Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court


 


Date : 20120628

Dossier : T-1374-11

Référence : 2012 CF 823

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 juin 2012

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

 

TWENTIETH CENTURY FOX HOME ENTERTAINMENT CANADA LIMITED

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL ET LE SOUS‑COMMISSAIRE, DIRECTION GÉNÉRALE DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE ET DES AFFAIRES RÉGLEMENTAIRES DE L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          APERÇU

[1]               Il s’agit d’un contrôle judiciaire visant une décision par laquelle un sous‑commissaire de l’Agence du revenu du Canada [l’ARC] a refusé de recommander au ministre du Revenu national [le ministre] que la demande de remise de la taxe sur les produits et services [la TPS] de la demanderesse soit accordée. Cette décision a en réalité mis fin à la demande de remise de la TPS.

 

[2]               La décision du sous‑commissaire fait partie d’un processus qui peut mener à la remise de la TPS si le gouverneur en conseil y consent en définitive conformément au paragraphe 23(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC 1985, c F‑11 [la LGFP].

23. (2) Sur recommandation du ministre compétent, le gouverneur en conseil peut faire remise de toutes taxes ou pénalités, ainsi que des intérêts afférents, s’il estime que leur perception ou leur exécution forcée est déraisonnable ou injuste ou que, d’une façon générale, l’intérêt public justifie la remise.

23. (2) The Governor in Council may, on the recommendation of the appropriate Minister, remit any tax or penalty, including any interest paid or payable thereon, where the Governor in Council considers that the collection of the tax or the enforcement of the penalty is unreasonable or unjust or that it is otherwise in the public interest to remit the tax or penalty.

 

II.        CONTEXTE

[3]               La demanderesse est une filiale de Fox Entertainment Group Inc [Fox] et elle fait partie d’une importante société américaine, The News Corporation. L’entreprise de la demanderesse consiste à réaliser ou à acheter des vidéos et à les vendre à des détaillants en vue de leur revente au grand public.

 

[4]               La demanderesse paye de la TPS lorsqu’elle réalise ou achète des vidéos et elle perçoit de la TPS lorsqu’elle les revend. Mensuellement, elle verse à l’ARC la différence nette entre ce qu’elle perçoit et ce qu’elle paye au titre de la TPS.

 

[5]               À cause d’une erreur informatique ayant fait en sorte que le montant de TPS calculé était plus élevé que celui réellement perçu, la demanderesse a remis en trop à l’ARC environ 12,5 millions de dollars au titre de la TPS entre 2000 et 2005. L’erreur informatique a été découverte et corrigée en 2005.

 

[6]               En mai 2005, la demanderesse a présenté une demande de remboursement de la TPS en application de l’article 261 de la Loi sur la taxe d’accise, LRC 1985, c E‑15 [la LTA], texte législatif qui s’applique à la TPS. La demande de remboursement visait une somme d’environ 11,5 millions de dollars sur les 12,5 millions de dollars payés en trop.

 

[7]               Le paragraphe 261(3) prévoit que le remboursement doit être demandé dans les deux années suivant la date à laquelle la TPS a été payée.

261. (3) Le remboursement n’est versé que si la personne en fait la demande dans les deux ans suivant le paiement ou le versement du montant.

261. (3) A rebate in respect of an amount shall not be paid under subsection (1) to a person unless the person files an application for the rebate within two years after the day the amount was paid or remitted by the person.

 

[8]               Le délai applicable au remboursement de la TPS payée en trop était donc expiré en ce qui concerne la période antérieure à mai 2003.

 

[9]               En juillet 2005, l’ARC a versé à la demanderesse une somme de 11 424 627,86 $ au titre du remboursement de 11,5 millions de dollars demandé. La différence de 53 290,00 $ n’est pas en litige en l’espèce.

 

[10]           Comme le délai dans lequel la demanderesse pouvait demander un remboursement pour la période antérieure à 2003 était expiré, elle a produit, le 24 juillet 2005, une demande de remise sous le régime de la LGFP visant le solde du paiement en trop, soit une somme de 1 060 556,00 $ (subséquemment revue à 1 004 916,38 $ [le trop‑perçu]).

