Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20120614

Dossier : IMM‑8730‑11

Référence : 2012 CF 734

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 juin 2012

En présence de monsieur le juge pinard

ENTRE :

SUKHWINDER SINGH MULTANI,

GURMEET KAUR MULTANI,

PARABHNOOR KAUR MULTANI

ET GURNOOR SINGH MULTANI

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire formée le 25 novembre 2011 sous le régime du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), contre la décision par laquelle M. Haig Basmajian, commissaire de la Section de la protection des réfugiés à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), a rejeté la demande d’asile des demandeurs, concluant qu’ils n’avaient qualité ni de réfugiés au sens de la Convention sous le régime de l’article 96 de la Loi, ni de personnes à protéger sous le régime de son paragraphe 97(1).

 

[2]               M. Sukhwinder Singh Multani (le demandeur principal), sa femme, Mme Gurmeet Kaur Multani, et leurs deux enfants mineurs, Parabhnoor Kaur Multani et Gurnoor Singh Multani (ci‑après désignés collectivement les demandeurs), sont citoyens indiens. Les demandeurs affirment que leurs difficultés en Inde ont eu pour cause leurs liens de parenté avec les cousins du demandeur principal, qui auraient été mêlés aux activités de contrebandiers et de militants et vivaient dans la clandestinité.

 

[3]               Le demandeur principal affirme que des policiers l’ont arrêté le 2 janvier 2005 parce qu’ils recherchaient ses cousins, et qu’ils ont alors arrêté sa femme aussi parce qu’elle était intervenue dans sa propre arrestation.

 

[4]               Les cousins en question auraient rendu visite aux demandeurs en février 2005, par suite de quoi ceux‑ci auraient commencé à faire l’objet de fréquentes perquisitions domiciliaires. Selon le demandeur principal, ses cousins sont revenus chez lui le 26 février 2008 pour lui demander de l’argent, et il les a éconduits. Le lendemain 27 février 2008, la police aurait de nouveau arrêté le demandeur principal parce qu’elle avait trouvé son nom dans l’agenda de ses cousins. Le demandeur principal déclare qu’il a en conséquence été interrogé sous la torture au sujet de ses liens avec la milice. Il ajoute que les policiers, sur paiement d’un pot‑de‑vin par sa famille, l’ont relâché le 29 février 2008, à la condition qu’il se présente au commissariat une fois par mois. Craignant pour sa sécurité, il a alors quitté la ville, où sa famille est cependant restée, pour aller se cacher à New Delhi.

 

[5]               Toujours selon le demandeur principal, sa femme a été arrêtée le 4 avril 2008 parce qu’il ne s’était pas présenté au commissariat de police. Pendant son emprisonnement, elle aurait été interrogée, battue et violée. Une fois relâchée, elle aurait aussi pris la fuite avec ses enfants pour rejoindre son mari à New Delhi.

 

[6]               Les demandeurs ont réussi à quitter l’Inde avec l’aide d’un passeur le 27 juin 2008 et ils sont arrivés au Canada le même jour. Ils ont demandé l’asile le 14 juillet de la même année.

 

[7]               La Commission a entendu la demande d’asile des demandeurs les 25 mai et 17 octobre 2011, et l’a rejetée par décision en date du 9 novembre 2011, aux motifs de la non‑crédibilité du demandeur principal et de l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (PRI).

 

[8]               Les demandeurs ont mis les questions suivantes en litige à l’audience de la présente instance :

1.             La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les demandeurs avaient une PRI en Inde?

 

2.             La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité des demandeurs?

 

 

 

[9]               Premièrement, pour ce qui concerne l’argument des demandeurs selon lequel la Commission aurait fait une erreur en concluant qu’ils disposaient d’une PRI en Inde, je l’estime dénué de fondement.

 

[10]           Le point de savoir si les demandeurs avaient une PRI adéquate est une question mixte de fait et de droit, et la décision de la Commission sur ce point doit donc être contrôlée suivant la norme du caractère raisonnable; voir Rahal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319 [Rahal], paragraphe 22; Agudelo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 465 [Agudelo], paragraphe 17; Khokhar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 449; et Ramos c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 15 [Ramos], paragraphe 20. Par conséquent, l’affaire pourrait avoir plusieurs issues raisonnables, et notre Cour doit établir si la décision de la Commission est justifiée, si elle est l’aboutissement d’un processus transparent et intelligible, et si elle appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »; voir Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, paragraphe 47.

