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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

 


Date : 20120515

Dossier : IMM-4517-11

Référence : 2012 CF 587

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Winnipeg (Manitoba), le 15 mai 2012

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

 

DUY HUYNH NGUYEN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Duy Huynh Nguyen demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de l’immigration (la Commission) selon laquelle son épouse, Sofiya Konovalova Nguyen, ne faisait pas partie de la catégorie « regroupement familial » parce que leur mariage n’était pas authentique ou visait l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.R.C. 1985, ch. I‑21 [la LIPR].

 

[2]               M. Nguyen prétend que la Commission a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable du fait que son épouse n’avait pas témoigné lors de l’audition de l’appel, sans déterminer si ce témoignage était réellement nécessaire.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, je suis convaincue que la décision de la Commission était raisonnable. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

Le contexte

 

[4]               M. Nguyen est un citoyen canadien de 28 ans d’origine vietnamienne. Il habite avec sa mère et ses deux frères à Winnipeg et il travaillait à temps partiel à titre de commis d’épicerie et à temps plein comme aide‑comptable.

 

[5]               Mme Konovalova Nguyen est une citoyenne russe de 23 ans qui vit à Moscou. Elle étudie la linguistique et les langues étrangères, en particulier le japonais et l’anglais, et elle apprend le vietnamien depuis qu’elle a fait la connaissance de M. Nguyen. Elle espère se trouver un emploi de professeur de langues étrangères.

 

[6]               M. Nguyen et Mme Konovalova Nguyen ont fait connaissance le 27 mars 2009 sur un site de correspondance en ligne appelé « Interpals ». Ils communiquaient l’un avec l’autre presque tous les jours par Skype, par téléphone et par courriel.

 

[7]               Peu de temps après qu’ils eurent commencé à correspondre, M. Nguyen et Mme Konovalova Nguyen ont discuté de la possibilité de se marier. M. Nguyen a proposé à Mme Konovalova Nguyen de communiquer avec l’épouse de son ami, une Ouzbèke qui vivait au Canada. Il a également commencé à faire des recherches afin de connaître les exigences relatives aux mariages étrangers.

 

[8]               Le 16 juillet 2009, M. Nguyen s’est rendu en Russie pour rencontrer Mme Konovalova Nguyen. Trois jours plus tard, il l’a demandée en mariage et le couple s’est marié une semaine plus tard. La famille de Mme Konovalova Nguyen a assisté au mariage, mais pas celle de M. Nguyen.

 

[9]               L’obtention des documents exigés pour un mariage peut prendre jusqu’à trois mois en Russie. Mme Konovalova Nguyen avait cependant déjà fait les démarches nécessaires pour enregistrer le mariage avant que M. Nguyen arrive à Moscou, même s’ils n’étaient pas encore fiancés.

 

[10]           M. Nguyen a rendu visite à son épouse une seule fois depuis le mariage. Une deuxième visite a été annulée à cause des difficultés concernant l’obtention d’un visa d’entrée pour la Russie pour M. Nguyen.

 

[11]           En novembre 2009, Mme Konovalova Nguyen a présenté une demande de résidence permanente au Canada au titre du regroupement familial. Sa demande a été rejetée parce que l’agent d’immigration a déterminé que son mariage avec M. Nguyen n’était pas authentique et qu’il visait à lui permettre d’immigrer au Canada.

 

[12]           Le couple a interjeté appel de cette décision à la Commission. M. Nguyen, qui s’est présenté à l’audience accompagné d’un conseil, a témoigné au soutien de l’appel. Mme Konovalova Nguyen n’a pas témoigné à l’audience.

 

La décision de la Commission

 

[13]           La Commission a jugé que M. Nguyen était un témoin crédible et elle était convaincue que ses intentions en se mariant étaient sincères. Elle a cependant conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le mariage n’était pas authentique et que Mme Konovalova Nguyen s’était mariée afin d’acquérir un statut ou un privilège sous le régime de la LIPR aux termes de l’article 4 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2010‑208 [le Règlement].

