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Date : 20120607

Dossier : IMM‑7804‑11

Référence : 2012 CF 715

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 juin 2012

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

 

ROMAIN TSHIMBA NTULA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

       MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a déclaré non crédible le récit des persécutions que le demandeur affirme avoir subies en République démocratique du Congo (RDC).

 

[2]               Pour les motifs dont l’exposé suit, M. Ntula ne m’a pas convaincue que la décision de la Commission est déraisonnable. En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

Le contexte

 

[3]               M. Ntula occupait le poste de deuxième secrétaire au ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale de la RDC. Il affirme avoir participé le 8 mai 2009 à un « parlement debout », c’est‑à‑dire une lecture publique de journaux qui permet aux citoyens dépourvus d’instruction scolaire de se renseigner sur l’actualité. Cette lecture a donné lieu à un débat public passionné sur les problèmes politiques de la RDC. M. Ntula déclare avoir participé activement à ce débat et avoir défendu devant l’auditoire l’idée qu’il fallait une « résistance civique » pour régler ces problèmes.

 

[4]               M. Ntula affirme en outre qu’il a été ensuite arrêté par des agents des Services spéciaux, qui l’ont emmené dans un lieu de détention secret. On l’y a détenu et torturé durant trois jours, puis on l’a transféré le 11 mai 2009 à la Prison centrale de Makala. Le 13 du même mois, il a été transporté sous bonne garde de cette prison à un hôpital, où on l’a soigné pour les graves blessures qu’il déclare avoir subies aux mains de ses tortionnaires.

 

[5]               Toujours selon ses dires, M. Ntula a pu s’échapper de l’hôpital plus tard ce même jour et aller se cacher. Avec l’aide de son frère aîné, il a pris des dispositions pour se rendre aux États‑Unis via Bruxelles, par un vol prévu pour le 22 mai 2009. Un fonctionnaire de l’aéroport soudoyé par son frère l’a accompagné à l’aérogare, l’aidant à franchir les postes de sécurité jusqu’à l’embarquement inclusivement.

 

[6]               M. Ntula s’est rendu aux États‑Unis sous couvert de son passeport diplomatique et d’un visa d’entrée valide pour la période du 29 avril au 27 juillet 2009. L’ambassade des États‑Unis lui avait délivré ce visa aux fins de sa participation à une conférence de l’Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones, qui devait se dérouler à New York du 18 au 27 mai 2009.

 

[7]               M. Ntula déclare avoir été congédié de son poste après avoir omis de se présenter au travail par suite de son arrestation et de sa fuite de la RDC. Il affirme en outre que les agents de l’État ont continué à harceler sa famille à Kinshasa après son départ du pays. Son père a été emprisonné, et son frère a en fin de compte dû se cacher.

 

La décision de la Commission

 

[8]               La Commission a conclu que M. Ntula n’avait pas quitté la RDC afin d’échapper à une persécution politique, mais qu’il était plutôt parti pour les États‑Unis, sous couvert de son passeport diplomatique et d’un visa d’entrée américain valide, afin de participer à une conférence au siège des Nations Unies à New York. Selon elle, M. Ntula avait inventé toute son histoire de détention et de torture dans le but d’étayer sa demande d’asile au Canada.

 

[9]               La Commission a estimé peu plausible que M. Ntula ait pu s’envoler de l’aéroport de Njili sous couvert de son passeport diplomatique s’il faisait effectivement l’objet d’un avis de recherche, étant donné de surcroît que cet avis aurait été communiqué aux autorités dudit aéroport. Vu cette invraisemblance et l’absence de tout élément de preuve par lequel le frère de M. Ntula aurait expliqué comment il avait soudoyé un fonctionnaire de l’aéroport, la Commission a rejeté la version des faits donnée par le demandeur.

 

[10]           La Commission a également jugé suspect que M. Ntula se soit procuré un nouveau certificat de naissance quelques semaines seulement avant son départ de la RDC. Elle n’a pas ajouté foi à son explication selon laquelle il lui avait fallu obtenir ce document pour un recensement et elle a conclu suivant la prépondérance des probabilités qu’il s’était fait délivrer ce certificat parce qu’il prévoyait de quitter le pays. La Commission a fait observer que M. Ntula n’avait rien produit à l’appui de son affirmation selon laquelle il se serait préparé à un recensement en mai 2009.

 

[11]           La Commission a aussi conclu au peu de plausibilité du récit donné par M. Ntula de son évasion de l’hôpital. D’un côté, il se serait alors trouvé dans un état assez grave pour que des gardiens de prison l’emmènent se faire soigner à l’hôpital. De l’autre, il aurait apparemment été assez dispos pour s’en échapper au milieu de la nuit à la faveur d’un moment d’inattention de son gardien. M. Ntula n’a pu expliquer cette contradiction de manière satisfaisante à l’audience.

 

[12]           En outre, la Commission n’a guère accordé de poids à la preuve documentaire produite par M. Ntula à l’appui de sa demande d’asile.

 

[13]           La Commission a ajouté foi à l’affirmation de M. Ntula selon laquelle il avait été congédié de son poste au ministère des Affaires étrangères de la RDC, mais sans estimer que ce fait l’exposerait à un quelconque risque de persécution s’il devait rentrer dans son pays. Aucun élément de preuve ne donnait à penser que d’autres personnes exclues du corps diplomatique à la même époque que M. Ntula auraient fait l’objet de mauvais traitements ou d’autres formes de persécution.