 

[11]           Avant de traiter la demande de remise, l’ARC a soumis la demanderesse à une vérification, qui portait notamment sur le montant de TPS que la demanderesse avait payé en trop et au titre duquel elle avait demandé et reçu un remboursement. Trois années plus tard, l’ARC a confirmé l’existence de l’erreur informatique ainsi que la somme ayant donné lieu au remboursement (moins 23 290,00 $).

 

[12]           Après avoir terminé la vérification, l’ARC s’est penchée sur la demande de remise. Une série de notes de service internes ont été échangées (auxquelles on renvoie plus loin) au fur et à mesure que les fonctionnaires de l’ARC remontaient jusqu’au comité responsable des remises de l’ARC, puis jusqu’au sous‑commissaire ayant pris la décision en vertu des pouvoirs qui lui avaient été délégués.

 

[13]           Le sous‑commissaire détenait les pouvoirs que lui avait délégués le commissaire, qui lui‑même détenait les pouvoirs que lui avait délégués le ministre. Ce dernier avait délégué au commissaire tous les pouvoirs qui lui étaient conférés par des textes législatifs et le commissaire avait à son tour délégué ces pouvoirs au sous‑commissaire.

 

[14]           Pour prendre sa décision, le sous‑commissaire a examiné les documents suivants :

·                     un sommaire des raisons pour lesquelles la demande de remise a été refusée;

·                     la demande de remise elle‑même;

·                     une note de service interne datée du 1er mars 2011 dans laquelle on recommandait de refuser la remise. Cette note de service renvoyait en outre à la politique relative aux remises voulant que les « circonstances indépendantes de la volonté d’une personne » n’englobent pas les erreurs informatiques internes. On y faisait aussi état des produits d’exploitation, de l’actif et des capitaux propres de 107 milliards de dollars de la société mère (News Corporation) ainsi que de l’actif de 75 millions à 194 millions de dollars et de produits bruts de 156 millions à 247 millions de dollars de la demanderesse au cours de quatre années non consécutives. On a conclu qu’un trop‑perçu d’un million de dollars ne constituait pas une situation visant des ressources limitées ou des paiements de taxes supplémentaires (par opposition à des sommes auxquelles on a renoncé);

·                     une autre note de service, datée du 16 mai 2011, précisant que l’ARC n’avait aucune obligation d’expliquer à la demanderesse, importante société pouvant compter sur des fiscalistes, qu’elle aurait éventuellement pu présenter une demande de renonciation pour que la période de vérification se poursuive, ce qui lui aurait permis de recouvrer une partie de la remise demandée.

 

[15]           Dans sa décision, le sous‑commissaire réitère le raisonnement suivi dans la note de service du 1er mars 2011 selon lequel une erreur informatique ne constituait pas une circonstance indépendante de la volonté d’une personne et la demanderesse ne se trouvait pas dans une situation où ses ressources financières étaient limitées ni où elle était tenue de payer des taxes supplémentaires.

 

[16]           La demanderesse conteste la décision du sous‑commissaire parce qu’il n’a pas, notamment, examiné ou pris en compte les éléments suivants :

·                     une note de service comparant le trop‑perçu aux produits d’exploitation nets de la demanderesse;

·                     une déclaration de taxes montrant qu’un fonctionnaire de l’ARC avait commis une erreur quant aux produits d’exploitation nets de la demanderesse en 2004;

·                     les produits d’exploitation nets de la demanderesse en 2010 ou en 2011;

·                     le Guide de l’ARC sur les remises;

·                     les raisons pour lesquelles on a cessé de comparer le trop‑perçu et les produits d’exploitation nets pour plutôt comparer le trop‑perçu et les produits d’exploitation bruts (les produits d’exploitation bruts montrent la taille de l’entreprise).

