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Date : 20120418


Dossier : IMM-5847-11

Référence : 2012 CF 453

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 avril 2012

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

AQRAR AHMAD RANA

SAIMA RANA

SHERIN RANA

RAMZA AHMED RANA

MAHAM RANA

AZKA RANA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 9 août 2011 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission a conclu que les demandeurs (Aqrar Ahmad Rana, Saima Rana, Sherin Rana, Ramza Ahmed Rana, Maham Rana et Azka Rana) n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

 

I.          Faits

 

[2]               Les demandeurs sont citoyens du Pakistan. Après avoir passé trois mois aux États‑Unis, du 20 avril 2009 au 21 juillet 2009, ils sont arrivés au Canada et ont fait une demande d’asile.

 

[3]               La demande était fondée sur la crainte des musulmans sunnites extrémistes, car les demandeurs d’asile n’adhéraient pas à l’idéologie extrême du « jihad » et à la violence. Le demandeur adulte de sexe masculin (Aqrar Ahmad Rana, ou le demandeur) a souligné plus particulièrement que les extrémistes n’acceptaient pas qu’il exploite un studio de photographie.

 

II.        Décision faisant l’objet du contrôle

 

[4]               En général, les demandeurs n’ont pas montré à la Commission qu’ils avaient la qualité de réfugié ou celle de personne à protéger « de façon crédible et digne de foi ».

 

[5]               Même si le demandeur n’est pas membre d’une minorité religieuse, fait remarquer la Commission, lui et sa famille allèguent avoir été la cible d’extrémistes en raison de son entreprise de photographie. La Commission s’est exprimée ainsi :

Le demandeur d’asile travaillait dans le domaine de la photographie depuis 18 ans, à Lahore, au Pakistan, et le 21 mars 2009, il a été attaqué; on lui a tiré dessus et son studio a été endommagé. Le tribunal a reçu suffisamment d’éléments de preuve documentaire pour le convaincre que le demandeur d’asile adulte travaillait dans le domaine de la photographie à Lahore, au Pakistan. Le tribunal souligne les deux affidavits versés à la pièce C-7, pages 195 et 198, à l’appui des demandes d’asile. Les documents décrivent le demandeur d’asile adulte comme un homme d’affaires prospère, mais ils n’indiquent pas dans quel type d’entreprise il travaillait ni la raison pour laquelle les demandeurs d’asile ont été la cible d’extrémistes religieux. Le tribunal accorde peu de poids aux affidavits présentés et tire des conclusions défavorables en matière de crédibilité.

 

[6]               La Commission ne pouvait pas savoir, en regardant les photos fournies, que le studio de photographie du demandeur avait été endommagé après son départ pour les États‑Unis. Aucune autre photo du studio ne venant appuyer les demandes, la Commission a tiré une autre conclusion défavorable quant à la crédibilité des demandeurs d’asile.

 

[7]               La Commission a accordé peu de poids à la lettre du médecin de l’hôpital Rasheed, à Lahore, car elle ne savait pas comment le demandeur avait subi les blessures mentionnées et ne connaissait pas la cause de ses douleurs à la poitrine et au dos. D’après la Commission, « leurs causes pou[v]aient être multiples ».

 

[8]               La Commission a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité des demandeurs parce qu’ils n’avaient pas présenté de demande d’asile aux États‑Unis. Elle n’a pas retenu l’explication selon laquelle les demandeurs auraient appris par des amis au Canada que le gouvernement canadien accordait l’asile aux gens comme eux et que, d’après des avocats américains, ils n’auraient aucune chance s’ils présentaient une demande d’asile aux États‑Unis. De l’avis de la Commission, le comportement des demandeurs représentait une quête du meilleur pays d’asile, compte tenu plus particulièrement de leurs demandes antérieures de visas canadiens qui avaient été refusées.

 

[9]               De plus, la Commission a estimé qu’il n’était absolument pas crédible que les prétendus extrémistes religieux ayant attaqué le demandeur d’asile et lui ayant tiré dessus n’aient pas essayé d’attaquer sa mère autrement que par une prétendue menace à sa vie et à celle de sa sœur deux semaines après que le demandeur d’asile eut quitté le Pakistan.

