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Cour fédérale

 

Federal Court


Date: 20120510

Dossier : T-711-11

Référence : 2012 CF 564

Ottawa (Ontario), le 10 mai 2012

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

 

STEPHAN CLICHE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

   MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13 [la Loi] de la décision du registraire des marques de commerce (le registraire) rendue le 3 mars 2011. Dans sa décision, le registraire a rejeté l’enregistrement de la marque de commerce « North America Trade », au motif que la marque proposée était clairement descriptive des produits ou services offerts.

 

I. Faits

[2]               Le demandeur a déposé une application pour l’enregistrement de la marque de commerce « North America Trade » auprès du registraire le 27 avril 2007. Le demandeur a décrit comme suit les services proposés en lien avec cette marque : « Reference service for information on commerce between Canada and the United States ». Cette application a reçu le numéro 1345342.

 

[3]               Entre le 24 octobre 2007 et le 14 mars 2010, le registraire et le demandeur ont échangé plusieurs lettres quant à l’admissibilité de la marque proposée. Le registraire a clairement indiqué au demandeur que la marque paraissait à première vue descriptive de la nature des services en liaison avec lesquels elle devait être utilisée. De son côté, le demandeur a répliqué en faisant valoir plusieurs des arguments qui ont également été soulevés dans le cadre du présent appel, et sur lesquels je reviendrai dans le cadre de mon analyse.

 

[4]               Le 15 mars 2010, après avoir formulé des commentaires à trois reprises suite aux préoccupations exprimées par le registraire, le demandeur écrivait à ce dernier pour lui demander de rendre une décision finale dans le dossier.

 

[5]               Le 3 mars 2011, le registraire concluait que la marque ne pouvait être enregistrée parce qu’elle fournit une description claire des services proposés, en contravention de l’alinéa 12(1)(b) de la Loi.

 

II. La décision contestée

[6]               Dans sa décision, le registraire a d’abord rappelé que la question de savoir si la marque du demandeur est clairement descriptive des services fournis par ce dernier doit s’apprécier en tenant compte du point de vue de l’acheteur ordinaire de ces services. Pour se prononcer sur cette question, il ne convient pas de disséquer la marque en ses diverses composantes; il faut plutôt l’examiner dans son ensemble et comme un tout, en considérant la première impression que s’en ferait le consommateur.

 

[7]               Appliquant ce critère, le registraire en est arrivé à la conclusion que la marque ne se conformait pas à l’alinéa 12(1)(b) de la Loi, essentiellement pour les motifs suivants :

I am mindful that an expression like NORTH AMERICA TRADE is a term which others would be likely to use in the normal course of trade to describe “reference service for information on commerce between Canada and the United States.” One of the most important purposes of paragraph 12(1)(b) of the Act is to protect the right of all traders to use apt descriptive language. The courts have recognized and held that descriptive words are the property of all and cannot be appropriated by one person for their exclusive use. …

 

(…)

 

It is my position that the ordinary purchaser of the applicant’s services, when faced with the subject application would immediately conclude, as a matter of first impression that the applicant is providing information on North America Trade.

 

                       

Dossier du demandeur, onglet 2, pp 8-9.

 

 

[8]               Puisque la marque a été jugée clairement descriptive et donc non enregistrable, le registraire a refusé l’application du demandeur conformément à l’alinéa 37(1)(b) de la Loi.

 

III. Question en litige

[9]               Le présent appel soulève essentiellement la question de savoir si le registraire a erré en concluant que la marque « North America Trade » est clairement descriptive.

 

IV. Analyse

[10]           Avant d’examiner le fond du litige, il convient tout d’abord de préciser la norme de contrôle applicable. Le paragraphe 56(5) de la Loi prévoit que des éléments de preuve autres que ceux présentés au registraire peuvent être soumis à la Cour dans le cadre d’un appel fondé sur le paragraphe 56(1). Lorsqu’un demandeur se prévaut de cette possibilité, et que la preuve additionnelle soumise est importante et significative, la Cour sera justifiée d’en venir à ses propres conclusions et n’est tenue à aucune obligation de réserve eu égard à la décision du registraire. En l’absence de nouvelle preuve cependant, la norme de la décision raisonnable doit être appliquée; la Cour doit reconnaître l’expertise du registraire et faire preuve d’une certaine retenue tant au niveau de ses conclusions de fait que de droit.

