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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20120516

Dossier : T-1443-11

Référence : 2012 CF 597

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Winnipeg (Manitoba), le 16 mai 2012

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

 

KENNETH B. YOUNG

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

L’ASSEMBLÉE DES PREMIÈRES NATIONS

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Kenneth Young a travaillé pour l’Assemblée des Premières Nations (l’APN) en vertu d’une série de contrats à durée déterminée à compter de 2003. Le 17 août 2009, il a été informé que son emploi auprès de l’APN prendrait fin le 25 septembre suivant. M. Young a ensuite déposé une plainte de congédiement injuste contre l’APN en vertu de l’article 240 du Code canadien du travail, L.R. 1985, ch. L‑2.

 

[2]               Les employés qui perdent leur emploi en raison de l’expiration de leur contrat de travail ne peuvent se prévaloir du processus d’arbitrage prévu par le Code canadien du travail : voir Eskasoni School Board/Eskasoni Band Council c. MacIsaac (1986), 86 CLLC 12247, 69 N.R. 315 (C.A.F.); Stirbys c. Assemblée des Premières Nations, 2011 CF 42, [2011] A.C.F. no 66 (QL), au paragraphe 2.

 

[3]               L’APN a soulevé une objection préliminaire devant l’arbitre nommé pour instruire la plainte de M. Young, alléguant que ce dernier avait été employé en vertu d’un contrat à durée déterminée qui avait expiré et qui n’avait pas été renouvelé. En conséquence, M. Young n’avait pas droit à un recours en vertu des dispositions du Code sur le congédiement injuste.

 

[4]               L’arbitre a déterminé qu’il n’avait pas compétence pour instruire la plainte de M. Young parce que ce dernier n’était pas un employé permanent au moment de la cessation de son emploi. En conséquence, il a rejeté la plainte.

 

[5]               Comme je l’expliquerai plus loin, j’ai conclu que la décision de l’arbitre était déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie.

 

Le contexte

 

[6]               M. Young est un avocat qui a travaillé comme conseiller spécial auprès du Grand Chef de l’APN en vertu d’une série de contrats d’une durée d’un an. Il a participé activement au règlement du recours collectif concernant les pensionnats indiens qui a été conclu en septembre 2007, ainsi qu’au traitement des demandes dans le cadre de l’entente de règlement. L’arbitre a fait remarquer que M. Young avait contribué de manière [traduction] « exceptionnelle » au dossier des pensionnats indiens pendant qu’il travaillait pour l’APN.

 

[7]               Au cours de l’été 2009, le Grand Chef de l’APN, Phil Fontaine, a annoncé qu’il ne solliciterait pas un nouveau mandat. Le 29 juin 2009, le directeur général de l’APN a informé M. Young que son contrat de travail ne serait pas renouvelé et que son emploi prendrait fin le 31 juillet 2009.

 

[8]               Des membres de l’APN voulaient que M. Young continue à travailler au dossier des pensionnats indiens après le départ à la retraite de M. Fontaine. Des membres du conseil d’administration de l’APN ont alors essayé de procurer un emploi permanent à M. Young au sein de l’organisation. D’autres administrateurs et des employés se sont cependant opposés à cette idée et une première conférence téléphonique avec le conseil d’administration, au début de juillet 2009, n’a pas permis de régler le statut de M. Young.

 

[9]               La question du statut d’emploi de M. Young a été soulevée à nouveau à une réunion du comité exécutif du conseil d’administration de l’APN le 19 juillet 2009. On ne s’entend pas sur ce qui a été décidé lors de cette réunion car celle‑ci a été tenue à huis clos et il n’existe aucun procès‑verbal ou document concernant cette réunion ou la résolution qui y a été adoptée.

 

[10]           M. Young a fait valoir devant l’arbitre qu’il avait été nommé par le conseil d’administration à un poste [traduction] « permanent » au sein du secrétariat de l’APN. Celle‑ci a nié que cette nomination a eu lieu. Selon elle, le comité exécutif avait simplement décidé de prolonger le contrat de travail de M. Young, et il n’y avait aucune preuve de la durée de cette prolongation.

 

[11]           Après la réunion du 19 juillet 2009, le contrat de M. Young a été prolongé à deux reprises pour une période d’un mois. Dans une lettre datée du 19 août 2009, M. Young a été informé que son contrat ne serait pas prolongé au delà du 25 septembre 2009, soit la date à laquelle la deuxième prolongation devait prendre fin. L’APN a offert de lui payer 6,1 semaines de salaire, ce qu’il a refusé. Il a aussi été informé que l’APN allait créer un poste permanent à temps plein de [traduction] « gestionnaire de l’unité des pensionnats indiens », et il a été invité à poser sa candidature pour ce poste. Il a refusé de le faire.

 

[12]           Le 13 octobre 2009, M. Young a déposé sa plainte de congédiement injuste en vertu du paragraphe 240(1) du Code canadien du travail. Un arbitre a ensuite été nommé pour instruire cette plainte.