 

[10]           En ce qui concerne les lettres des prétendus extrémistes avertissant le demandeur de cesser ses activités, comme l’entreprise n’était plus en exploitation, la Commission a jugé qu’il n’y avait « pas d’éléments de preuve crédibles et valables suffisants montrant que la vie des demandeurs d’asile serait en danger, dans une analyse prospective ».

 

[11]           Si la Commission a reconnu que les droits de la personne étaient bafoués au Pakistan et que la corruption y était répandue, elle a aussi conclu que « la série d’événements, telle qu’elle est exposée par les demandeurs d’asile dans leurs formulaires de renseignements personnels (FRP), en fonction de diverses préoccupations susmentionnées plus tôt dans les présents motifs à l’égard de la crédibilité, mine la véracité et la crédibilité du récit présenté ».

 

[12]           La Commission a également estimé que les demandeurs avaient une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable à Karachi. Étant donné que l’entreprise du demandeur n’était plus en exploitation et qu’il s’agissait de la source principale du problème, il n’y avait donc « pas de raisons crédibles pour lesquelles les extrémistes s’intéresseraient aux demandeurs d’asile en vue de les tuer, que ce soit au Pakistan ou ailleurs dans le monde ». De surcroît, les demandeurs n’ont pas fourni de réponse crédible quant à la manière dont les talibans ou les extrémistes religieux s’y prendraient pour les trouver à Karachi. Même si les demandeurs étaient retrouvés, la Commission n’avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour conclure que la protection de l’État ne leur serait pas offerte.

 

III.       Questions en litige

 

[13]           La présente demande soulève les questions suivantes :

 

a)         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en déterminant que les demandeurs n’étaient pas crédibles?

 

b)         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en déterminant que les demandeurs avaient une PRI viable?

 

c)         La Commission a‑t‑elle omis d’examiner dûment la demande présentée au titre de l’article 97 par les demandeurs?

 

IV.       Norme de contrôle

 

[14]           Les décisions quant aux faits et à la crédibilité sont contrôlées selon la norme de la décision raisonnable (Aguirre c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 571, [2008] ACF no 732, aux paragraphes 13 et 14). Cette norme de contrôle s’applique  aux décisions que prend la Commission au sujet d’une PRI (voir par exemple Galindo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1114, [2011] ACF no 1364, au paragraphe 18) et à toute évaluation du risque aux termes de l’article 97 (voir par exemple Acosta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 213, [2009] ACF no 270, aux paragraphes 10 et 11).

 

[15]           Par conséquent, la Cour n’interviendra que lorsque la décision n’est pas justifiée, transparente et intelligible et lorsqu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

V.        Analyse

 

A.        Crédibilité

 

[16]           Les demandeurs remettent en question la façon dont la Commission a analysé les éléments de preuve et tiré plusieurs conclusions défavorables quant à leur crédibilité. Plus précisément, ils contestent le fait que la Commission i) n’a pas examiné séparément leur crédibilité et le bien-fondé de leur crainte; ii) a tiré des conclusions défavorables des documents présentés; iii) leur a reproché de ne pas avoir présenté de demande d’asile aux États‑Unis; iv) a tiré des conclusions d’invraisemblance; et v) a qualifié une « série d’événements » de non crédible. J’examinerai chacun de ces arguments à tour de rôle.

 

i)          Crédibilité et bien-fondé de la crainte

 

[17]           Je ne puis souscrire à l’argument des demandeurs selon lequel la Commission a commis une erreur en omettant d’analyser séparément la crédibilité des demandeurs et le bien-fondé de leur crainte. Les questions sont peut-être « liées, mais […] pas identiques » comme dans Hettige c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 849, [2010] ACF no 1056, au paragraphe 17, mais le fait que les deux questions n’avaient pas été examinées séparément n’est pas l’erreur particulière que le juge Michael Kelen a relevé dans cette affaire-là. Par conséquent, l’absence de rubriques distinctes dans l’évaluation de la situation des demandeurs faite par la Commission ne justifie pas à elle seule l’intervention de la Cour.