 

[11]           À l’audience tenue devant la Commission, la charge pesait sur les demandeurs de prouver suivant la prépondérance des probabilités qu’ils étaient exposés à une possibilité sérieuse de persécution partout en Inde, y compris à Mumbai, New Delhi et Bangalore; voir Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.) [Thirunavukkarasu], paragraphes 4 et 9; et Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 164 (C.A.) [Ranganathan], paragraphe 13. Il était raisonnable de la part de la Commission de conclure que les demandeurs n’avaient pas établi l’existence d’un risque de persécution dans l’ensemble du pays, se montrant incapables de faire état d’une quelconque raison pour laquelle ils seraient exposés à un tel risque, sinon le fait que la police s’intéressait à eux. La Commission a formulé dans sa décision les motifs pour lesquels elle ne croyait pas que la police s’intéressait à eux, soit la facilité avec laquelle ils avaient pu quitter le pays, l’inexistence de tout lien entre eux et des factions, le fait qu’ils n’avaient pas communiqué avec les cousins du demandeur principal, leur absence de l’Inde depuis 2008, le fait qu’on ne les ait pas formellement inculpés et la fréquente corruption des pouvoirs indiens. S’il est vrai que notre Cour serait peut-être arrivée à une conclusion différente, celle de la Commission se révèle justifiée et fondée sur un raisonnement transparent et intelligible, de sorte que ladite Cour ne peut y substituer l’issue qu’elle estimerait elle-même préférable (Agudelo, précitée, paragraphe 17). Les motifs de la Commission ne doivent pas être examinés à la loupe, et elle n’était pas tenue de faire mention de chaque élément de preuve (Rahal, précitée, paragraphe 38). Le fait que les autorités indiennes n’aient pas inquiété les autres parents des demandeurs en raison de leurs liens de parenté avec les cousins en question n’est pas déterminant, mais il était loisible à la Commission de prendre ce facteur en considération, en plus des autres sur lesquels elle a fondé sa conclusion que les policiers indiens s’intéressaient aux demandeurs principalement pour des raisons pécuniaires, ceux‑ci ayant versé des pots‑de‑vin.

 

[12]           Les demandeurs soutiennent aussi que la Commission a fait une erreur en concluant que New Delhi était une PRI adéquate, puisque le demandeur principal y avait vécu dans la clandestinité pendant les trois mois de son séjour. Une PRI ne peut être seulement conjecturale ou théorique : ce doit être une possibilité concrètement accessible (Thirunavukkarasu, précité, paragraphe 14). Par conséquent, ce ne peut être un endroit où les demandeurs sont obligés de vivre cachés (Thirunavukkarasu, précité, paragraphe 14). La question n’est pas de savoir si l’endroit en question est commode ou agréable, mais si les demandeurs sont fondés à penser qu’il serait déraisonnable d’aller s’installer ailleurs en Inde, étant donné qu’ils y resteraient exposés à un risque de persécution. Il convient cependant de rappeler que, s’agissant d’une PRI, il faut toujours compter avec des difficultés, et, comme le fait observer le défendeur, la preuve du caractère déraisonnable de cette possibilité est toujours soumise à un critère très rigoureux (Ranganathan, précité, paragraphe 15). Il incombait plutôt aux demandeurs d’établir par des preuves concrètes et réelles l’existence de conditions propres à mettre en péril leur sûreté et leur vie (Ranganathan, précité, paragraphe 15), charge dont ils ne se sont pas acquittés.

 

[13]           Le demandeur principal, il est vrai, ne se trouvait peut-être en sûreté à New Delhi que parce qu’il y vivait caché, mais les demandeurs n’ont pas expliqué pourquoi les autres PRI proposées auraient été déraisonnables, sauf en se contentant d’affirmer que la police les traquerait et les retrouverait où qu’ils aillent en Inde. Vu les motifs exposés par la Commission à l’appui de sa conclusion sur la PRI et l’absence de preuves concrètes et réelles propres à l’infirmer, nous estimons cette conclusion raisonnable. Ladite conclusion suffisait à motiver le rejet des demandes d’asile des demandeurs [voir Del Real c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 140, paragraphe 12)] et règle par conséquent le sort de la présente demande de contrôle judiciaire. Il s’ensuit que nous n’avons pas à examiner la question de la crédibilité.

 

[14]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[15]           J’estime comme les avocats des parties que la présente espèce ne soulève aucune question susceptible de certification.

 

 


 

JUGEMENT

 

La Cour rejette la demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un commissaire de la Section de la protection des réfugiés à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que les demandeurs n’avaient qualité ni de réfugiés au sens de la Convention sous le régime de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, ni de personnes à protéger sous le régime de son paragraphe 97(1).

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑8730‑11

 

INTITULÉ :                                      SUKHWINDER SINGH MULTANI, GURMEET KAUR MULTANI, PARABHNOOR KAUR MULTANI ET GURNOOR SINGH MULTANI c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 5 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE PINARD

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 14 juin 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Eric Freedman                                                 POUR LES DEMANDEURS

 

Denisa Chrastinova                                         POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Eric Freedman                                                 POUR LES DEMANDEURS

Montréal (Québec)

 

Myles J. Kirvan                                               POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.