 

[11]           Après avoir passé en revue la jurisprudence pertinente, mon collègue le juge Mandamin a récemment résumé l’état du droit sur cette question dans le paragraphe suivant :

Si, d’une part, il appert que les nouveaux éléments ne [sic] preuve n’auraient pas pu avoir un effet sensible sur la décision du registraire, alors la norme de contrôle en appel est la décision raisonnable. Si, d’autre part, il appert que les éléments de preuve auraient pu avoir un effet sur la décision du registraire, alors il s’agit d’un appel de novo fondé sur l’examen des éléments suivants : le dossier présenté du registraire, les nouveaux éléments de preuve et les conclusions de fait et de droit ainsi que l’exercice du pouvoir discrétionnaire du registraire : Molson Breweries c. John Labatt ltd.

 

Conseil du Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario c Canada (Procureur général), 2011 CF 58 au para 21, 382 FTR 237 [Conseil du Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario].

 

 

[12]           En l’espèce, le demandeur a présenté deux types de nouvelle preuve. Dans un premier temps, il a soumis l’affidavit de Maryse Cloutier. Cette dernière témoigne que M. Cliche lui a demandé quels biens ou services pourraient possiblement être rendus sous l’appellation North America Trade, ce à quoi elle a répondu spontanément qu’il pourrait s’agit de services de transport, de dédouanement, d’import-export ou des activités similaires. Le demandeur a également soumis son propre affidavit, dans lequel il affirme avoir l’intention de déposer une nouvelle application de la marque North America Trade relativement à des services différents et additionnels aux services décrits à l’application initiale, soit des services juridiques. Cette nouvelle preuve n’est pas très significative et aurait sans doute eu peu d’impact sur la décision du registraire. D’une part, l’affidavit de Mme Cloutier ne saurait, à lui seul, être considéré comme reflétant l’opinion du consommateur moyen. Au surplus, le point de vue de l’affiant est inéluctablement vicié dans la mesure où la question posée par le demandeur n’est pas conforme au test applicable pour déterminer le caractère descriptif d’une marque, comme nous le verrons un peu plus loin. Quant à l’affidavit du demandeur, on ne peut lui accorder beaucoup de poids puisqu’il repose sur une pure éventualité.

 

[13]           Le demandeur a également tenté d’introduire en preuve de façon irrégulière, c’est-à-dire sans affidavit, des relevés informatiques de la base de données sur les marques de commerce maintenue par l’Office de la propriété intellectuelle du Canada, visant à démontrer que des marques suggestives comparables à la marque en litige dans le présent dossier ont été enregistrées par le registraire dans le passé. Lors de l’audition, le demandeur a prétendu que ces documents sont dans le domaine public, et il a également invoqué la Règle 60 des Règles des Cours fédérales, DORS 98/106, pour obtenir l’autorisation de soumettre un affidavit séance tenante de façon à introduire ces pièces en preuve. Le défendeur s’y est objecté et la Cour a accepté les documents sous réserve. Après réflexion, il ne me paraît pas utile de me prononcer sur l’admissibilité de l’affidavit soumis in extremis par le demandeur pour remédier à l’introduction irrégulière de documents. Même en supposant que cette preuve puisse être considérée, elle n’apporte rien de nouveau puisque le demandeur a déjà fait valoir ce même argument devant le registraire.

 

[14]           Enfin, le demandeur a également inséré dans son dossier les premières pages d’une recherche effectuée sur le moteur de recherche internet Google à partir des mots « North America Trade ». Encore une fois, ces documents n’ont pas été introduits au moyen d’un affidavit et ne sont donc pas admissibles en preuve. Qui plus est, le demandeur n’a pas établi la pertinence de cette preuve.

 

[15]           Par conséquent, le demandeur n’a présenté aucun nouvel élément de preuve important ou significatif, et la décision du registraire doit donc être révisée en appliquant la norme de la raisonnabilité. Conséquemment, cette Cour n’interviendra que si la décision du registraire n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47, [2008] 1 RCS 190).

 

[16]           Tel que mentionné précédemment, l’alinéa 12(1)(b) de la Loi prévoit qu’une marque n’est pas enregistrable si elle donne une description claire de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée. Cette disposition se lit comme suit :

12. (1) Sous réserve de l’article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

 

[…]

 

b) qu’elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l’égard desquels on projette de l’employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou du lieu d’origine de ces marchandises ou services;

12. (1) Subject to section 13, a trade-mark is registrable if it is not

 

 

. . .