 

[18]           Les conclusions de la Commission à cet égard sont claires pour les demandeurs. Leur récit a été jugé non crédible, ce qui a mené à la conclusion que leur crainte n’était pas subjectivement fondée. En effet, au paragraphe 18 de ses motifs, la Commission a affirmé que « il n’y a pas d’éléments de preuve crédibles et valables suffisants montrant que la vie des demandeurs d’asile serait en danger ». Chose peut-être plus importante, l’existence d’une PRI à Karachi à laquelle la Commission a également conclu mine toute crainte subjective et objective. Étant donné la clarté de l’évaluation globale de la Commission, le fait de ne pas avoir abordé explicitement la crédibilité et le bien-fondé de la crainte de manière distincte n’a pas en définitive brouillé les questions, comme les demandeurs l’affirment dans leurs observations.

 

ii)         Conclusions défavorables tirées des documents présentés

 

[19]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a tiré ses conclusions sur le studio de photographie sans tenir compte des éléments de preuve qui figuraient au dossier. Ils soulignent que certains documents corroboraient le fait que l’entreprise appartenait au demandeur. La Commission a plutôt tiré une conclusion défavorable parce que les affidavits des demandeurs n’indiquaient pas la nature exacte de l’entreprise.

 

[20]           Je ne suis toutefois pas convaincu que la Commission a commis une erreur en faisant son évaluation. La Commission est présumée avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CA)). Elle n’a pas à mentionner expressément chacun des éléments de preuve (Hassan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 NR 317, [1992] ACF no 946 (CA)). Même si elle ne mentionne pas, dans sa décision, tous les éléments de preuve ayant trait à l’entreprise de photographie produits par les demandeurs, la Commission précise avoir « reçu suffisamment d’éléments de preuve documentaire pour [être convaincue] que le demandeur d’asile adulte travaillait dans le domaine de la photographie à Lahore, au Pakistan ».

 

[21]           La Commission a tiré une conclusion défavorable parce que les demandeurs ne précisaient pas dans leurs affidavits la raison pour laquelle ils avaient été ciblés et n’indiquaient pas non plus la nature de l’entreprise en cause. Ils affirmaient simplement avoir été pris pour cibles par des extrémistes religieux. Dans Osman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 921, [2008] ACF no 1134, au paragraphe 39, la Cour a statué que « si rien n’explique de façon raisonnable des omissions importantes du genre, ces dernières peuvent constituer le fondement d’une inférence défavorable et mettre en doute la crédibilité du demandeur ». La conclusion de la Commission était justifiée, car les demandeurs avaient omis d’inclure dans leurs affidavits des renseignements de première importance pour leur demande, à savoir le type d’entreprise dont l’exploitation leur avait valu d’être pris pour cibles par des extrémistes.

 

[22]           Les demandeurs contestent en outre la conclusion défavorable quant à leur crédibilité tirée par la Commission en raison de l’absence de photographies de l’entreprise qui avait subi des dommages le 21 mars 2009. Les demandeurs affirment avoir corrigé les problèmes de désignation des photographies pendant leur témoignage et qu’aucun doute ne devrait subsister quant à la date de l’attaque.

 

[23]           Le défendeur maintient que la Commission n’a pas fait abstraction de la preuve photographique concernant cette attaque. La confusion bien compréhensible résultant de la mauvaise désignation des photographies semble transparaître dans les motifs, ce qui n’a toutefois pas influé sur la décision de la Commission.

 

[24]           Je dois me ranger à l’avis du défendeur. Peu importe la confusion entourant la désignation de la photographie en cause, il était raisonnablement loisible à la Commission de tirer une conclusion défavorable du fait que les demandeurs avaient omis de fournir des photographies des deux incidents allégués.

