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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 Date: 20120625

Dossier : IMM-8278-11

Référence : 2012 CF 805

Ottawa (Ontario), le 25 juin 2012

En présence de monsieur le juge Scott 

 

ENTRE :

 

AZIZA MAHAMAT NOUR

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               Il s’agit d’une demande de révision judiciaire aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], de la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [CISR], rendue le 20 septembre 2011, refusant la demande d’asile de mademoiselle Aziza Mahamat Nour (A. Nour).

 

[2]               Au moment de l’audition, A. Nour était âgée de 13 ans et représentée par Monsieur Robert Naylor de l’organisme Praida en vertu des directives no 3 sur les enfants qui revendiquent le statut de réfugié, en plus d’être représentée par avocat.

 

[3]               Pour les motifs énoncés ci-après, cette demande de révision judiciaire est accueillie.

 

II.        Faits

 

[4]               A. Nour est née le 6 juin 1997 à N’Djamena au Tchad.

 

[5]               A. Nour nait hors mariage et, en raison du déshonneur de la situation, sa mère biologique, Mme Zara Adoum Djarma, la confie dès l’âge de trois mois à sa sœur, Mme Fatime Adoum. Le nom de Mme Fatime Adoum apparaît sur l’acte de naissance d’A. Nour à titre de mère biologique.

 

[6]               En janvier 2003, Mme Adoum quitte le Tchad pour le Canada et demande le statut de réfugié. Sa demande d’asile est accueillie au mois de février 2004. A. Nour se voit donc confiée à son oncle, M. Abouna Djarma.

 

[7]               En mai 2008, son oncle accepte une offre de mariage pour A. Nour et recueille une partie de la dot. Par conséquent, une excision est prévue pour le 12 novembre 2008.

 

[8]               Mme Adoum apprend la nouvelle et demande à sa fille Assadya de convaincre son oncle de renoncer au projet de mariage ainsi qu’à l’excision. Assadya échoue mais obtient toutefois un passeport et un visa français pour A. Nour.

 

[9]               Le 11 novembre 2008, A. Nour quitte le Tchad avec l’aide de sa sœur adoptive Assadya.

 

[10]           En France, A. Nour se fait délivrer un visa américain en date du 28 novembre 2008.

 

[11]           Elle arrive au Canada le 6 janvier 2009 et demande immédiatement le statut de réfugié.

 

III.       Législation

 

[12]           Les articles 96 et 97 de la LIPR précisent que :

 

Définition de « réfugié »

Convention refugee

 

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

() is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

() not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

 

Personne à protéger

 

Person in need of protection

 

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

IV.       Questions en litige et norme de contrôle

 

A.        Questions en litige

 

1.         La CISR erre-t-elle en faisant défaut de tenir compte des directives no 3 et no 4 de la CISR dans l’appréciation du témoignage et de la crédibilité d’A. Nour ?

 

2.         La CISR a-t-elle erré en concluant que le témoignage des membres de la famille d’A. Nour n’est pas crédible ?

 

B.        Norme de contrôle

 

[13]           L’évaluation de la crédibilité d’un demandeur ainsi que de la plausibilité de son récit relève de l’expertise de la CISR. Dans l’arrêt Aguebor c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 au para 4, la Cour d’appel fédérale énonce:

[4]  Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire […]

 

[14]           Dans la décision Hernandez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 106, le juge Phelan écrit, au paragraphe 13, que «  [l]orsqu'elles sont utilisées dans le cadre de l'appréciation de la crédibilité, les directives deviennent subsumées sous la norme de contrôle de la décision raisonnable » (voir Owochei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 140; voir aussi Plaisimond c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 998 au para 32 et Higbogun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 445 au para 22 [Higbogun]).

 

[15]           La Cour Suprême du Canada nous enseigne que « [l]a cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (voir Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47 [Dunsmuir]).