 

(b) whether depicted, written or sounded, either clearly descriptive or deceptively misdescriptive in the English or French language of the character or quality of the wares or services in association with which it is used or proposed to be used or of the conditions of or the persons employed in their production or of their place of origin;

 

 

[17]           Le demandeur reconnaît qu’une marque clairement descriptive ne peut être enregistrée, mais fait valoir qu’il faut distinguer entre une marque clairement descriptive et une marque suggestive. À cet égard, il cite plusieurs décisions où l’on a reconnu l’enregistrabilité d’une marque suggestive, laquelle fait plutôt référence à une marque qui fait allusion de façon subtile et indirecte aux qualités ou aux caractéristiques d’un produit ou d’un service sans le décrire clairement.

 

[18]           Cet argument du demandeur ne me paraît guère utile et constitue tout au plus une diversion par rapport à la véritable question qui doit être tranchée. Comme le fait remarquer le défendeur, le concept de « marque suggestive » est inexistant dans la Loi, et la seule question qui doit être tranchée est celle de savoir si la marque est clairement descriptive (ou donne une description fausse ou trompeuse) de la nature ou de la qualité des services en liaison avec lesquels elle est employée. Il importe peu que le demandeur fasse la preuve que sa marque est suggestive. Ce qu’il lui faut établir, en bout de ligne, c’est que la décision rendue par le registraire quant à la nature clairement descriptive de sa marque est erronée.

 

[19]           L’objectif poursuivi par le législateur est de faire en sorte qu’une personne ne puisse s’arroger le droit exclusif d’utiliser des termes génériques décrivant une catégorie de biens ou de services, au détriment d’autres commerçants ou manufacturiers de biens ou services semblables. Cette logique a été bien décrite par le juge Rand dans l’arrêt General Motors Corp v Bellows, [1949] SCR 678 (disponible sur CanLII). Commentant une règle adoptée sous l’autorité d’une version antérieure de la Loi, suivant laquelle une expression ou un mot référant directement au caractère ou à la qualité d’un bien pouvait néanmoins être enregistré lorsqu’il pouvait être démontré que ce mot ou cette expression avait acquis une signification secondaire au fil d’un usage continu et important, le juge écrivit :

The rule quoted illustrates the conflict early recognized by the courts before the subject matter came under legislation, i.e. between the appropriation by a trader of a word within the range of language that would ordinarily be used by traders to describe particular goods, and the right of other traders in the normal carrying on of their business to employ the same or similar words. In the technique of advertising, the more complex and expensive the goods are, the greater the imaginative seeking by those producing them for attractive and arresting words; but in fixing the limits of legislative protection the courts must balance the conflicting interests and avoid placing legitimate competition at an undue disadvantage in relation to language that is common to all.

 

 

[20]           Dans le cas présent, le registraire a conclu que la marque « North America Trade » a bel et bien une signification précise. Il ne s’agit pas de mots inventés ou rares, ou d’une vague allusion à la qualité ou aux caractéristiques d’un service, mais bien d’une marque qui décrit clairement les services en lien avec lesquels elle est utilisée, soit des « Reference services for information on commerce between Canada and the United States ».

 

[21]           Il n’y a pas de désaccord entre les parties eu égard au fait qu’il faut examiner un mot ou une expression en fonction de la première impression que ce mot ou cette expression crée dans son ensemble, et se garder de les décomposer pour en faire une analyse minutieuse et en isolant chaque mot dans le cas d’une expression. Là où le demandeur se trompe, c’est lorsqu’il soutient que la personne dont il faut se soucier de la première impression est la personne d’intelligence moyenne, sans autre qualification.

 

[22]           Il est bien établi que le caractère descriptif d’un mot ou d’une expression ne doit pas s’apprécier dans l’abstrait, mais en relation avec les biens ou les services visés par la marque de commerce projetée. La marque doit être examinée du point de vue du consommateur ou de l’utilisateur moyen des biens ou services auxquels elle se rapporte. En d’autres termes, le critère consiste à déterminer quelle première impression le mot ou l’expression ferait sur le détaillant habituel moyen, le consommateur ou l’utilisateur du type de marchandises ou de services auxquels est associée la marque. On trouve un bon exemple de cet examen dans l’arrêt Mitel Corp c Registraire des marques de commerce (1984), 79 CPR (2d) 202 à la p 208 (disponible sur QL) (CF 1re inst):