 

[25]           Les demandeurs reprochent ensuite à la Commission de ne pas avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve relativement à son évaluation de la lettre du médecin. La Commission a accordé peu de poids à cette lettre et tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité parce qu’elle ne savait pas comment le demandeur avait subi les blessures mentionnées, malgré les autres renseignements concernant des agressions physiques et les photographies du studio endommagé qui avaient été fournis.

 

[26]           Je ne vois pas en quoi la décision de la Commission était déraisonnable. La lettre ne contenait pas suffisamment d’information pour confirmer comment les blessures s’étaient produites et pour établir un lien avec la menace que brandissaient les extrémistes religieux. Peu de poids lui a donc été accordé. Comme le fait remarquer le défendeur, la lettre contient une phrase qui résume les blessures.

 

[27]           En général, les conclusions défavorables quant à la crédibilité des demandeurs tirées par la Commission sont justifiables, transparentes et intelligibles, car elles découlent du fait que les demandeurs ont omis de produire une preuve documentaire corroborant leurs allégations particulières.

 

iii)        Défaut de demander l’asile aux États‑Unis

 

[28]           Je suis aussi d’avis qu’il était raisonnablement loisible à la Commission de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité des demandeurs du fait qu’ils n’avaient pas présenté de demande d’asile aux États‑Unis. La jurisprudence pertinente appuie cette position. Par exemple, dans Remedios c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 437, [2003] ACF no 617, au paragraphe 23, la juge Judith Snider a affirmé ceci :

[23]      À mon avis, la Commission n’a pas commis d’erreur en concluant que les demandeurs se cherchaient un pays d’accueil. Le revendicateur principal a déclaré dans les termes les plus nets dans son témoignage qu’ils avaient le choix de demander asile aux États-Unis mais qu’ils avaient décidé de ne pas le faire parce que leurs chances de réussir étaient bien meilleures au Canada. Ce témoignage appuie la conclusion que la revendication du statut de réfugié des demandeurs était fondée sur le désir d’immigrer au Canada et non sur une crainte justifiée de persécution.

 

[29]           Ce raisonnement s’applique tout aussi bien à la situation des demandeurs. S’ils n’avaient pas demandé l’asile aux États‑Unis, c’est parce que, dans les mots de la Commission, « ils voulaient venir au Canada; ils avaient deux amis au Canada » et avaient entendu dire que le gouvernement canadien accordait la qualité de réfugié aux gens comme eux. Deux avocats leur auraient également dit qu’ils n’avaient aucune chance d’obtenir l’asile aux États‑Unis. La Commission a dûment examiné ces explications avant de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité des demandeurs, position appuyée par les demandes de visas canadiens infructueuses faites antérieurement.

 

[30]           Les demandeurs renvoient à Gurusamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 990, [2011] ACF no 1217, au paragraphe 36, mais cette décision n’est guère pertinente. Le juge James Russell était d’avis que si le demandeur croyait réellement qu’il serait détenu et renvoyé s’il demandait l’asile aux États‑Unis, il n’aurait pas demandé la protection de ce pays. La Commission n’avait pas tenu compte, et c’était là un aspect essentiel du raisonnement du juge, de la crainte subjective éprouvée par le demandeur à l’idée de demander l’asile aux États‑Unis, et la brève escale du demandeur au Royaume-Uni et aux États‑Unis avait été  « simplement utilisée contre lui de façon systématique et irréfléchie ».

 

[31]           La Commission a toutefois examiné de manière détaillée, et donc irréprochable, les explications fournies par les demandeurs en l’espèce. Elle a reconnu que les demandeurs s’étaient fiés aux avocats américains et avaient crû qu’ils n’avaient aucune chance d’obtenir l’asile aux États‑Unis. De plus, plusieurs autres facteurs appuyaient la conclusion générale défavorable de la Commission quant à la crédibilité des demandeurs, à savoir leur désir de venir au Canada, leur conviction selon laquelle le gouvernement canadien serait plus réceptif et leurs tentatives antérieures d’obtenir des visas pour entrer au pays. Leur situation ressemble plus étroitement à celle de Remedios qu’à celle de Gurusamy, précitées.

