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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20120523

Dossier : T-1019-11

Référence : 2012 CF 622

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 mai 2012

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

SUCCESSION DE VIOLET STEVENS

ET JUNE TAYLOR, EN SA QUALITÉ D’EXÉCUTRICE

 

 

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire a trait à la décision du tribunal de révision de rejeter l’appel interjeté à l’encontre du refus d’accorder des prestations de pension rétroactives additionnelles en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, LRC 1985, c O‑9 (la Loi).

 

[2]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, la demande est rejetée.

 

I.          Le contexte

 

[3]               Violet Stevens est décédée à l’âge de 86 ans le 18 mars 2007. Elle n’avait jamais présenté de demande de pension de la Sécurité de la vieillesse (SV). Sa fille, June Taylor, qui agit en qualité d’exécutrice de la succession, a présenté une telle demande le 26 avril 2007.

 

[4]               La demande a été agréée et une pension de la SV rétroactive du montant maximal admissible a été versée à la succession relativement à la période d’un an allant d’avril 2006 au décès de Mme Stevens, en mars 2007.

 

[5]               Le 6 août 2007, Mme Taylor a présenté, au nom de la succession, une demande de prestations rétroactives à compter de la date à laquelle sa mère avait eu 65 ans en août 1985.

 

[6]               Dans une lettre datée du 28 septembre 2007, Développement des ressources humaines Canada a répondu ce qui suit à cette demande : [traduction] « Comme votre mère avait atteint l’âge de 65 ans avant son décès, nous avons payé des prestations rétroactives pour 11 mois, soit d’avril 2006 à mars 2007, comme le permet la Loi. Malheureusement, aucune autre prestation ne peut être versée. »

 

[7]               Le 31 octobre 2007, Mme Taylor a demandé que cette décision soit réexaminée, en faisant valoir ce qui suit :

[traduction] Une incapacité physique ou mentale n’a jamais été « diagnostiquée » chez ma mère. L’incapacité mentale de l’absence de connaissances concernant la façon dont elle pourrait recevoir la SV est probablement la seule explication du fait qu’elle n’a jamais présenté une demande. […]

 

Je pense que ma mère ne savait pas que la SV existait et que c’est pour cette raison qu’elle ne l’a pas demandée. Je pense qu’elle avait honte de ne rien savoir au sujet de l’impôt sur le revenu ou des prestations que le gouvernement verse aux gens, au moyen de la sécurité de la vieillesse. […]

 

[8]               Dans une lettre datée du 2 janvier 2008, Développement des ressources humaines Canada a maintenu sa décision précédente et a confirmé que le droit à des prestations rétroactives s’appliquait seulement à la période d’avril 2006 à mars 2007. Il existe une disposition sur l’incapacité, mais un diagnostic d’incapacité mentale n’a jamais été posé à l’égard de Mme Stevens. Développement des ressources humaines Canada a aussi mentionné que, [traduction] « [c]omme une demande fondée sur une incapacité mentale doit être étayée par des documents, il est peu probable que cette disposition puisse s’appliquer ».

 

[9]               Mme Taylor a interjeté appel de cette décision au Bureau du Commissaire des tribunaux de révision (le BCTR) au nom de la succession. La tenue d’une audience devant le tribunal de révision lui a d’abord été refusée. Saisi d’une demande de contrôle judiciaire présentée à la Cour, le juge Leonard Mandamin a conclu que « le commissaire a manqué à l’équité procédurale en classant l’appel sans permettre à la demanderesse d’exercer son droit d’être entendue par un tribunal de révision » (Succession de Violet Stevens c Canada (Procureur général), 2011 CF 103, [2011] ACF no 1295). En conséquence, une audience a eu lieu devant le tribunal de révision le 6 avril 2011.

 

II.        La décision faisant l’objet du présent contrôle

 

[10]           Le tribunal de révision a rejeté l’appel de Mme Taylor, indiquant que son pouvoir d’accorder des prestations rétroactives pour des motifs d’équité était limité. Sa conclusion était fondée sur Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c Esler, 2004 CF 1567, 2004 ACF no 1920, aux paragraphes 33 et 34, où la Cour a dit que le tribunal de révision n’avait pas la « compétence […] en équité qui lui aurait permis d’écarter la disposition législative claire » et d’accorder des prestations de pension rétroactives au‑delà de la limite prévue par la loi.

 

[11]           Le tribunal de révision a aussi examiné l’argument selon lequel une erreur administrative au sens de l’article 32 de la Loi avait été commise et ouvrait droit à un redressement de la part du ministre. S’appuyant sur la jurisprudence, le tribunal de révision a toutefois conclu qu’il [traduction] « n’avait pas compétence pour entendre l’appel d’une décision rendue par le ministre dans l’exercice du pouvoir qui lui est conféré à l’article 32 ».

 


III.       Les questions en litige

 

[12]           La présente demande soulève les questions suivantes :

 

a)         Le tribunal de révision a-t-il commis une erreur en concluant que la demanderesse n’avait pas droit à des prestations de SV rétroactives additionnelles?

 

b)         Le tribunal de révision a-t-il commis une erreur en concluant qu’il n’avait pas compétence pour entendre un appel fondé sur une erreur administrative concernant une décision du ministre au sens de l’article 32 de la Loi?