 

[13]           Comme je l’ai mentionné précédemment, l’APN contestait la compétence de l’arbitre, au motif que M. Young avait été employé en vertu d’un contrat à durée déterminée qui avait expiré et qui n’avait pas été renouvelé. L’APN soutenait que, dans un tel cas, M. Young n’avait pas droit à un recours en vertu des dispositions du Code sur le congédiement injuste.

 

[14]           L’instruction de la plainte a duré plusieurs jours entre novembre 2009 et juin 2010. M. Young a fait témoigner trois membres du conseil d’administration de l’APN au sujet du statut de son emploi. L’APN a reconnu devant l’arbitre que, si son objection préliminaire était rejetée, elle ne serait pas en mesure d’établir qu’elle avait un motif valable pour congédier M. Young.

 

La décision de l’arbitre

 

[15]           M. Young n’a pas convaincu l’arbitre qu’il était un employé permanent au moment de son congédiement. L’arbitre a expliqué pourquoi il estimait que les témoins de M. Young n’étaient pas crédibles. En particulier, il a décrit en quoi les témoignages de vive voix de ces personnes quant à ce qui s’était déroulé lors de la réunion du comité exécutif ne concordaient pas avec les courriels échangés dans les semaines ayant suivi cette réunion. L’arbitre a fait état en particulier d’une note rédigée par le directeur général de l’APN le 30 juillet 2009, qui confirmait la prolongation du contrat de M. Young jusqu’au 31 mars 2010.

 

[16]           En outre, l’arbitre a fait remarquer que le processus que le comité exécutif aurait suivi à l’égard de M. Young était incompatible avec les pratiques de l’APN en matière d’embauche, lesquelles étaient assujetties à des réductions budgétaires et prévoyaient des règles assurant l’équité et la transparence du processus. En conséquence, l’arbitre a conclu qu’il [traduction] « n’avait pas été convaincu par une preuve claire et convaincante que M. Young était devenu un employé permanent avant son congédiement » : motifs de l’arbitre, à la page 12.

 

[17]           L’arbitre était toutefois convaincu que le comité exécutif avait décidé de prolonger le contrat de travail de M. Young jusqu’au 31 mars 2010.

 

[18]           Étant d’avis que M. Young avait toujours été un employé embauché pour une durée déterminée en vertu de contrats successifs, l’arbitre a conclu qu’il [traduction] « n’[avait] [donc] pas compétence pour examiner la justesse de la décision de l’employeur de rompre le lien d’emploi » : motifs de l’arbitre, à la page 13.

 

[19]           Malgré cette conclusion, l’arbitre [traduction] « a enjoint à l’APN […] d’indemniser M. Young pour la période entre le 25 septembre 2009 et le 31 mars 2010 » en raison du défaut d’un dirigeant de l’APN de donner suite à la décision du comité exécutif de prolonger le contrat de M. Young : motifs de l’arbitre, à la page 12. J’ai appris que ce montant n’avait pas encore été payé.

 

La question en litige

 

[20]           La Cour doit décider si, après avoir considéré que le contrat d’emploi de M. Young avait été prolongé jusqu’au 31 mars 2010 par le comité exécutif du conseil d’administration de l’APN, l’arbitre a commis une erreur en concluant qu’il n’avait pas compétence pour examiner la justesse de la décision de l’employeur de rompre le lien d’emploi.

 

La norme de contrôle

 

[21]           M. Young soutient que l’arbitre a commis une erreur au regard d’une question concernant sa propre compétence, de sorte que la décision devrait être examinée selon la norme de la décision correcte. De son côté, l’APN affirme que, comme l’affaire porte sur l’application du droit à des faits particuliers, c’est la norme de la raisonnabilité qui devrait s’appliquer.

 

[22]           L’arbitre devait d’abord déterminer si M. Young avait été « congédié » au sens de l’article 240 du Code canadien du travail ou si son contrat à durée déterminée avait simplement expiré. Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit à laquelle la norme de la raisonnabilité s’applique : Delisle c. Le Conseil des Mohawks de Kanesatake, 2007 CF 35, 306 F.T.R. 285, aux paragraphes 25 et 27.

 

[23]           Lorsqu’elle applique la norme de la raisonnabilité, la Cour doit examiner la justification de la décision, ainsi que la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel, et déterminer si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : voir Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 59.

 

Analyse

 

[24]           Après avoir examiné tous les éléments de preuve dont il disposait, l’arbitre a conclu que le comité exécutif n’avait pas fait en sorte que M. Young soit un employé permanent de l’APN. Il a toutefois conclu également que, de fait, le comité exécutif avait décidé de prolonger le contrat de travail de M. Young jusqu’à la fin de l’exercice, soit le 31 mars 2010.