 

[32]           Après avoir examiné les explications des demandeurs, la Commission a tiré une conclusion défavorable quant à leur crédibilité du fait qu’ils n’avaient pas tenté d’obtenir l’asile aux États‑Unis, conclusion qui fait partie des issues possibles acceptables.

 

iv)        Conclusions d’invraisemblance

 

[33]           Les demandeurs s’élèvent contre l’affirmation de la Commission selon laquelle il était invraisemblable que les extrémistes religieux n’aient pas essayé d’attaquer d’autres membres de la famille après que les demandeurs eurent quitté le Pakistan. Ils insistent pour dire que cette conclusion est déraisonnable.

 

[34]           Le demandeur ayant affirmé dans son FRP que des extrémistes voulaient s’en prendre à sa famille immédiate, le défendeur soutient que la conclusion d’invraisemblance était appropriée dans les circonstances. J’en conviens. L’absence de menaces à l’encontre de la famille élargie était un autre facteur qui permettait d’évaluer si des extrémistes cherchaient vraiment à s’en prendre aux demandeurs. Il était donc raisonnable pour la Commission de tirer d’autres conclusions défavorables quant à la crédibilité des demandeurs.

 

v)         Référence faite à la « série d’événements »

 

[35]           Contrairement à ce qu’affirment les demandeurs, la Commission ne crée aucune confusion importante lorsqu’elle fait référence à la « série d’événements ». La Commission a déclaré ceci : « la série d’événements, telle qu’elle est exposée par les demandeurs d’asile dans leurs formulaires de renseignements personnels (FRP), en fonction de diverses préoccupations susmentionnées plus tôt dans les présents motifs à l’égard de la crédibilité, mine la véracité et la crédibilité du récit présenté. »

 

[36]           Dans le contexte, la Commission n’exprimait pas une conclusion distincte ou floue, mais résumait plutôt sa conclusion générale quant à la crédibilité des demandeurs. Comme le défendeur le soutient, il s’agissait seulement d’un rappel de l’histoire des demandeurs. Les demandeurs ne doivent pas s’attendre à ce que la Cour intervienne pour une question de sémantique ni à ce qu’elle prenne les déclarations hors contexte.

 

[37]           Les conclusions de la Commission quant à la crédibilité des demandeurs commandent la retenue, et les motifs doivent être lus dans leur ensemble (voir par exemple Jarada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 409, [2005] ACF no 506, au paragraphe 22).

 

B.        Possibilité de refuge intérieur (PRI)

 

[38]           Lorsqu’elle conclut à l’existence d’une PRI viable, la Commission doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existe pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté dans la région proposée comme PRI, et que, compte tenu de toutes les circonstances, il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur de s’y réfugier (Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706, au paragraphe 4 (CA); Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589, [1993] ACF no 1172).

 

[39]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur en appliquant ce critère lorsqu’elle a conclu qu’ils avaient une PRI viable à Karachi. Ils affirment que la Commission s’est intéressée uniquement à l’entreprise du demandeur et a omis de tenir compte de l’origine de leurs difficultés avec les extrémistes, par exemple le refus du demandeur d’envoyer son fils dans une école religieuse. La Commission a donc effectué une évaluation restrictive et conclu à l’absence de risque, puisque l’entreprise n’était plus en exploitation. Les demandeurs insistent sur l’importance des fatwas prononcées contre eux et sur le réseau d’extrémistes qui sévit au Pakistan.

 

[40]           Comme le défendeur l’indique clairement, toutefois, la Commission a raisonnablement conclu que l’entreprise du demandeur constituait la « source principale du problème » et que sa fermeture réduisait le risque. Les fatwas émises s’opposaient manifestement à l’exploitation d’une entreprise non islamique. Par ailleurs, la Commission n’a pas écarté complètement l’examen d’autres facteurs dans son évaluation.