Bien que le mot « SUPER » soit clairement élogieux et descriptif, le mot « SET » ne l’est pas pour autant : ce mot ne fait pas automatiquement penser, par lui-même, à un combiné téléphonique. Le mot « SET » peut évoquer diverses premières impressions. Une personne raisonnable, qui parle et comprend raisonnablement bien la langue anglaise, associerait normalement le mot « SET » au jeu de tennis en passant devant un court de tennis. Le client d’un magasin de meubles associerait le mot « SET » avec un ensemble de chambre à coucher ou de salle à manger, selon ses intentions, ou selon la partie du magasin où il se trouve. Une personne voulant acheter un téléphone pourrait ne pas désigner l’appareil par le nom « SET »; en langage courant, elle l’appellerait plus vraisemblablement un « téléphone ». Toutefois, dans une boutique téléphonique, ou en regardant la publicité pour les ventes de téléphone, un client associerait probablement la marque « SUPERSET » au combiné téléphonique exposé, et en tirerait l’impression que les téléphones offerts en vente sont d’une qualité supérieure, tout comme d’autres personnes associeraient le mot « SUPERWASH » a [sic] des vêtements qui se lavent très bien, ou le mot « SUPERSET » (en liaison avec des outils) à des outils de qualité supérieure, ou le mot « SUPER-WEAVE » à des textiles superfins. En bref, la marque de commerce ne doit pas être envisagée isolément, mais par rapport aux marchandises qu’elle désigne.

 

 

[23]           Voilà pourquoi il importe peu que les mots « North America Trade » puissent identifier des produits ou services très différents les uns des autres, comme l’a soutenu le demandeur (en s’appuyant notamment sur l’affidavit souscrit par Mme Cloutier). Les mots tirent leur signification à partir du contexte dans lequel ils sont utilisés. Par conséquent, la véritable question n’est pas de savoir quels produits ou services peuvent être couverts par l’expression « North America Trade », mais plutôt de se demander si le consommateur moyen des services désignés comme « Reference services for information on commerce between Canada and the United States » aurait, comme première impression, que la marque « North America Trade » décrit clairement ces services.

 

[24]           À cette dernière question, le registraire a répondu par l’affirmative :

It is my position that the ordinary purchaser of the applicant’s services, when faced with the subject application would immediately conclude, as a matter of first impression that the applicant is providing information on North America Trade.

                       

                        Dossier du demandeur, onglet 2, p 9.

 

[25]           Le demandeur ne m’a pas convaincu que le registraire a erré en rendant sa décision. J’estime qu’il pouvait raisonnablement conclure que l’enregistrement de la marque proposée conférerait au demandeur un avantage indu, en autorisant l’usage exclusif d’une expression clairement descriptive des services qu’il rend, au détriment de ses concurrents œuvrant dans le même domaine. Encore une fois, la question n’est pas tant de savoir si cette marque peut être considérée comme suggestive et, partant, bénéficiant d’une faible protection. À partir du moment où une marque donne clairement une description de la nature ou de la qualité d’un service, elle ne peut être enregistrée.

 

[26]           Le demandeur a soutenu que des marques de commerce tout aussi descriptives que celle qu’il propose ont été enregistrées dans le passé, et en a donné un certain nombre à titre d’exemples. Cet argument ne peut cependant être retenu, et ce pour les raisons suivantes.

 

[27]           De façon générale, il n’est pas pertinent que telle ou telle marque ait pu être enregistrée dans le passé. Chaque demande doit être appréciée en fonction de sa valeur intrinsèque, des services visés et de son contexte particulier. Il faut également tenir compte du fait que les pratiques et les politiques du registraire peuvent changer au fil des ans.

 

[28]           Ceci étant dit, la Cour a parfois reconnu dans le passé qu’il peut être tenu compte de l’état du registre pour évaluer le caractère descriptif d’une marque. À titre d’illustration, on relève les propos suivants tenus par le juge Addy dans l’arrêt Thomas J. Lipton, Limited c Salada Foods Ltd (1979), [1980] 1 CF 740 au para 19 (disponible sur QL) (CF 1re inst):

Il est exact qu’en général, le contenu du registre est un élément sans intérêt et irrecevable dans certaines causes, par exemple pour démontrer qu’une marque de commerce similaire ayant été accordée antérieurement, celle dont il s’agit devrait être accordée. Chaque cas doit être jugé en toute objectivité et d’après la preuve fournie. Le contenu du registre est toutefois parfaitement recevable pour démontrer d’autres faits pertinents, comme dans la présente cause, où il sert à établir que depuis plus de 60 ans le registraire semble estimer que le mot « Lipton » est distinctif, puisqu’il permet son utilisation dans des marques de commerce. …

 

 

[29]           Dans le cas présent, le demandeur a fait référence à plusieurs marques de commerce qui ne contiennent ni l’expression « North America », ni le mot « Trade ». Ces marques ne peuvent donc être d’aucune utilité pour évaluer le caractère descriptif de la marque proposée.