 

Analyse

 

[14]           M. Ntula ne m’a pas convaincue que la décision de la Commission est déraisonnable.

 

[15]           La Commission trouvait manifestement étrange que M. Ntula se soit rendu aux États‑Unis sous couvert, en plus de son passeport diplomatique, d’un visa d’entrée qui s’était trouvé fort à propos valide au moment où il en avait eu besoin pour s’enfuir de la RDC.

 

[16]           Le fait que M. Ntula se soit procuré un nouveau certificat de naissance quelques semaines seulement avant son départ de la RDC – et avant l’arrestation et les tortures dont il prétendait avoir fait l’objet – est venu aggraver les soupçons éveillés chez la Commission par la première coïncidence. Or M. Ntula n’a pas opposé d’arguments sérieux à la faible plausibilité de ces coïncidences, même si elles touchent au fond de sa demande d’asile et se révèlent évidentes à l’examen du dossier.

 

[17]           La possession par M. Ntula d’un visa américain valide précisément pour la période pendant laquelle il affirme avoir été persécuté en RDC déborde tout simplement « le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre » dans une telle situation : Isakova c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 149, 322 F.T.R. 276, paragraphe 11.

 

[18]           Il était également raisonnable de la part de la Commission de juger peu plausible que M. Ntula puisse s’enfuir de la RDC sous couvert de son propre passeport diplomatique. M. Ntula a affirmé que son frère avait organisé le voyage, mais ce dernier n’a produit aucun élément de preuve tendant à expliquer comment le demandeur avait pu passer inaperçu, alors que ledit demandeur a déclaré dans son témoignage être en rapport régulier avec son frère.

 

[19]           Ainsi que notre Cour l’a posé en principe au paragraphe 12 de Mejia c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 851, [2011] A.C.F. no 1062 (QL), « [l]a Commission peut tirer une conclusion défavorable si le demandeur ne parvient pas à corroborer des aspects importants de son récit quand sa crédibilité est déjà mise en doute ».

 

[20]           L’absence de mention par la Commission de la preuve générale concernant le caractère très répandu de la corruption en RDC n’est pas déraisonnable. À elle seule, cette preuve n’établit pas nécessairement que M. Ntula ait pu sortir de la RDC au moyen de pots‑de‑vin, malgré l’avis de recherche qui aurait été lancé contre lui.

 

[21]           M. Ntula ne m’a pas non plus convaincue qu’il était déraisonnable de la part de la Commission de n’accorder que peu de poids aux documents qu’il avait produits à l’appui de sa demande d’asile.

 

[22]           La Commission a jugé suspect le certificat médical relatif à l’hospitalisation de M. Ntula, au motif qu’il avait été établi par un médecin légiste. Elle ne voyait pas pourquoi un médecin légiste aurait délivré un tel certificat, étant donné que M. Ntula, selon ses dires, avait été traité pour des lésions dues à des coups de pied au ventre. Le demandeur n’a proposé aucune véritable explication de cette anomalie, et la conclusion de la Commission à cet égard était raisonnable.

 

[23]           Il était en outre raisonnablement permis à la Commission de n’accorder que peu de poids à l’avis de recherche. Comme elle l’a fait observer, le texte de celui‑ci, qui est en français, est parsemé d’occurrences du mot anglais stop et se termine par la mention Full stop, ce qui soulève des doutes justifiés sur l’authenticité de ce document. Il était de même raisonnable de la part de la Commission de conclure au caractère peu plausible de l’explication donnée par M. Ntula de la manière dont son frère avait obtenu ledit document.

 

[24]           La Commission a également refusé de prendre en considération une lettre manuscrite présentée comme écrite par l’avocat de la famille de M. Ntula, faisant remarquer qu’elle n’était pas rédigée sur du papier à en‑tête, que son style était très familier et qu’elle contenait de nombreuses fautes de grammaire. Comme elle n’était pas convaincue que ce document provenait d’un avocat, la Commission ne lui a accordé aucun poids.

 

[25]           M. Ntula soutient que la Commission a fait une erreur en comparant ce document aux pièces déposées relativement à sa demande de certificat de naissance, invoquant l’alinéa 2 du paragraphe 11 de Mpiana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1675, 144 A.C.W.S. (3d) 716.

 

[26]           La Cour a posé en principe dans Mpiana qu’il n’est pas permis à la Commission de comparer des documents établis par des personnes différentes à des fins différentes. Or, dans la présente espèce, les deux documents étaient présentés comme provenant du même avocat, de sorte que les doutes de la Commission touchant la lettre manuscrite étaient tout à fait raisonnables.

 

Conclusion

 

[27]           Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Je pense comme les parties qu’elle ne soulève aucune question susceptible de certification.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE COMME SUIT :

 

            1.         La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

            2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                       IMM‑7804‑11

 

 

INTITULÉ :                                     ROMAIN TSHIMBA NTULA c.

                                                           LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :             Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :            Le 6 juin 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                           LA JUGE MACTAVISH

 

 

DATE DES MOTIFS :                    Le 7 juin 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ronald Shacter

 

POUR LE DEMANDEUR

Julie Waldman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Silcoff, Shacter

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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