 

[14]           Pour parvenir à cette conclusion, la Commission a passé en revue les faits qui avaient mené au mariage, y compris la précipitation avec laquelle le mariage avait été célébré et les circonstances relatives au mariage lui‑même. Elle a aussi tenu compte du fait que Mme Konovalova Nguyen désirait quitter la Russie depuis longtemps, de ses antécédents personnels et de sa conduite après le mariage. La Commission a également pris en considération les différences entre les époux quant à leur culture, leur religion, leur situation financière et leur niveau d’instruction.

 

[15]           En outre, la Commission était très préoccupée par le fait que Mme Konovalova Nguyen avait refusé de témoigner à l’audience, répétant à maintes reprises dans ses motifs que celle‑ci n’était pas présente pour dissiper ses doutes au sujet du mariage. M. Nguyen avait expliqué que son épouse était en colère contre lui parce qu’il n’avait pas été en mesure d’aller la voir en Russie et que c’est pour cette raison qu’elle refusait de témoigner à l’audience de la SAI. La Commission a toutefois tiré une conclusion défavorable du refus de Mme Konovalova Nguyen de témoigner et a conclu que ce refus traduisait une indifférence à l’égard de l’issue de l’appel.

 

[16]           De plus, la Commission a rejeté la prétention de M. Nguyen selon laquelle son épouse ne voulait pas témoigner à cause d’une expérience négative qu’elle avait eue dans le passé avec un agent d’immigration. La Commission a souligné que cette explication n’était pas étayée par les notes figurant dans le STIDI.

 

[17]           Compte tenu des conclusions qui précèdent, l’appel a été rejeté.

 

La question en litige en l’espèce

 

[18]           M. Nguyen prétend que la Commission a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable du fait que Mme Konovalova Nguyen n’avait pas témoigné lors de l’audition de l’appel, sans déterminer si ce témoignage était réellement nécessaire.

 

Analyse

 

[19]           Le paragraphe 4(1) du Règlement prévoit que l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux d’une personne si le mariage a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi ou b) n’est pas authentique. Il incombe au demandeur de démontrer que la relation n’est pas visée par les deux volets du critère : Kaur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 417, [2010] A.C.F. no 482 (QL), au paragraphe 15.

 

[20]           Les conclusions concernant la question de savoir si une relation est authentique ou si elle visait une fin en matière d’immigration sont des conclusions de fait auxquelles la norme de la raisonnabilité s’applique : Kaur, ci‑dessus, au paragraphe 14.

 

[21]           M. Nguyen s’appuie sur Mann c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] D.S.A.I. no 198 (QL), où, selon lui, la Commission a défini le critère juridique qui doit servir à déterminer s’il convient de tirer une conclusion défavorable du fait que l’époux parrainé ne témoigne pas lors de l’audition de l’appel par la Commission.

 

[22]           Au paragraphe 14 de Mann, la Commission souligne qu’il peut y avoir des cas où le témoignage de l’époux étranger peut être nécessaire pour satisfaire aux exigences en matière de preuve. Elle dresse ensuite une liste non exhaustive de situations où il pourrait « être recommandé ou même nécessaire de citer le demandeur à témoigner ».

 

[23]           La Commission inclut dans cette liste les cas où il y a des incohérences précises importantes dans le dossier, où l’époux étranger a des antécédents douteux en matière d’immigration, où il y a une raison évidente de douter des motifs du demandeur ou où les preuves documentaires corroborant le témoignage de l’appelant sont minimes.

 

[24]           La Commission a ensuite fait remarquer dans Mann qu’il pouvait aussi y avoir des cas où le témoignage de l’époux étranger n’est pas nécessaire, notamment lorsque l’époux canadien est en mesure de dissiper les doutes de manière convaincante.

 

[25]           M. Nguyen affirme que la Commission a commis une erreur en l’espèce en n’appliquant pas le critère défini dans Mann pour déterminer si une conclusion défavorable devait être tirée du refus de Mme Konovalova Nguyen de témoigner et en ne vérifiant pas si les réponses de celle‑ci aux doutes de la Commission se trouvaient dans le dossier dont cette dernière disposait.

