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Date : 20120411

Dossier : IMM‑5869‑11

Référence : 2012 CF 411

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 avril 2012

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

RAIT DAKU

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, Rait Daku, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) en date du 26 juillet 2011. La Commission a alors statué qu’il n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger, selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

 

I.          Les faits

 

[2]               Le demandeur, un citoyen albanais, a demandé l’asile au Canada en raison de la vendetta opposant sa famille et le clan Domi. Son père aurait tué Avzi Domi lors d’une bagarre concernant un terrain et la famille serait toujours en danger.

 

II.        La décision faisant l’objet du contrôle

 

[3]               La Commission n’était pas convaincue qu’une partie de terre avait été attribuée à la famille du demandeur en 1991, ce qui avait mené à la déclaration de la vendetta. Examinant un diagramme produit par la direction de l’administration et de la protection des terres de l’Albanie, la Commission a fait remarquer que « [r]ien dans ce document ne montre ou n’indique où cette terre est située ». Par ailleurs, il y avait une différence quant à la superficie du lot attribué à la famille. La Commission a indiqué qu’il était « invraisemblable qu’un document préparé par une quelconque organisation albanaise responsable de l’octroi d’une partie de terre à la famille du demandeur d’asile contienne une telle erreur ». Selon la Commission, le document avait été fabriqué dans le but de renforcer la demande d’asile, et elle a tiré en conséquence une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité.

 

[4]               La Commission n’était pas convaincue non plus que la famille avait communiqué avec la police au sujet de la vendetta. Le demandeur a produit une preuve incohérente concernant la question de savoir si sa femme ou sa mère avait communiqué avec la police en janvier 2008.

 

[5]               La Commission n’a pas accordé à une lettre de l’aîné en chef du village un poids suffisant pour compenser ces deux problèmes majeurs concernant la crédibilité. Rien n’indiquait quelle enquête l’auteur avait effectuée pour vérifier les faits. La lettre pouvait aisément avoir été fabriquée étant donné que l’auteur n’avait pas été témoin des faits et qu’aucun document ne démontrait qu’il était l’aîné en chef du village.

 

[6]               De même, la Commission n’a pas accordé un poids suffisant à une lettre de Gjin Marku, le président du comité de la réconciliation nationale, au motif qu’elle avait été « rédigée par une personne qui n’a pas été témoin direct des faits ».

 

[7]               Au sujet d’un rapport médical émanant de la clinique médicale Kamza, la Commission a fait remarquer que seul le demandeur avait fourni « les renseignements concernant cette affaire ainsi que la cause des problèmes médicaux ».

 

[8]               La Commission a conclu :

Puisque le conflit visant la terre n’était appuyé que par un document qui n’est probablement pas authentique, et puisque le récit de l’appel à la police de la famille n’a pas été jugé crédible, je suis convaincu que le demandeur d’asile est prêt à fabriquer des éléments de preuve et à jurer de leur véracité. Par conséquent, il n’est pas un témoin crédible.

 

Puisque je ne dispose pas de suffisamment d’éléments de preuve crédibles qui démontrent le contraire, je conclus que le demandeur d’asile n’a pas réussi à établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il serait exposé à un risque sérieux de préjudice s’il retournait aujourd’hui en Albanie. Par conséquent, la Section de la protection des réfugiés rejette la demande d’asile au titre du paragraphe 97(1) de la LIPR.

 

III.       La question en litige

 

[9]               La principale question en litige en l’espèce concerne le caractère raisonnable des conclusions défavorables tirées par la Commission au sujet de la crédibilité.

 

IV.       La norme de contrôle

 

[10]           C’est la norme de la raisonnabilité qui s’applique aux questions de fait et de crédibilité (Aguirre c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 571, [2008] ACF no 732, aux paragraphes 13 et 14).

 

[11]           Selon cette norme, la Cour ne devrait intervenir que si la décision n’est pas conforme aux principes de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité et n’appartient pas aux issues possibles acceptables (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2009] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

V.        Analyse

 

[12]           Le demandeur conteste les conclusions concernant la crédibilité qui ont été tirées relativement au bien de la famille et au document de la direction de l’administration et de la protection des terres, le faible poids accordé à la lettre de Gjin Marku au motif qu’elle était fondée sur du ouï‑dire, ainsi que l’analyse microscopique visant à déterminer qui avait communiqué avec la police.