 

V.        Position des parties

 

A.        Position d’A. Nour

 

[16]           A. Nour soutient que la CISR a fait défaut de tenir compte des directives de la CISR dans l’appréciation de son témoignage. Les directives no 3 sur les enfants qui revendiquent le statut de réfugié exigent que la CISR fasse preuve de prudence dans l’évaluation du témoignage d’un enfant, selon A. Nour. Elle allègue que la CISR s’attarde à quelques détails mineurs au lieu d’évaluer l’ensemble de son témoignage convenablement.

 

[17]           A. Nour note également que la CISR ne tient pas compte des directives no 4 concernant les revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe.

 

[18]           La CISR conclut que le témoignage de la tante d’A. Nour est invraisemblable. Toutefois, selon A. Nour, le « le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c’est-à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend » (voir Valtchev c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] ACF no 1131 au para 7).

 

[19]           A. Nour soutient que la CISR erre en concluant que « l’histoire du mariage forcé n’est qu’une histoire inventée de toutes pièces » (voir la décision de la CISR au para 25). Elle souligne également que l’analyse de la CISR est erronée puisqu’elle omet de tenir compte des véritables motifs de sa demande d’asile. Elle demande donc l’intervention de la Cour.

 

B.        Position du défendeur

 

[20]           Le défendeur affirme que la CISR, loin de s’attarder aux détails mineurs de la demande d’asile d’A. Nour, relève des incohérences importantes qui vont au cœur de la revendication d’A. Nour. 

 

[21]           Le défendeur rappelle, d’autre part, que les directives no 3 sur les enfants qui revendiquent le statut de réfugié précisent les règles de procédures applicables dans le cas d’une revendication présentée par un enfant, et ce, compte tenu des obligations internationales du Canada. Les directives de la CISR concernant les enfants distinguent aussi un enfant accompagné d’un enfant non accompagné.

 

[22]           Le défendeur souligne qu’A. Nour fait partie de la catégorie des enfants accompagnés.

 

[23]           Les directives précisent également ce qui suit :

« Le principe de l'intérêt supérieur de l'enfant a été reconnu par la communauté internationale comme un droit fondamental. Dans le contexte des présentes directives, ce droit s'applique à la procédure que doit suivre la SSR. Lorsqu'on détermine la procédure à suivre pour l'examen de la revendication d'un enfant, il faut se demander : « Quelle procédure répond à l'intérêt supérieur de cet enfant? » Le bien-fondé de la revendication d'un enfant est évalué au regard de tous les éléments de la définition de réfugié au sens de la Convention. »

[24]           A. Nour étant représentée à l’audience, la CISR peut prendre en compte le témoignage d’autres membres de sa famille.  Ainsi, la CISR peut apprécier le témoignage des membres de la famille d’A. Nour. Partant, elle peut aussi tirer des inférences quant à leur crédibilité et expliquer les raisons qui l’amènent à rejeter leurs témoignages.

 

[25]           Les directives no 4 s’appliquent aux  revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe. Selon le défendeur, il est bien établi que le fait de ne pas mentionner les directives dans les motifs n’est pas fatal (voir Ayub c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 FC 1411 au para 19; et Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1066).

 

[26]           Ces directives assistent la CISR dans la détermination des demandes d’asile présentées en raison d’une crainte de persécution fondée sur le sexe. Elles ne peuvent servir, selon le défendeur, à combler les lacunes dans les  éléments de preuve présentés à l’appui d’une demande d’asile.

 

[27]           Par ailleurs, le défendeur soutient que la CISR pouvait conclure à l’absence de crédibilité des membres de la famille d’A. Nour. Il est du ressort et de l’expertise de la CISR d’évaluer le caractère raisonnable ou pas d’un témoignage (voir Tofan c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1011 au para 11). À ce propos, le défendeur cite l’affaire Packiyanathar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1557 au para 9, dans laquelle on précise qu’«il est bien établi que la [CISR] peut fonder sa décision quant à la crédibilité sur le comportement du demandeur à l’audience, sur son aptitude à répondre aux questions de façon claire et honnête, et sur la cohérence et l’uniformité de ses réponses. Il est tout aussi bien établi que les conclusions au sujet de la valeur des témoignages doivent faire l’objet d’une grande retenue judiciaire ».