 

III.       QUESTIONS EN LITIGE

[17]           La demanderesse a soulevé les questions suivantes :

a)         il y a lieu de radier un affidavit d’un fonctionnaire de l’ARC, M. McGlynn, parce que certaines parties de ce document sont fondées sur des renseignements tenus pour véridiques;

b)         le sous‑commissaire n’avait pas compétence pour prendre la décision, laquelle relevait du ministre lui‑même;

c)         le pouvoir discrétionnaire conféré par la LGFP doit être exercé d’une manière raisonnable, ce qui, à la lumière des faits en l’espèce, n’a pas été fait.

 

IV.       ANALYSE

A.        Norme de contrôle

[18]           En ce qui concerne la décision de ne pas recommander la remise, les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité. La Cour est d’accord. Le pouvoir discrétionnaire conféré dans la présente affaire est large et fondé sur des politiques. Il s’agit d’une décision à l’égard de laquelle il convient de faire preuve d’une retenue considérable (voir Axa Canada Inc c Canada (Ministre du Revenu national – MRN), 2006 CF 17, 296 FTR 46, et Première nation Waycobah c Canada (Procureur général), 2011 CAF 191, 421 NR 193 [Waycobah (CAF)]).

 

[19]           La demande de radiation de certaines parties d’un affidavit intéresse les règles de la Cour et l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré à celle‑ci. Le point soulevé par la demanderesse quant à la portée de la délégation de pouvoir est une question de droit qui touche à la compétence même de rendre la décision. La norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 50).

 

B.        Radiation de certaines parties de l’affidavit

[20]           La demanderesse s’oppose à certaines parties de l’affidavit d’un fonctionnaire de l’ARC, M. McGlynn, parce qu’il comporte du ouï‑dire, contrairement au paragraphe 81(1) des Règles des Cours fédérales.

 

[21]           Elle avance que l’auteur de l’affidavit aurait dû être le fonctionnaire Sterling, qui relève de M. McGlynn. Il n’est nullement question d’un quelconque préjudice causé à la demanderesse, ni d’un refus de faire témoigner Sterling, ni d’une réelle contestation, quelle qu’elle soit, du témoignage qui, selon la demanderesse, aurait été établi sur la foi de renseignements tenus pour véridiques. La demanderesse n’a soulevé aucun argument concernant un préjudice, le caractère utile, le poids ou quoi que ce soit d’autre; sa contestation ne tient qu’à une question de forme.

 

[22]           Le paragraphe 81(1) des Règles doit être lu à la lumière de l’acceptation du ouï-dire, au plan des principes, par la Cour suprême (voir Ethier c Canada (Gendarmerie royale du Canada) (1995), 95 FTR 181, conf. par 66 ACWS (3d) 476 (CA)). La Cour fédérale a accepté la preuve fondée sur des renseignements tenus pour véridiques; en réalité, le paragraphe 81(1) des Règles envisage cette situation lorsqu’elle prévoit que la Cour peut tirer des conclusions défavorables de l’omission de ne pas se limiter aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle. Il n’existe en l’espèce aucune raison de tirer une conclusion défavorable.

 

[23]           Le témoignage de M. McGlynn s’apparente à une preuve relative à l’entreprise en ce sens qu’il a agi à titre de superviseur et qu’il était responsable de ses subordonnés, y compris Sterling. Il était en mesure de savoir si les faits étaient véridiques.

 

[24]           Un affidavit supplémentaire fait sur la foi de renseignements tenus pour véridiques ne servirait à rien, d’autant plus qu’un contre‑interrogatoire complet a eu lieu.

 

[25]           Si sa contestation avait été fondée, la demanderesse aurait dû présenter une requête en radiation plus tôt.

 

[26]           Pour tous les motifs susmentionnés et dans la mesure requise, la Cour exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère la règle 55 et elle permet l’acceptation des parties de l’affidavit de M. McGlynn qui sont fondées sur des renseignements tenus pour véridiques.

 

C.        Pouvoir de prendre la décision

[27]           La demanderesse conteste le pouvoir du sous‑commissaire pour deux motifs. Premièrement, le paragraphe 23(2) de la LGFP précise que le ministre peut accepter ou refuser de faire une recommandation en faveur d’une remise et que ce pouvoir ne peut être délégué. Deuxièmement, la demanderesse avance qu’il n’y a eu, dans les faits, aucune délégation.