 

[13]           Quoique j’estime que la plupart des conclusions soient raisonnables, je reconnais le problème soulevé par le demandeur au regard du traitement réservé par la Commission au document de la direction de l’administration et de la protection des terres.

 

[14]           Lorsqu’elle a examiné ce document, la Commission a laissé entendre qu’il y avait une différence entre celui‑ci et le Formulaire de renseignements personnels (le FRP). En effet, selon le diagramme, le lot avait une superficie de 850 m2, alors que, selon le FRP, la superficie du lot des Domi et du lot du demandeur aurait dû être de 2 900 m2. La Commission a conclu en conséquence :

Je trouve invraisemblable qu’un document préparé par une quelconque organisation albanaise responsable de l’octroi d’une partie de terre à la famille du demandeur d’asile contienne une telle erreur. Par conséquent, étant donné l’absence de preuve objective démontrant le contraire, je suis convaincu que ce document a été fabriqué en vue de renforcer la demande d’asile, ce qui nuit à la crédibilité du demandeur d’asile.

 

[15]           Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en parvenant à cette conclusion sans tenir compte d’une modification apportée à son FRP au moyen d’une lettre datée du 27 mars 2011. La modification a eu pour effet d’effacer la référence à la superficie de la terre de la famille Domi et de clarifier le fait que la terre de la famille du demandeur avait une superficie de 850 m2. Le défendeur reconnaît que la question de la superficie du lot a été réglée par le demandeur et qu’il ne s’agit pas d’un vice du certificat émanant du gouvernement albanais.

 

[16]           En conséquence, la conclusion défavorable de la Commission concernant la crédibilité selon laquelle il y avait une erreur dans le document et le fait que la Commission est allée jusqu’à laisser entendre que ce document avait été fabriqué dans le but de renforcer la demande d’asile du demandeur sont extrêmement discutables.

 

[17]           Le défendeur laisse entendre que cette conclusion de la Commission est fondée sur la nature rudimentaire du certificat de façon plus générale, car il n’y avait ni indication de l’endroit où le lot était situé, ni indication des points cardinaux sur le diagramme.

 

[18]           Il est vrai que certains de ces détails plus précis ne figurent pas dans le document. À mon avis cependant, on ne doit pas nécessairement en conclure, comme la Commission l’a fait, que le document n’était « probablement pas authentique ». La Commission aurait pu lui accorder moins de poids en raison de ce manque de détails, mais ce n’est pas ce qui est arrivé en l’espèce. La Commission a plutôt tiré une conclusion beaucoup plus large concernant l’authenticité du document. Une lecture du passage pertinent porte à croire que l’erreur commise relativement à la superficie du terrain était aussi un élément fondamental de cette conclusion défavorable concernant la crédibilité.

 

[19]           Le demandeur attire l’attention de la Cour sur la conclusion tirée dans Halili c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 999, [2002] ACF no 1335, selon laquelle la Commission commet une erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle rejette un document officiel en l’absence d’une preuve tendant à démontrer son invalidité.

 

[20]           Étant donné que la conclusion défavorable concernant la crédibilité qui a été tirée à l’égard du document relatif au terrain a eu une importance fondamentale dans l’appréciation que la Commission a faite de la demande d’asile du demandeur en ce sens que les autres éléments de preuve n’étaient pas suffisants pour la compenser, je suis disposé à convenir avec le demandeur que cela constitue une erreur susceptible de contrôle.

 

VI.       Conclusion

 

[21]           La conclusion défavorable concernant la crédibilité que la Commission a tirée en s’appuyant sur le document relatif au bien était déraisonnable dans les circonstances. En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvel examen.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvel examen.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑5869‑11

 

INTITULÉ :                                                  RAIT DAKU c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 8 mars 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 11 avril 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Micheal Crane

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Khatidja Moloo‑Alam

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Micheal Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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