 

[28]           Le défendeur affirme que les conclusions de la CISR sont justifiées, transparentes, intelligibles et appartiennent aux issues possibles et acceptables dans les circonstances (voir Dunsmuir précité au para 47).  

 

VI.       Analyse

 

1.         La CISR erre-t-elle en faisant défaut de tenir compte des directives no 3 et no 4 de la CISR dans l’appréciation du témoignage et de la crédibilité d’A. Nour ?

 

[29]           Les directives sur les enfants qui revendiquent le statut de réfugié énoncent, sur l’évaluation des éléments de preuve, que:

« La [SPR] n'est pas liée par les règles techniques de preuve et peut fonder ses décisions sur tout élément de preuve qu'elle considère crédible ou digne de foi. Lorsqu'il évalue la preuve présentée au soutien d'une revendication du statut de réfugié d'un enfant, le tribunal devrait tenir compte de ce qui suit :

 

1.                  Si l'enfant a témoigné de vive voix, le tribunal doit évaluer la valeur de ce témoignage. Le tribunal devrait, à cette fin, prendre en considération la possibilité qu'a eue l'enfant d'observer les faits, et sa capacité de les observer attentivement, de faire part de ce qu'il a vu et de s'en souvenir. Ces facteurs peuvent varier suivant l'âge de l'enfant, son sexe et ses antécédents culturels, ainsi que la crainte, les problèmes de mémoire, l'état de stress post-traumatique et la perception de l'enfant concernant la procédure de la [SPR], entre autres.

 

2.                  Il se peut qu'un enfant demandeur du statut de réfugié ne puisse exprimer une crainte subjective de persécution de la même manière qu'un demandeur adulte. Par conséquent, il faudra peut-être accorder plus de poids aux éléments objectifs qu'aux éléments subjectifs de la revendication. La Cour fédérale du Canada (Section d'appel) a dit ce qui suit sur cette question :

[…] il répugne de penser que l'on pourrait rejeter une demande de statut de réfugié au seul motif que le revendicateur, étant un enfant en bas âge […], était incapable de ressentir la crainte dont les éléments objectifs sont manifestement bien fondés.

 

3.                  Il peut arriver qu'il y ait des lacunes dans la preuve. Par exemple, l'enfant peut indiquer que des hommes en uniforme sont venus chez lui, mais être incapable de préciser de quel genre d'uniforme il s'agissait, ou encore ne pas connaître les opinions politiques des membres de sa famille. L'enfant peut, notamment en raison de son âge, de son sexe, de ses antécédents culturels ou d'autres caractéristiques, être incapable de témoigner au sujet de tous les faits. Dans ces cas, le tribunal devrait déterminer s'il est en mesure de déduire les détails de la revendication du témoignage présenté. »

 

[30]           Une lecture attentive du témoignage d’A. Nour révèle que la CISR n’applique pas les directives no 3 relativement à l’évaluation des éléments de preuve. La Commissaire tire des conclusions erronées sur le récit d’A. Nour.

 

[31]           On peut lire que « contrairement à son récit où elle spécifie n’avoir pas pu fréquenter l’école à cause de l’interdiction de son oncle. En audience, elle a répondu qu’elle ne fréquentait pas l’école car il n’y avait pas d’école à Mondo » (voir la décision de la CISR au para 12). Dans son formulaire de renseignements personnels [FRP], A. Nour précise que « depuis lors, son oncle Abouna Djarma l’avait retiré de l’école. Pour lui, une fille ne doit pas aller à l’école […] elle était donc déscolarisée et gardée à la maison pour s’occuper des tâches ménagères » (voir le dossier du tribunal à la page 20). Elle mentionne ensuite qu’elle est déménagée à Mondo avec son oncle à cause des attaques qui sévissaient à N’Djamena (voir le dossier du tribunal à la page 20). À l’audience, la commissaire lui demande si elle fréquentait l’école à Mondo :

Q. C’est votre amie, ah oui, c’est vrai. Bon. O.K. Vous viviez avec votre oncle à Moundou ?

 

R. Oui.

 