 

[28]           Le premier moyen de la demanderesse se fonde sur le fait que le paragraphe 8(2) de la Loi sur l’Agence du revenu du Canada, LC 1999, c 17 [LARC], prive le ministre, dans les situations relevant de la LGFP, du pouvoir de délégation que lui confère le paragraphe 8(1) parce que ce texte législatif est une « loi fédérale, à l’exception de la présente loi […] ». Les dispositions pertinentes sont ainsi rédigées :

8. (1) Le ministre peut autoriser le commissaire ou toute autre personne employée ou engagée par l’Agence ou occupant une fonction de responsabilité au sein de celle-ci, selon les modalités et dans les limites qu’il fixe, à exercer en son nom les attributions qu’il exerce sous le régime de toute loi fédérale ou provinciale.

 

 

 

 (2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas dans le cas où la loi fédérale, à l’exception de la présente loi, ou la loi provinciale autorise soit le ministre à déléguer les attributions en question, soit une autre personne à les exercer.

 

 (3) Sont exclus des attributions visées au paragraphe (1) :

 

a) le pouvoir de prendre des règlements;

 

b) les attributions que confie au ministre la présente loi, à l’exception de celles qui sont prévues au paragraphe 6(1) et à l’article 7.

 

 (4) Le commissaire peut autoriser une personne employée ou engagée par l’Agence ou occupant une fonction de responsabilité au sein de celle-ci à exercer au nom du ministre les attributions qu’il est lui-même autorisé à exercer au titre du paragraphe (1).

8. (1) The Minister may authorize the Commissioner or any other person employed or engaged by the Agency or who occupies a position of responsibility in the Agency, subject to any terms and conditions that the Minister may specify, to exercise or perform on the Minister’s behalf any power, duty or function of the Minister under any Act of Parliament or of a province.

 

 (2) Subsection (1) does not apply where an Act of Parliament, other than this Act, or an Act of a province authorizes the Minister to delegate the power, duty or function to any person or authorizes any person to exercise or perform it.

 

 (3) Subsection (1) does not include

 

(a) a power to make regulations; or

 

(b) a power, duty or function of the Minister under this Act, other than those referred to in subsection 6(1) or section 7.

 

 

 (4) The Commissioner may authorize any person employed or engaged by the Agency or who occupies a position of responsibility in the Agency to exercise or perform on the Minister’s behalf any power, duty or function that the Commissioner is authorized to exercise or perform under subsection (1).

 

[29]           À mon avis, le paragraphe 8(2) n’a pour effet d’empêcher la délégation prévue au paragraphe 8(1) que si une autre loi fédérale ou une loi provinciale autorise le ministre à déléguer sous le régime de cet autre texte législatif. La disposition vise à éviter les conflits ou les contradictions entre les pouvoirs délégués en application du paragraphe 8(1) et les pouvoirs de délégation conférés sous le régime d’autres lois fédérales ou de lois provinciales. La LGFP ne prévoit aucun pouvoir de délégation de ce genre susceptible d’entraîner un conflit ou une contradiction et auquel s’appliquerait le paragraphe 8(2) de la LARC.

 

[30]           Au sein d’une démocratie moderne, la délégation de pouvoirs ministériels n’a rien d’inattendu à moins que le libellé du texte législatif ne prévoie ou n’implique clairement qu’un ministre particulier doit personnellement décider ou agir (Comeau’s Sea Foods Ltd c Canada (Ministre des Pêches et Océans), [1997] 1 RCS 12, à la page 22 [disponible sur QL]).

 

[31]           La demanderesse s’est à tort appuyée sur Murphy c Canada (Ministre du Revenu national – MRN), 2009 CF 1226, 358 FTR 215. Dans cette affaire, l’instrument de délégation se limitait explicitement aux personnes se trouvant à au moins un échelon plus élevé de la hiérarchie que le fonctionnaire ayant pris la décision en litige.

