ministre relative à la perte de l’asile étant donné que le ministre ne s’était pas d’abord conformé à l’ordonnance de la Cour lui enjoignant d’examiner la demande de résidence de Mme Starovic? »

 

[21]           Il ne convient pas de certifier cette une question. Celle‑ci ne permet pas de trancher un appel qui serait interjeté à l’encontre de la présente décision puisque l’ordonnance antérieure de la Cour n’enjoignait pas au ministre, contrairement à ce que la question laisse entendre, de traiter la demande de résidence de la demanderesse. Comme je l’ai mentionné précédemment, cette ordonnance ne découlait pas d’une demande de mandamus et rien n’empêchait le ministre ou la Commission d’agir comme ils l’ont fait.

 

[22]           À l’instar de la commissaire, je suis préoccupé par l’iniquité du fait « [q]ue le ministre [met] en suspens la question de la résidence permanente, en attendant le résultat de la présente demande relative à la perte de l’asile — après que la Cour fédérale a ordonné que la demande de résidence permanente de l’intimée soit traitée de nouveau par le ministre parce qu’elle a inadéquatement été considérée comme abandonnée ». Toutefois, seul le ministre, et non la Commission ou la Cour, a le pouvoir de renoncer à l’application stricte de la Loi.

 


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑2139‑11

 

 

INTITULÉ :                                                  ODESA STAROVIC c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Saskatoon (Saskatchewan)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 13 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 28 juin 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

John C. Kleefeld

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Marcia Jackson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John C. Kleefeld

Avocat

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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