Q. Et vous avez appris par Fatimé, votre amie, que votre oncle voulait vous donner en mariage à ce monsieur…

 

R. Moussaye.

 

Q. Comment ?

 

R. Moussaye.

 

Q. Moussaye ?

 

R. Exact.

 

Q. Bon. Vous alliez à l’école à ce moment-là ?

 

R. Non.

 

Q. Vous n’alliez pas l’école ?

 

R. Non, je pars pas à l’école.

 

Q. Attendez. Vous n’alliez pas à l’école parce que c’étaient les vacances ou parce que vous n’alliez pas à l’école ?

 

R. Là à Moundou, il y a pas d’école.

 

Q. À Moundou, il y a pas d’école. Donc, vous n’avez jamais été à l’école ?

 

R. Non, j’ai… j’ai été à l’école.

 

Q. Alors, expliquez-moi là. Où vous avez fréquenté l’école si à Moundou il y avait pas d’école ?

 

R. À N’Djamena.

 

Q. O.K. Quand avez-vous déménagé à Moundou ?

 

R. C’était pendant… pendant la guerre

 

Q. À peu près quand ?

 

R. C’est quand les rebelles sont venus faire la guerre à la capitale.

(voir le procès-verbal de l’audience du 10 mai 2011, aux pages 180 et 181 du dossier du tribunal)

 

[32]           Il appert du procès-verbal que le témoignage d’A. Nour est conséquent avec le contenu de son FRP. Le FRP d’A. Nour précise que son oncle l’a retiré de l’école à N’Djamena et qu’à la suite du conflit entre les rebelles et les autorités tchadiennes, elle est déménagée à Mondo avec son oncle, là il n’y avait pas d’école.

 

[33]           Quant au mariage forcé, la commissaire écrit qu’A. Nour « … [donne] deux versions. Dans la première version, elle a déclaré qu’Assadya l’aurait informée du mariage forcé organisé par son oncle, lorsqu’elles auraient quitté le village Mondo pour aller en France. Dans la deuxième version, vers la fin de son témoignage, elle a déclaré avoir appris l’arrangement de son mariage forcé à son arrivée au Canada » (voir la décision du tribunal au para 13).

 

[34]           À l’audience, A. Nour affirme ce qui suit quant aux évènements entourant le mariage forcé:

Q. Mais le mariage, comment l’as-tu appris ?

 

R. Assahadia qui m’a dit.

 

Q. Elle te l’a dit quand ?

 

R. Après que nous sommes sortis de Moundou.

 

Q. C’est où ça ?

 

R. C’est au Tchad.

 

[…]

 

Q. Le mariage, vous l’avez appris quand ?

 

R. Assahadia m’a… Quand on est venues ici, c’est Assahadia qui m’a donné encore d’autre information.

 

Q. Votre mariage, vous l’avez appris ici ?

 

R. Non, depuis le Tchad, mais quand je suis venue ici, on m’a donné plus de détails.

 

Q. Alors, on parle du Tchad. Quand avez-vous appris qu’on voulait vous marier à ce monsieur Moussaye ?

 

R. Je connais pas la date.

 

Q. À peu près ?

 

R. C’est avant que je ne vienne ici.

(Voir le procès-verbal de l’audience du 10 mai 2011, aux pages 176, 182 et 183 du dossier du tribunal)

 

[35]           A. Nour mentionne qu’Assahadia lui avait annoncé la nouvelle lorsqu’elles ont quitté le Tchad pour la France. Elle précise également qu’elle lui avait donné de plus amples renseignements concernant son mariage à son arrivée au Canada. À la lecture du procès-verbal de l’audience, il est clair qu’il ne s’agit pas de deux versions différentes, mais bien d’une seule et même version cohérente.

 

[36]           La Cour constate que tout comme dans l’affaire Dong c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1151 au para 6, «il est évident que, en rédigeant les motifs susmentionnés, la [CISR] n'a accordé absolument aucun poids au fait que, à la date des événements, la demanderesse n'était qu'une adolescente et que, à la date de son témoignage, elle était une jeune personne[…] [L]a profondeur et l'étendue des explications données par la demanderesse  auraient dû donner à réfléchir à la [CISR] avant qu'elle ne tire des conclusions défavorables catégoriques et non étayées quant à la crédibilité de la demanderesse».