 

[32]           En l’espèce, la délégation par le ministre au commissaire était conforme au paragraphe 8(1) et la délégation ultérieure du commissaire au sous‑commissaire respectait le paragraphe 8(4).

 

[33]           La demanderesse s’oppose à la nature de la délégation par laquelle le ministre a conservé le pouvoir de formuler une recommandation favorable, mais a délégué le pouvoir de prendre une décision négative. Dans la présente affaire, ni le pouvoir de délégation ni les faits ne soulèvent à mon sens la question de la non‑délégation d’un pouvoir exprès.

 

[34]           Le défendeur avance que, quoi qu’il en soit, comme la question de la délégation n’a pas été soulevée dans l’avis de demande, elle ne peut l’être dans l’exposé des arguments.

 

[35]           Il arrive souvent qu’un demandeur présente un avis de demande avant d’avoir un portrait complet des faits. Il n’est donc pas étonnant que des questions puissent surgir une fois que le demandeur a une meilleure idée de la situation. Si la demanderesse peut être prise en défaut, ce n’est que sur un aspect technique, soit de n’avoir pas modifié l’avis de demande. Le défendeur n’a pas été pris par surprise, il ne lui était pas impossible de débattre de ce point et il n’a subi aucun préjudice. Il s’agissait donc d’une question que la Cour devait trancher sur le fond.

 

D.        Caractère raisonnable de la décision

[36]           La demanderesse a invoqué un certain nombre de moyens à l’appui de sa thèse selon laquelle la décision est déraisonnable. Cependant, lorsqu’elle s’interroge sur le caractère déraisonnable d’une décision, la Cour doit tenir compte de la nature hautement discrétionnaire du régime de remise de taxe – une mesure de redressement exceptionnelle dont un demandeur ne peut se prévaloir de plein droit (voir Première nation Waycobah c Canada (Procureur général), 2010 CF 1188, 378 FTR 262 [Waycobah (CF)], aux paragraphes 29 et 30).

 

[37]           La demanderesse laisse entendre qu’il est fondamentalement injuste que le gouvernement puisse conserver à titre de taxes des sommes auxquelles il n’avait pas droit. Or, le gouvernement peut agir ainsi parce que la demanderesse a laissé expirer les délais de prescription applicables.

 

[38]           Ces délais sont une arme à double tranchant. Dans certains cas, à moins d’une fraude ou d’une inconduite du même genre, il est interdit à la Couronne de percevoir des taxes qui seraient par ailleurs payables n’eût été le délai de prescription. Dans d’autres cas, comme en l’espèce, le délai de prescription dessert le contribuable. Cette situation n’a pas pour effet de rendre arbitraire, injuste ou déraisonnable la décision prise par un sous‑commissaire.

 

[39]           Même si la demanderesse affirme que l’erreur informatique était une circonstance « indépendante de sa volonté », la preuve est muette sur ce point mis à part l’assertion à cet effet formulée par le principal témoin de la demanderesse. La conclusion tirée par le sous‑commissaire n’était pas déraisonnable.

 

[40]           La demanderesse met l’accent sur le débat touchant le point de savoir si le sous‑commissaire aurait dû tenir compte des produits d’exploitation nets plutôt que des produits d’exploitation bruts lorsqu’il s’est demandé quelle incidence aurait sur la demanderesse le fait de ne pas obtenir la remise d’un million de dollars. Certes, d’autres auraient pu accorder davantage de poids aux produits d’exploitation nets, mais il s’agit d’une question sur laquelle des personnes raisonnables pourraient ne pas s’entendre.

 

[41]           Plus important encore, le sous‑commissaire a examiné d’une façon plus générale les conséquences globales de la remise proposée. C’est une erreur de procéder à un examen avec une minutie exagérée. Il était tout à fait raisonnable de tenir compte de la taille de l’entreprise, de son actif, de ses produits d’exploitation et de sa structure intersociétés.