 

[41]           Je ne peux souscrire à l’idée que la Commission a fait fi d’éléments de preuve sur les fatwas pour ne s’intéresser qu’à l’entreprise. L’appréciation de la preuve par la Commission commande une grande retenue. Comme dans Florea, précité, la Commission est présumée avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve, à moins que le contraire ne soit établi. La conclusion de la Commission selon laquelle il n’y avait pas de possibilité sérieuse que les demandeurs soient persécutés à Karachi appartenait aux issues possibles acceptables, étant donné que l’entreprise, qui constituait la principale raison pour laquelle les demandeurs étaient ciblés par les extrémistes, était désormais fermée.

 

[42]           Il incombait aux demandeurs d’établir comment les extrémistes pourraient découvrir qu’ils étaient partis et les poursuivre à Karachi. La Cour a déjà statué qu’à défaut d’une preuve établissant que les fatwas pouvaient être diffusées à l’extérieur d’une localité particulière, la conclusion ne serait pas considérée comme étant déraisonnable (voir Ghauri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 881, [2007] ACF no 1145, au paragraphe 15; Zia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 131, [2007] ACF no 184, au paragraphe 11). En l’espèce, le témoignage du demandeur suggérait que les fatwas avaient une influence dans la région. Les éléments de preuve additionnels sur la protection de l’État auxquels renvoient les demandeurs concernent la situation à Lahore, et non à Karachi.

 

[43]           La Commission a aussi appliqué raisonnablement le deuxième volet du critère de la PRI en indiquant qu’aucun élément de preuve ne démontrait que les demandeurs d’asile ne pourraient pas trouver d’emploi convenable à Karachi.

 

[44]           Par conséquent, la Commission a apprécié la preuve de manière raisonnable en concluant que les demandeurs avaient une PRI viable à Karachi. Les demandeurs expriment simplement leur désaccord sur cette évaluation et sur l’importance que la Commission a accordée à certains facteurs décisifs.

 

C.        Analyse fondée sur l’article 97

 

[45]           Compte tenu de mes conclusions précédentes, j’estime également qu’il n’est pas nécessaire d’exiger que la Commission effectue, aux termes de l’article 97, une analyse plus approfondie des risques auxquels sont exposés les demandeurs.

 

[46]           Les demandeurs insistent pour dire que la Commission a déraisonnablement étendu ses conclusions sur la crédibilité pour parvenir à une conclusion quant à l’application de l’article 97. Rien dans la décision ni dans la jurisprudence pertinente ne vient étayer cette affirmation. Les demandeurs reconnaissent eux‑mêmes que lorsque la Commission conclut à un manque général de crédibilité, « cette conclusion suffit pour rejeter la demande, à moins que le dossier ne comporte une preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une décision favorable au demandeur », et qu’il incombe au demandeur de montrer que cette preuve existe (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Sellan, 2008 CAF 381, [2008] ACF no 1685, au paragraphe 3).

 

[47]           En l’espèce, la Commission n’a pas cru les allégations fondées sur les articles 96 et 97 des demandeurs. Comme dans Ayaichia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 239, [2007] ACF no 300, au paragraphe 19, si « la preuve constituant le fondement des deux demandes est la même et que le récit du demandeur n’est pas accepté comme véridique, il ne sera pas nécessaire de procéder à une analyse distincte en application de l’article 97 ». Ce principe s’applique particulièrement bien quand la Commission conclut à l’existence d’une PRI, conclusion qui signifie forcément que le demandeur n’est ni un réfugié ni une personne à protéger (voir la conclusion de la juge Snider dans Sarker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 353, [2005] ACF no 435, au paragraphe 7).

 

VI.       Conclusion

 

[48]           La Commission a raisonnablement évalué la crédibilité des demandeurs et conclu à l’existence d’une PRI à Karachi. À la lumière de cette conclusion, la Commission n’était pas tenue d’effectuer une analyse détaillée fondée sur l’article 97.

 

[49]           Pour ces motifs, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5847-11

 

INTITULÉ :                                      RANA ET AL c MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 6 mars 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Near

 

DATE :                                              Le 18 avril 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Melody Mirzaagha

 

POUR LES DEMANDEURS

Evan Duffy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Melody Mirzaagha

Green and Spiegel LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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