 

[37]           La Cour, dans l’affaire Higbogun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 445 aux paras 55 à 58, énonce sur les directives no 4 :

[55] Selon la jurisprudence existante de la Cour fédérale de même que les directives elles-mêmes, il ne semble pas y avoir de mécanisme objectif précis qui déclenche l'application des directives.

 

[56] Il semble plutôt que les directives doivent être abordées dans le contexte de l'allégation contenue dans la demande. Par conséquent, il faut examiner la nature et les motifs de la persécution que craint de subir une revendicatrice pour établir s'il convient de tenir compte des directives dans le contexte d'une demande donnée : voir les directives, 2(1), Détermination de la nature et des motifs de la persécution.

 

[57] Selon la jurisprudence de la Cour fédérale, les directives doivent être prises en compte par les membres du tribunal dans les "cas appropriés". Voir Fouchong c Canada (Secrétariat d'État), [1994] ACF no 1727. Ces cas comprennent les situations où une demande est fondée sur une crainte de persécution liée au sexe de la personne.

 

[58] Dans Griffith c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] ACF no 1142, le juge Campbell a estimé que les directives laissaient entendre que "... pour évaluer les actions d'une femme qui est la victime de violence conjugale, il est essentiel d'utiliser des connaissances particulières pour aboutir à une appréciation juste et équitable". Par conséquent, le juge Campbell a soutenu qu'il

 

appartient au membre du tribunal de posséder les connaissances nécessaires et de les appliquer d'une manière compréhensive et sensible lorsqu'il tranche des questions de violence conjugale, de manière à parvenir à un résultat équitable et pour éviter le risque de commettre une erreur susceptible de contrôle judiciaire en tirant ses conclusions de fait, dont la plus importante est la conclusion quant à la crédibilité du revendicateur.

 

En résumé, il semble que la question de savoir si les directives doivent être prises en compte dans un cas donné soit tributaire de la nature de la demande et de la crainte alléguée qu'a une femme d'être persécutée.

 

[38]           La CISR n’a pas l’obligation de mentionner les directives dans sa décision puisque la revendication n’est pas fondée sur les directives no 4. Toutefois, nous devons nous attendre « à ce que les commissaires de la section du statut ...se conforment aux directives à moins qu'il n'existe des raisons impérieuses ou exceptionnelles pour s'en écarter et adopter une analyse différente » (voir la décision Khon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 143 au para 19).

 

[39]           En l’instance, la CISR devait tenir compte des directives concernant les revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe. Il appert de la décision que la CISR n’a pas mentionné ni même considéré ces directives concernant les revendicatrices du statut de réfugié. Dans Sy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 379 au para 14, la Cour écrit :

[14] Bien qu'elle ne soit pas liée par les Directives concernant la persécution fondée le sexe, la Commission doit les examiner dans les cas appropriés (Fouchong c Canada (Secrétaire d'État) (1994), 88 FTR 37aux paras10-11 (CF 1re inst); Khon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2004 CF 143 au para 18 (CF)). Les Directives énoncent certains principes directeurs quant à la manière dont il faut évaluer la crédibilité dans certains cas et donnent des exemples des questions que le tribunal peut être appelé à examiner en matière de crédibilité […]

 

[40]           Aux fins de la présente demande, la Cour reproduit les extraits pertinents des directives no 4 concernant les revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe :

B. ÉVALUATION DU PRÉJUDICE REDOUTÉ

 

Il est souvent facile de classer les revendications de persécution fondée sur le sexe selon l'un ou l'autre des cinq motifs de la définition de réfugié au sens de la Convention. Le problème se pose quelquefois lorsque vient le moment de déterminer si les différents traitements défavorables ou sanctions imposés aux femmes qui formulent ces revendications sont visés par le concept de la « persécution ».