 

IV.       La norme de contrôle

 

[13]           Selon la jurisprudence, c’est la norme de contrôle de la décision correcte qui s’applique à ces questions (voir Esler, précitée, aux paragraphes 19 et 20; Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c Myrheim, 2004 CF 884, [2004] ACF no 1079, au paragraphe 20), puisqu’elles ont trait à la compétence du tribunal de révision (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 42).

 

V.        Analyse

 

A.        Le droit à des prestations de SV rétroactives

 

[14]           La demanderesse soutient que la succession a droit à des prestations de SV rétroactives additionnelles, apparemment pour une question d’équité.

 

[15]           Quoiqu’il soit possible pour la succession de présenter une demande relativement à ce type de prestations dans l’année qui suit le décès en vertu de l’article 29, le droit à des prestations rétroactives est limité par d’autres dispositions de la Loi. Ainsi, dans le cas des personnes ayant déjà atteint l’âge de 65 ans au moment de la réception de la demande (le jour du décès, dans le cas d’une succession), la demande de prestations prendra effet à une date ne pouvant précéder « de plus d’un an le jour de réception de la demande », conformément au paragraphe 8(2). Cette limite est prévue également au paragraphe 5(2) du Règlement sur la sécurité de la vieillesse, CRC, c 1246.

 

[16]           Comme il est mentionné dans la décision faisant l’objet du présent contrôle, la Cour devait déterminer dans Esler, précitée, si un tribunal de révision pouvait, pour des raisons d’équité, accorder des prestations rétroactives au 65e anniversaire de naissance et au‑delà de la limite d’un an prévue par la loi. Le juge John O’Keefe a mentionné ce qui suit :

[33]      Le Tribunal de révision est une pure création de la loi et, par conséquent, il ne jouit d’aucune compétence inhérente en équité qui lui aurait permis d’écarter la disposition législative claire du paragraphe 8(2) de la Loi et d’appliquer le principe d’équité pour accorder des prestations rétroactives au-delà de la limite prévue par la Loi.

 

[34]      Je suis d’avis que le Tribunal de révision a outrepassé sa compétence en accordant des prestations de pension rétroactives au‑delà de la limite prévue au paragraphe 8(2) de la Loi.

 

[17]           Compte tenu des limites prévues par la loi et de cette décision, le tribunal de révision a eu raison de conclure qu’il ne pouvait pas accorder des prestations de SV rétroactives additionnelles à la demanderesse.

 

B.        L’erreur administrative visée à l’article 32

 

[18]           En ce qui concerne la prétention de la demanderesse concernant une erreur administrative visée à l’article 32 de la Loi, cette disposition n’est guère utile en l’espèce.

 

[19]           Bien que l’avis de demande fasse état d’une erreur commise par l’Agence du revenu du Canada, la demanderesse n’a pas précisé la nature de cette présumée erreur dans le contexte des prestations de pension de la SV. En outre, le ministre n’a pris aucune mesure de redressement en vertu de l’article 32. En l’espèce, la demanderesse a interjeté appel au tribunal de révision d’une décision rendue à la suite d’une révision en vertu de l’article 27.1.

 

[20]           Comme la décision faisant l’objet du présent contrôle l’indique à juste titre, le tribunal de révision n’a même pas compétence pour examiner des décisions fondées sur une erreur administrative et l’article 32 (voir Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c Tucker, 2003 CAF 278, [2003] ACF no 998, aux paragraphes 11 et 12).

 

[21]           La juge Eleanor Dawson a confirmé ce principe dans Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c Mitchell, 2004 CF 437, [2004] ACF no 578, aux paragraphes 6 à 12, où elle a dit que « la décision du tribunal de révision doit être annulée au motif qu’il n’avait pas le pouvoir d’accorder le redressement visé à l’article 32 de la Loi ». Elle a ajouté : « La personne à qui le redressement en vertu de l’article 32 de la Loi a été refusé doit déposer une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre directement à la Cour. » De même, la juge Carolyn Layden‑Stevenson a conclu que Tucker, précité, réglait toute la question dans une affaire concernant une décision rendue sous le régime de l’article 32 (Myrheim, précitée, aux paragraphes 21 et 22).

 

[22]           En conséquence, le tribunal de révision n’a pas commis une erreur de compétence en l’espèce en refusant d’examiner toute présumée erreur administrative visée à l’article 32 de la Loi. En fait, c’est plutôt lorsqu’il procède à cet examen qu’il commet une erreur, tel qu’il ressort de décisions antérieures où la Cour a jugé que son intervention était justifiée.

 

VI.       Conclusion

 

[23]           Le tribunal de révision n’a pas commis d’erreur en concluant que la demanderesse ne pouvait pas recevoir de prestations de SV rétroactives au‑delà de l’année suivant la date du décès. De plus, la disposition législative visant une erreur administrative – l’article 32 – ne s’appliquait pas en l’espèce. Par conséquent, je rejette la demande de contrôle judiciaire.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-1019-11

 

INTITULÉ :                                                  SUCCESSION DE VIOLET STEVENS

                                                            ET JUNE TAYLOR, EN SA QUALITÉ D’EXÉCUTRICE c.

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Ottawa

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 23 avril 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 23 mai 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

June Taylor

 

                            POUR ELLE‑MÊME

Michael Stevenson

 

                            POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

June Taylor, exécutrice de la succession de Violet Stevens

 

                            POUR ELLE-MÊME

Michael Stevenson

Ministère de la Justice

Ottawa (Ontario)

 

                            POUR LE DÉFENDEUR

 

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