 

[30]           Quant aux autres marques, qui associent l’expression « North America » ou le mot « Trade » à d’autres mots, elles ne me semblent pas faire la preuve d’une pratique de longue date du registraire. Pour conclure, comme le demandeur, que ces exemples démontrent l’enregistrabilité d’une marque malgré la suggestion d’un lien vague avec les produits ou services couverts, il faudrait connaître davantage le contexte dans lequel ces décisions ont été prises. Je ne suis certes pas en mesure de conclure, sur la base de la preuve qui est devant moi, que le refus du registraire d’enregistrer la marque « North America Trade » serait susceptible d’engendrer une incohérence dans le registre.

 

[31]           En supposant même que quelques unes des marques relevées par le demandeur puissent paraître suspectes, du moins à leur face même, l’on ne saurait en tirer les conséquences que voudrait en tirer le demandeur. Cette Cour a réitéré à plusieurs reprises que le registraire n’est pas tenu de perpétuer ses erreurs passées (Sherwin Williams Co c Canada ( Commissioner of Patents) (1937), Ex CR 205 au para 9, [1938] 1 DLR 318; John Labatt Ltd c Carling Breweries Ltd (1974), 18 CPR (2d) 15 aux para 41-45 (disponible sur QL) (CF 1re inst); Wool Bureau of Canada Ltd c Canada (Registraire des marques de commerce) (1978), 40 CPR (2d) 25 au para 14, [1978] 2 ACWS 286 (CF 1re inst); Warnaco Inc c Canada (Procureur Général) (2000), 5 CPR (4th) 129 au para 30, 96 ACWS (3d) 659 (CF 1re inst); Conseil du Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario, précité aux para 53, 59 et 81).

 

[32]           Le demandeur a également soutenu que le registraire avait erré en ne considérant pas son offre de désistement. Or, il est indéniable qu’un désistement à l’endroit de tous les éléments d’une marque de commerce n’est pas acceptable si la marque de commerce dans son entier n’est pas enregistrable et ne contient aucun élément distinctif. Voici comment s’exprimait à ce sujet le juge Addy dans l’affaire Ingle c Canada (Registraire des marques de commerce) (1973), 12 CPR (2d) 75 au para 7 (disponible sur QL) (CF 1re inst):

 

… l’appelant affirme subsidiairement que, puisqu’il a renoncé à l’usage exclusif de tous ces mots en dehors de la marque, il a le droit de faire enregistrer la marque de commerce elle-même. On pourrait probablement le soutenir s’il y avait un signe ou quelque chose de suffisamment particulier dans la forme ou la disposition des mots ou des lettres auquel pourrait s’appliquer l’enregistrement. Mais les mots eux-mêmes sont imprimés en lettres majuscules moulées ordinaires qui sont bien sûr publici juris; aucun dessin particulier ou trait distinctif, pouvant être décrit comme une marque de commerce, n’apparaît dans ces mots ou ces lettres.

 

 

[33]           C’est précisément la situation qui prévaut ici. La marque proposée est uniquement constituée de mots. Elle ne possède aucun dessin particulier ou trait distinctif. Par conséquent, la marque sera nécessairement dépourvue de caractère distinctif dès lors que les mots sont jugés clairement distinctifs. Un désistement de tous les mots descriptifs de la marque ne peut, dans ces circonstances, rendre cette marque enregistrable.

 

[34]           Enfin, l’argument du demandeur à l’effet que la marque « North America Trade » présente un élément grammatical distinctif n’est pas pertinent et ne suffit pas à lui enlever son caractère descriptif. Même si une formulation générique et grammaticalement plus correcte aurait dû se lire « North American Trade » ou « North America’s Trade », le consommateur moyen du genre de services couverts par la marque telle que rédigée par le demandeur ne manquerait pas de faire le lien entre la marque et les services.

 

[35]           Pour tous les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-711-11

 

INTITULÉ :                                       STEPHAN CLICHE c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 6 décembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 10 mai 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Stephan Cliche

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Antoine Lippé

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Stephan Cliche

St-Georges, Québec

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Québec, Québec

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

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