 

FACTEURS

 

Les circonstances qui font naître chez les femmes une crainte de persécution sont souvent uniques aux femmes. D'après l'état actuel de la jurisprudence, le sens attribué au mot « persécution » est fondé surtout sur l'expérience de demandeurs de sexe masculin. Sauf dans quelques cas de viol, la définition n'a pas été appliquée de façon étendue à des expériences vécues typiquement par les femmes, comme l'infanticide, la mutilation génitale, l'immolation des épouses par le feu, le mariage imposé, la violence familiale, l'avortement forcé ou la stérilisation forcée.

 

[41]           Partant du fait que la CISR n’apprécie pas le témoignage d’A. Nour à la lumière des directives no 3 sur les enfants revendiquant le statut de réfugié, et que, même si la définition de « persécution » envers les femmes revendiquant le statut de réfugié « n'a pas été appliquée de façon étendue à des expériences vécues typiquement par les femmes …la mutilation génitale, …le mariage imposé, …», la commissaire devait à tout le moins appliquer la partie B des directives no 4 pour juger de la plausibilité du récit d’A. Nour. À cet égard, la Cour mentionne dans l’affaire Diallo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1450 au para 32 (CF), que :

[32] Les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe établies par le président de la Commission reconnaissent que les incompréhensions interculturelles peuvent jouer un rôle lorsque les revendications fondées sur des motifs liés au sexe sont évaluées par la Commission. Afin de minimiser le risque que cela se produise, les commissaires sont sensibilisés à l'effet que peuvent avoir les normes sociales, culturelles, traditionnelles et religieuses sur le témoignage de ceux qui prétendent craindre d'être persécutés du fait de leur sexe.

 

[42]           En l’instance, la commissaire aurait dû préciser les raisons pour lesquelles elle n’avait pas à prendre en compte les directives de la CISR. Il ressort de la lecture de la décision qu’elle n’a pas analysé le témoignage d’A. Nour à la lumière des directives no 4. D’autant plus que la commissaire semblait plus préoccupée par la possibilité d’«un cas de manœuvres douteuses, employé de la part de cette présumée famille improvisée qui vit ici au Canada » (voir la décision de la CISR au para 7).

 

2.         La CISR a-t-elle erré en concluant que le témoignage des membres de la famille d’A. Nour n’est pas crédible

 

[43]           La CISR tire des conclusions négatives quant à la crédibilité des membres de la famille d’A. Nour. Il est clair que l’appréciation des témoignages des membres de la famille d’un enfant revendiquant le statut de réfugié relève de la compétence de la CISR. Elle peut donc tirer des inférences négatives sur leur crédibilité. Ses conclusions doivent être raisonnables et faire partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (voir Dunsmuir précité au para 47).

 

[44]           La Cour constate que la commissaire attribue une très grande importance à la portée de quelques contradictions concernant le témoignage des membres de la famille. Sa fixation « sur les détails de l'histoire [lui] a fait oublier, il nous semble, l'essentiel de ce sur quoi [A. Nour] fondait sa réclamation » (voir Djama c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 531).

 

[45]           Compte tenu de l'accumulation des erreurs commises par la CISR dans cette affaire, la Cour conclut que la décision est déraisonnable et que l’affaire doit être soumise à un nouvel examen.

 

VII.     Conclusion

 

[46]           La CISR n’a pas analysé le récit d’A. Nour à la lumière des directives applicables en l’espèce. L’accumulation des erreurs commises par la CISR quant à la crédibilité d’A. Nour et des membres de sa famille rend la décision déraisonnable. Ainsi, l’affaire doit être soumise à un nouvel examen devant un autre commissaire de la CISR.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de révision judiciaire est accueillie et l’affaire doit être soumise à un nouvel examen devant un autre commissaire de la CISR; et

2.                  Il n’y a aucune question d’intérêt général à certifier.

 

 

« André F.J. Scott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8278-11

 

INTITULÉ :                                       AZIZA MAHAMAT NOUR

                                                            c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               29 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                      25 juin 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Claude Whalen

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Geneviève Bourbonnais

POUR LE DEMANDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Claude Whalen

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Myles J. Kirvan, Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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