 

[42]           Le sous‑commissaire n’a pas tenu compte de questions dénuées de pertinence ni procédé de manière déraisonnable ni agi de mauvaise foi. Le véritable argument de la demanderesse a trait au poids accordé à divers éléments.

 

[43]           La demanderesse a fait valoir que la décision n’est pas compatible avec d’autres décisions en matière de remise. Elle a invoqué les ordonnances de remise rendues dans le cadre des affaires Jim Pattison Group et VF Imagewear, où il était question de trop‑perçus. Les fonctionnaires de l’ARC ont examiné neuf autres affaires où des erreurs internes liées à la comptabilité ou à l’informatique avaient donné lieu à un trop‑perçu de TPS/TVP.

 

[44]           La thèse de la demanderesse soulève un certain nombre de difficultés, la moindre n’étant pas le manque ou l’absence de preuve établissant que ces deux affaires ressemblent suffisamment à la situation de la demanderesse. Cette dernière n’a pas procédé à un contre‑interrogatoire sur les faits précis de ces affaires ni sur les raisons pour lesquelles le ministre a accordé ces deux demandes de remise.

 

[45]           Chaque demande de remise constitue un cas d’espèce. La preuve dont je suis saisi ne permet nullement de croire que le ministre a agi d’une façon arbitraire lorsqu’il a refusé la demande de la demanderesse. Cela est d’autant plus vrai si l’on tient compte de neuf autres cas où une remise a été refusée pour au moins certains motifs analogues à ceux exposés dans la présente affaire.

 

[46]           La demanderesse reproche à l’ARC d’avoir commis une erreur en ne remarquant pas que la déclaration de TPS faisait état de produits d’exploitation bruts de 179 millions de dollars plus élevés que ses déclarations de revenus pendant une période de quatre ans. La demanderesse n’a toutefois jamais soulevé cette question dans sa demande de remise. C’est à elle qu’il incombait de remarquer l’erreur et d’en informer l’ARC.

 

[47]           Enfin, comme il est mentionné plus haut, la demanderesse soutient qu’il est déraisonnable et injuste pour l’ARC de conserver l’argent et que cette dernière ne peut, [traduction] « en toute bonne foi », agir ainsi. Je souscris au raisonnement adopté par le juge de Montigny dans Waycobah (CF), précitée, au paragraphe 31 :

31     Je conviens avec le défendeur que la notion d’« intérêt public » ne s’entend pas simplement des intérêts d’un groupe quelconque de contribuables, mais plutôt des intérêts de l’ensemble de la société. Au moyen d’un décret de remise, la demanderesse veut être exemptée de l’application d’une loi à laquelle est assujetti le reste de la société canadienne. L’octroi d’un décret de remise implique nécessairement, dans le cas particulier d’un contribuable, une dérogation, non seulement aux règles ordinaires de la taxation, mais aussi au principe de l’égalité de traitement. La notion d’« intérêt public » doit donc être interprétée dans le contexte général du régime d’application des lois fiscales et en tenant compte des principes exprimés dans la Loi sur la taxe d’accise, dans son ensemble.

 

[48]           Il importe d’examiner la décision du ministre dans son ensemble. On peut avancer des arguments sur un certain nombre de points mais, pris tant individuellement que dans leur ensemble, ils ne permettent pas d’établir que la décision ne satisfait pas aux critères relatifs à la raisonnabilité énoncés dans Dunsmuir, précité.

 

V.        CONCLUSION

[49]           En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée, avec dépens.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1374-11

 

INTITULÉ :                                      TWENTIETH CENTURY FOX HOME ENTERTAINMENT CANADA LIMITED c.

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

                                                            LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL ET LE SOUS‑COMMISSAIRE, DIRECTION GÉNÉRALE DE LA POLITIQUE LÉGISLATIVE ET DES AFFAIRES RÉGLEMENTAIRES DE L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 30 avril 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 28 juin 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Joel Nitikman

 

                        POUR LA DEMANDERESSE

 

Michael Taylor

                        POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Fraser Milner Casgrain LLP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

                       POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

                       POUR LES DÉFENDEURS

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.