 

[26]           Je rejette cette prétention.

 

[27]           Si la Commission n’a pas fait expressément référence à Mann, elle a clairement décrit ses doutes, dont un grand nombre correspondent parfaitement aux exemples qu’elle a donnés dans cette décision de cas où le témoignage de l’époux étranger peut être nécessaire.

 

[28]           Mme Konovalova Nguyen avait manifesté depuis longtemps le désir de quitter la Russie. Elle a eu de nombreuses relations avec des hommes dont elle a fait la connaissance sur Internet. M. Nguyen était le premier à donner suite à sa promesse de l’épouser et le mariage a eu lieu dans les trois mois suivant leur premier contact en ligne et dans les quelques jours suivant leur première rencontre en personne. Compte tenu de ces faits, il y a une raison évidente de douter des motifs qui ont amené Mme Konovalova Nguyen à se marier avec M. Nguyen.

 

[29]           Les doutes de la Commission étaient amplifiés par les différences entre M. Nguyen et Mme Konovalova Nguyen quant à leur culture, leur religion, leur situation financière et leur niveau d’instruction. En outre, la preuve dont disposait la Commission indiquait que Mme Konovalova Nguyen avait continué à voir un ancien petit ami et à aller prendre un verre avec d’autres hommes après son mariage.

 

[30]           Ces conclusions n’ont pas été contestées par M. Nguyen et elles ont de façon tout à fait raisonnable fait naître des doutes quant aux intentions que Mme Konovalova Nguyen avait lorsqu’elle s’est mariée avec M. Nguyen et à l’authenticité du mariage.

 

[31]           En outre, les doutes de la Commission ne découlaient pas seulement du fait que Mme Konovalova Nguyen n’avait pas témoigné, mais de son refus de le faire. La Commission pouvait, compte tenu du dossier dont elle disposait, conclure que le refus de Mme Konovalova Nguyen de témoigner dénotait une indifférence de sa part à l’égard de l’issue de l’appel. Il était tout à fait raisonnable que la Commission tire une conclusion défavorable à l’égard de Mme Konovalova Nguyen dans ces circonstances

 

[32]           J’aimerais ajouter que la Commission avait plusieurs raisons de rejeter l’appel, outre la conclusion défavorable qu’elle a tirée du fait que Mme Konovalova Nguyen n’avait pas témoigné. Ces raisons sont clairement expliquées dans les motifs de la Commission et la décision satisfait aux critères de justification, de transparence et d’intelligibilité que doit remplir une décision raisonnable.

 

Conclusion

 

[33]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[34]           M. Nguyen propose la question suivante à des fins de certification :

Lorsqu’un agent des visas refuse, en application du paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, un demandeur qui veut immigrer au Canada et que l’époux qui parraine ce demandeur interjette appel à la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, celle‑ci commet‑elle une erreur en tirant une conclusion défavorable de l’absence de témoignage fait par téléphone par le demandeur sans procéder à une analyse visant à déterminer si la preuve qui lui a été présentée par l’appelant est suffisante à elle seule?

 

 

[35]           Il ne s’agit pas d’une question qu’il convient de certifier. Les doutes de la Commission ne concernaient pas la preuve de M. Nguyen. La Commission a reconnu que les intentions de ce dernier en se mariant étaient sincères.

 

[36]           La Commission a expliqué pourquoi elle avait des doutes quant aux intentions de Mme Konovalova Nguyen en raison du dossier dont elle disposait, et j’ai conclu que ces doutes étaient raisonnables. En conséquence, la réponse à la question ne permettrait pas de trancher la présente affaire et je refuse de certifier cette question.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

            1.         La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

            2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4517-11

 

INTITULÉ :                                      DUY HUYNH NGUYEN c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 14 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 15 mai 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Matas

                            POUR LE DEMANDEUR

 

Alexander Menticoglou

                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

                            POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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