 

[25]           M. Young ne conteste pas la conclusion de l’arbitre selon laquelle il était en tout temps assujetti à des contrats de travail à durée déterminée. Il dit cependant que, comme l’arbitre a conclu que son contrat de travail avait été prolongé jusqu’au 31 mars 2010, il a commis une erreur en ne concluant pas qu’il avait été congédié injustement par suite de la cessation de son emploi le 25 septembre 2009.

 

[26]           Je suis d’accord avec M. Young quand il dit que l’arbitre a commis une erreur dans son analyse de la question préliminaire de savoir s’il avait effectivement été « congédié ».

 

[27]           Il ressort des paragraphes introductifs de ses motifs que l’arbitre a convenu que le contrat de M. Young avait expiré le 25 septembre 2009, quoique sa conclusion sur ce point soit loin d’être claire. L’arbitre a aussi conclu que, de fait, le contrat de travail de M. Young avait été prolongé jusqu’au 31 mars 2010 par le comité exécutif du conseil d’administration de l’APN lors de la réunion du 19 juillet 2009.

 

[28]           Ayant conclu que le comité exécutif avait décidé de prolonger le contrat de travail de M. Young jusqu’au 31 mars 2010, l’arbitre ne s’est jamais intéressé à l’effet de la résolution elle‑même sur les obligations de l’APN à l’égard de M. Young.

 

[29]           L’arbitre ne s’est pas penché sur la question de savoir qui – du conseil exécutif de l’APN ou de son service des ressources humaines – avait le pouvoir de déterminer au bout du compte le statut d’emploi de M. Young. L’arbitre a souligné que le service des ressources humaines [traduction] « n’a[vait] pas donné suite » à la décision du conseil d’administration, mais il n’a pas expliqué pourquoi la résolution du comité exécutif du conseil d’administration de l’APN n’avait pas pour effet d’imposer à celle‑ci une obligation légale exécutoire à l’égard de M. Young.

 

[30]           Cette omission est particulièrement préoccupante compte tenu du fait que l’arbitre a semblé convenir qu’une telle résolution aurait pour effet de procurer un emploi permanent à M. Young au sein de l’APN : voir les motifs de l’arbitre, à la page 7.

 

[31]           En conséquence, je suis convaincue que cet aspect de la décision de l’arbitre ne satisfait pas aux critères de justification, de transparence et d’intelligibilité qui servent à déterminer si une décision est raisonnable.

 

[32]           Je suis préoccupée également par la déclaration de l’arbitre selon laquelle il [traduction] « n’[avait] pas compétence pour examiner la justesse de la décision de l’employeur de rompre le lien d’emploi » parce que M. Young avait toujours été employé en vertu de contrats d’une durée déterminée.

 

[33]           Le processus d’arbitrage du Code canadien du travail n’est pas offert seulement aux employés permanents qui croient avoir été congédiés injustement. Les personnes employées en vertu de contrats à durée déterminée peuvent aussi s’en prévaloir, pourvu qu’elles remplissent les exigences prévues par le Code, notamment qu’elles travaillent sans interruption depuis au moins 12 mois pour le même employeur et qu’elles ne soient pas régies par une convention collective.

 

[34]           L’arbitre doit cependant, avant de déterminer si un congédiement est « injuste » en application de l’article 240 du Code, être convaincu qu’il y a effectivement eu un « congédiement » au sens de cette disposition. Comme je l’ai mentionné précédemment, il n’y aura pas de « congédiement » au regard d’une plainte visée à l’article 240 si un employeur ne renouvelle tout simplement pas un contrat à durée déterminée.

 

[35]           La question fondamentale que l’arbitre devait trancher était de savoir si M. Young avait été « congédié » ou si son contrat de travail avait expiré et n’avait pas été renouvelé. Pour répondre à cette question, l’arbitre devait tirer une conclusion en termes clairs et explicites quant au moment où le contrat de travail de M. Young devait expirer. Or, il ne l’a pas fait.

 

Conclusion

 

[36]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, la décision de l’arbitre est annulée. Comme M. Young l’a demandé, l’affaire est renvoyée au même arbitre pour qu’une nouvelle décision soit rendue en conformité avec les présents motifs. M. Young a droit à ses dépens, que je fixe à 3 000 $.

 

 


JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE :

 

            1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée au même arbitre pour qu’une nouvelle décision soit rendue en conformité avec les présents motifs.

 

            2.         M. Young a droit à ses dépens, lesquels sont fixés à 3 000 $.

 

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1443-11

 

INTITULÉ :                                      KENNETH B. YOUNG c.

                                                            L’ASSEMBLÉE DES PREMIÈRES NATIONS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 15 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 16 mai 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Sidney Green, c.r.

                                 POUR LE DEMANDEUR

 

D. Bruce Sevigny

                                 POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sidney Green, c.r.

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

                                 POUR LE DEMANDEUR

Sevigny Westdal LLP

Avocats en droit du travail et de l’emploi

Ottawa (Ontario)

 

                                 POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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